delai raisonnable pour tomber enceinte apres embauche
Dansla majorité des cas, pour éviter les ennuis, l’entreprise préfère embaucher un non-fumeur (à moins de postuler dans une PME où tout le monde fume). Il est bien entendu que ce critère n’est pas primordial lors du recrutement ; il serait donc inutile de mentir tout en sachant que si vous êtes complètement dépendant de la cigarette, vous aurez forcément beaucoup de
Bonjourà toutes, j'ai accouché il y a 6 mois par césarienne et je voulais savoir si il y a un délai "raisonnable" à respecter avant une deuxième grossesse ? Si l'une d'entre vous a
1 Alerte du salarié ou d’un membre du CHSCT en cas de danger grave et imminent. Le salarié en cas de danger grave signale immédiatement à son l’employeur ou à son représentant, toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. 2.
Detrès nombreux exemples de phrases traduites contenant "pour son entretien d'embauche" – Dictionnaire anglais-français et moteur de recherche de traductions anglaises.
Fin: 01/01/2999. 9 accords de la société PROTECTIM SECURITY SERVICES SAS. Le 10/08/2020. Aménagement du temps de travail (modulation, annualisation, cycles) Forfaits (en heures, en jours) Durée collective du temps de travail. Travail à temps partiel.
nonton film my girlfriend is alien season 2 sub indo. Math64 Le 28-12-2021 à 0041 + 1000 messages Bonjour, Fort heureusement, en France, une femme a le droit de concevoir un enfant avec qui elle veut et quand elle veut sas que son employeur n’ai de mot à dire sauf si c’est son conjoint ! Il n'existe aucune obligation d'en informer l'employeur qui n'est absolument pas partie de cette décision. Pour ce qui est de l'annonce, l'usage veut qu'on attende 3 mois afin de s'assurer de la viabilité de la grossesse. La pratique veut souvent que la salariée attende la fin de sa période d'essai, si celle-ci est longue, avant de concevoir son enfant mais rien d'obligatoire. Répondre Signaler ce contenu Visiteur Nicky02838 Le 28-12-2021 à 0425 J'ai oublié de préciser que je suis du Québec. Ils ne peuvent donc pas me mettre dehors si je comprends bien? Signaler ce contenu Visiteur Nicky02838 Le 28-12-2021 à 0429
Déclaration et certificat de grossesse quand prévenir son employeur ? Faut-il faire une lettre ?La loi ne prévoit pas de délai légal. En clair, rien ne nous oblige à prévenir notre employeur. Mais dans la pratique, il est vivement conseillé de révéler son état de grossesse suffisamment tôt, ne serait-ce que pour bénéficier d'éventuels avantages légaux et conventionnels aménagement de poste par exemple, ainsi que de la protection contre le licenciement prévue par la loi. Si on en a la possibilité, on annonce notre grossesse verbalement lors d’un rendez-vous avec notre employeur. On lui présente un certificat médical attestant de notre grossesse et on précise la date présumée de notre accouchement ainsi que les dates de notre congé maternité. On peut aussi faire notre annonce par courrier, et de préférence par lettre recommandée avec accusé de annoncer et déclarer sa grossesse au travail on choisit le moment opportunOn évite de coincer son patron entre deux réunions, avant ou après le déjeuner gare aux nausées !. Si une mauvaise nouvelle vient de tomber, on n’hésite pas non plus à repousser le notre patron ne s’y attend pas, cette grossesse va immédiatement déclencher une foule d’interrogations chez lui Et vous vous arrêtez quand ? Combien de temps… Et le congé maternité ? » Alors on révise ses petites fiches la veille pour être au clair sur tous ces points l'employeur de sa grossesse on se libère de la culpabilité et de la peurS’excuser d’être enceinte, c'est la dernière des choses à faire ! Si on n’assume pas sa grossesse, qui le fera pour nous ? Chaque année 530 000 bébés naissent de mères qui travaillent, on n'est donc pas une exception. Il y a de grandes chances que notre interlocuteur soit lui aussi parent. Alors on ne s'excuse pas ! On aborde notre grossesse comme un bel événement faisant partie de la vie. D’autant qu'on va partir seulement quatre mois, pas de quoi déstabiliser la vie d’une entreprise…On ne s’épanche pas sur ses divers maux de grossesse Qu’on se mette d’accord même s’il paraît très conciliant, notre boss ne se soucie guère de nos nausées, douleurs abdominales et autre maux de grossesse. Le mauvais calcul présenter sa maternité comme un état handicapant. Alors on garde ses petites misères et ses grandes joies pour soi, ou sa collègue est rassurante, on montre qu'on a tout prévu et qu'on a très envie de poursuivre notre carrière, encore plus avec ce bébé à venir. On rassure son boss en lui expliquant que, sauf imprévu, on va assurer sa mission jusqu’à notre départ en congé maternité. Et que pour la suite, on mettra dès à présent tout en œuvre pour que notre remplacement se passe le mieux annoncer sa grossesse à son employeur Ça tombait plutôt mal… Ma supérieure était elle aussi enceinte. J’avais vraiment l’impression que ma grossesse n’arrivait pas au bon moment, moi qui avais tant lutté pour tomber enceinte. En plus, d’après mes calculs, j’allais partir une semaine avant son retour. Après avoir angoissé pendant plusieurs jours, je me suis décidée. Je suis montée voir ma patronne. A peine rentrée dans son bureau, avec cet air confus que je me déteste, j’annonce Il faut que je vous dise quelque chose ». Tu es enceinte », m’a-t-elle répondu du tac au tac. Euh oui, comment le savez-vous ? » Tu ne viens pas me voir souvent, alors là, soit tu voulais une augmentation, soit c’était pour m’annoncer ta grossesse, et vu ton sourire… ». Elle m’a du coup embrassée chaleureusement. J’étais soulagée. Je regrette, en revanche, de ne pas avoir été plus claire sur la date de mon congé maternité. Car du coup, à chaque fois qu’elle rentrait dans le bureau, elle me disait Tu pars quand, déjà ? ». Pas très agréable… »Vous avez envie d’en parler entre parents ? De donner votre avis, d’apporter votre témoignage ? On se retrouve sur
^5 SB? £V*iV. ôivjaïmfti hocat à la Cour royale, ancien Magistrat, ancien Président des Atocals aui Conseils du Roi el à la Cour de Cassation, Membre de la Légion-d'llonncur, de la Société Pbilolecluiiqttc, de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres el Arts do Clermont-Ferrand, cl de plusieurs autres Sociétés savantes. troisième riiition xA'iÿ PARIS CHEZ 1/ÉDITEUR, HUE D F, I/O DÉ O N, 3 fi • i , fc. AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR L’accueil favorable que le public u bien voulu faire aux premières éditions de mon Traité de s actions possessoires m’enhardit à en donner une nouvelle. La seconde édition était épuisée depuis longtemps ; mais les travaux de ma profession, les luttes incessantes du barreau ne m’ont pas permis de livrer plus tôt la troisième à l’impression. J’ai, du reste, profité de ce retard pour faire une élude'approfondie de mon sujet, et mon premier travail a été entièrement refondu. Je présente dans celui-ci un assez grand nombre de questions et de solutions qu’on ne trouvait pas dans le précédent. J’y ajoute même une autre matière, celle des actions pétitoires. Aussi ai-je changé le titre de l’ouvrage, qui s’appellera désormais Traité de la possession et des actions possessoires et pétitoires. Je publie au jour- Vj d’hui la première partie relative à la possession et aux actions possessoires. Je m’occupe sans relâche de la seconde, qui comprendra les actions pétitoires, et qui ne lardera pas h paraître; elle sera beaucoup moins étendue que la première, parce que bon nombre des principes exposés dans celle-ci sont communs aux deux, et que d’ailleurs il m’est arrivé assez souvent, en traitant des actions possessoires, de parler des autres actions. Une table alphabétique et raisonnée des deux parties de l’ouvrage paraîtra en même temps que la seconde. PREMIÈRE PARTIE TRAITE DE LA POSSESSION DES ACTIONS POSSESSOIRES TITRE PREMIER DES ACTIONS POSSESSOIRES EN GÉNÉRAL ; POSSESSION REQUISE ; DÉLAIS POUR LES INTENTER. CHAPITRE PREMIER Principes du droit romain et du droit français ancien et actuel sur les actions possessoires en général, et sur plusieurs d’entre elles en particu- lier.— Définition de ces actions et de la possession qui y donne lieu; de leur but, SECTION l rc . Actions possessoires en général. La matière des actions possessoires, considérée de tout temps comme une des plus importantes et des plus épineuses de notre droit, n’a néanmoins que fort médiocrement excité la sollicitude de nos législateurs modernes. A peine le Code de procédure y consacre-t-il quelques articles dont la rédaction négligée et très-incomplète est une source d’embarras. La loi du 25 mai 1838, qui aurait 1 — 2 — dû faire cesser le plus grand nombre des difficultés, est loin d’atteindre ce but; et si le § 1 er de l’art. 6, le seul qui s’occupe de cette matière, en résout quelques-unes, il en fait naître ou en laisse subsister beaucoup d’autres. Aussi, serons-nous souvent contraint, pour traiter notre sujet avec quelque utilité, de consulter les dispositions des lois romaines et de l’ancien droit français, en distinguant toutefois avec soin celles que l’on peut encore prendre pour guide de celles incompatibles avec la législation qui nous régit aujourd’hui. L’action possessoire, comme les mots l’indiquent, a uniquement la possession pour objet, à la différence de l’action pétitoire dont nous nous occuperons dans la seconde partie et qui tend à faire prononcer sur la propriété. Il ne faut donc pas confondre l’une et l’autre nihil commune hetbet possessio cum proprietate, ainsi que le dit la loi 12, § 1 er , ff. de acq. vel amitt. possess. Si l’on remonte à l’origine des sociétés, on reconnaît que la possession ou occupation fut d’abord le seul mode d’acquérir la propriété ; nous pouvons ajouter qu’aujourd’hui elle est encore le premier et le plus naturel. On ne devient propriétaire que pour avoir la possession ; car c’est par cette possession, par l’usage des choses qui en sont l’objet, que l’homme peut subvenir à ses besoins. On conçoit dès-lors l’importance qu’on attache à l’acquérir ou à la conserver. La possession, dit l’art. 2228 du Code civil, est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou l’exerce en notre nom. » Suivant Pothier, possession vient de pedum posilio, position des pieds, ou, selon la leçon florentine, d’unç Vi sorte déposition sur un siège L. 1 r % ff. de acquir. poss., parce que celui qui possède, rei insidet, est assis sur la chose, insistit, s’y arrête. Nous ne remonterons pas à l’origine de l’action pos- sessoire ; nous ne rechercherons pas, avec quelques auteurs, si elle est une pure création de notre droit, ou si elle nousest venue des Romains, ni à quelle époque précise elle fut introduite soit en France, soit à, llome ; ces excursions dans le domaine de l’histoire seraient sans utilité et sans influence sur la décision des difficultés de notre sujet. Nous dirons seulement qu’elle a été admise depuis très-longtemps dans la législation des deux peuples, avec quelques différences que nous aurons soin de signaler. Les actions dont nous traitons ici étaient connues chez les Romains sous le nom d’interdits Interdicta. Dans le droit ante Justinien, l'interdit n’était pas considéré comme une action ni comme un jugement; c’était simplement un décret du préteur, rendu principalement en matière possessoire, et conçu en termes spéciaux, par lequel il ordonnait ou prohibait quelque chose. Erant autem interdicta, forma atque conceptiones ver- borum quibus prætor aut jubebat aliquid péri, aat péri prohibebal, qaod tune maxime pebal, cum de possessione aut quasi possessione, inter aliquos contendebatur Inst, de interd. in principio. Suivant Vinnius, l’interdit pouvait être défini, dans 1 ancien droit romain Decret tan preetoris, certis verbis conception, quo in cousis possessionum vel quasi possessio- nurn jubebat aliquid péri, aut perivetabat, prout id rei de qua agebatur, conveniebat. Le même commentateur ajoute que le préteur n’obser- vait pas les formes judiciaires et ne rendait pas de juge- ment, prœtor ad postulationem interdiction petentis, ad- versario ad se l'ocato, sine forma judicii interdiction reddebat, certa verboruin formula jubens aut vetans ali- quid fieri. Et si l’on n’obéissait pas à ce décret, ou il le faisait exécuter par la force, ou, par suite de son interdit, il donnait la faculté d’intenter une action et de faire rendre un jugement. Mais Justinien ayant reconnu l’importance des interdits, la nécessité] de simplifier les formes, et d’abréger les délais, autorisa à porter l’action directement devant le juge compétent Inst. ult. de Interd.. Aussi, dans le § I er , il dit N une dispiciamus de. inter- dictis, seu actionibus qitœ pro his exercentur, et dans le tit. 1 er du livre 43 ff. on lit De interdictis seu extraordi- nariis actionibus. Les interdits furent introduits pour les matières placées plus spécialement sous l’autorité publique et dans lesquelles l’administration doit au pays comme aux citoyens une surveillance et une protection plus directes ; c’est-à- dire dans les choses de droit divin ou religieux, de droit commun ou public, par exemple pour la protection des lieux sacrés, des tombeaux, des inhumations, pour l’usage et la conservation de la mer et de ses rivages, des fleuves, des voies publiques. Plus tard ils furent étendus aux matières d’intérêt privé rei familiaris causa, dans les causes qui amènent entre les parties contestantes des rixes et des voies de fait et qui appellent par conséquent l’intervention immédiate de l’autorité ; telles sont les contestations sur la possession et la quasi possession. Quo- niam in hujusmodi controversiis, sæpc contingit et cœdes fieri, et vulnera infligi etplagas inferri Théophile, paraphrase, livre 43 ff. de Interd.. La dénomination d’interdit semblait ne devoir s’appliquer qu’au cas où il y avait interdiction ou défense d’agir, et non à celui où il était prescrit de faire quelque chose. Nous lisons, même aux Institutes de Gaïus 4-166, qu’on appelait spécialement interdits, ceux par lesquels le préteur prohibait, et décrets, ceux par lesquels il ordonnait, vocantur autcm décréta, cum fie ri aliquid jubet interdicta vero cum prohibet fieri. Sed tamen, dit Justinien, o btinuit omnia interdicia appellari, et la raison qu’il en donne est bien peu décisive, ainsi que le remarque Vin- nius Quia inter duos dicuntur. Aussi cet auteur substitue aux expressions inter duos, le mot intérim, et dit qu’ils ont été appelés interdits parce qu’ils disposent de la possession pendant le litige sur la question de propriété. D’après le 1 er § des Institutes déjà cité, les interdits portaient quelquefois sur le fond même du droit, et c’est en quoi notre législation diffère de celle des Romains ; car chez nous la possession a toujours été l’unique objet de la complainte et de la réintégrande. Nous devons ajouter qu’à llome ceux des interdits qui avaient la possession pour objet ne tendaient pas toujours à la conserver ou à la recouvrer, mais avaient quelquefois pour but d’acquérir celle qu’on n’avait jamais eue. Le titre 1 er du 39 e livre du Digeste, le 43 e livre tout entier, et les onze premiers titres du 8 e livre du Code sont consacrés au développement des règles générales des interdits, à l’explication détaillée des principes spéciaux et des formules de chacun d’eux. Le titre 15 du 4 e livre des Institutes de Justinien est le résumé simple et lucide de la matière. Justinien divise les interdits en deux classes principales. — fi — La première comprend les interdits prohibitoiires, res- titutoires et exhibitoires. Summa autan divisio interdictorum hœc est, ijjuod mit prohibitoria sunt, mit restitutoria, aut exhibitoria. Il explique ensuite la nature de chacun de ces interdits. 1° Prohibitoria sunt quibus prœtor vetat aliqudd fieri; il en donne plusieurs exemples. 2° liestitutoria sunt quibus restitui aliquid jubet ; et il en donne encore des exemples. 3° Exhibitoria sunt per qua 1 jubet exhiberi. Il en donne pour exemple le cas d’un homme libre, d’un affranchi ou d’enfants recelés. Ces interdits avaient pour effett de forcer le receleur à les représenter. Heinneccius, dans ses recitationes, y ajoute le cas d’un testament qu’on cachait. Il y avait lieu à l’interdit de tabulis exhibendis. La seconde division comprenait aussi trois sorties d’interdits. 1° Celui qui avait lieu pour acquérir la possession, adipiscendœ possessions, ou quorum bonorum. 2° Celui qui avait pour hut de la conserver, retinendœ possessions, ou uti possidetis. 3° Et le dernier qui tendait à la recouvrer, recmperan- dæ possessions, ou unde vi. Le premier avait lieu en faveur de celui que le préteur avait mis en possession de certains objets, par exemple, d’une succession ; comme le jugement du préteur ne lui donnait qu’un droit à la chose, jus persequendi, il en obtenait la possession réelle par l’effet de cet interdlit. Le second avait lieu en faveur de celui qui était en possession et qui demandait à y être maintenu provisoirement pendant toute la durée du débat sur la propriété. Connue cet interdit existe encore dans notre droit, que Justinien explique clairement en quoi il consiste et les avantages qui en résultent, nous croyons devoir transcrire sur ce point le texte des Institutes. Retinendœ possessionis causa comparata sunt interdicta, uti possidetis et utrubi cum ah utraque parte de proprie- tate alicujus rei controversia sit et ante quœratur uter ex litigatoribus possideat et uter petere de-beat. Nunique, nisi ante exploratum fuerit, utrius eoruni possessio sit, non po~ test petitoria actio institut quæ et civilis et naturalis ratio facit ut alius possideat et alius a possidente pelât. Et quia longe commodius est et -potins possidere quam petere, ideo plerumque et fere semper ingens existit contentio de ipsa possessione. Commodum autem possidenti in eo est quod etiamsi ejus res non sit qui possidet, si modo actor non possit suam esseprobare, remanel in suo loco possessio ; propter quamcausam cum obscurasunt utriusque jura, contra petitorem judicari solet. Vient ensuite la différence entre l’interdit uti possidetis et celui utrubi ; le premier avait lieu pour les immeubles et n’exigeait pas une possession ancienne ; il suffisait de l’avoir au moment du trouble. Le second concernait les meubles. Dans l’ancien droit, il fallait, pour cet interdit, que la possession du demandeur eût duré pendant la majeure partie de l’année, ou, comme le disent les interprètes, quelle eût duré plus longtemps que celle du défendeur ; mais Justinien a fait disparaître ces différences en décidant que la possession au moment du trouble suffirait pour ces deux interdits. Ainsi, les lois romaines n’exigeaient pas, comme les nôtres, une possession annale ; il n’était pas non plus nécessaire, en général, que l’action fût intentée dans l’année du trouble. Nous examinerons ultérieurement si l’interdit utrubi est encore admis parmi nous, soit pour universalité de meubles, soit pour quelques meubles isolés. L’interdit recuperandœ possessionis ou unde ci, appartenait à celui qui avait été dépouillé de sa possession par violence. Recuperandæ possessionis causa solet interdici si qitis ex possessione fundi, vel œdium vi dejectus fuerit; nam ei proponüur mterdictum unde ri per quod is qui dejecit cogiturei restiture possessionem, licet is ah eo qui vi dejecit, vi, clam vel precario possideat. Toutefois cet interdit n’avait lieu que pour les immeubles, et l’action furti était la seule qui appartînt à celui que la violence avait dépouillé d’un objet mobilier. Les Romains divisaient encore les interdits en simples et doubles, simplicia et duplicia. Les simples étaient ceux dans lesquels l’un était demandeur et l’autre défendeur ; les doubles, ceux dans lesquels chacun était demandeur et défendeur. Tertia divisio interdictorum est quod aut simplicia sunt aut duplicia Simplicia sunt, veluti in quibus aller actor, aller reus est, qualia suntomnia restitutoria aut exhibitoria. Duplicia sunt veluti utipossidetis interdiction cl utrubi. Ideo autem duplicia vocantur quia par utriusque litigalo- ris in his conditio est, nec quisquam prœcipue reus, vel actor intelligitur sed unusquisque tain rei quam actoris partes sustinet. Enfin, le Digeste, livre / 3 , titre 1 er , de interdictis sive. extraordinariis actionibus quœ pro his competunt, ajoute une division des interdits, en annalia et perpétua; les premiers devaient avoir lieu dans l’année du trouble, les autres n’étaient limités par aucun délai. Cujas, ad titulum codicis unde vi, remarque que des trois interdits adipiscendœ, relinendœ et recuperandœpossession is, les deux derniers sont seuls admis dans nos tribunaux. Adipiscendœ possessions interdicta non stmt in mu, sedretinendœ tantum et recuperandœ. Quod optimeno- tavit Jmbertus, in institutionibus forensibus, quo ad triturant forensem nu U us nielior. C’est encore ce qu’exprime Boutaric, en termes plus généraux. 11 y comprend l’interdit utrubi, ce qui fait dire à M. le président Henrion de l’anse y qn’il va trop loin, parce que, suivant ce grand magistrat, la complainte ne peut plus avoir lieu que pour universalité de meubles, ce que nous examinerons par la suite. Duplessis, des Actions, Domat et Pothier s’en expliquent dans le même sens. M. Dupin aîné, dans ses notes sur les Recitationes Ilein- ncccii, tome 2, pages 396, 399 et /00, enseigne aussi que nous avons seulement conservé la complainte et la réintégrande, et que les autres interdits, même celui utrubi, ne sont pas en usage. C’est ce qui a été plus tard érigé en règle légale dans notre jurisprudence française. En effet, la coutume de Paris contient les trois articles suivants Article 96. n Quand on peut intenter la complainte. Quand le possesseur d’aucun héritage ou droit réel réputé immeuble, est troublé et empêché en la possession et jouissance, il peut et luy loist soy complaindre et intenter poursuite en cas de saisine et de nouvelleté dedans — 10 — l’an et jour du trouble à lui fait et donné audit héritage ou droit réel, contre celui qui l’a troublé. Article 97. Complainte n’a lieu pour meubles, si ce n’est pour université mobilière. Aucun n’est recevable de soi complaindre et intenter le cas de nouvelleté pour une chose mobilière particulière; mais bien pour université de meubles, comme en succession mobilière. » Remarquons, en passant, que la raison donnée par Ferrière, de l’exception que renferme cet article, est qu’une université de meubles est réputée un corps et un immeuble nous apprécierons cette raison plus tard. article 98. De la simple saisine. Quand aucun a joui et possédé aucune rente, et icelle prise et perçue sur aucun héritage auparavant et depuis dix ans, et par plus grande partie d’icelui temps, s’il est troublé et empêché en la possession et jouissance d’icelle, il peut intenter et poursuivre le cas de simple saisine personnelle, contre celui ou ceux qui l’ont ainsi troublé, et requérir être remis en la même possession en laquelle il était auparavant ladite cessation. » L’ordonnance de 1667, titre 18, des complaintes et réintégrandes, contenait les dispositions suivantes Art. 1 er . Si aucun est troublé en la possession et jouissance d’un héritage ou droit réel, ou universalité de meubles qu’il possédait publiquement, sans violence, à autre titre que de fermier ou possesseur précaire, il peut, dans l’année du trouble, former complainte en cas de saisine et nouvelleté contre celui qui lui a fait le trouble. Art. 2. Celui qui aura été dépossédé par violence ou voies de fait, pourra demander la réintégrancle par action civile et ordinaire, ou extraordinairement, par action criminelle ; et, s’il a choisi l’une de ces deux actions , il ne pourra se servir de l’autre, si ce n’est qu’en prononçant sur l’extraordinaire on lui eût réservé l’action civile. » Les autres dispositions sont relatives à la forme deprocéder ; nous en parlerons ailleurs. Ajoutons que la jurisprudence avait admis la dénonciation de nouvel œuvre, également connue des Romains, et la récréance. Tel a été l’état de notre législation jusqu’à la révolution. Une loi du 24 août 1790, tit. 3, art. 9, s’exprime ainsi Le juge de paix connaîtra de même, sans appel, jusqu’à la valeur de 50 fr., et, à charge d’appel, à quelque valeur que la demande puisse monter 1°.... 2° Des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et autres clôtures commises dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des prés, commises pareillement dans l’année, et de toutes autres actions posses- soires. » La loi du 20 octobre 1790, contenant règlement pour la procédure de la justice de paix, après avoir dit, dans les deux premiers articles du titre 1 er , que la citation devant ce tribunal sera faite en vertu d’une cédule, ajoute Art. 3. En matières purement personnelles ou mo- — 12 — bilières, la cédule de citation sera demandée au juge du domicile du défendeur. Aiit. h. Elle sera demandée au juge de la situation de l’objet litigieux lorsqu’il s’agira 1°... 2° des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et autres clôtures commises dans l’année; des entreprises sur les cours d’eau, servant à l’arrosement des prés, commises pareillement dans l’année, et de toutes autres actions possessoires. » Le Code de procédure contient aussi, àcetégard, quelques dispositions que voici Art. 2. En matière purement personnelle ou mobilière, la citation sera donnée devant le juge du domicile du défendeur; s’il n’a pas de domicile, devant le juge de sa résidence. Art. 3. Elle le sera devant le juge de la situation de l’objet litigieux, lorsqu’il s’agira 1°.... 2° des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et autres clôtures commises dans l’année ; des entreprises sur les cours d’eau, commises pareillement dans l’année, et de toutes autres actions possessoires. Art. 23. Les actions possessoires ne seront recevables qu’autant qu’elles auront été formées dans l’année du trouble par ceux qui, depuis une année au moins, étaient en possession paisible par eux ou les leurs, à, titre non précaire. » Le § 1 er de l’art. G de la loi du 25 mai 1838 est ainsi conçu Les juges de paix connaissent à la charge d’appel des entreprises commises dans l’année, sur les cours d’eau servant à l’irrigation des propriétés et au motive- — 13 — ment des usines et moulins, sans préjudice des attributions de l’autorité administrative, dans les cas déterminés par les lois et par les règlements ; des dénonciations de nouvel œuvre, complaintes, actions en réintégrande et autres actions possessoires fondées sur des faits également commis dans l’année. » Enfin, pour terminer la série des dispositions sur la matière, nous reproduisons le texte de l’art. 2050 du Code civil. 11 est ainsi conçu La contrainte par corps a lieu, eu cas de réintégrande , pour le délaissement ordonné par justice, d’un fonds dont le propriétaire a été dépouillé par voie de fait ; pour la restitution des fruits qui en ont été perçus pendant l’indue possession et pour le paiement des dommages-intérêts adjugés au propriétaire. » M. le président Henrion de L’ansey définit l’action pos- sessoire, une action qui appartient à celui qui a la possession civile d’un héritage, d’un droit réel ou d’une universalité de meubles pour s’y faire maintenir lorsqu’il est troublé. Mais nous croyons cette définition inexacte et incomplète. Inexacte, en ce quelle suppose que l’action posses- soire est admise aujourd’hui pour universalité de meubles; or cette supposition est une grave erreur, ainsi que nous le démontrerons en traitant des choses qui peuvent être la matière de cette action. Incomplète, en ce qu’elle ne comprend que la complainte fondée sur un simple trouble, et non la réintégrande fondée sur la dépossession violente. Nous croyons donc devoir définir l’action possessoire, une action appartenant au possesseur d’un immeuble, d’un U — droit réel immobilier pour se faire maintenir ou réintégrer dans sa possession, en cas de trouble ou d’éviction. Après avoir exposé les notions les plus générales sur les actions qui font le sujet de ce Traité et avant d’arriver à la complainte qui exigera des développements étendus, nous devons, pour rendre notre marche plus facile, nous occuper d’abord de la dénonciation de nouvel œuvre et de la réintégrande. Nous nous expliquerons aussi sur la récréance et le séquestre, mesures qui ont une intime corrélation avec les matières possessoires. SECTION II. De la dénonciation de nouvel œuvre, de la réintégrande, de la rècrèance et du séquestre. § 1". Dénonciation de nouvel œuvre. La dénonciation de nouvel œuvre, d’après le sens grammatical et l’exacte propriété des mots, est la déclaration de l’existence d’un ouvrage nouveau. Mais, en droit romain, ces termes avaient une autre signification ; ils désignaient la faculté qu’on avait de faire suspendre des travaux nuisibles, et d’obtenir du juge, en cas de continuation, malgré sa défense, leur destruction provisoire avant tout examen du fond du droit. Nous prouverons que cette action, déjà modifiée par notre ancienne jurisprudence, n’existe aujourd’hui que de nom, et qu’elle est assujettie à toutes les règles des autres actions possessoires. Pour établir cette proposition , nous rechercherons 1° Quels étaient les principes du droit romain sur cette matière ; 2° Quels étaient ceux de l’ancien droit français ; 3° Et quels sont ceux du droit actuel. N” I. Droit romain. Le Digeste et le Code renferment chacun un titre consacré à expliquer la dénonciation de nouvel œuvre De operis novi nuntiatione. Le mot nuntiatio, abrégé de denuntiatio, veut dire ici défense, empêchement, interdiction déclarée à quelqu’un. IIoc edicto promittitur ut sive jure, sive injuria opus fieret, per nuntiationem inhiberetur. Loi l rc f[. Les Institutes disent de même Interdicere est denuntiare, prohibere. La manière la plus générale, la plus usitée de faire la dénonciation de nouvel œuvre, était par simples paroles proférées à ceux qui exécutaient les travaux Nuntiatio ex hoc edicto non habet necessariam prœtoris additionem potest enim nuntiare quis, etiamsi cuin non adierit. Ce sont les termes de la loi l rc . § 2, D. de operis novi nuntiatione. Mais il y en avait encore deux autres. Celui à qui nuisait le nouvel œuvre pouvait requérir le prêteur d’en défendre la continuation. Et, suivant la loi 5, § 10 du même titre, la loi 6 , g 1, D. si servitus vindicetur, et la loi 1”, g 6 , D. qnodvi autclam, il pouvait, au lieu de s’opposer verbalement à ce que l’ouvrage fût continué, ou de s’adresser au prêteur pour obtenir des défenses, jeter une petite pierre sur le terrain de l’innovateur, et, par là, mettre celui-ci hors d’état de continuer ses travaux, jusqu’à ce qu'il en eût été autrement ordonné en justice. La dénonciation de nouvel œuvre avait lieu, ou pour conserver un droit privé, ou pour éviter le dommage dont on était menacé, ou pour la conservation d’un droit qui appartenait au public. Aut juris nostri conservandi causa, aut damni infecti, aut publici juris tuendi gratia. Nuntiamus autem quia jus aliquod prokibendi habemus, vel ut damni. infecti cuveatur nobis ab eo qui forte in pn- blico vel in privato quid molitur. /. de op. nov. nunt., loi l r , § 16. Il n’y avait même aucune distinction à faire entre les villes et les campagnes Sire intra oppida sive extra op- pida, in villis vel agris, opus novum fiat, nuntiatio ex hoc edicto locum habet § 14. Elle pouvait être intentée toutes les fois que l’ancien état des choses éprouvait quelque changement. Opus novum facere videtur qui aut œdificando, aut detrahendo aliquid, pristinam faciem operis mutât § 11; mais non contre celui qui ne faisait qu’étayer ou réparer sa maison Si quis œdificium vêtus fulciat, an opus novum nun- tiare eipossumus, videamus ? et magis est ne possimus, hic enim non opus novum facit, sed veteri sustinendo remedium adhibet g 13. L’action pouvait être intentée, non-seulement contre le voisin immédiat, mais même contre l’arrière voisin Non solum proximo vicino, sed etiam superiori opus fa- cienti nuntiare opus novumpotero. Loi 8. Le qu’il importe de remarquer, c’est que, suivant le § 1 er de la loi 1, la dénonciation ne pouvait avoir lieu qu avant 1 achèvement des travaux Hoc autem edictum remediumque operis novi nuntiationis, adversus futura — 17 — opéra inductum est, non adversus prœterita hoc est adversus ea quœ nundum facta sunt, ne fiant. Il n’en résultait pourtant pas que celui qui avait laissé achever les travaux, fût sans action ou n’eût plus que l’action pétitoire ; mais, suivant le même paragraphe, il devait se pourvoir par l’interdit vi aut clam Nam si quid operis fuerit factum quod fie ri non dehuit, cessât edic- tum de operis novi nuntiatione et erit transeundum ad interdiction quod vi aut clam factum erit, ut restituatur; et quod in loco sacro religiosove et quod in luminc pu- blico, ripave jmblica'factum erit nam his intcrdictis res- Utuetur, si quid illicite factum est. Il avait encore l’interdit uti possidetis , ainsi que cela résulte de la loi 8, § 5, D. si servitus vindicetur, et du Commentaire de Voët sur les Pandectes, liv. 43, tit. 18, n° 1, et du § 10, 1. 5, ff. de op. nov. nunt. La dénonciation pouvait avoir lieu même les jours fériés. § 4, loi l rc , ff. de operis novi nunt. Il n’était pas nécessaire que la dénonciation fût faite au propriétaire en personne ; il suffisait qu’elle le fût à celui qui dirigeait les travaux, à l’un de ses ouvriers ou h tout autre qui, étant sur les lieux, était à portée d’en faire part au propriétaire. Nuntiari autem non utique domino oportet suffwit enim, in re præsenti, nuntiari ei qui in re præsenti fuerit, usque adeo ut etiam fabris vel opi/i- cibus qui eo loci operantur, opus novum nuntiari possit ; et generaliter ei nuntiari novum opus potest qui in re præsenti fuit domini operisve nomine. Neque refert quis sit iste, vel eu jus conditionis qui ifi re præsenti fuit. Nam et si servo nuntietur, vel mulieri, vel puero, vel puellæ, tenet nuntiatio Sufficit enim in re præsenti operis novi nuntiationem factum sic , ut domino possit renuntiari. 18 — Loi 5, § 3. Et le motif en est, que la dénonciation de nouvel œuvre ne se faisait pas à raison de la personne, mais de la chose, opcris novi nuntiatio in rem fit non in personam. Loi 10. La dénonciation de operis novi... n’avait pas lieu pour toutes sortes de travaux Non omnia opéra complectitur; sed ea sola quœ solo conjuncta surit, quorum œdiftcatio vel demolitio videtur opus novum continere. Idcirco plaçait si quis messem faciat, arborent succidat, vineam putet quamquam opus faciat, tamen ad hoc edictum non perti- nere quia ad ea opéra quœ in solo fiant, pertinet hoc edictum. Loi l r ', § 12. Cette dénonciation était, de plein droit, suspensive des travaux commencés. Celui qui les exécutait était tenu de cesser, lors même qu’il prétendait être bien fondé à les continuer. La loi l re , déjà citée, est positive Sivejure, sive injuria... Et si, malgré la défense, il les continuait, son adversaire pouvait se pourvoir par l’interdit quod vi aut clam, pour faire détruire ce qui avait été fait depuis la dénonciation. S’il voulait, après cette continuation, se pourvoir devant le prêteur, pour prouver qu’il avait eu le droit de le faire, le juge devait refuser de l’entendre, jusqu’à ce qu’il eût remis les choses dans leur premier état. Si is cui opus novum denuntiatum est, ante remissio- nem œdificaverit, deinde cœperit agere jus sibi esse ita œdi- ficatum habere, prœtor actionem ei denegare debet et interdiction in eum de opéré restituendo reddere. L. 1, §.. 7. Ait prœtor quod factum est restituas. Quod factum est jubet restitui neque enim interest jure factum sit nec ne, Sive jure factum est, sive non jure factum, interdiction lo- çum habebit. L. 20, §. 3. Cependant, celui à qui était dénoncé le nouvel œuvre pouvait être admis à le continuer, en donnant caution de réparer le dommage qu’en pourrait souffrir le plaignant loi 5, g. '17; mais c’était le seul moyen qu’il eût pour pouvoir légalement continuer ses travaux; et, à défaut de caution, il fallait absolument qu’il les interrompit. L. 8, g 2. La dénonciation du nouvel œuvre avait lieu non-seulement lorsque le propriétaire bâtissait sur son fonds, mais même lorsqu’il construisait sur le fonds voisin; c’est par une erreur évidente que M. le président llenrion de Pansey, dans son Traité de la Compétence des Juges de paix, affirme quelle était restreinte au premier cas ; le texte des lois romaines est positivement contraire â cette assertion. Sans doute ce premier cas était le plus ordinaire ; les lois romaines conseillaient même d’employer de préférence alors la dénonciation de nouvel œuvre verbale ; mais rien n’empêchait que celui sur le fonds duquel un tiers construisait, au lieu de se pourvoir par l’interdit idi possidetis qui avait pour effet la destruction des travaux, ne se bornât à une défense de les continuer. Sed et si in cédés nostras quis immittat, aut in loco nos- tro œdificet, œquttm est nos operisnovi nuntiatione jus nos - trum nobis conservare. Loi 5, g 8. Et belle Sextus Pedius définit triplicem esse causant operis novi nuntiationis aut naturalem, aut publicam, aut imposititiam. Naturalem, cum in nostras ædes quid immittitur, aut dificatur in nostro. Publicam causant, quotiens leges aut senatusconsulta constitutionesque princi- mm per operis novi nuntiationem luemur. Imposititiam, cum quis posteaquam jus suum déminait, alterius uuxit ; hoc est posteaquam servitutem œdibus suis imposait, contra servitutem fecit. § 9. Meminisse aulem oportebit, quotiens quis in noslro œdi~ ficare vel in nostrum immittere, vel projicere vult, melius esse eum per prœtorem vel per maman id est lapilli ic- tum prohibera quam operis novi nuntiationc. Cœterum, operis novi nuntiationc possessorem eum faciemus, oui nun- tiaverimus. Aut si in suo quid faciat quod nobis noceat, tune operis novi denuntiatio erit necessaria. Et si forte in nostro aliquid facere quis persévérât, œquissimum erit in- terdicto adversus eum quod vi aut clam aut uti possidetis uti 810 . Ces lois, nous le répétons, ne laissent aucun doute, et M. Merlin, Questions de droit, 4 e édition, V° Dénonciation de nouvel œuvre, est complètement de notre avis. La dénonciation avait lieu en général pour les servitudes. Si celui qui était grevé d’une servitude faisait sur son fonds des travaux susceptibles d’en empêcher l’exercice, le créancier pouvait s’opposer, par la dénonciation du nouvel œuvre, à ce qu’ils fussent continués. Jus liabet opus novum nuntiandi qui aut dominium aut servitxdem habet. Loi 3, D. de Remissionibus. La loi 15, J. de servitut. prœdiorum urbanorum n’est pas moins positive pour le cas où celui qui doit la servitude ne luminibus officiatur, élève le bâtiment qu’il construit sur son fonds à une hauteur qui obstrue les jours de son voisin Inter servitutes ne luminibus officiatur et ne prospectai offendatur aliud et aliud observatur quod in prospectu plus quis habet, ne quid ei officiatur ad gratio- rem prospectum et liberum, in luminibus autem non of/i- çere ne lamina cujusquam obscuriora fiant, Quodcumque irjitur facial ad luminis impedimentum prohibai polest, si servit us debcatur, opusque ei novum nuntiari potcst, si modo sic fiat ut lumini noceat. La loi 6, § 7 du même titre, les lois 2, 5, § 9, ff. de operis novi nuntiat., consacrent les mêmes principes. Mais la loi l/i nous semble faire exception pour le cas où l’on bâtit sur son terrain assujetti à un droit de passage alors c’est, suivant cette loi, par la voie pétitoire que le prétendant à la servitude doit réclamer. Qui viam habet, si opus novum nuntiaverit adversus eum qui in via œdiji- cat, nihil agit; sed servit ut-em vindicare non prohibetur. Voët essaie de concilier ces lois par une distinction. Il dit d’abord que la dénonciation de nouvel œuvre a lieu pour toutes les servitudes, lorsque les travaux en empêchent absolument l’exercice, ce qui s’applique à celle de passage, quand il n’y a pas possibilité de passer ailleurs qu’à l’endroit couvert de nouvelles constructions; mais il ajoute que, comme ordinairement la servitude de passage est due par tout le fonds et non pas seulement par la partie sur laquelle la construction a eu lieu, le prétendant à la servitude n’a que l’action pétitoire pour se faire désigner une autre partie par laquelle il pourra passer. La première partie de cette opinion nous paraît un peu arbitraire, et nous croyons que le sens des lois romaines est que la dénonciation de nouvel œuvre est admise pour toutes les servitudes autres que celles de passage. Il y a dans le Code de Justinien, comme nous l’avons dit, un titre de operis novi nuntiatione; mais il n’est composé que d’une seule loi; et voici ce quelle porte Quelques-uns ont prétendu qu’après un an à compter de la dénonciation du nouvel œuvre, celui qui l’avait faite ne pouvait plus s’opposer à la construction du bâtiment _ 22 _ commencé. Mais cette opinion nous a paru inique. !ar si le plaignant n’a pas fait en bonne forme la défense de continuer les travaux, on a pu les continuer pendant l’année; et s’il a fait régulièrement cette défense, il peut encore s’en prévaloir après l’année pour empêcher la continuation du nouvel œuvre, quod dupliciter iniquum nabis esse videlur ; sive etenim non recte opus prohibuerit, decet non per tolum annum lioc impediri sive recte denun- liationem emiserit, ctiampost anmim licentiam habere redi- ficutionem prohibere. Pour réprimer cette injustice, nous voulons que désormais toute procédure de ce genre soit terminée dans l’espace de trois mois, et que cependant si, au bout de ce terme, l’allaire éprouve des difficultés qui forcent d’en reculer le jugement, le défendeur à la dénonciation du nouvel œuvre soit autorisé, sous caution, à continuer et achever les travaux qu’il a commencés Talem igitur iniquitatem inhibentes, sancimus, si quis de- nuntiationem emiserit, in hac quidem regia urbe proefec- tum urbi festinare; in provincia vero rectorem ejus intra trium mensium spatium causam dirimere. Sui vero aliquod fuerit quocumque modo ad decisionem ambiguitatis impe- dimentum, licentiam habere eum qui œdificationem depro- perat, opus de qun agitur efficere, prius fidejussore ab co data . ut si non recte œdificaverit, omne opus quodpost denuntiationeni fecerit, suis sumptibus destruet. Sic enim et opéra non per inanes dennntiationes prohibebuntur, et recte denuntiantibus consuletur.» Il n’y avait pas de délai pour la dénonciation de nouvel œuvre; elle pouvait avoir lieu tant que les travaux n’étaient pas terminés, et par conséquent plus d’un an avant le commencement de leur exécution. Il n’était pas non plus nécessaire que l’auteur de la dénonciation prouvât 83 — une possession annale antérieure, même une possession quelconque, puisque la suspension des ouvrages avait lieu sans examiner si le dénonciateur avait ou non droit d’en empêcher la continuation. Telles étaient, en substance, les principes du droit romain sur la matière. N° II. Ancien droit fiançais. Notre ancienne législation ne nous offre aucune disposition relative à la dénonciation de nouvel œuvre; l’ordonnance de 1657, qui parle avec précision de la complainte et de la réintégrande, garde le silence sur cette action. Ce n’est guère que dans les ouvrages d’auteurs qui ont écrit avant cette ordonnance qu’on trouve quelques notions à cet égard. La plupart des auteurs qui ont écrit depuis n’en parlent pas. Tels sont les commentateurs Bornier, lloddier, Jousse, Pothier, Traité de la possession ; Pigeau, Procédure du Châtelet; les autres en parlent si faiblement qu’il n’est pas bien certain qu’ils l’aient considérée comme ayant survécu à la généralité des termes de l’ordonnance. Nous sommes fort disposés à croire que cette ordonnance a , par le fait, aboli la dénonciation de nouvel œuvre en la soumettant aux mêmes conditions que toutes les autres actions possessoires. Voyons, au surplus, comment s’en expliquaient les anciens auteurs. Boutillier, qui écrivait dans le 14* siècle, et qui est mort conseiller au parlement de Paris dans les premières années du 15', nous retrace ainsi, dans sa Somme rurale, livre 2, titre 32, les usages de son temps sur cette matière — îi — Si, sçacliez que dénonciation de nouvel œuvre a lieu si tôt que quelqu’un fait ou fait faire nouvel œuvre au préjudice d’autrui, ’.elui qui sent que c’est en son préjudice le peut défendre et dénoncer... Si, sçachez que cette dénonciation est de tel effet, si tôt que celui qui se sent troublé s’en aperçoit, il peut venir sur le lieu où on fait et commence cette nouvelle œuvre, et dire à ceux qu’il trouvera là, soit qu’ils soient gens de celui qui fait faire ou non, soit que celui y soit sur l’ouvrage fait ou non, et doit ainsi aux ouvriers et assistants qui là seront trouvés Fous faites ci nouvel œuvre à mon préjudice, je vous dénonce que vous cessiez de faire et désistiez entièrement et de ce que fait avez, je fais protestation que tout soit démoli et réparé, et que amendé soit si avant que juge esgar- dera qu’il appartiendra, et ne le convient jà autrement faire dénoncer à celui qui la nouvelle œuvre fait faire , si présent n’y est trouvé, mais bien les ouvriers lui fassent savoir si bon lui semble ; car si depuis il y était œuvré, ce serait attenté, et tomberait en peine et amende d’attentat; et de fait convient que l’ouvrage soit cessé du tout jusqu’à ce que celui qui l’ouvrage fait faire, fait convenir et dénoncer par devant le juge à savoir pourquoi il a fait cette nouvelle dénonciation ; et sera le faiseur de l’ouvrage demandeur ce cas, et le dénonçant possessionnaire ou possesseur de la dénonciation qui est grande dignité en procès. Alors, le dénonçant comme défendeur et possesseur soutiendra la dénonciation et les causes qu’il a de ce faire. Mais, selon aucuns, il est de nécessité que cette dénonciation soit faite dans l’an que cette nouvelle œuvre est commencée ; et la cause mise en cour, le procès doit être fait en trois mois ; sinon, le faiseur de la nouvelle œuvre requiert, disant que le procès est apparent de du- rer longuement, et, par ainsi, l’œuvre qui est nécessaire et profitable...., pouvoir aller à perdition.... lejuged’ol- lice peut et doit pourvoir à ce que l’ouvrage se parfasse, en baillant suffisante caution. » Ainsi, d’après Boutillier, la dénonciation de nouvel œuvre, ou la défense de continuer les travaux pouvait se faire verbalement ; mais il est contredit par Charondas , comme on le voit dans la note suivante Nonciation de nouvel œuvre est une prohibition de ne bâtir et édifier nouvel œuvre. Elle se faisait.... ou par paroles du dénonciateur, ou par autorité du prêteur.... On ne pratique en France que la dernière manière, par autorité du juge, et les parties étant ouïes par devant lui, il ordonne si la dénonciation tiendra, ou si celui qui a commencé de bâtir continuera en baillant caution. » Papon a même prétendu que la dénonciation de nouvel œuvre devait être assimilée à la complainte. Iu reste, le juge avait la faculté, mais non l’obligation d’admettre l’auteur du nouvel œuvre à le continuer, moyennant caution de remettre les choses dans leur premier état; et, en effet, si d’une part on trouve un arrêt du parlement de Paris, du 26 septembre l/i30, qui a permis sous caution d’achever les moulins d’Amiens, commencés à bâtir, sur le pont desquels le passage était rendu plus étroit, » de l’autre aussi on trouve deux arrêts de la même cour, l’un du 26 novembre 1513, par lequel la requête de permission de bâtir en lieu contentieux, en baillant caution de démolir, fut rejetée ; l’autre du 27 novembre 1514, qui débouta Gabriel de la Châtre des lettres par lui présentées, tendant à fin d’être reçu pendant le procès de complainte, à suivre et continuer de bâtir, en baillant caution de démolir s’il était dit. » Papon, liv. 8, tit. A, n 0 ’ 8, 9 et 10; Bouchcul, Bibliothèque civile, au mot Complainte. l’était donc par les circonstances de chaque affaire que le juge devait se déterminer sur ce point. Henrvs, liv. A, chap. 6, question 8/j, rapporte les conclusions qu’il a données, comme avocat du roi, dans une affaire entre le seigneur de llostaing, demandeur en dénonciation de nouvel œuvre, et le seigneur de la Baume, défendeur. Nous dîmes qu’il semblait que le demandeur avait trop attendu d’arrêter une nouvelle œuvre, non-seulement avancée, mais presque achevée; que, par ce moyen , les défenses requises pouvaient avoir plus d’envie et de chaleur que de raison, puisque la caution faisait cesser tout intérêt Cum sit securus is qui opus novum nuntiavit, postquam ei cautum est, comme dit la loi 20, § 11, ff. de operis novi nuntiatione; qu’au surplus , la loi du même titre au Code ne devrait pas être suivie à la rigueur, et que, sur la dispute des interprètes , si elle avait dérogé ou non aux lois précédentes, il y avait apparence de suivre la distinction faite par le sénat de Turin, dans une espèce rapportée par Thésaurus, decis 20/i, savoir s’il y a du péril ou non au retardement de l’édifice, et si, pour le suspendre de trois mois, celui qui Ta entrepris peut en recevoir un préjudice notable; et, quoique entre les modernes, Fachi- nœus, livre 8, controv. cap. 48, rejette cette distinction, nous l’estimons pourtant d’autant plus recevable, que la décision d’un sénat est préférable à l’opinion d’un particulier, et qu’elle est d’ailleurs fondée non-seulement sur la loi, mais encore sur une équité manifeste, quis enim dubitat multo melius omitti operis novi nuntiatio- nem, quam impediri operis necessarii urqentem extructio - nem, comme dit la loi 5, § 12, au titre préallégué du Digeste. Il veut que cela ait lieu genernhter et quoties dilatio periculum allatum est. » Henrys ajoute que, conformément à ses conclusions, il intervint sentence qui, avant faire droit sur la demande du sieur de la Baume, en permission provisoire de continuer ses travaux moyennant caution, ordonna que les lieux seraient visités, et qu’en conséquence, ayant été reconnu que l’œuvre était fort avancée, que tous les matériaux étaient prêts et à pied d’œuvre ; qu’ils se pouvaient gâter par le retardement; qu’il y avait du péril de différer davantage, à cause de l’hiver prochain, et parce qu’aussi il était aisé de juger que le procès principal prendrait un long cours, il fut ordonné que, sans avoir égard à la requête du sieur de Rostaing et aux défenses par lui requises, il serait permis au seigneur de la Baume d’achever l’œuvre, en baillant par lui bonne et suffisante caution de la démolir, et de payer les dommages-intérêts s’il était dit en fin de cause, dette sentence fut sanctionnée par l’acquiescement des parties. Nous tenons, dit encore Henrys, à la distinction que nous avons rapportée, et nous croyons quelle doit servir de règle. Si d’abord que l’œuvre est commencée, les intéressés s’en plaignent, et qu’il n’y ait rien qui presse, le juge ne doit pas lever ses défenses, ni permettre qu’on continue ce qu’on a entrepris de faire, il doit plutôt entrer dans la connaissance du fond, et tâcher de juger le différend ; mais si les intéressés ont attendu d’en réclamer, s’ils ont souffert qu’on avance l’œuvre, et qu’ayant préparé les matériaux elle soit en état d’être achevée, ils 11 e peuvent pas empêcher qu’elle ne soit continuée en baillant caution ; c’est parce qu’ils se doivent — 28 — imputer la faute de n’en avoir réclamé plus tôt; autrement, il serait au choix d’un mauvais voisin d’attendre que l’œuvre soit bien avancée, à dessein d’engager l’entrepreneur dans une dépense inutile. » Et cela est fort juste, ajoute Bretonnier, dans ses observations sur ce passage d’Henrvs. C’est par une erreur manifeste qu’il est dit dans la nouvelle édition de Denizart, V* Dénonciation de nouvel œuvre, que l’effet de cette dénonciation est d’obliger le voisin à surseoir jusqu’à ce qu’il ait obtenu un jugement qui lui permette de continuer ; à la vérité, les auteurs de cette collection ajoutent, que la dénonciation contient le plus souvent assignation devant le juge des lieux, pour voir dire que le voisin ait à faire cesser l’ouvrage jusqu’à ce que, par justice, il en ait été ordonné ; » mais ils n’en décident pas moins que la sommation de cesser entraîne la suspension; c’est-à-dire, qu’induits en erreur par les lois romaines et par le sentiment de Bou- ^tillier, ils maintiennent les deux modes de dénonciation, ou par défense faite à ceux qui exécutent les travaux , ou par autorité du juge, quoique Charondas atteste que le dernier fût seul usité. En effet, la dénonciation par simple sommation, ou verbale ou écrite, n’a réellement jamais été reçue en France. Sans doute le voisin pouvait faire une sommation de discontinuer les travaux ; mais celui à qui elle était adressée n’était pas tenu d’y satisfaire; il agissait comme la prudence le lui conseillait ; par conséquent, il ne pouvait être condamné à détruire les travaux exécutés depuis, par cela seul qu’il n’y avait pas obéi, et le juge ne pouvait lui refuser audience jusqu’à ce qu’il eût rétabli les choses dans l’état où elles étaient lors de cet — — Acte. Il continuait à ses périls et risques, et ne pouvait être contraint à suspendre que par jugement. Il était seulement passible de dommages-intérêts à partir de la dénonciation , qui était une mise en demeure de cesser, si le juge, appréciant le fond, reconnaissait qu’il n’avait aucun droit de bâtir. Nous trouvons, dans un arrêt de la Cour de cassation du 1 1 juillet de 1820, une preuve bien positive de la vérité de ce que nous venons de dire. l,e sieur Calvet est propriétaire d’une maison située à Escoussens, et d’un terrain qui en dépend. Le sieur Pra- det possède une maison qui prend son jour et son passage sur ce terrain, à titre de servitude, suivant la prétention de ce dernier. Calvet, voulant clore sa propriété, a fait, au mois de juillet 1817, commencer la construction d’un mur dans toute l’étendue de la façade de la maison du sieur Pradet. Le 24 du même mois, celui-ci lui a fait signifier un acte extrajudiciaire, contenant sommation de cesser les constructions commencées. Calvet, sans avoir aucun égard à cette sommation, a poursuivi la construction de son mur. Alors le sieur Pradet, sans appeler le sieur Calvet, s’est adressé au juge de paix qui a nommé des experts pour procéder à la vérification des lieux. L’ordonnance portant nomination des experts n’a pas été non plus notifiée au sieur Calvet ; de sorte que c’est encore en son absence que ces experts ont opéré. Leur procès-verbal avant été dressé, le sieur Pradet a, le 28 juillet 1827, fait citer le sieur Calvet devant le juge de paix du canton de la Bruguière, pour voir dire qu’il — 30 — serait condamné à démolir les constructions qu’il avait commencées. Le sieur Calvet s’est présenté sur cette citation, et a soutenu que le sieur Pradet n’avait aucun droit de servitude sur son terrain ; qu’ainsi sa prétention était dénuée de fondement; mais le juge de paix a refusé d’entendre cette défense, tant que le sieur Calvet n’aurait pas détruit les ouvrages qu’il avait continués depuis la sommation extrajudiciaire que le sieur Pradet lui avait faite le 24 juillet, et qu’il n’aurait pas rétabli les lieux dans l’état où ils se trouvaient au moment de cette sommation. Sur l’appel, jugement du tribunal de Castres, qui confirme, en se fondant sur les dispositions des lois romaines, qui, suivant lui, dans le silence du Code de procédure et l’incertitude de la jurisprudence des arrêts, doivent encore servir de règle aujourd’hui. Pourvoi en cassation qui fut accueilli par arrêt conçu dans les termes suivants \u l’article 1041 du Code de procédure civile, attendu que les juges seuls ont le droit de commander et de se faire obéir ; que les parties intéressées ont bien le droit de forcer leurs adversaires, par actes extrajudiciaires, de faire ce qu’elles prétendent exiger d’eux; mais que de pareils actes ne peuvent produire d’autres effets que de constituer en demeure, et de rendre passibles de dommages-intérêts ceux qui n’y ont pas déféré, lorsque la demande se trouve juste et bien vérifiée ; que ce principe général ne souffre pas d’exception au cas de dénonciation de nouvel œuvre; que les lois romaines, qui en disposaient autrement, n’ont jamais été observées en France, et qu’elles n’ont pu surtout être invoquées depuis la mise en activité du iode de procédure, qui, — 31 — par son art. 1041, a déclaré abroger toutes les lois, coutumes, usages et réglements antérieurs relatifs à la procédure civile ; que, cependant, c’est par application des lois romaines que le tribunal de Castres s’est décidé à dénier justice au demandeur, tant qu’il n’aurait pas remis les choses au même état qu’elles l’étaient lors de la défense qui lui avait été faite par acte extrajudiciaire de continuer ses constructions; que la forme de procéder en pareille matière était indiquée au titre 1 er du Code de procédure, qui s’occupe des actions possessoires, et, par suite, de celle en dénonciation de nouvel œuvre, qui en a le véritable caractère ; par ces motifs, la cour casse. » Nous avons vu que, dans le droit romain, tout particulier était admis à la dénonciation du nouvel œuvre, qui se faisait dans les lieux publics. Brillon, aux mots nouvel œuvre, dit que cela ne se pratique plus en France, où il serait nécessaire, en pareil cas, de prévenir les personnes chargées de l’inspection générale ou du détail des édifices publics. » Cette décision était fort juste en général ; mais quand un voisin éprouvait un préjudice d’ouvrages qui s’exécutaient dans un lieu public, dans un chemin, dans une place, rue ou fleuve, il avait incontestablement le droit, pour la conservation de ses intérêts privés, d’intenter la dénonciation. Ainsi, lorsqu’un particulier faisait, sur la voie publique, une excavation qui pouvait compromettre la solidité des édifices, ou exécutait des travaux qui privaient les propriétaires de l’usage de leurs jours, de leurs portes, leur causaient des infiltrations; dans ce cas et autres semblables, il y avait certainement lieu à cette action, — 35 — et il en serait encore de même aujourd’hui, ainsi que nous l’avons démontré, page 553 de la 3' édition de notre Traité des chemins, auquel nous renvoyons pour éviter des répétitions inutiles. N” III. Droit français actuel. question de savoir si la dénonciation de nouvel œuvre, telle que l’entendaient les lois romaines modifiées par notre ancien droit français, est maintenue par notre droit moderne, a été longtemps controversée. 11 y a eu, sur ce point, division parmi les jurisconsultes, et contradiction complète dans la jurisprudence. MM. Henrion de Pansey, Guichard, Favardde Langlade enseignaient l’affirmative. M. Carré, après avoir, dans ses Questions de procédure, embrassé la thèse contraire, a un peu modifié son sentiment dans sa Juridiction civile des juges de paix. M. Merlin, /i' édition des Questions de droit, V° Dénonciation de, nouvel œuvre, discute à fond la matière, et démontre jusqu’à l’évidence l’erreur de ceux qui prétendent que l’ancienne dénonciation de nouvel œuvre subsiste encore parmi nous. Pour notre compte, nous sommes d’avis qu’il ne reste plus rien de cette vieille action. Nous croyons que le vénérable auteur de la Compétence des juges de paix s’est, en ce point comme en beaucoup d’autres, beaucoup trop laissé influencer par le souvenir des doctrines de l’ancien droit, sans faire assez attention qu’elles étaient incompatibles avec les principes de notre droit nouveau. La loi de 1790, ni le Code de procédure, ne renferment aucune disposition sur la dénonciation de nouvel œuvre, parce qu’ils ont voulu proscrire les distinctions qui jadis jetaient la confusion dans une matière déjà si délicate, et ramener tout le système à des principes uniformes. Nous ne voyons pas que la distinction entre la dénonciation et les autres actions possessoires ait un objet réel. Les lois les assujettissant toutes à la possession annale à titre non précaire antérieure au trouble, l’action à laquelle un nouvel œuvre donnera ouverture sera aussi soumise à cette condition ; mais il importera peu que les ouvrages soient terminés ou seulement commencés; qu’ils soient exécutés sur le fonds du propriétaire ou sur celui du réclamant. Sans doute celui sur le fonds duquel un tiers vient construire, ou qui éprouve, par les travaux du propriétaire voisin, quelque préjudice dans l’exercice de ses droits, peut se pourvoir pour faire seulement suspendre ces travaux, s’il a une possession annale, s’il réunit les conditions exigées pour intenter la complainte ; mais il n’est pas forcé de s’en tenir là ; il peut demander la destruction, même des travaux terminés, sans recourir à l’action pétitoire. Il faut aller plus loin et décider que celui qui craint que les travaux exécutés soit sur son fonds, soit sur le fonds voisin ne lui nuisent, peut en demander la suspension ou la destruction par la voie possessoire ; car il n’est pas nécessaire qu’il y ait dommage actuel. En règle générale, toutes les fois qu’il est certain qu’un ouvrage fait de main d’bommedoit nuire à la propriété d’autrui, l’action possessoire est recevable, quoique le dommage ne soit pas encore arrivé IIœc autem actio, dit la loi J rc , § 1", ff. de oq., et oq. plue, arcend., locum ha- bet in damnum nondmn factum opéré lumen jum facto hoc est, de eo opéré, ex et sui- vants, sont pour l’affirmative ; ils conviennent bien que la réintégrande peut encore être intentée devant le juge de paix ; mais par le possesseur annal et non précaire seul, c’est-à-dire qu’ils l’assimilent à toutes les autres actions possessoires. Nous partageons l’opinion des premiers auteurs, qui, comme on le verra, a été consacrée par de nombreux arrêts de la cour de cassat ion ; mais cela n’est pas par la raison donnée comme la principale par quelques-uns d’eux pie la réintégrande n’est pas une action possessoire, puis- qu’au contraire elle a toujours été considérée comme telle, et que la loi du 25 mai 1838, ar?. 5, lui donne expressément cette qualification en la rangeant dans les attributions du juge de paix. Au nombre des auteurs qui ont combattu le maintien de l’ancienne réintégrande, nous distinguons MM. Trop- long, Tonifier et Aulanier, dont les opinions sont développées avec beaucoup de soin et d’étendue. Les deux premiers vont même jusqu’à prétendre qu’il n’y avait autrefois, au moins depuis le l/i e siècle, aucune dilférence entre la complainte et la réintégrande, Simon de Bucy, premier président au parlement de Paris, — 46 — ayant soumis ces deux actions aux mêmes conditions ; que toutes deux exigeaient la possession annale à titre non précaire ; ils ne citent pourtant aucun auteur qui ait nettement discuté et établi cette thèse, et M. Aulanier avoue que les principes anciens étaient contraires en ce point à l’opinion de M. Toullier. Nous avons en effet rappelé des autorités qui ne laissent là-dessus aucun doute, et il est certain que l’assimilation opérée par Simon de 15ucy n’eut lieu que relativement à la forme de procéder, mais non quant aux conditions d’exercice des actions et de leurs résultats qui continuèrent d’être bien différents. Au reste, les adversaires de la réintégrande insistent principalement sur la généralité des termes de l’art. 23 du Code de procédure. Ils poussent si loin la rigueur de leur doctrine, qu’ils refusent l’action en réintégrande au possesseur de bonne foi, mais non annal, contre celui qui n’ayant aucun droit de propriété, pas même un instant de possession, aurait commis une spoliation violente. Ils trouvent étrange aussi qu’on puisse être rétabli en possession d’une chose dont on a été violemment dépouillé, et que, sur une nouvelle action possessoire, on soit exposé à la restituer à celui-là même qu’on a d’abord fait condamner. Comme nous l’avons déjà dit, nous ne nous attacherons pas à combattre les diverses objections de nos adversaires; nous ferons seulement observer qu’un pareil résultat, déjà admis sous l’ordonnance de 1567, n’a rien que de très-naturel et très-légitime. Les tribunaux n’ont d’autre but dans ce cas que de condamner le moyen employé pour se rendre justice à soi-même, d’empêcher la substitution des voies de fait aux voies de droit, d’obliger le spoliateur à agir avec régularité, et de respecter la — 47 — possession de sa partie adverse jusqu’à ce que les magistrats aient reconnu sa défectuosité et la validité de la possession antérieure qu’il allègue. C’est, en effet, un principe d’ordre et de justice rigoureuse que, quels que soient les prétentions et les droits d’un citoyen à la propriété ou à la possession d’un objet litigieux, cet objet doit rester à celui qui le détient à tort ou à raison, jusqu’à ce que les tribunaux en aient autrement disposé ; car, jusque-là, les droits du réclamant ne sont point établis. Le droit romain allait jusqu’à priver le spoliateur de la propriété qu’il pouvait avoir sur la chose. Sans doute on distingue les voies de fait en licites et illicites, et nous admettons cette division en avertissant toutefois quelle est assez difficile à faire, et qu’il ne faut s’y abandonner qu’avec une grande réserve; mais la tolérance que l’on doit avoir pour les voies de fait dans le seul cas, suivant nous, où un propriétaire exécute sur son fonds des ouvrages pour s’affranchir d’une servitude qu’il ne doit pas, ou supprime ceux qu’un tiers a faits pour s’arroger un pareil droit, ne détruit point la règle générale'; au contraire, elle la confirme et la fortifie, ainsi que nous l’établirons plus positivement encore, en traitant des divers genres de troubles, de ceux qui sont permis ou défendus. Sans doute encore, il ne sera pas toujours aisé de distinguer la spoliation du simple trouble; c’est là, nous le croyons, la véritable, la seule difficulté de l’action en réintégrande ; mais sa solution dépendra des faits de la cause. La loi ne pouvait prévoir tous les cas qui donnent lieu à cette action ; il lui a suffi d’établir une règle générale. Le juge devra donc rechercher s’il y a eu dépossession, privation de la chose, et si ce résultat a été obtenu par violence ou voie de fait; il est l’appréciateur des cir-. — 48 — constances qui peuvent présenter l’un et l'autre caractères ; connue dans le cas où il ne s’agit que de trouble, la loi lui donne un pouvoir discrétionnaire pour déclarer que les faits articulés le constituent ou ne le constituent pas. Ainsi un arrêt de la chambre des requêtes, du h décembre 1833, a décidé que l’inexécution d’un contrat, par exemple l’extension des labours sur une portion de terrain que le vendeur s’était réservée, ne pouvait être considérée comme voie de fait autorisant l’action en réin- tégrande de la part de celui-ci contre l’acquéreur. Une solution analogue se retrouve dans un arrêt du 5 janvier 1837, rendu dans une espèce où des travaux avaient été exécutés en vertu d’un jugement passé en force de chose jugée. lu reste, la jurisprudence de la cour de cassation n’a jamais varié sur l’existence de l’action en réinté- grande. Les deux premiers arrêts sont des 10 novembre 1819 et 16 mai 1820; ils ont décidé qu’un fermier, un anti- chrésiste pouvaient intenter la réintégrande ; depuis, la cour a rendu, entre Chaufiier et la veuve Guyouvard, sous la date du 28 décembre 1826, un arrêt bien plus positif encore, qui donne une nouvelle sanction à notre doctrine. L’importance de la question nous détermine à en rapporter en entier l’espèce et le texte. Le sieur Chaufiier et la veuve Guyouvard jouissaient simultanément, et chacun pendant certains jours, des eaux d’un ruisseau qui parcourait leurs propriétés. Cette jouissance avait lieu, à ce qu’il paraît, au moyen d’un barrage mobile. En 182/j, la veuve Guyouvard établit une digue ou chaussée fixe dans le lieu où était le barrage — i9 — mobile. Le fermier de Chauflier fit une ouverture à cette digue ; sur ce, action en réintégrande. Chauflier intervint, et soutint l’action non recevable, attendu que la veuve Guyouvard n’avait pas la possession annale il offrit de prouver ce fait. Jugement qui réintègre la veuve Guyouvard dans la possession de cette digue; appel, et, le 2 juin 1825, jugement confirmatif du tribunal de Vannes. Pourvoi de la part de Chauflier pour violation de l’article 23 du Code de procédure, en ce que l’action de la veuve Guyouvard était non recevable, par le motif quelle n’avait pas la jouissance annale des eaux ni de la digue. Il insistait particulièrement sur ce qu’il y aurait injustice à obliger un propriétaire à attendre les lenteurs et les suites d’un procès contre un individu peut-être insolvable pour obtenir la destruction de l’ouvrage que cet individu aurait clandestinement établi sur la propriété d’autrui. Voici l’arrêt La cour, attendu en droit que nul ne peut se faire justice à soi-même, cur enirn ad arma, ad rixam procéda'e patiatur prætor quos potest juridictione sua componere? L. 13, § 3, ff. deusuf.; que celui qui a été dépossédé par violence ou voie de fait doit, avant tout, rentrer dans sa possession, spoliatus ante omnia resti- tuendus; que c’est sur ces principes conservateurs de l’ordre social et de la paix publique que repose l’action en réintégrande ; que cette action, généralement admise dans l’ancienne législation française, loin d’avoir été abrogée par la nouvelle, est reconnue comme étant encore en pleine vigueur par une disposition formelle de l’art. 2000 du Gode civil ; que l’art. 23 du Gode de procédure, sainement entendu, ne doit être appliqué qu’aux actions possessoires ordinaires, à l’égard desquelles c’est le droit ou la qualité, et non pas le fait de la possession 4 qu’on considère ; que ces actions ont toujours été bien distinctes de l’action en réintégrande et par leur nature et par leurs effets par leur nature, car les actions pos- sessoires ordinaires, naissant d’un trouble quelconque, et fondées sur une jouissance civile et légitime, doivent présenter une possession annale, publique, paisible, et à titre non précaire ; tandis que l’action en réintégrande, naissant d’une dépossession, par violence ou voie de fait, et fondée sur une jouissance matérielle, ne doit présenter qu’une simple détention naturelle au moment de la violence ou voie de fait ; par leurs effets, car, à l’égard des premières, le jugement assure au possesseur une possession civile, légale, définitive, et qui ne peut être renversée qu’au pétitoire, tandis que, à l’égard de la seconde, le jugement ne rend au détenteur que sa jouissance momentanée, matérielle, provisoire, et qui peut être anéantie, même au possessoire. Attendu que si la violence a ses caractères particuliers, il n’est pas nécessaire du tout qu’il y ait eu des combats et du sang répandu, et que, pour l’établir, notamment dans l’action civile en réintégrande, il suffit que l’acte par lequel une partie usurpe de sa propre autorité sur l’autre, l’objet contesté renferme une voie de fait grave, positive, telle qu’on ne pouvait la commettre sans blesser la sécurité et la protection que chaque individu en société a droit d’attendre de la force des lois Vim putas esse sol uni si hommes vidnerentur? vis est quo- tiens qui s id quod deberi sibi putat, non per jndicem re- poscit. Loi 7, ff. ad leqcm J ni. de vi priv. » Sans doute cet arrêt est allé un peu loin en posant en principe qu’il y a voie de fait toutes les fois qu’on s’empare d’une chose sans l’intervention du juge; s’il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu des coups, des blessures, effusion de-sang, on ne peut pas non plus admettre d’une manière absolue la maxime tirée des lois romaines. Il faut que la voie de fait soit grave, positive, contraire à la paix publique et ait lieu de mauvaise foi, c’est-à-dire malgré la conviction que l’autre partie avait des prétentions à la chose ; circonstances abandonnées à la libre appréciation du juge ; mais, à cela près, la doctrine de l’arrêt est irréprochable. A la vérité, quelques auteurs ont prétendu que la cour de cassation était elle-même revenue sur cette jurisprudence. Pour le prouver, ils ont cité quatre arrêts des 15 mai 1827, 5 mars, I l juin 1828 et K mars 1829; mais il est évident que ces arrêts n’ont, avec la difficulté qui nous occupe, qu’un rapport bien indirect, et qu’appréciés sainement, ils sont plus favorables qu’opposés à notre sentiment. Dans l’espèce du premier, le sieur Bignon-Beauséjour demandait bien à être réintégré dans la possession d’un terrain dont il prétendait avoir été dépouillé par violence ; mais au lieu de s’en tenir à invoquer la possession au moment de la violence et la maxime spoliatus ante omnia reslitumdus est, il allègue une possession annale, demande à en faire la preuve en cas de dénégation. Cette dénégation ayant eu lieu, la preuve de la possession annale ayant été prescrite, enfin le sieur Bignon-Beauséjour ayant exécuté ce jugement en faisant procéder à l’enquête, mais sans pouvoir établir sa possession annale, le juge de paix rejeta sa demande par ce dernier motif. En appel, le sieur Beauséjour change de système ; il soutient que, s’agissant d’une dépossession violente, il f n'avait pas besoin de prouver une jouissance annale; mais le jugement est confirmé par le motif principal qu’il n’avait pas établi sa possession annale, comme il s’y était soumis devant le juge de paix. Sur le pourvoi en cassation, il reproduisit son système qui fut rejeté avec raison, attendu, porte l’arrêt, que la demande introductive de l’instance devant le juge de paix, telle qu’elle était énoncée dans sa sentence, en même temps quelle tendait à ce que le demandeur fût réintégré dans la possession du terrain litigieux, contenait l’offre dudit demandeur de prouver, en cas de déni, sa possession annale avant le trouble ; attendu que, sur la dénégation de cette possession annale, le juge de paix avait ordonné son transport et une enquête sur les lieux, et pie ladite sentence constate que ni l’enquête ni la visite ne justifient suffisamment la possession dudit terrain pendant l’année qui a précédé l’entreprise; que ces motifs, adoptés par les juges d’appel, et sur lesquels le jugement attaqué est fondé, ainsi que les faits constatés prouvent que l’objet du procès était une complainte pos- sessoire; qu’en conséquence, ledit jugement a fait une juste application de l’article 23. » Ainsi le pourvoi n’a été rejeté que parce que le demandeur avait offert de prouver une possession annale, et qu’il avait acquiescé à la sentence qui ordonnait cette preuve. La cour a donc donné à entendre quelle eût décidé autrement si le sieur Beauséjour n’avait articulé et demandé à prouver que la possession au moment de la voie de fait dont il se plaignait. Nous trouvons une solution identique dans un arrêt de la chambre des requêtes, du P février 1837, ainsi conçu Attendu que la demande introductive d’instance, — 53 — telle quelle est énoncée dans le jugement attaqué, tendait à ce que le demandeur fût maintenu dans la possession d’une pièce de bois dont il prétendait avoir joui paisiblement depuis plus d’un an; que, sur la dénégation de cette possession, le juge de paix a ordonné une descente sur les lieux et une enquête ; que le tribunal, prononçant sur l’appel, a déclaré qu’il ne résultait pas de l’empiète que le demandeur eût une possession annale, paisible, et non à titre précaire, du bois taillis dont il s’agit ; attendu que ces motifs établissent que l’objet du procès était une complainte possessoire. » Comme nous l’avons dit, le juge a le droit d’apprécier les termes de la demande et de toutes les circonstances cpii peuvent caractériser l’une ou l’autre action ; et il pourra arriver qu’il donne à la demande une qualification contraire aux prétentions mêmes du demandeur. Ainsi, le sieur Leroy s’était pourvu en cassation contre un jugement du tribunal des Andelys, confirmatif d’une sentence du juge de paix, lequel, considérant la demande du sieur Leroy comme une véritable action en complainte contrairement à sa prétention de lui attribuer le caractère d’action en réintégrande, et se fondant sur ce qu’il ne prouvait pas une possession annale, avait déclaré cette demande non recevable. Mais la cour régulatrice, par son arrêt du 13 novembre 1838, rejeta le pourvoi. On lit dans cet arrêt La cour ; — Considérant que, pour refuser à l’action du demandeur, le caractère d’une demande en réintégrande, le jugement s’est fondé sur les termes mêmes de l’assignation introductive d’instance, et sur le résultat des enquêtes qu’il a apprécié comme les juges en avaient le droit ; — Rejette, etc. » — 64 — Cependant, la cour suprême n’a pas toujours considéré les appréciations des juges en ces matières comme irréfragables ; si l’on consulte l’arrêt rendu le 19 août 1839 dans l’affaire Toudouze contre le maire de la commune de Genvry, on verra que, appréciant elle-même les termes de l’exploit introductif d’instance et les voies de fait qui avaient eu lieu, elle a décidé que l’action intentée était une action en réintégrande , bien que les juges l’eussent qualifiée de complainte. Cette décision est remarquable, en ce que, à la différence de l’arrêt du 16 mai 1827, la cour a jugé que l’action intentée par le sieur Toudouze était une action en réintégrande, encore que le demandeur eût offert la preuve de sa possession depuis plus d’un an et jour, possession qui n’est exigée que pour la complainte. Mais il faut observer que, dans l’espèce de 1827, le sieur Bignon-Beau- séjour avait non-seulement demandé à faire la preuve de sa possession annale, mais encore exécuté le jugement qui avait prescrit cette preuve sans pouvoir l’établir; tandis que, dans l’autre espèce, le sieur Toudouze s’était abstenu de concourir à l’enquête ordonnée par le juge de paix, sur le motif qu’elle était contraire aux principes de l’action en réintégrande qu’il avait réellement intentée, et qui n’exigeait pour sa justification que la preuve de la possession actuelle du demandeur, ajoutant que s’il avait parlé de possession annale, ce n’était que surabondamment ; et la cour suprême a accueilli ce motif. Ce ne doit donc pas être seulement d’après les termes de la demande et la violence exercée, mais aussi d’après la conduite tenue par le demandeur dans le cours de la procédure, comme cela est exprimé dans l’arrêt en question ; en un mot, d’après ^toutes les circonstances de la i>o — cause, que le juge devra iixer les caractères constitutifs de l’action intentée. Mais revenons à l’examen des arrêts qui nous sont opposés. Celui du 5 mars 1828 décide que, dans l’espèce particulière où il a été rendu, il ne pouvait y avoir lieu à action de la part d’un fermier pour trouble dans l’exercice d’un passage servitude discontinue sur le fonds voisin, et pie la sentence du juge de paix n’était pas rendue en dernier ressort ; mais, loin de proscrire la réintégrande, dans les matières qui en sont susceptibles, il proclame au contraire nettement son existence sans nécessité de possession annale c’est ce dont il est impossible de douter quand on fait attention qu’il reconnaît en droit, ainsi que l’a jugé l’arrêt du 28 décembre 182/i et 705, et M. Lanjuinais dans son article Voie de fait, au Répertoire de jurisprudence. Le principe général que la possession annale n’est, pas — 90 = - nécessaire, et l’exception que peut y opposer le défendeur qui prétend avoir une possession antérieure, étaient également vrais sous l’empire des lois des 2 h août et 6 octobre 1790, conçues dans les mêmes termes que l’ordonnance de 1557. Nous croyons que ce sont là les meilleurs principes ils s’appuient tout à la lois sur le droit romain, l’ancien droit français et la stricte équité ; cependant l’article 23 du Code de procédure exige la possession annale. A la vérité, quelques auteurs ont voulu lutter contre la précision et la généralité de ses termes ; deux systèmes se sont à cet égard produits les uns ont pensé qu’une possession, quelque courte qu’elle fût, suffisait à l’égard de toutes personnes. Nous ne nous arrêterons pas à réfuter une thèse si évidemment insoutenable. Les autres ont distingué entre le cas où l’action était dirigée contre le véritable propriétaire ou un possesseur antérieur, et le cas où elle l’était contre celui qui n’avait jamais eu ni propriété ni possession ; ils disent que l’article 23 n’est impératif que dans sa première partie, pour l’obligation d’agir dans l’année du trouble ; qu’il est démonstratif dans la deuxième, qui fait mention de la possession annale; que si le législateur avait voulu être aussi rigoureux dans les deux cas, il aurait répété que l’action ne serait recevable qu’autant que le demandeur aurait une possession annale. M. Carré, après avoir adopté la distinction de Merlin dans son Traité des lois de la procédure, l’avait abandonnée dans son Traité de la compétence; il y est revenu dans le Droit français appliqué aux justices de paix, et il résume ainsi sa dernière opinion Il faut entendre ces mots de l’article 23 du Code de procédure, depuis une année au moins, dans ce sens que le possesseur qui — 91 — n’a pas encore une année de possession ne peut intenter la complainte s’il est troublé par celui qui possède encore civilement depuis un an au moins ; mais qu’il le pourra contre tout autre, s’il agit dans l’année du trouble. » L’auteur apprend que ce sentiment a été professé par Pigeau, dans le commentaire posthume sur le Code de procédure. M. Belime, dans son Traité des Actions pos- sessoires, soutient la même opinion avec beaucoup de développement et d’habileté; mais toutes ses raisons ne peuvent l’emporter sur le texte si positif de la loi. M. Poncet, Traité des Actions; M. Brossard, dans sa Juridiction des juges de paix; M. Aulanier, dans son Traité des Actions possessoires, opposent le texte formel du Code de procédure, qui repousse cette distinction. 11 est évident d’abord quelle ne peut être invoquée par le propriétaire ; car on ne reconnaît pas de propriété en matière possessoire, puisqu’elle ne peut être ni discutée ni prouvée. Quant à la possession antérieure, le législateur a voulu qu’elle ne pût être non plus d’aucune influence, parce qu’il aurait pu arriver qu’une possession d’un jour l’emportât sur une possession postérieure de trois cent soixante-quatre jours, et que la nécessité de vérifier cette possession antérieure aurait augmenté les complications d’une manière qu’il faut rendre simple et facile. La cour de cassation a toujours interprété l’article 23 en ce sens que la possession annale est nécessaire pour intenter la complainte même contre l’auteur d’un trouble qui ne pourrait lui-même invoquer aucune possession. C’est ainsi quelle l’a décidé, le 9 février 1837, dans l’arrêt Brasseur contre Bertrand, déjà cité dans l’article de la réinté-grande. Le sieur Brasseur s’était pourvu en cassation contre un jugement du tribunal de Reims qui avait repoussé son action par le motif qu’il n’avait point prouvé sa possession annale. 11 soutenait à l’appui de son pourvoi que la possession annale n’était pas nécessaire au demandeur pour que sa demande fût accueillie, lorsqu’il agissait contre un tiers qui n’avait pas lui-même cette possession ; et il invoquait, sur ce point, l’opinion de l’igeau. Mais la cour a repoussé ce moyen. Attendu, porte l’arrêt, que le jugement ayant déclaré, en point de fait, que le demandeur, quand il intenta une action en complainte possessoire, .n’avait pas la possession paisible depuis une année au moins du bois dans la possession duquel il voulait être maintenu, a fait, en rejetant cette demande, une juste application de l’article 23 du Code de procédure civile. » Toutefois, nous pensons que le législateur a eu tort de consacrer un tel principe. Une possession actuelle est toujours respectable ; nul ne peut l’entraver ni en dépouiller celui qui l’a, à moins qu’il n’ait lui-même une possession plus ancienne, qui n’ait pas été interrompue pendant un an ; il n’appartient pas à un étranger sans droit, sans titre, sans qualité, de troubler le possesseur, par cela seul que celui-ci n’a pas encore joui de la chose pendant un an. Ce dernier, qui peut d’ailleurs avoir onze mois et vingt-neuf jours de possession, est assurément plus favorable que le perturbateur qui n’en a pas du tout. 11 est à regretter que nos législateurs, lorsqu’ils se sont occupés de la loi de 1838, n’aient pas songé à cette difficulté; malheureusement il en a été ainsi de beaucoup d’autres qu’il aurait été si nécessaire et si facile de résoudre. Si l’on révise un jour le Code de procédure, l’ait. 23 nous — 93 — paraîtrait devoir être réformé. Cette réforme serait fort essentielle ; elle mettrait le Code de procédure en harmonie avec les principes du droit établis par le Code civil. En effet, aux termes de l’art. 2230 déjà cité, on est toujours présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire. Ainsi, dans cette disposition, le législateur n’exige pas que la possession ait plus ou moins de durée; il se contente de celle actuelle ; et lorsqu’elle a l’effet de faire répéter le détenteur propriétaire, comment n’autoriserait-elle pas la maintenue provisoire qui est fondée précisément sur ce que le possesseur est réputé propriétaire jusqu’à preuve contraire? Au surplus, si l’art. 23 peut avoir l’inconvénient de favoriser quelquefois les usurpateurs au détriment d’une possession légitime, il faut au moins se garder soigneusement de l’augmenter en étendant sa disposition hors du cercle où elle doit être renfermée, d’après les termes dans lesquels elle est conçue. Cet article ne parlant que du simple trouble ne peut, par cela même, s’appliquer à la dépossession opérée par violence ou voie de fait qui donne lieu à l’action en réintégrande. La loi du 24 août 1790 attribue d’une manière générale aux juges de paix la connaissance de toutes les actions possessoires, à raison des entreprises commises dans l’année, sans distinguer entre le simple trouble et la dépossession violente. Cette loi, destinée à régler la compétence des juges de paix, leur donne nécessairement le pouvoir de connaître de l’action en réintégrande; elle est possessoire , puisqu’elle est fondée uniquement sur la possession ; elle n’exige que la possession actuelle, d’après le silence du législateur sur tout autre condition, et l’expression formelle de l’art. 2230. — 94 — Il en doit être de même, à plus forte raison, sous l’empire de la loi du 25 mai 1838, qui a spécialement attribué aux juges de paix la connaissance des actions en réintégrande. Nous renvoyons, au surplus, à ce que nous avons dit ci-dessus à l’article de la réintégrande. Il y a des cas où celui qui n’a personnellement aucune possession pourrait cependant intenter l’action posses- soire; ainsi l’acquéreur, le donataire, le légataire, l’héritier ou tout autre représentant pourrait immédiatement, après son acquisition et avant toute prise de possession, se pourvoir par la voie de complainte et de réintégrande, en invoquant la possession de son auteur, qui lui serait transférée comme la propriété elle-même, par le seul effet du contrat ou par le seul fait de l’ouverture de la succession. On ne suivrait donc plus aujourd’hui l’opinion contraire enseignée par Argou, t. 2, p. A67, et par Brodeau , t. 2, p. 187, fondée probablement sur le droit romain, qui exigeait la tradition pour la translation de la propriété. Un arrêt de la cour de cassation du 12 fructidor, an X, rendu sur le pourvoi du sieur Thomas, fournit un argument en faveur de notre solution ; à plus forte raison l’héritier, l’acquéreur, etc., pourraient-ils joindre la possession de leur auteur à la leur pour compléter celle exigée par l’art. 23 du Code de procédure. Il y a encore d’autres cas où la possession annale, matérielle et de fait, n’est pas indispensable; c’est lorsqu’elle résulte d’une fiction de la loi, par exemple en cas d’augmentation d’un immeuble par alluvion ou de formation d’une île depuis moins d’un an, parce que les accessoires partagent le sort de la chose principale que nous supposons possédée depuis plus d’un an ; il n’en serait — 98 — autrement qu’autant qu’un tiers aurait la possession annale distincte et bien caractérisée de l’alluvion ou de l’île. Il en serait aussi différemment du cas où une rivière aurait enlevé, par une force subite, une partie reconnaissable d’un champ riverain, et l’aurait portée vers un autre champ ; c’est là une conséquence nécessaire de l’art. 559 du Code civil. Au premier aspect, il pourrait paraître inutile que le législateur ait exigé tout à la lois une possession annale et paisible antérieure au trouble, et l’exercice de la complainte dans l’année qui l’a suivi. On pourrait être porté à croire qu’il suffisait de l’une de ces conditions, ou plutôt qu’elles sont nécessairement contenues l’une dans l’autre ; mais on ne doit rien supposer de superflu dans la loi, qu’il faut au contraire toujours interpréter de manière à faire produire quelque effet à chacune de ses dispositions ou de ses expressions. Dans le système adopté par les rédacteurs du Code de procédure civile, que nous avons déjà eu occasion d’apprécier et de combattre, il n’aurait pas suffi de dire que l’action possessoire ne serait recevable qu’autant qu’elle serait formée par celui qui aurait une année de possession paisible avant le trouble, car la complainte aurait pu être intentée par celui qui aurait été troublé ou dépossédé depuis un grand nombre d’années, et tant qu’il ne se serait pas écoulé trente ans; c’est-à-dire que la prescription trentenaire eût été le seul terme à l’exercice de la complainte; que si l’on objectait qu’après un an le perturbateur aurait eu lui-mêine la possession-, nous répondrions d’abord qu’on peut concevoir un trouble qui gêne, mais ne dépossède pas le détenteur, et ne fait — 90 — pas conséquemment passer la chose en d’autres mains ; que même, en cas de dépossession, il peut arriver qu’un immeuble usurpé sur le possesseur annal ait été possédé successivement par plusieurs qui ne tiennent pas leurs droits les uns des autres à titre de donation, vente, échange, succession, dont les détentions réunies présentent un total de plusieurs années, mais dont aucune, prise isolément, n’ait duré pendant une année complète. Il n’aurait pas suffi non plus d’établir que l’action possessoire serait toujours recevable pourvu qu’elle lût formée dans l’année du trouble, puisqu’il ce moyen on aurait pu l’intenter le lendemain avec une possession de quelques jours et s’y faire maintenir, à moins cependant que l’adversaire n’eût une possession annale antérieure. Sans doute, celui qui laisse passer l’année sans intenter la complainte fait présumer que ce n’est plus lui, mais son adversaire qui a la possession annale. Toutefois , ce n’est là qu’une supposition qui peut bien n’être pas toujours conforme à la vérité. Il est possible, comme nous l’avons déjà dit, que le trouble n’ait causé ni dépossession ni dommage, mais seulement une gêne momentanée qui ait cessé presque aussitôt, comme si un voisin en labourant avait usurpé quelques pieds de mon champ, que je les aie repris immédiatement, et que j’en aie joui pendant un an sans nouveau trouble. La disposition qui prescrit d’intenter l’action dans l’année du trouble, n’est, donc pas fondée sur la certitude qu’après cette année la possession est acquise à autrui , mais sur la nécessité de circonscrire dans un très- court délai le jugement d’une action exceptionnelle, et de ne pas laisser aux juges de paix la recherche et l'appréciation d’un fait qui ne peut être constaté que par des — 97 — témoignages dont la difficulté augmente à mesure qu’on s’éloigne de l’époque où ce fait s’est passé. Toutefois, après l’année du trouble, et tant que la prescription commune à tous les droits, à toutes les actions ne serait pas accomplie, le possesseur troublé pourrait former une demande en indemnité, soit devant le juge de paix lui-mème, pour dommages aux champs, fruits ou récoltes, s’il s’agissait d’un fait de cette nature, ou pour somme n’excédant pas 200 fr., soit devant le tribunal de première instance, s’il s’agissait d’un fait différent ou d’une somme supérieure. Mais, dans ce cas, il 11 e pourrait être question de possession annale, et si le droit à l’indemnité était contesté en lui-même, le juge de paix serait dans la nécessité de renvoyer l’affaire devant le tribunal civil. En dernière analyse, il nous paraît évident, et nous croyons l’avoir rendu tel, que chacune des conditions de l’art. 23 a un objet déterminé et bien distinct, et que la complainte n’est recevable qu’autant que celui qui l’intente , non-seulement a une possession annale, mais encore a formé sa demande dans l’année qui a suivi immédiatement le trouble. A la différence de la coutume de Paris, l’art. 23 du iode de procédure n’exige pas la possession d’an et jour, ni que l’action soit intentée dans l’an et jour du trouble. Dans les deux cas, une année est le terme fixé par le législateur. Cette disposition paraît sans doute fort claire, et cependant les auteurs 11 e l’ont pas tous entendue de la même manière. M. Henrion de Pansey, Compétence des juges de paix ; M. Guichard, dans ses Questions posses- soires, parlent constamment d’an et jour. M. Brossard, Juridiction civile des juges de paix, n 3 ] /i6, 11 e voit dans 7 — 98 — l’indication d”fln et jour que la désignation d’une année complète, On nomme, dit-il, la possession d’an et jour, à raison de ce qu’une année n’est complète qu’autant cpie celle qui suit immédiatement est commencée. » Mais elle est commencée à partir de la première minute du jour qui la suit immédiatement, et alors il n’y a pas un an et un jour de possession. M. Toullier, n° 127, M. Aulanier, n° P, nous paraissent avoir mieux raisonné Autrefois, disent-ils, la possession devait être d’un an et d’un jour, on ne sait trop pourquoi ; il suffît aujourd’hui qu’elle ait duré pendant toute l’année antérieure au trouble. » M. Belime partage cette opinion. Ajoutons que par une année on doit nécessairement entendre un espace de douze mois complètement révolus. Au surplus, l’art. 23, pour être sainement entendu, a besoin d’être combiné avec d’autres dispositions du Code de procédure civile, et d’être fortifié de l’autorité d’un exemple. Suivant l’art. 2260, la prescription se compte par jour et non par heures, et, d’après l’art. 2261, elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Le principe général est que le premier jour du terme, celui a quo, ne compte pas, parce que la prise de possession où le trouble a eu lieu quand ce jour était commencé, peut être au moment où il finissait ; il en serait de même poulie cas où l’on pourrait constater l’heure où, soit la prise de possession, soit le trouble, a commencé l’année ne se- raitpas expirée à l’heure et au jour correspondant. Ainsi, la prise de possession ou le trouble a eu lieu le 31 octobre 1831. Voilà le jour a quo qui a commencé à minuit et qui a duré vingt-quatre heures; comme ils ont pu n’a- — 99 — voir lieu qu’au dernier moment où le 1 er novembre est venu succéder au 31 octobre, pour avoir l’année entière, il faudra l’expiration du 31 octobre 1832. C’est le jour qui, en finissant à minuit , complétera le temps de la prescription, le jour ad quem qui est dans le terme, et pendant lequel on pourra faire un acte d’interruption. Le 1" novembre, il n’y aurait plus d’action possible, parce que, au moment où elle serait intentée, l’année serait révolue. On n’aurait pas même l’année entière, c’est-à- dire jusqu’à minuit pour agir, parce que, d’après l’art. 1037 du Code de procédure, aucune signification ne peut être faite depuis le 1" octobre jusqu’au 31 mars, après 6 heures du soir, et depuis le 1 er avril jusqu’au 30 septembre, après neuf heures du soir. Cependant l’action ne serait pas nulle si l’huissier avait consenti à la signifier après cette heure, car l’art. 1037 n’est pas obligatoire à peine de nullité, et, d’après l’art. 1030 du même Code, aucun acte de procédure ne peut être annulé, si ce n’est dans les cas pour lesquels la nullité en est formellement prononcée par la loi. Aussi la cour de cassation a-t-elle jugé, par arrêt du 29 janvier 1819, que la prohibition portée par l’art. 1037, de faire aucune signification avant ou après certaines heures déterminées, n’emportait point nullité des significations faites hors de ces limites. L’huissier est seulement passible des peines disciplinaires, telles que l’amende ou même la suspension. Mais comme évidemment cet officier ministériel ne pourrait être contraint à commettre une contravention et à s’exposer aux peines qui en seraient la suite ; que son devoir devrait lui dicter un refus, nous avons dû décider que le délai de l’année se trouvait réduit de six ou de trois heures, sans qu’on pût prendre, 100 — par une sorte de compensation , ce même laps de temps sur la journée suivante. Il en faudrait dire autant des cas où le dernier jour de l’année serait une fête ou un dimanche. La cour régulatrice a jugé, par arrêt du 26 avril 183$, que la seconde disposition de l’art. 1037, qui défend de faire aucune signification les jours fériés sans permission du juge, n’entraîne point la peine de nullité. On pourrait donc, aux termes de cet article, signifier son action les jours ci- dessus, avec ou sans permission du juge; mais il est évident, au surplus, que si l’on retranchait le dernier jour, il faudrait, par la même raison, déduire tous les jours semblables du courant de l’année, ce qui ne saurait être admis. Les dispositions du Code de commerce et de la loi sur l’enregistrement qui, dans ce cas, autorisent faire les actes le lendemain de l’expiration du délai, sont toutes spéciales et prouvent l’existence de la règle générale, qui ne saurait recevoir d’autres dérogations que celles expressément énoncées dans ces lois particulières. Les juges de paix et les tribunaux qui jugent les actions possessoires violent donc la loi lorsqu’ils accueillent l’action intentée le lendemain de l’année du trouble, ou assujettissent les parties à faire preuve d’une possession d’an et jour; on conçoit qu’il peut arriver, quoique sans doute rarement, qu’on soit en état de prouver une année de possession et non u jour de plus. Bien que notre observation semble assez minutieuse, nous avons cependant cru devoir la présenter et nous pensons que la cour régulatrice casserait une décision semblable sur le recours de celui qui voudrait ne faire d’autre preuve que celle de la possession annale, ou se plaindrait de l’admission d’une — nu — demande formée le lendemain de l’expiration de l’année du trouble. L’art. 23, en parlant de l’année de possession comme condition de l’exercice de la complainte, n’exprime pas si elle doit être antérieure au trouble ou à l’action ; des difficultés peuvent naître de ce silence. La complainte étant recevable tant que l’année depuis le trouble n’est pas entièrement révolue, celui qui, au moment où il lui a été causé, n’aurait qu’une possession hebdomadaire, attendrait onze mois et vingt-cinq jours, et n’intenterait son action que la veille de l’expiration de l’année. M. Paillet, dans ses notes sur l’article en discussion, semble, en examinant une autre question, adopter la seconde interprétation. Pour décider la question de savoir si l’action possessoire est recevable, dit-il, le juge ne doit jamais examiner que la possession annale qui précède immédiatement l’assignation. » Mais ce système est repoussé par la disposition finale de l’article, qui exige une possession paisible. La possession n’ayant pas été paisible à partir du trouble, le demandeur n’aurait pas en sa faveur la condition légale. Ainsi, c’est bien d’une année de possession paisible, antérieure non à l’action, mais au trouble, que la loi a entendu parler ; et si elle 11 e l’a pas exprimé, c’est pour éviter une répétition du mot trouble déjà employé, et parce pie la nature môme des choses fixait l’interprétation. de l’article dans le sens que nous lui avons donné, conformément, au surplus, à l’opinion de tous les jurisconsultes anciens et modernes. M. Aulanier, Traité des actions possessoires, M. Guichard, Questions possessoires, page 270, décident posi- — 102 — tivement que l’année s’entend de celle antérieure au trouble. Le dernier auteur ajoute Même du premier jour où il a commencé, et non du dernier acte fait, lorsqu’il a consisté dans plusieurs actes successifs. » Il cite un arrêt de cassation , rendu sur sa plaidoirie, le 20 janvier 182/i, qui l’a ainsi formellement décidé. M. Brossard, il 0 * 1A7 et 148, est bien aussi d’avis que c’est de l’année antérieure au trouble qu’il s’agit; mais quelle ne doit courir que du dernier acte, du trouble le plus récent ; c’est là une erreur évidente, ainsi que le démontrent les auteurs ci-dessus cités. Le commentateur Rodier fait remarquer que Rebuffe, de Mater iis possessoriis, semble insinuer que l’on peut intenter l’action après l’an du trouble, si ce trouble continue, en regardant chaque jour comme un nouveau, pourvu qu’on renonce aux dommages-intérêts, ou restitutions de fruits antérieurs à l’année de l’introduction de l’instance; mais il combat avec raison cette opinion, qui ne serait pas davantage admise sous l’empire du Code de procédure. Il rappelle les termes d’une ordonnance de 1539 Ne sera reçue aucune complainte après l’an ; » puis il ajoute Celui qui souffre pendant un an le trouble ou la dépossession est censé avoir renoncé à l’action possessoire ; il ne lui reste que l’action pétitoire, de sorte que l’auteur du trouble, ou celui qui se serait emparé par violence ou voie de fait d’un héritage depuis un an révolu, se mettrait à l’abri de l’action en complainte et réintégrande, en opposant que le trouble a commencé depuis plus d’un an ; à moins que le trouble n’eût été interrompu de fait parle premier possesseur, c’est-à-dire qùil fût rentré en possession, et qu’il ne fût survenu un trouble tout nouveau, » — 103 — Toutefois, il ne faudrait pas étendre cette règle outre mesure et de manière à ce qu’on pût en abuser. Dès que le trouble est un fait qu’il appartient aux juges de rechercher et de constater, il se pourrait qu’ils n’en trouvassent pas l’existence dans le commencement des travaux, surtout lorsque, exécutés par un particulier sur son fonds , ils ne causent encore aucun dommage au voisin ; tel serait un barrage sur l’influence duquel il y aurait doute et qui ne produirait l’inondation et le remous que dans des crues extraordinaires. Nous en trouvons un nouvel exemple dans une espèce jugée par la cour de cassation, le 9 janvier 1833. Un barrage se composait de deux parties; l’une permanente en maçonnerie et l’autre mobile, s’adaptant à la première. 11 a été jugé que l’année pour agir avait commencé du jour de l’établissement de celle-ci, parce qu’il n’existait antérieurement aucun dommage. Du reste, il importe de remarquer que s’il existe une grande différence entre la complainte et la réintégrande, quant aux conditions qui autorisent à les intenter, il n’y en a pas quant au délai dans lequel elles doivent avoir lieu. On pourrait se faire la question de savoir si l’année dans laquelle le possesseur doit agir a son cours dès l’instant Où le trouble et la dépossession ont eu lieu, ou seulement de celui où ils sont parvenus à sa connaissance; mais par cela même que la loi l’a fait partir du jour du trouble, sans distinction ni restriction, elle n’exige pas qu’il ait été connu de la partie intéressée; autrement il pourrait arriver qu’une complainte ou une demande en réintégrande serait formée après un grand nombre d’années ; ce qui serait contraire à la nature de — lût — cette action, qui a pour but de faire obtenir une prompte répression, et d’assurer la possession à celui qui l’avait à une époque très-rapprochée. Ainsi, le législateur a voulu circonscrire l’exercice de cette action dans un bref délai ; il a d’ailleurs pensé qu’une possession, qui doit être publique, ne pourrait être ignorée du propriétaire ou de ses agents. Ajoutons enfin qu’il s’agit ici d’une sorte de prescription, et que la loi n’exige point que la possession, qui lui sert de base, soit spécialement connue du propriétaire. Vêtait le sentiment de üornier qui, sur les mots dans l'année du trouble, de l’art. 1", titre 18 de l’ordonnance de 1667, s’exprime en ces termes Cela est conforme à l’ordonnance de Charles Vlll, art. 71, et à celle de François I er , à Villers-Cottercts, en août 1539, art. 61, par laquelle il est dit que nulle complainte ne sera reçue après l’an, tant en matières bénéficiaires que profanes, d’autant que, par la disposition du droit, les interdits sont annaux, suivant la loi 1", uti possidetis, et la loi 1 1C , § fin. {{. de interd., et il faut prendre l’an pour continu, c’est-à-dire à compter du jour du trouble, et des derniers exploits et actes de possession , et non du jour que le trouble est venu à la connaissance de celui qui veut intenter la complainte, d’autant que le trouble, de même que la possession, consiste en fait. » Ces principes ont été consacrés par la cour de cassation, qui, par arrêt du 12 octobre 1814 , a décidé que le délai d’un an, pour intenter l’action possessoire, court du jour même du trouble, et non du jour seulement où il a été connu, bien que, dans l’espèce, il fût question d’un trouble de droit plus que d’un trouble de fait, et qu’il eût été essuyé, non par le propriétaire personnellement, — 105 — mais bien par le fermier, qui n’en avait pas donné avis au propriétaire. Nous retrouvons les mômes principes dans un arrêt de la cour, du 10 juillet 1821, qui a prononcé la cassation d’un arrêt de la cour de Pau, du 17 juin 1817 , par lequel il avait été jugé qu’une possession, qui n’avait pas eu lieu au su et au vu du propriétaire, était inefficace. Enfin, par arrêt du 22 avril 1839, la cour, appliquant cette doctrine au cas où le trouble avait eu lieu contre une commune dont le maire, chargé d’agir pour elle, n’avait eu connaissance des entreprises faites à son préjudice que par l’action correctionnelle dirigée contre la commune, a décidé que c’est à partir du trouble matériel lui-même, et non pas seulement à partir de la connaissance légale que le possesseur a eue de ce trouble, que court le délai d’un an dans lequel doit être intentée l’action en complainte. Dés que c’est une possession annale, immédiatement antérieure au trouble, qui est requise pour autoriser la complainte, en vain le demandeur invoquerait-il une possession centenaire ou immémoriale, mais qui aurait été abandonnée pendant une année, il ne pourrait agir qu’au pétitoire ; s’il voulait agir au possessoire, le détenteur annal le repousserait infailliblement, et le juge de paix ne pourrait avoir aucun égard à cette longue possession. 11 est donc bien entendu que celui qui n’a qu’une année de possession, mais qui est la dernière immédiatement antérieure au trouble, doit l’emporter sur celui qui en alléguerait cent qui la précéderaient. Nous aurons occasion de nous expliquer sur la question de savoir s’il est des cas où le juge de paix peut prendre en considération la possession trentenaire ou immémoriale, unique- ment pour éclairer la possession, comme il est autorisé à consulter les titres de propriété. SECTION II. Les délais dans lesquels l’action doit être formée courent contre toutes personnes. L’article 23 du Code de procédure, en déclarant non recevable toute action possessoire intentée après l’année du fait qui la nécessite, nous semble, par la généralité de ses expressions impératives, n’admettre aucune distinction, et frapper de la déchéance non-seulement les particuliers, les administrations publiques, l’état, les communes, les hospices, les fabriques des églises, les femmes mariées, les absents, les faillis, mais encore les mineurs et les interdits; toutefois cette solution n’est pas sans difliculté à l’égard des personnes de ces deux dernières classes, à cause de l’art. 2252 du Code civil, portant que la prescription ne court pas en général contre elles, excepté dans certains cas énoncés à la dernière section de ce Code. Il était admis autrefois que le délai d’une année, dans lequel l’action possessoire devait être intentée, courait contre toutes personnes sans distinction. Lemaître, sur la coutume de Paris, titre h, chap. 1, section 2, donne trois raisons de cette décision La première, que la complainte est une espèce de privilège dont personne ne peut jouir qu’aux conditions portées par la loi; la seconde, qu’il ne s’agit que d’une simple possession dont la privation laisse le droit des mineurs et des absents en son entier pour la propriété; la troisième, qu’une année de paisible possession, ni violente, — 107 — ni clandestine, doit être présumée légitime, et qu’un possesseur légitime ne doit pas être évincé en vertu d’une action établie en sa faveur. » Jousse, dans son Commentaire sur l’ordonnance de 1667, dit que le délai d’une année court contre toutes sortes de personnes, soit mineurs, soit ecclésiastiques ou privilégiés. Bourjon et Poullain-Duparc sont du même avis. Denizart, V° Complainte, n’est pas moins formel. La prescription contre cette action en trouille ou complainte, dit-il, court contre les mineurs, les absents, les insensés, les bannis, les interdits, la femme mariée, l’église et tous autres qui pourraient en autres cas se servir du bénéfice de restitution. » Les auteurs de la Nouvelle collection répètent cette opinion. Nous ne connaissons aucun auteur qui, sous l’ancien droit, ait enseigné une doctrine contraire. A la vérité, autrefois, on n’était pas d’accord sur le principe que la prescription ne courait point contre les mineurs et les interdits; si un grand nombre de coutumes avaient adopté l’affirmative, le droit romain et quelques coutumes avaient des dispositions différentes. Aujourd’hui nous avons l’art. 2252, dont les termes sont très-formels et très-étendus. Malgré cela, M. Henrion de Pansey, MM. Guichard, Aulanier et Favard, n’hésitent pas à maintenir l’ancienne jurisprudence. Les deux premiers ne développent pas leur opinion ; les autres se fondent sur ce que l’art. 2252 ne s’applique qu’à l’acquisition de la propriété et nullement à la possession annale qui laisse cette propriété intacte, et que le mineur pourra recouvrer par l’action pétitoire. Pigeau, tome i, page 54, de son Commentaire posthume, embrasse l’opinion contraire. 11 est seul de son avis. Carré, Droit français dans son rapport avec les justices ele paix, n° 1580, combat cette opinion de Pigeau. 11 observe quelle est entièrement nouvelle ; que l’on pensait unanimement le contraire autrefois ; il se prononce pour les anciens principes. 11 développe longuement son sentiment. I’un autre côté nous avons eu sous les yeux une consultation étendue délibérée par un très-habile jurisconsulte, qui préfère l’opinion de Pigeau. Quant à nous, il ne nous semble pas que l’art. 2252 s’applique au délai dans lequel l’action possessoire doit être intentée. L’art. 23 exige deux conditions distinctes une possession annale antérieure au trouble, et l’exercice de l’action dans l’année qui l’a suivi ; que la possession puisse ou ne puisse pas être acquise contre le mineur, il n’en doit pas moins se pourvoir avant l’expiration de l’année. Faisons bien attention qu’il ne s’agit ici que d’une formalité de procédure, et non de l’attribution à l’adversaire du mineur d’une possession civile, ni à plus forte raison d’une maintenue en possession. Nous examinerons ailleurs si la possession qu’aurait un tiers des biens d’un mineur pourrait autoriser ce tiers à intenter l’action possessoire contre le mineur, ou si le principe d’inprescriptibilité écrit dans l’art. 2252 du Code civil devrait y faire obstacle ; mais en supposant que l’action possessoire ne put être reçue, il faudrait au moins, pour que le mineur attaqué en complainte pût se prévaloir de sa qualité, qu'il fût certain que la chose lui appartenait avant le trouble ; car s’il ne l’avait possédée que — 109 — quelques mois, si le nouveau détenteur n’a fait que reprendre ce qu’il avait déjà possédé pendant un an avant le mineur, comment celui-ci pourrait-il prétendre qu’on a usurpé son bien? Ce ne pourrait être qu’en produisant son titre de propriété. Nous examinerons plus bas si, dans ce cas, le juge de paix peut l’apprécier sans cumuler le pétitoire et le possessoire. En obligeant à former l’action possessoire dans l’année, le législateur a voulu, comme nous l’avons précédemment exposé, restreindre dans un court délai l’exercice d’une procédure qui doit être prompte, facile et peu dispendieuse. Son but serait totalement manqué avec l’exception qu’on veut introduire en faveur d’un interdit qui pourrait * après cinquante ans exercer la complainte ; un mineur le pourrait après vingt-un ans. Il faut admettre comme un principe certain que l’article 2252 du Code civil ne s’applique qu’au fond des droits qu’il a consacrés, et nullement aux délais et déchéances de procédure, ni même aux droits établis parles autres lois ; par exemple à ceux réglés par le Code de commerce. Ainsi les prescriptions établies par les articles 6/i,189, 573, 430 à i36 de ce Code courent contre les mineurs et les interdits, bien qu’ils ne le déclarent pas formellement. Tel est aussi le sentiment de MM. Vazeille et Troplong dans leurs Traités des prescriptions, de MM. Dalloz, Carou et Belime. — 10 — CHAPITRE III Natiirp do la possession exigée pour l’action en complainte; manière dont elle s’acquiert et se perd. SECTION 1”. Observations générales. L’ordonnance de 1667 exigeait une possession publique , sans violence et à autre titre que de fermier ou * possesseur précaire. Les articles 2229, 2232, 2233 du Code civil exigent que la possession soit continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque; qu’elle ne soit pas fondée sur la tolérance, la simple faculté, la violence, et qu’elle ait eu lieu à titre de propriétaire. Le Code de procédure ne parle que de possession paisible et à titre non précaire. Il ne répète pas les conditions que le Code civil veut absolument que réunisse la possession pour être constitutive de la prescription qui fait acquérir la propriété. Faut-il en conclure qu’il' y a deux sortes de possessions, et que le législateur n’a pas voulu assujettir celle qui donne lieu à complainte à des conditions aussi rigoureuses que celle qui autorise l’action pé- titoire? Il nous paraît qu’il n’y a de différence entre elles que dans leur durée ; que chacune doit avoir les mêmes qualités , les mêmes caractères intrinsèques ; car la possession annale, non-seulement fait présumer la propriété, mais même la fait acquérir immédiatement, lorsque celui contre lequel la maintenue possessoire a été prononcée — ni — ne peut prouver par action pétitoire qu’il a des droits dans la chose. Le législateur ayant défini la possession par le Code civil, qui seul doit régler le fond du droit, n’avait nul besoin d’en déterminer les caractères essentiels et constitu- tifs'par le Code de procédure, uniquement destiné à régler la forme de l’action. Les expressions paisible et non précaire, qui sont surabondantes, n’ont point pour but de déroger au droit commun ni de tracer des limites plus étroites ; elles sont énonciatives et non restrictives. Il aurait suffi de déclarer que la complainte appartiendrait de droit à celui qui aurait une année de possession; car pour interpréter sainement cette expression, on Se serait reporté aux dispositions du Code civil. D’ailleurs, on pourrait aller jusqu’à prétendre, avec plusieurs arrêts de la cour de cassation, que les mots à titre non précaire comprennent dans leur généralité l’exigence de tous les caractères constitutifs de la possession, ainsi que nous le démontrerons ultérieurement. Avec le système restrictif que nous combattons, et qui prétend trouver dans l’art. 23 du Code de procédure, exclusivement, les conditions de la possession pour intenter la complainte, on irait jusqu’à l’admettre pour une possession équivoque ou clandestine. Il faut de deux choses l’une, ou se restreindre servilement aux termes de l’art. 23 ou se rattacher à l’art. 2229 du Code civil, et comme le premier parti est impossible, il faut bien s’en tenir au second. C’est dans ce sens que s’est expliqué M. Faure, rapporteur du tribunal, sur l’art. 23, puisqu’il dit positivement que la possession dont il y est question doit avoir été continue et non interrompue, paisible, publique, non — 112 — équivoque, et à titre de propriétaire, et tous les auteurs en donnent la même interprétation. La possession, dit M. Henrion de Pansey, p. /16, ne donne la saisine que lorsque, prolongée pendant le temps nécessaire pour prescrire, elle confère la propriété; ainsi, pour être autorisé à intenter complainte en cas de saisine et de nouvelleté, il ne suflit pas d’avoir possédé pendant un an et un joui-, il faut encore que la chose possédée soit prescriptible, et que la possession soit revêtue des caractères auxquels la loi attribue l’efficacité de prescrire. » » La possession, dit M. Poncet, Traité des actions, n° 7/i, pour être qualifiée saisine ou possession parfaite doit être annale, paisible, publique et non équivoque, continue et non interrompue, à titre de propriétaire, c'est- à-dire avec la juste intention de posséder comme tel ; en outre, elle doit s’appliquer à une chose prescriptible. » MM. Brossard, n°* 139 et 1 /i 2; Guichard, p. 16; Au- lanier, n° 20; Garré, dans son Droit français appliqué à la juridiction civile des juges de paix, n°* 10/i5, 1057, 1058, 1351 ; llogron, dans son Code de procédure expliqué; Merlin, Favard de Langlade, Toullier, Duranton, Pigeau, enseignent la même doctrine. MM. Vazeille et Troplong, Traité de la prescription, ne sont pas moins formels. M. Serrigny, professeur de droit administratif 5 la faculté de Dijon, est le seul qui émette une opinion contraire. Mais cette opinion, d’ailleurs donnée sans aucuns développements, ne peut, quel que soit le mérite de son auteur, prévaloir sur les autorités si nombreuses et si imposantes que nous venons de citer. — 113 — SECTION II. Développements des principes de chacune des qualités de la possession. Après avoir démontré que la possession pour intenter l’action en complainte doit être de la même nature que celle exigée pour la prescription, il est nécessaire d’expliquer en détail les éléments constitutifs de cette possession ; de quelle manière elle s’acquiert et se perd. § 1". Possession non précaire. Il importe d’avoir des idées précises sur les termes précaire, précairement, possession précaire ou à titre non précaire que nous trouvons dans les livres de droit. Le Digeste renferme un titre de precario. Chez les Romains, le précaire était un prêt d’une espèce particulière; c’était une convention par laquelle on donnait une chose à quelqu’un pour s’en servir tant qu’il plairait au maître de cette chose, et à la charge de la lui rendre à sa première réquisition Precarium est quod precibus petenti vtendumconceditur, tamdiu quamdiu is quiconcessitpatitur. Loi 1, ff. de precario. Domat liv. 1, p. 65 définit le précaire un prêt à usage accordé à la prière de celui qui emprunte une chose pour en user pendant le temps que celui qui l’a prêtée voudra la laisser, et la charge de la rendre quand il plaira au maître de la retirer. » Pothier, du Contrat de prêt, n 01 80, 87 et 88, en donne la même définition. Il fait en outre remarquer pie, dans le contrat de prêt la chose est prêtée pour un certain 8 — 1U — lisage déterminé ou pour un certain temps, et que la restitution n’en peut être demandée qu’après l’expiration du temps convenu ou de celui qui est nécessaire pour que l'emprunteur puisse s’en servir pour l’usage pour lequel elle lui a été prêtée; au lieu que, dans la convention du précaire, celui qui reçoit une chose la reçoit pour s’en servir indistinctement, et à la charge de la rendre incontinent au prêteur toutesfois qu’il la demandera. » Cet auteur ajoute que, d’après le droit romain, celui qui avait accordé précairement l’usage de sa chose avait pour se la faire rendre l’interdit de precario Interdiction de precario merito introduction est, quia nulla eo nomine juris civilis actio esset; magis enim ad donationis et beneficii causant, quant ad negotii contracti spectat, pre- carii conditio. Cet interdit était restitutoire, ainsi que le porte la loi 2, § 2, au Digeste ; Uoc interdiction restitu- torium est. Et elle ajoute Et naturalem habet in se œqui- tatem namque precarium revocare volenti competit. Est enimnaturaæquum, tarndiu te liberalüate meauti, quamdiu ego velim; etutpossim revocare cummutavero voluntatem. Itaque cum quid precario rogatum est, non solum hoc in- terdicto utipossumus; sed eliarn prœscriptis verbis actione, quoi ex bona fide oritur. Ainsi, comme l’on voit, et comme le lait aussi observer Pothier, celui qui avait accordé précairement l’usage de sa chose, outre l’interdit de precario, avait encore une action prœscriptis verbis. Évidemment, dans notre droit, le sens du mot précaire ne doit pas être restreint à signifier un prêt restituable à la volonté du propriétaire ; cette opinion est déjà justifiée par les termes du 2' § de l’art. 2236 du Code civil; mais il y a plus ; nous soutenons qu’il doit être étendu à toute — lia — détention à laquelle il manque un des caractères légaux de la possession légitime. Pothier, à l’endroit cité, semble le décider ainsi, lorsqu’il dit 11 y a deux espèces de précaire; la première, par laquelle on accorde précairement à quelqu'un la possession d'une chose; la seconde, par laquelle on en accorde seulement l’usage, etc. » 11 dit qu’il ne s’occupera que de celle-ci, que la première sera l’objet d’un traité particulier sur les choses. ci Le mot de précaire, dit M. Yazeille, Traité de la prescription, n° 122, dans l’acception particulière que lui donne la loi première ff. de precario, est le nom d’un prêt gratuit révocable à la volonté du prêteur. Mais il a une signification plus étendue il sert à désigner la détention des choses, à tout autre titre que celui de propriétaire. C’est dans cette acception générale que le Code civil a employé l’adverbe qui en dérive. » N° 12/t. Dans l’art. 2236, le législateur indique, seulement pour servir d’exemple, trois sortes de détenteurs précaires, auxquels le Code de commerce, art. 430, ajoute le capitaine de navire. L’on trouve infailliblement ^ous Jes autres en parcourant le cercle des possesseurs qui n’ont pas la propriété. Le créancier engagiste, le séquestre , les maris, les tuteurs, les curateurs quand ils ont une gestion, les agents qui administrent le bien d’autrui , soit en vertu de procuration ou de commission, soit officieusement, sont aussi des détenteurs précaires ; aucun d’eux ne peut prescrire le droit des personnes qu’il représente ou dont il reconnaît le domaine. » Au n° 42, cet auteur avait déjà, dit On doit décider que la répression certaine de l’usurpation, par quelque voie et dans quelque temps qu’on l’obtienne, ellace — 116 — l’interruption que l’usurpateur avait produite Cessante causa cessât effectus. L’usurpateur n’a qu’une possession précaire qui se rapporte pour l’utilité au propriétaire qu’il est obligé de reconnaître. » Il dit encore la même chose au n° 176, p. 192. M. Merlin, Hep. , V° Précaire , atteste aussi que dans l’usage on emploie ce terme pour exprimer en général tout autre possession que celle du propriétaire. M. le président Favard de Langlade, lièp. , V° Complainte, sect. 1, § 3, n° Al, donne au mot précaire un sens particulier. Après avoir rapporté un jugement qui refusait la complainte à l’emphytéote, il s’exprime ainsi Ce jugement reposait sur une base évidemment fausse ; car pour prescrire la propriété, il faut, il est vrai, une possession à titre de propriétaire, aux termes de l’art. 2229 du Code civil; mais, suivant l’art. 23 du Code de procédure, il suflit, pour intenter l’action en complainte, d’avoir une possession annale, paisible, h titre non précaire. Et qu’entend la loi par ces derniers mots? Elle désigne le titre de celui qui a un droit propre, indépendant de celui du propriétaire, qui possède pro suo, qui a droit par son titre à la propriété de tout ce que produit l’héritage ; qui jouit comme le propriétaire ; en nn mot celui qui a le domaine utile, comme l’emphytéote il temps. » Le dictionnaire de l’Académie s’exprime ainsi Précaire... qui ne s’exerce que par une tolérance qui peut cesser, par une permission révocable, par emprunt, avec dépendance, avec incertitude, autorité précaire; pouvoir précaire; possession précaire; son état est précaire; existence précaire; vie précaire. — 117 — Du reste, le mot précaire n’est pas écrit une seule fois dans tout le titre de la prescription. Nous trouvons seulement dans l’art. 2236 que ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit; qu’ainsi le fermier, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire ne peuvent la prescrire. 11 faut en conclure que le Code civil a déterminé les caractères constitutifs du précaire sans le définir, et qu’une possession est nécessairement précaire quand elle manque d’une des conditions dont il fait dépendre sa validité ; cpie cette possession est celle qui est incertaine, qu’on peut faire cesser d’un instant à l’autre, qui ne pourrait pas être conservée et maintenue si on l'attaquait. L’ordonnance de 1667 exigeait, comme on l’a vu, que la possession qui servait de base à la complainte fût ii autre titre que de fermier ou possesseur précaire; le Code civil est conçu en termes généraux et tous autres qui détiennent précairement la chose d’autrui. Certes, celui qui ne la détient que par violence, clandestinement, par tolérance, ne possède pas sa chose, mais celle d’autrui. Au surplus, pour que la possession soit réputée précaire, il n’est pas nécessaire qu’il y ait convention avouée, comme pour le cas de bail, de dépôt, de prêt ; elle peut résulter des circonstances de fait, indépendamment de tout contrat. Car, si la première partie de l’art. 2236 semble être restrictive, la seconde, par la généralité de ses termes, établit la justesse de notre interprétation. Telle est aussi l’opinion de M. Aulanier Il est, dit-il, n° 68, beaucoup de possessions autres que celles que nous avons désignées comme précaires, et qui ce- — 118 — pendant sont considérées comme telles, quoique elles ne lê soient pas réellement ce sont en général toutes celles auxquelles la loi n’a point attaché l’effet d’opérer la prescription. » Cette manière d’entendre la loi est d’ailleurs confirmée par la jurisprudence de la cour de cassation qui donne au mot précaire un sens très-étendu. Nous citerons notamment cinq arrêts. Dans la première espèce, il s’agissait de savoir si le propriétaire voisin d’un étang pouvait invoquer la possession qu’il avait de ses bords quand les eaux étaient basses. Le propriétaire de l’étang repoussait la complainte en soutenant que la possession de son adversaire était précaire, puisqu’aux termes de l’art. 558 du Code civil, le propriétaire conserve toujours son terrain même dans les basses eaux. Ce système fut accueilli en première instance, en appel et en cassation. L’arrêt de rejet, du 23 avril 1811, est fondé sur ce que le juge, en décidant que la possession alléguée ne pouvait être que précaire , puisque la loi l’avait toujours conservée pour le propriétaire de l’étang, a fait une juste appréciation de l’art. 558 précité. Dans la deuxième espèce, un jugement du 10 pluviôse an V avait maintenu la dame Dandiron, représentée par les sieurs Guieux et Chaix dans la possession exclusive d’une ruelle, et défenses avaient été faites au sieur Plan de Syeyes de l’y troubler. Ce dernier continua cependant de se servir de la ruelle. En janvier 1807, il forma une action en complainte, pour être maintenu dans sa possession plus qu’annale, et sa demande fut accueillie par le juge de paix. Sur l’appel, le tribunal de Digne infirme ce jugement, attendu que celui de l’an V imprimait à la ’J 3-a — 119 — possession de Plan de Syeyes le caractère de simple tolérance ; et sur le pourvoi, arrêt de rejet par le motif que la jouissance de Plan de Syeyes, après la signification du jugement, n’a pu être que précaire, et que cette jouissance, n’ayant pas le caractère exigé par la loi, n’a pu lui acquérir aucun droit, moins encore anéantir ce jugement. Voici la troisième espèce. Le 5 nivôse an VII, un jugement au possessoire fait défenses au sieur Provôt d’user d’un droit de prise d’eau qu’il prétendait avoir sur un héritage appartenant au sieur Magistry, et en 1805, le sieur Jouannet, alléguant avoir pris sans interruption, depuis son acquisition, sur l’héritage de Pardoux Velleaud, les eaux nécessaires pour l’irrigation du sien, cite celui-ci devant le juge de paix de Chambon, par voie de complainte, pour l’avoir troublé dans la possession plus qu’annale où il soutenait être de jouir de ces eaux. Pour moyen de défenses, Pardoux Velleaud oppose le jugement rendu contre Provôt le 5 nivôse an VII, qui a l’autorité de la chose jugée contre Jouannet, comme vis- à-vis de Provôt son vendeur ; que, par conséquent, toute possession ultérieure de Jouannet ne peut être que précaire et inefficace pour fonder l’action en complainte. Le juge de paix rejette l’exception et ordonne aux parties de plaider au fond ; mais, sur l’appel Jugement du tribunal civil de Chambon du II février 1817 qui infirme, attendu qu’il est dè principe que celui qui, après avoir succombé dans sa possession, a joui depuis an et jour, ne peut plus demander à être maintenu dans cette même possession qui n’est qu e précaire, par suite de la maxime complainte sur complainte ne vaut. Et sur le pourvoi, arrêt de la chambre des requêtes du 17 mars 1810 qui 120 — rejette, attendu que, d’après le jugement qui avait été rendu contre Provôt, lequel est. aujourd’hui représenté par le demandeur, celui-ci ne peut avoir eu qu’une possession 'précaire. h c Espèce. — Il existe dans la ville de Salies une fontaine d’eau salée appartenant à la communauté des habitants. Aux termes des règlements anciens, sanctionnés par les autorités compétentes, les habitans de Salies se sont associés et ont arrêté 1° Qu’aucun habitant n’aurait droit au partage des eaux qu’autant qu’il résiderait dans l’enceinte de la ville avec sa famille ; 2° que, dans le cas où un habitant cesserait de résider dans la ville, les administrateurs de la fontaine rayeraient son nom de la liste qu’ils sont chargés de dresser des parts prenants , sauf à le rétablir au cas de retour. En 1817, les administrateurs rayèrent la dame La- taste, mariée au sieur Saubade, domicilié dans la commune de Berens, sur le fondement qu’elle ne résidait plus dans la ville de Salies. Action en complainte de la part des époux Saubade pour se faire maintenir dans la pdssession annale de prendre part aux eaux salées. Déclarés non recevables par le juge de paix, ils furent plus heureux en appel ; le jugement qui accueillit leur action se fonda sur ce que la vérification du fait d’exclusion, tiré du défaut de résidence exigée par les règlements, tenait au fond du droit, c’est- à-dire à l’action pétitoire que l’administration pourrait former, et qu’en attendant, la jouissance non interrompue du passé faisait supposer que la dame Saubade se conformait à tout ce qui était prescrit parles règlements. — 121 — Sur le pourvoi, cet arrêt fut cassé le 7 juin 1820, parce cjue la possession alléguée étant contraire aux règlements ne pouvait être que de tolérance, abusive et précaire, dette dernière expression est même répétée plusieurs fois. Nous ferons d’ailleurs observer que nous n’avons cité ces divers arrêts que pour bien faire comprendre le sens et l’étendue du mot précaire ; mais nous nous réservons de discuter le fond de la doctrine qu’ils ont consacrée. C’est dans un sens analogue que le mot précaire nous paraît avoir été employé dans un arrêt rendu le h décembre 1837, entre le sieur Framezelle et la dame Lan- gaigne. deux parties litigantes possédaient chacune un moulin. Celui de la dame Lengaigne, situé en aval, était mis en mouvement au moyen d’une roue ordinaire, dite à auges. En 1835, la dame Lengaigne changea le système hydraulique de son moulin et substitua à l’ancienne roue une roue dite à pots. Le sieur Framezelle prétendit que ce nouveau système hydraulique le troublait dans la possession de son moulin, en faisant refluer les eaux de la rivière, et en gênant par là le mouvement de la roue de son usine ; en conséquence , il demanda, par voie de complainte, devant le juge de'paix, le rétablissement des lieux dans leur état primitif. Le juge de paix s’étant mal à propos déclaré incompétent, il intervint, sur appel, un jugement du tribunal civil, qui déclara Framezelle mal fondé en sa demande, parce que la dame Lengaigne était libre d’user des eaux comme bon lui semblait, et que l’usage plus ou moins complet qu’elle avait fait de son droit dans son seul intérêt et selon sa convenance, n’avait pu faire acquérir à Framezelle aucune possession limitative des droits de la dame Lengaigne. Framezelle se pourvut en cassation. Mais la cour rejeta le pourvoi, par le motif qu’il résultait évidemment des termes du jugement attaqué que la possession invoquée par le demandeur n’avait pas le caractère exigé par l’art. 23 du Code de procédure civile, qui veut qu’elle soit à titre non précaire, pour pouvoir servir de base à une action possessoire. Comme on le voit, dans ces cinq espèces , le demandeur en complainte ne possédait pas pour autrui ; il n’était ni fermier, ni dépositaire ; il prétendait avoir possédé pour lui et à titre de propriétaire, et cependant on s’est fondé pour repousser sa demande sur ce que sa possession avait été précaire. M. Carré remarque, sur l’art. 23 du Code de procédure , que l’existence des premiers jugements, dans les deuxième et troisième espèces, imprimait à la possession le caractère d’un acte de tolérance. Donc celui qui ne possède qu’en vertu d’un tel acte n’a qu’une possession précaire. D’un autre côté, il faut reconnaître que la loi n’ayant voulu ni pu préciser les divers faits, les divers caractères constitutifs de la possession valable, de la possession précaire, de la clandestinité, laisse par là même aux juges de paix une bien grande latitude d’appréciation, et que ceux-ci pourraient, dans la pratique et suivant les circonstances, ne pas exiger des actes de possession aussi positifs, aussi caractérisés pour la complainte que le tribunal appelé à prononcer sur la propriété. 11 importe de remarquer que les héritiers légitimes ou — 1-23 institués, les donataires et les légataires universels ou à titre universel de ceux qui détenaient une chose précairement, ne sont eux-mêmes que des détenteurs précaires, qui ne peuvent ni posséder, ni prescrire, car ils prennent leur place et les représentent dans tous leurs droits actifs et passifs. Il en serait encore ainsi, lors même que les successeurs des détenteurs précaires seraient dans l’ignorance du titre de leurs auteurs, et qu’ils auraient pu les croire propriétaires ; le vice de leur possession se continuerait en eux de manière à la rendre tout aussi inefficace pour les uns que pour les autres. La généralité des art. 2237, 2240 du Code civil, et le principe qui fait de l’héritier la continuation de son auteur, ne peuvent laisser là-dessus aucun doute. Mais on ne pourrait appliquer ces principes à l’héritier présomptif qui aurait reçu la chose par donation entre vifs ou testamentaire, et qui renoncerait à la succession pour s’en tenir à la libéralité ; car il ne serait pas héri- rier ét pourrait invoquer comme tiers l’art. 2239, dont nous développerons bientôt la disposition. Que faudrait-il décider si le bail, le terme fixé par l’acte de dépôt, le contrat d’antichrèse, représentés parle défendeur étaient expirés depuis plus de trente ans? Évidemment la possession serait encore précaire. Lorsqu’à l’expiration d’un bail écrit, le preneur reste et est laissé en jouissance, il s’opère un nouveau bail par tacite reconduction, art, 1738 du Code civil ; et si le bail est verbal, il n’y a aucun terme fixé à sa durée; par conséquent, dans l’un et l’autre cas, le détenteur conserve toujours la qualité de fermier. Il en est de même en matière de dépôt. L’expiration du délai ne change pas la nature du contrat lorsque la chose reste en la garde du dépositaire. Art. 2235 et 22/i0 du Code civil. Par arrêt du 21 août 1734, le grand conseil a jugé qu’un héritage donné à emphytéose devait retourner au bailleur, quoique depuis l’expiration du bail il se fût écoulé plus de quatre-vingts ans. Plus anciennement, le parlement de Paris avait, par arrêt du 21 avril 1551, condamné l’évêque de Clermont, malgré une possession de trois siècles, â restituer à la reine Catherine de Médicis la seigneurie de la ville de Clermont, parce que le titre originaire de la possession qu’il avait prouvait ue cette seigneurie avait été séquestrée et donnée en garde à un évêque de Clermont par le duc de Bourbon, ou par Guy, comte d’Auvergne. Le même principe est applicable au droit d’usage, qui, durât-il cent ans, ne saurait conférer aucun droit de propriété. C’est ce qu’a décidé également le parlement de Paris, par arrêt rendu, en l’année 1572, en faveur du duc d’Orléans, contre les religieux de Longpont, qui prétendaient transformer un droit d’usage en un droit de propriété, sur le fondement d’une possession très-ancienne; mais, après examen du titre de concession, leur prétention fut repoussée. Nous ne croyons pas qu’il y ait de distinction à faire entre les fermiers, dépositaires, antichrésistes et ceux qui détiennent comme administrateurs. Nous pensons que ceux-ci, lors même qu’ils continuent de posséder après la cessation de leurs fonctions, ne jouissent pas plus que les autres comme propriétaires tant qu’il n’est intervenu aucun changement dans le principe de leur détention. Ainsi le tuteur après la cessation de la tutelle, le mari après la séparation de biens ou la dissolution du mariage, qu’on ait établi le régime dotal ou celui de la communauté, le man- dataire et le negotiorumgestor, à l’expiration du mandat ou delagestion d’affaires,ne pourraient passe prétendre possesseurs à l’effet d’acquérir la propriété et d’intenter les actions pétitoires ou possessoires. La généralité des termes de l’art. 2236 qui comprend tous les détenteurs précaires et les motifs qui ont dicté sa disposition nous semblent justifier notre sentiment. Mais nous croyons que cette doctrine vraie, pour les propres de la femme, ne le serait pas pour les biens de la communauté. Ceux-ci seraient prescriptibles à partir de sa dissolution ; après une année de possession par le mari, celui-ci serait admis à intenter complainte contre ceux qui l’y troubleraient. Il est évident que si un détenteur précaire intentait une action en complainte, le défendeur aurait le droit d’opposer les actes originaires de bail, de dépôt, d’usage, quelque anciennes qu’en fussent les dates, pour établir la précarité de la possession. Vainement le demandeur essaierait-il de répondre que depuis il a été de bonne foi, qu’il a cru au droit de son prédécesseur, qu’il a d’ailleurs une possession annale et de bonne foi antérieure au trouble. Ces circonstances seraient insignifiantes tant qu’il ne serait pas intervenu un acte de la nature de ceux auxquels la loi attribue l’effet d’intervertir la possession. Le juge de paix ne pourrait se dispenser d’apprécier ces actes de bail ou de dépôt, puisqu’ils ont trait à la jouissance. Mais si, au lieu d’actes, le défendeur invoquait la preuve testimoniale, le juge ne devrait pas l’admettre, parce que ce mode de prouver le bail et le dépôt est prohibé par nos lois, et qu’il faudrait remonter à une époque très-ancienne pour en retrouver des traces toujours fort incertaines. Ceux qui n’ont obtenu qu’une détention précaire de la — 126 — chose et leurs successeurs universels ou à titre universel peuvent purger ce vice de précarité par l'interversion de leur titre originaire, et commencer du jour de cette interversion à posséder utilement pour prescrire et pour exercer les actions possessoires ou pétitoires. Nous expliquerons dans le numéro suivant comment s’opère ce changement de situation, et si la bonne foi en est nécessairement un des éléments constitutifs. Enfin les détenteurs précaires peuvent, aux termes de l’art. 2239 du '.ode civil, consentir à des tiers des actes d’aliénation qui, s’ils n’ont pas l’effet immédiat de leur transmettre la propriété, servent cependant de base à une possession qui, continuée pendant le temps fixé par le législateur, a le double effet d’engendrer la prescription et d’autoriser les actions possessoires et pétitoires qui s’y rattachent; ils font ainsi pour autrui plus qu’ils ne peuvent pour eux-mêmes. Nous renvoyons également au numéro suivant les développements auxquels nous croyons devoir nous livrer à ce sujet. § II. Bonne et mauvaise foi dans la possession. Nous allons examiner dans cet article s’il est nécessaire que le demandeur en complainte ait une possession de bonne foi. Parmi les auteurs anciens qui ont écrit sur la matière, nous ne voyons que Pothier qui ait prévu la difficulté. Dans son introduction à la Coutume d'Orléans, titre 2, n° 50, dans ses Traités de procédure, cliap. G, question 253, et de la Possession, n° 3, il décide que la bonne foi n’est pas nécessaire. La manière dont il s’exprime fait supposer qu’il n’admet aucune exception à ce principe. M. le président Henrion de Pansey, VI. .Gui- — 127 — chard, ainsi que la plupart des auteurs modernes, ne s’expliquent pas à cet égard. M. Brossard, n° s 157 à 163, paraît supposer la nécessité de la bonne foi ; mais M. Au- lanier, n° 19, et M. Carré, sont d’une opinion contraire. Ce dernier semble pourtant admettre une exception ; il s’exprime ainsi, 2 e vol., p. 399 De ce que la loi n’exige autre chose pour autoriser l’action possessoire, si ce n’est qu’elle ait le caractère que nous avons déterminé page 46 etsuiv., il s’ensuit, généralement parlant, que la bonne foi n’est point une des conditions nécessaires pour que cette action soit recevable. Peu importe donc de savoir si le détenteur est de bonne ou de mauvaise foi; il ne peut être question que du fait de la possession. » Ces diverses opinions qui, au premier abord, semblent un peu contraires, peuvent cependant se concilier aisément. Le principe général est en effet que la bonne foi, nécessaire en certains cas pour l’acquisition de la propriété, n’est pas exigée du possesseur annal qui intente l’action possessoire; il ne souffre que peu d’exceptions que nous aurons soin de signaler. L’art. 2262 du Code civil porte Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, où qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. » L’art. 2265 est ainsi conçu Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble, en prescrit la propriété par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour royale, dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé, et par vingt ans s’il est domicilié hors dudit ressort. » pt l’art. 2268 ajoute La lionne foi est toujours — 128 — présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. » Enfin, la bonne foi, d’après l’art. 550, consiste à posséder comme propriétaire en vertu d’un titre dont on ignore les vices. C’est pourquoi la bonne foi du possesseur cesse du moment où ces vices lui sont connus. Qui a quolibet émit, quod putat ipsius esse, berna fide émit-, I.. 27, ff. de conlrah. empt. Bona' fidei emptor esse videtur, qui ignoravit rem alienam esse, aut putavit eum qui vendidit jus vendendi habere L 109, ff. de verbor. signifie., celpii ne s’entend toutefois que de l’erreur de fait, et non de l’erreur de droit nunquam in usucapionibus juris error possessori prodest. L. 31 ,ff. deusurp. Ce n’est pas qu’en fait on soit réellement de mauvaise foi parce qu’on erre sur le droit L. 25, § 6, ff. de petit, hœred., puisqu’il arrive souvent qu’on l’ignore ; mais comme il n’aurait pas été possible de reconnaître la vérité ou la fausseté de l’allégation de cette ignorance, et que chacun peut recourir aux lumières de ceux qui connaissent les lois qui d’ailleurs sont rendues publiques, c’est une maxime d’ordre et d’intérêt général que nul ne peut alléguer qu’il les ignore; et c’est ce qu’observe avec beaucoup de raison Houard Dictionnaire du droit normand, au mot prescription L’ignorance de la loi, dit-il, loin d’être une excuse, est un crime on expose la société en laquelle on vit au trouble et à la confusion, par sa négligence à s’assurer, dans les divers actes qu’on fait, des règles qu’elle a établies pour qu’ils fussent faits valablement et équitablement. » Aussi igilorantia juris non prodest adquirere volentibus. L. 7, ff. de juris et fadi ignorantia. Au surplus, la bonne foi est exigée de l’acquéreur seul, ainsi que cela résulte des diverses lois ro- — 129 — maines ou françaises que nous venons de rappeler; il n’est pas en outre nécessaire qu’elle existe de la part du vendeur. Ajoutons que la bonne foi existant lors de l’acquisition, profiterait au sous-acquéreur même de mauvaise foi, car il suffit quelle existe dans l’origine, et ce sous-acquéreur succède à la bonne foi de son vendeur. Si de- functus bona fide emerit, vsucapietur res quamvis hœres sciâtalienam esse. Inst., tit. 6, de nsucap. et long. temp. prescript., et loi *2, § 19, ff. pro emp. Il en serait autrement du cas où le véritable propriétaire croirait par erreur au droit des divers possesseurs, si ceux-ci n’y croyaient pas. Il ne faut pas confondre les conditions déterminées par le Code pour constituer la possession avec la bonne foi. line possession peut être publique, paisible, non équivoque, exempte de tolérance, de familiarité, à titre de propriétaire, et n’être pourtant pas de bonne foi, d’après la définition que nous avons donnée de ce caractère spécial. Les juges de paix doivent bien se garder de croire que la mauvaise foi du possesseur prouvée établirait que la possession n’a pas eu lieu à titre de propriétaire, A ét£ équivoque ou précaire, si d’ailleurs il avait fait tous les actes qui annoncent une propriété pleine et entière. Il faut en outre reconnaître que la bonne ou mauvaise foi peut exister et être appréciée, indépendamment de tout acte ou contrat, se référant à l’origine de la possession. Ainsi un individu possède pleinement un champ, sans qu’on sache comment il est entré en jouissance. Cependant il n’ignore pas, il a même avoué en présence de témoins qu’un autre est propriétaire. Malgré cela il peut intenter l’action pos- sessoire ; à plus forte raison le peut-il si le véritable propriétaire lui est inconnu. y — 130 — Supposons maintenant le cas où il existe des actes. Nous avons vu que les détenteurs précaires et leurs héritiers qui ne pouvaient jamais posséder pour eux-mêmes, étaient cependant capables de donner à des tiers un titre servant de base à la possession. Lorsqu’un tuteur, un mari, un dépositaire, un fermier ont vendu les biens dont ils étaient détenteurs à ces divers titres, mais en annonçant dans l’acte qu’ils leur appartenaient, ou sans rien dire et sans prendre aucune qualité, l’acquéreur est probablement de bonne foi, et prescrit par dix ou vingt ans qui, pour les biens dotaux et ceux du pupille, ne courent que de la dissolution du mariage, de la séparation de biens ou de la cessation de la miuorité ; mais si l’acte exprime que la chose est la propriété de la femme, du pupille, ou si, sans le dire expressément, les détenteurs ont traité en qualité de mari, de tuteur, fermier; si un antichrésiste vend l’immeuble de son débiteur, en indiquant celui-ci comme propriétaire, hypothèse qui, nous en convenons, doit se réaliser rarement, et que nous n’exposons ici que pour mieux faire ressortir toute la portée du principe; que l’acquéreur, dans ces diverses hypothèses, ait par suite du contrat, du juste titre qui lui a été souscrit, possédé pendant un an, et qu’il soit troublé par le propriétaire, pourra-t-il intenter la complainte? Oui, sans doute, car il est certain que ce contrat çst inutile au possesseur, puisqu’un titre n’est exigé que pour la prescription de dix ou vingt ans, et que le titre portant en lui-même la preuve de sa mauvaise foi, ne peut lui servir à rien ; mâis il peut acquérir la propriété par une possession de trente ans pour laquelle il n’a besoin ni de titre ni de bonne foi. Il n’a donc aucun intérêt à le produire. Soit que par la suite il pré- 131 — tende avoir prescrit par dix ou vingt ans, soit qu’il invoque la possession de trente ans, peu importe quant à l’action possessoire qui n’est fondée que sur une jouissance annale. Mais s’il ne le produit pas, te défendeur ne peut-il pas 1e représenter, pour établir que la possession de son adversaire est précaire? que la date récente de ce titre s’oppose à ce qu’il ait acquis par trente ou même par dix ou vingt ans? Nous ne 1e croyons pas ; car, si malgré l’existence d’un acte qui prouve la connaissance de la part de l’acquéreur du défaut de qualité du vendeur, il peut néanmoins prescrire, il faut reconnaître qu’il peut valablement former la complainte qui est admissible dans toutes les matières prescriptibles. Gardons-nous de confondre 1e cas où 1e demandeur a joui à titre de propriétaire, et pour lui-même, avec celui où il n’a joui que comme fermier, séquestre, administrateur. Dans 1e premier cas il a un titre qui, bon ou mauvais au fond, n’en est pas moins par sa nature capable avec 1e temps de transférer la propriété; par juste titre, la loi n’entend pas l’acte émané du véritable propriétaire, puisque c’est contre lui quelle autorise la prescription, mais un titre qui soit fait pour transmettre la propriété comme vente, échange, donation. Dans le second cas, tes actes de bail, de séquestre, prouvent que celui qui détient ne possède pas personnellement, et n’a aucun droit de domaine ce n’est que dans ce cas que le défendeur à la complainte peut opposer tes actes. Il ne faut pas d’ailleurs perdre de vue la nature de l’action en complainte. Elle est uniquement fondée sur l’année de possession qui a précédé 1e trouble ; toute possession antérieure du demandeur ou du défendeur est en général sans objet. Le juge de paix ne 132 — doit pas s’y arrêter. L’appréciation des titres de propriété n’est pas dans ses attributions, et si quelquefois il peut les consulter, comme nous l’expliquerons ultérieurement, ce n’est que pour déterminer le caractère d’une possession douteuse, pour s’éclairer à cet égard. Le titre, s’il était produit, lui prouverait que c’est bien comme propriétaire que le demandeur a joui, puisqu’il a acquis. Il ne pourrait s’occuper de la validité du contrat en ce sens qu’il lui serait interdit d’examiner si le vendeur avait réellement des droits ; ce serait cumuler le pétitoire avec le possessoire. Ce que nous venons de dire s’applique à plus forte raison à l’acquéreur des biens non dotaux de la femme, des absents, d’un déposant; s’il avait une possession annale, antérieure au trouble, il pourrait intenter la complainte, sans crainte d’être repoussé par l’exhibition du titre qui lui aurait été consenti. Nous examinerons plus bas s’il en serait demêmerela- tivementà l’acquéreur des biens d’un mineur, d’un interdit; mais en supposant qu’une exception fût possible dans ce cas, elle ne serait pas tirée de la mauvaise foi de l’acquéreur ; elle aurait sa base dans la nature des biens appartenant à ces personnes. Assignés au possessoire, le mineur, l’interdit pourraient, toujours dans la même supposition, produire leurs titres de propriété pour se défendre de la demande en maintenue, et pour établir que la possession de leur adversaire est vicieuse. Ce ne serait que dans le cas où ils n’auraient pas de titres ou de possession antérieure, que le demandeur serait écouté, parce que rien n’établirait alors que c’est d’un bien de mineur ou d’interdit qu’il s’agit. Nous pensons toutefois qu’alors même qu’ils produi- 133 — l’aient des titres de propriété, la complainte devrait être incontestablement accueillie'si le demandeur opposait un titre translatif de propriété ayant dix ans d’existence avec bonne foi depuis la cessation de la minorité ou de l’interdiction , ou si cette cessation datait de trente ans. Il existe, comme on l’a vu, une bien grande différence entre le fermier qui, après avoir joui de la ferme en vertu du bail, voudrait intenter complainte, et celui qui ayant acquis de ce fermier aurait fait pcndantl’année antérieure au trouble tous les actes de possession que la propriété autorise. Ce dernier aurait agi à titre de propriétaire. Peu importe qu’il sût ou qu’il pût craindre que le véritable propriétaire ne vînt à l’attaquer, puisque, comme nous l’avons déjà dit, c’est la qualité en laquelle on possède, et non la bonne foi et la confiance que l’on a de l’existence légale de cette qualité qui détermine la prescription trentenaire ; par la publicité des faits de possession annale sans opposition du véritable propriétaire, il s’est placé dans une situation que la justice doit protéger. Mais quant au fermier, au dépositaire, la qualité est certaine par le bail, le dépôt. C’est à ceux-ci seulement, ainsi que l’expliquent Pothier, Traité de la prescription, n° 173, M. Delvincourt, sur l’art. 2262, et M. Rogron dans son Code civil annoté, que s’applique la maxime Melius non habere titulum, quant habere vitiosum. Nous avons dit que ceux qui détiennent une chose précairement, ainsi que leurs héritiers et représentants universels ou à titre universel, ne peuvent la posséder valablement ni la prescrire par quelque laps de temps que ce soit, même .après le terme assigné à leur détention précaire; mais cette règle n’est pas sans exception. L’article 2238 établit en effet qu’ils peuvent prescrire, si le — 134 — titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’ils ont opposée au droit du propriétaire. Cet article contient, comme on voit, deux modes différents d’interversion de possession 1° par une cause venant d’un tiers; 2° par la contradiction opposée aux droits du propriétaire. Ie ces deux modes, le premier existait déjà dans l’ancien droit, tandis que le second peut paraître une innovation et une dérogation à la maxime nemopotest sibi mularc causant possessionis. L. 3, § 19, ff. de acquirendâ vel amitt. possess. La loi n’exige pas que l’acte émané du tiers soit notifié par le détenteur précaire, à celui pour le compte duquel il détenait la chose et l’on ne pourrait être plus exigeant que le législateur. Nous ne saurions donc partager l’opinion de M. Vazeille, qui semble faire une règle et une nécessité absolue de cette notification ; d’un autre côté, la contradiction opposée aux droits du propriétaire peut résulter de simples faits, de travaux, de constructions qui d’ordinaire caractérisent et supposent la propriété; mais il faudrait, d’après les termes mêmes de la loi, qu’ils aient été connus de ce propriétaire. Les faits et la connaissance qu’en aurait eus le propriétaire pourraient être prouvés même par témoins; ici s’appliqueraient indubitablement les principes généraux en matière de preuve testimoniale. M. Delvincourt donne cet exemple du premier mode d’interversion J’ai pris un fonds à bail de Paul ; tant que les choses restent dans cet état, je ne puis prescrire, eussé-je été cinquante ans sans payer de loyers. Mais Jacques se présente comme étant propriétaire de ce même fonds, n’importe à quel titre. 11 me le vend je puis près- r — 135 — crire contre Paul à dater du jour de la vente qui m’a été faite par Jacques. » Observons en passant que l’acquisition faite d’un tiers par le détenteur précaire est sans doute fondée sur ce qu’il a pu croire avoir été originairement dans l’erreur en reconnaissant le bailleur comme propriétaire, et que les droits de celui qui lui a vendu lui ont paru mieux établis. L’auteur pense qu’ici la bonne foi est nécessaire. Quid, dit-il, s’il était prouvé que le fermier savait que Jacques n’était pas propriétaire? Je pense que dans ce cas particulier la prescription ne peut avoir lieu même par trente ans. 11 est évi^nt, en effet, qu’on regarderait Jacques comme un homme de paille aposté par le fermier, et le principe de la possession serait censé alors interverti par le fermier seul, ce qui rentrerait dans le cas de l’art. 2240. » M. Vazeille, Traité des prescriptions, dit aussi "que le fermier ne peut, à l’aide d’un tiers complaisant, s’affranchir de ses obligations et posséder pro suo ; » puis il ajoute qu’on peut invoquer l’art. 2265 et s’en tenir à la règle générale qui proscrit toutes conventions et toutes combinaisons frauduleuses. Les juges, dit-il encore, examinant le nouveau titre, recherchant s’il est l’œuvre de la bonne foi ou de la fraude, pèseront toutes les circonstances qui l’ont amené et qui l’ont suivi. » M. Vazeille ne décide pas aussi positivement que M. Delvincourt, que la mauvaise foi du détenteur précaire dans l’acceptation d’un titre venant d’un tiers empêche même la prescription trentenaire. Il paraît, par la citation qu’il fait de l’art. 2265, qu’il ne s’-explique que relativement à la prescription de dix et vingt ans. Cependant les raisons sur lesquelles il s’appuie nous semblen * — 136 — devoir s’étendre à la prescription de trente ans. M. Trop- long, de lu Prescription, n° 507, est d’un avis contraire; mais nous ne saurions partager son opinion. Aucun changement n’est en effet survenu dans la position du détenteur précaire, puisque, ayant d’abord accepté ce titre de celui qu’il a reconnu propriétaire, il ne trouve dans l’acte postérieur du tiers rien qui y soit opposé; au contraire, la conviction de l’absence de tout droit de la part de celui-ci ne peut qu’ajouter à l’opinion qu’il s’était faite du droit du premier. On n’aperçoit dans la réalité qu’un fait frauduleux du détenteur précaire lui-même. Le principe que la fraude faitt-exception à toutes les règles et la disposition de l’art. 22/jO du Code civil qui veut que nul ne puisse par son seul fait changer la causé de sa possession, nous semblent devoir ici recevoir leur application. M. Carré, dans un passage de la page 399, que nous avons rapporté au commencement de cet article, semble partager notre sentiment. Il suppose une exception à la règle qui dispense le demandeur en complainte de la condition de bonne foi, et cette exception ne peut s’entendre que du cas qui nous occupe en ce moment. M. Belime adopte d’une manière formelle notre solution. Nous avons développé tout récemment cette doctrine dans une consultation relative à une affaire fort importante. Relativement à l’interversion de titre par la contradiction opposée aux droits du propriétaire , M. Delvincourt s'exprime ainsi u II faut qu’il y ait eu contradiction. Ainsi, comme nous venons de le dire, un fermier, eût-il été cinquantê ans sans payer de fermages, n’a point interverti son titre s’il n’a pas été poursuivi. Seulement l’action en paiement est prescrite pour toutes les années 137 — antérieures aux cinq dernières art. *2277. Mais si, assigné en paiement des fermages, il a refusé se prétendant propriétaire, il a interverti, et peut dès lors prescrire pourvu que le propriétaire ne fasse aucunes poursuites ultérieures. On ne peut dire qu’il s’est changé à lui seul le titre de sa possession. Le propriétaire est censé y avoir concouru par la cessation de poursuites Qui non prohi- het, cum prohibere possit, consent ire videtur. » D’après ce que nous avons déjà dit, on pourrait encore trouver la contradiction en certains cas dans des dispositions, travaux et constructions que le propriétaire seul est censé vouloir et pouvoir exécuter ; mais il faudrait aussi qu’ils aient eu lieu avec intention manifestée au propriétaire ou à son représentant d’opposer une contradiction réelle aux droits de celui-ci. Ici il n’y a pas à rechercher, connue pour le premier genre d’interversion, si le détenteur est de bonne ou de mauvaise foi dans la contestation du droit du propriétaire, puisque c’est contradictoirement avec lui que cette contestation a lieu. Il nous reste à faire l’application de ces principes aux actions possessoires. Le détenteur précaire qui aura acquis d’un tiers et sera en possession de bonne foi depuis un an avant le trouble, ou qui depuis le même temps aura fait des actes ou des travaux emportant contradiction aux droits du propriétaire, pourra certainement intenter la complainte contre quiconque le troublerait, même contre celui dont il tenait originairement sa détention ; on ne pourrait lui opposer que, ne s’étant pas écoulé dix, vingt ou trente ans depuis ces faits, il est impossible qu’il ait acquis la propriété par la prescription, car ce serait cumuler le pétitoirc et le possessoire. 11 répondrait d’ailleurs que le bail, le dépôt, l’antichrèse supposaient la pro- — 138 — priété, mais ne la prouvaient pas ; qu’il était incertain lequel des deux était réellement propriétaire ou de celui qui n’avait conféré qu’une détention précaire ou de celui qui avait vendu, et qu’en attendant que le débat fût jugé sur ce point, il importait de conserver ou de rendre la possession à celui qui l’avait eue pendant l’année antérieure au trouble. Si le défendeur produisait le titre précaire pour repousser l’action en complainte, le demandeur opposerait avec succès ses actes d’acquisition ou de contradiction ; en les examinant, le juge de paix ne ferait qu’apprécier le caractère, la qualité de la possession et ne sortirait nullement de ses attributions, pas plus que s’il s’agissait d’apprécier des actes ayant trait à la jouissance, par exemple, des baux qui servent toujours à établir la possession annale comme h combattre le fermier qui poursuivrait en son propre nom. Toutefois, ce que nous avons dit de la nécessité de la bonne foi de la part du détenteur précaire qui a obtenu un acte d’un tiers pour opérer l’interversion de son titre originaire, doit être entendu sainement et appliqué avec discernement; puisqu’il suffit, d’après l’art. 2269, que la bonne foi ait existé au moment de l’acquisition, on ne pourrait opposer la mauvaise foi survenue postérieurement, eût-elle même duré pendant toute l’année immédiatement antérieure au trouble ; cela est conforme à la maxime Muta fides superveniens non interrompit usuca- pionem. Il faudrait toujours remonter à l’époque où la possession a commencé pour en apprécier la valeur, et par conséquent cette possession serait inefficace si le détenteur avait été de mauvaise foi dans l’origine, bien que — 139 — pendant l’année qui a précédé le trouble il eût pu être de bonne foi ; cette dernière circonstance ne lui serait d’aucun secours s’il ne s’y joignait un nouveau titre ou un acte d’interversion. La bonne foi des héritiers du détenteur précaire qui croiraient à la sincérité de l’acte émané du tiers ne les mettrait pas à l’abri de l’application de l’art. 2237 du Code civil. Il en serait ainsi même en cas de vente ou de toute autre transmission de sa part dans la chose que l’un des héritiers consentirait à l’autre. En règle générale, du reste, lorsque la bonne foi est requise pour faire acquérir une possession valable, et que le tiers invoque la possession de son auteur, la mauvaise foi de celui-ci lui est nuisible, s’il est son successeur universel ou à titre universel ; mais non s’il est successeur à titre particulier, et alors il peut argumenter de sa bonne foi personnelle qui serait sans conséquence dans le premier cas. Dunod, Traité des prescriptions, p. l ro , chap. 8, p. /i3 et hh ; MM. Delvincourt, Troplong, Vazeille; M. Favardde Langlade, Rép., Y 0 Prescription, p. 411. Le contrat appelé constitut, par lequel le détenteur précaire en vendant prend la chose à bail ou s’en réserve l’usufruit, n’est pas considéré comme fait de bonne foi ;’il ne peut profiter ni au vendeur ni à l’acquéreur. Il n’opère aucun changement dans leur situation Tiraqueau, Constitut posses ., p. 3 ; Dargentré, Coût, bret., art. 265, ch. 2 et 6. Mais du jour où la jouissance du détenteur précaire cesserait et où celle de l’acquéreur commencerait, celui-ci aurait-il une possession valable et servant de base à la prescription? Non, sans doute. — HO — Nous ne croyons pas que le détenteur précaire qui aurait donné la chose à l’un de ses enfants ou à des étrangers pût trouver une cause d’interversion de sa possession primitive dans le retour qui en aurait lieu en ses mains, soit par application de l’art. 7/i7, soit en vertu de l’art. 951 du Code civil. Nous croyons que l’on pourrait, dans le sens de l’article 2238, considérer comme tiers celui auquel plus tard les détenteurs précaires seraient appelés à succéder et que l’acte venant de lui tel que donation entre vifs, vente ou échange, établirait une interversion très-valable. Car si, aux termes de l’art. 2237 les héritiers des détenteurs précaires ne peuvent recevoir de ceux-ci un titre capable de servir de base à la prescription, la loi n’a pas ajouté que ces derniers n’en pourraient accepter de ceux dont ils hériteraient et qui, avant l’ouverture de la succession, sont nécessairement des tiersàl’égard delà personne qui a concédé la jouissance précaire. Nous avons déjà dit que l’acquéreur, le donataire ou légataire à titre particulier des détenteurs précaires pouvaient prescrire aux termes de l’art. 2239 du Code civil, lors même qu’ils étaient héritiers présomptifs, pourvu qu’ils renonçassent à la succession. Nous verrions un titre particulier susceptible de recevoir l’application de cet article dans l’option faite pour les biens présents par un donataire de biens présents et à venir qui userait ainsi de la faculté établie par l’art. 108A, puisqu’il ne serait pas héritier, et même dans une démission de biens, pourvu que, dans ce dernier cas, celui en faveur duquel elle aurait été faite renonçât à la succession pour s’en tenir au bénéfice de la démission. Mais si le contrat consenti par le détenteur précaire à — U1 — un tiers était résolu ou annulé, celui-ci resterait sans aucun droit ; il ne pourrait même prescrire et la possession serait censée n’avoir jamais changé de mains ; la détention précaire n’aurait pas cessé. Le véritable propriétaire n’aurait rien perdu. Il en serait de même si le titre que le tiers a donné était nul ou résolu ; il serait censé n’avoir jamais existé ; en conséquence, il n’y aurait pas d’interversion; le détenteur précaire resterait avec son premier titre. Mais le juge de paix pourrait-il rechercher la nullité, et s’en servir pour rejeter la Complainte? L’affirmative est évidente. Sans le second titre, la possession du demandeur serait inefiicace. C’est lui qui le soumet au juge pour détruire le vice originaire de cette possession ; il faut bien que le juge puisse l’apprécier sans nuire toutefois à l’action pétitoire. S’il en était autrement, on pourrait tous les jours, pour éluder la loi, se faire passer un contrat qui n’engagerait à rien, parce qu’on y omettrait une formalité essentielle ; on s’en servirait pour se faire maintenir provisoirement en possession, et devenir même propriétaire, parce que le défendeur ne pourrait peut-être au pétitoire faire de preuve suffisants de ses droits. § 3. Possession continue et non interrompue. On distingue la possession continue, non interrompue et non suspendue. Au premier aspect, les deux expressions continue et non interrompue sembleraient rendre la même idée; mais comme il ne faut rien supposer d’inu- \ tile dans la loi, il est indispensable de trouver un sens particulier à chacune d’elles. Le mot continu nous semble '! destiné manifester l’intention du législateur, d’exiger — U2 — une réunion de circonstances et non un fait isolé, et une possession qui n’ait pas été abdiquée ou abandonnée par celui qui l’exerce. Il est général et convient à tous les droits, à tous les biens, à la propriété comme aux servitudes, puisqu’aux termes de l’art. 2228 du Code civ., la possession est la détention d’une chose ou d’un droit. Différentes causes suspendent la prescription, t’effet de la suspension est bien distinct de celui de la discontinuité et de l’interruption. Lorsqu’il y a discontinuité, il n’y a jamais eu de possession. Quand il y a interruption, la possession antérieure, quoique ayant eu une existence réelle et légale, est cependant aussi, à partir de l’interruption, considérée comme n’ayant jamais existé ; tandis que, dans la suspension , le temps antérieur s’ajoute au temps couru après la cessation de la suspension ; c’est seulement la période de la suspension qui est inutile. Les art. 2251 à 2259 du Code civil déterminent les différents cas de suspension. Celui qui, avant la cause de suspension, n’a pas une année de possession, ne peut la compléter dès que cette cause survient, et il ne peut intenter l’action possessoire; la possession appartient ensuite à un autre qui, après une année de jouissance, pourra, par lui-même ou par l’entremise de son représentant, intenter cette action. Du reste, la continuité s’applique à celui qui possède, tandis que l’interruption indique le fait d’un autre qui aurait apporté quelque obstacle à cette possession. C’est à celui qui invoque la possession annale comme fondement de la complainte, à prouver positivement quelle a été continue ; au contraire, c’est à celui contre qui une telle U3 — justification est faite, à, établir que cette possession a été interrompue soit naturellement, lorsque le possesseur a été troublé par celui qu’il attaque ou même par un tiers, soit civilement, par une réclamation judiciaire. D’après l’art. 688 du Code civil, les servitudes continues sont celles dont l’usage est ou peut être continuel, sans avoir besoin du fait actuel de l'homme; tels sont les conduites d’eau, les égoûts, les vues, parce qu’en effet, quoique l’eau ne coule pas toujours, quoiqu’on ne regarde pas constamment, cependant les choses restant dans le même état, et l’écoulement, ainsi que l’exercice du prospect, pouvant avoir lieu à chaque instant, au moment où l’on s’y attend le moins, la gêne, la charge sont les mêmes pour le propriétaire du fonds servant, soit que le créancier en fasse usage, soit qu’il ne s’en serve pas. Les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées ; tels sont les droits de passage, puisage, pacage. La différence des actes de possession des unes et des autres est essentielle; quoique, depuis un an, l’eau n’ait pas coulé, ou qu’on n’ait pas regardé par la fenêtre, si cependant l’égoût, la conduite d’eau, lafenêtre ont existé, la possession de la servitude est incontestable ; elle a été conservée par la servitude elle-même, tandis que, si le passage, le pacage, le puisage n’ont pas été exercés pendant un an, la possession peut être perdue. La distinction entre la possession continue et celle qui ne l’est pas, a une utilité spéciale en matière de servitudes; si pour l’acquisition de la propriété d’un fonds par prescription le fait et l’intention sont nécessaires dans le principe, l’intention sans le fait suffit dans la suite pour la conserver; quoique le dernier fait de possession remonte à une époque très-ancienne, la possession n’en subsiste pas moins tant qu’un tiers ne s’en est pas emparé. Cela s’applique à plus forte raison aux servitudes continues et apparentes qui se conservent par l’existence matérielle des ouvrages qui les constituent; mais il en est autrement des servitudes discontinues, qui, ainsi que nous le verrons, se perdent par cela seul qu’on a cessé de les exercer, et que le dernier fait d’usage date de plus de trente ans. le ce que nous venons de dire, il résulte que, bien que la continuité de la possession soit exigée pour l’acquisition et la conservation de la propriété et des servitudes, les caractères en sont un peu différents, suivant qu’il s’agit de l’un ou de l’autre objet. Ainsi, pour acquérir la possession d’une chose, il faut la volonté jointe au fait delà détention Adipiscitnur posses- sionem corpore et animo, ncque per se animo aut per se corpore. L. 3, § 1, ff. de acq. possessione. Mais la possession , une fois acquise de cette manière, peut être conservée par la seule intention Licet possessio nudo animo acquiri non possit, tamen solo animo retineri potest. Cette volonté de retenir la chose, dit Pothier, Traité de ht Possession, n° 55, se suppose toujours, tant qu’il ne paraît pas d’une volonté contraire bien marquée. C’est pourquoi, quand même une personne aurait abandonné la culture de ses héritages, elle ne serait pas pour cela censée avoir la volonté d’en abandonner la possession ; elle serait donc présumée avoir la volonté de la retenir, et elle la retiendrait-en effet Si ergo prtediorum désertant possessionem non derelinquendi affectione transacto tempore non cnluisti, sed rnetu aut necessitate culturcm eorum dislulisti, prajudicium ex transmissi temporis injuria generari non potesl. » L. h, IL de acq. possessione. M. Troplong professe les mêmes principes Le propriétaire, dit-il, Traité de la prescription, n° 337, peut laisser ses héritages en friche, ses maisons sans réparations et sans locataires ; c’est là l’abus de la liberté ; mais ! la possession originaire qui se sera jadis fixée sur sa tête se perpétuera indéfiniment, tant qu’il ne se sera pas livré à des actes plus certains d’abdication de son droit. La continuité juridique de cette possession sera incontestable, et l’on ne sera pas fondé à exiger qu’il en ait donné au public des signes extérieurs, puisque le public n’a élevé aucune prétention sur la chose, et que, ne le troublant pas, il est censé reconnaître en lui un propriétaire légitime. » Quelques développements aideront à faire une saine application de ces principes. Aux termes de l’art. 22/i3 du Code civil, il y a interruption de possession lorsque le détenteur est privé pendant une année complète de la jouissance de la chose, soit par l’ancien propriétaire, soit même par un tiers. Point de doute, dans ce cas, que la possession, malgré l’intention de la conserver, ne soit perdue pour le détenteur primitif, et acquise à celui qui depuis a joui de la chose pendant une année entière. En principe général, c’est à celui qui allègue la possession à la prouver, et, par conséquent, cette preuve doit comprendre tout le temps déclaré nécessaire à l’acquisition des droits. Cependant, l’art. 223/i du Code civil fait exception à cette règle, en dispensant celui qui possède actuellement et qui prouve avoir possédé ancien- fltement, de prouver sa possession intermédiaire; elle est alors présumée, et c’est sur l’adversaire que l’obligation d’établir le contraire est rejetée. Cet article, du reste, ne fait que reproduire un principe enseigné par tous les docteurs Ohm possessor, hodie possessor prcesu- mitur; et ex possessione de prœterito argiritur possessio de prœsenti et medii temporis, nisi contrariumprobetur ; pro- batis extremis, prœsumuntur media. Ce qui ne doit pas s’entendre d’une preuve négative qui serait repoussée par la raison et les principes, mais de la preuve positive de la possession par cet adversaire. Mais il ne faudrait pas conclure de cette disposition, qu’il n’y ait que la possession intermédiaire qui se conserve par l’intention. La loi n’a point prononcé l’exclusion de la possession intentionnelle qui termine le délai qu’elle a marqué ; elle a seulement voulu intervertir les rôles ; si, dans le premier cas, le possesseur est dispensé de la preuve rejetée au contraire sur celui qui l’attaque, dans le deuxième il y est tenu, et celui-ci n’a rien à établir qu’une justification contraire. Nous répéterons donc qu’une possession qui n’a consisté que dans l’intention pendant l’année qui a précédé le trouble, peut, si elle a pour base une possession réelle ou de fait antérieure, autoriser l’action en complainte contre celui qui n’a pas détenu réellement pendant l’année la chose en litige. Le juge de paix peut rechercher la possession remontant à plus d’un an avant le trouble, comme il peut consulter d’anciens titres ou se déterminer par la vue des lieux, bien qu’ils aient été mis depuis longtemps dans l’état qui influe sur sa décision. De ce principe que la possession se continue par la seule intention, il suit nécessairement qu’il n’y a pas — 147 — d’interruption quand on use d’une chose selon sa nature et sa destination, bien que les actes de jouissance n’aient lieu qu’à des époques éloignées. La cour de cassation a décidé, par un arrêt du 5 juin 1839, que lorsqu’une chose n’est pas susceptible d’une jouissance continue, mais seulement périodique par exemple, lorsque la jouissance porte sur la récolte de certains produits qui ne se manifestent qu’à intervalles, comme le varech qui croît sur les rivages de la mer , la possession du droit de faire cette récolte est continue et non interrompue, dans le sens de la loi, si elle a été faite toutes les fois qu’elle était possible et qu’il y avait lieu de la faire, il faut donc, pour s’assurer de la continuité de la possession, examiner surtout la nature de l’objet auquel elle s’applique car, aux termes de l’arrêt précité, la possession qui ne peut se manifester qu’à de certains intervalles par des faits distincts, plus ou moins séparés, n’en est pas moins continue par cela seul quelle a été exercée dans toutes les occasions et à tous les moments où elle devait l’être, et qu’elle n’a point été interrompue soit par la cessation absolue des actes, soit par des actes contraires ou émanés de tiers. » Ainsi il est des eaux dont on n’use que dans une saison de l’année, par exemple en été, ou qu’une seule fois dans l’année, ce qui n’empêche pas d’avoir la possession annale. On en trouve plusieurs exemples au titre du Digeste de aq. quotidiana et cestiva L. l rc . La loi 3, de aq. vel amit. pas., applique le même principe aux pâturages Saltus hibernos œstivosque animo possidemus, quamvis eos certis temporibus relinquamus. Et la Glose dit avec raison que cela s’étend à tous les fonds; ainsi, par exemple à une maison de campagne qu’on n’habite qu’en été, Ce que nous venons de dire doit s’appliquer à toutes les propriétés dont on ne jouit ou dont on ne recueille les fruits qu’à de longs intervalles, comme des bois taillis, des futaies, des émondages, des haies, des fossés. Dans tous ces cas, il suffirait à un particulier de prouver que le dernier acte de jouissance, la dernière exploitation de la chose ont été faits par lui, fût-ce à une époque de dix ou vingt ans, pour être fondé à intenter complainte contre celui qui Je troublerait, pourvu que celui- ri n’eût pas à lui opposer une possession annale plus récente. C’est aussi l’opinion de Pothier, Pos., n° 53; de d’Argentré, Prêt., n° 105, et de M. Troplong, Traité de la Prescription. Il faut en dire autant lors même qu’ordinairement on jouit de la chose à des époques plus rapprochées, comme si un bois s’exploitait tous les deux ans, et qu’il n’ait pas été coupé. depuis trois ou quatre ans. On doit admettre la même solution pour le cas où il n’y a pas d’époque déterminée pour l’exercice d’un droit, par exemple lorsque ce droit consiste à prendre des pierres ou des terres dans une carrière, pour réparer un bâtiment toutes les fois que la nécessité s’en fera sentir. En effet, la continuité que veut la loi n’est pas le fait qui opère sur les choses à tous les instants. Il n’est pas exigé que l’on soit toujours occupé à cultiver, à récolter. Domat sect. l r % tit. 7, liv. 3, n° 6 dit avec raison Quoique la possession renferme la détention de ce qu’on possède, cette détention ne doit pas s’entendre de sorte qu’il soit nécessaire qu’on ait toujours ou sous sa main ou sous sa vue les choses dont on a la possession. » Je suis censé, dit Pothier, Traité c/ç la possession, n° 41, avoir acquis la possession cle tout l’héritage aussitôt pie j’v suis entré et que j’y ai mis le pied , ou par moi-même ou par quelqu’un de ma part, sans qu’il soit nécessaire que ni moi ni celui que j’ai envoyé de ma part, nous nous transportions sur toutes les pièces de terre dont l’héritage est composé Quod dicimus et cor- porc et animo acquirere nos debere possessionem non utique, Ha accipiendum est, id qui fundtim possidcre velit, omnes glebas circumambulet, sed suffwit quamlibct partem ejus- fundi introire dum mente et cogitatione hæc sit, ut tolum fundum usque ad terminum velit possidere. L. 3, g 1, ff. de acq. pos. delà a lieu, ajoute Pothier, à l’égard de celui qui acquiert la possession d’un héritage que l’ancien possesseur consent de lui abandonner. 11 en est autrement d’un usurpateur qui s’empare par violence d’un héritage dont il chasse l’ancien possesseur ; cet usurpateur n’acquiert la possession que pied à pied des parties de l’héritage dont il s’empare Si cum magna vi ingressus est exer- citus, eam tantum modo partem quam intraverit obtinet. » L. 18, § h , ff. de T. La chambre civile a encore rendu, le 15 février 1841, un arrêt qui fortifie la doctrine que nous enseignons. Voici l’espèce Lu acte d’échange du 1 er juillet 1757, passé entre le sieur Lebrun de Nouant et les auteurs du sieur Conchon, porte que le sieur de Nonant aura sur la terre de Combes par lui cédée toutes les aisances nécessaires et convenables pour aller à son étang de Combes, et que les sieurs Conchon seront tenus de laisser l’espace de trois pieds de terrain entre la terre de Combes et le tertre qui la sépare — 150 — de l’étang, et que ce tertre restera toujours en nature sans pouvoir être défriché en aucune façon. Les choses demeurèrent en cet état jusqu’en 1835. Mais à cette époque, le sieur Conchon ou son fermier défrichèrent et ensemencèrent l’espace réservé entre la terre de Combes et le tertre, ainsi qu’une partie du tertre lui-même. Dans le cours de \ 836, et avant la révolution d’an et jour, une demande en complainte possessoire fut formée par le sieur Dumont, successeur du sieur de Nouant. A la suite d’enquête et de visite de lieux, le juge de paix prononce la maintenue possessoire au profit du sieur Dumont, en considérant que le sentier dont il s’agit a été cultivé dans toute son étendue, et le tertre dans une longueur de cent quarante-huit mètres, et que cependant il fut stipulé par une clause spéciale de l’acte d’échange du 1 er juillet 1757 qu’ils ne seraient point cultivés. Appel par le sieur Conchon. Le 16 janvier 1837, jugement infirmatif du tribunal d’Aubusson, en ces termes Attendu que, d’après l’art. 23 du Code de procédure civile, la complainte possessoire ne peut être formée que par celui qui possède le terrain contentieux depuis une année au moins ; qu’ainsi le demandeur devait prouver qu’il avait possédé les tertre et chemin dont il s’agit depuis un an avant le trouble, preuve qui ne résulte nullement de son enquête ; Attendu qu’en déduisant le droit de l’intimé d’un acte d’échange de 1757 sur une question relative à la dernière possession d’un chemin et d’un tertre réclamés comme propriétés foncières, et non à titre de servitude, le juge de paix est sorti des règles du possessoire, et a — loi — véritablement jugé une question de possession, par des motifs tenant exclusivement au pétitoire. » Pourvoi en cassation de la part du sieur Dumont, pour violation des art. 2228 du Code civil et 23 du Code de procédure 1° en ce que le tribunal a jugé que la maintenue plus qu’annale en nature de friche, d’un terrain qui avait expressément cette destination, et auquel il était interdit d’en donner une autre, ne constitue pas, au profit de celui en faveur de qui cette destination a été stipulée, une jouissance susceptible de servir de fondement à une action possessoire; 2° en ce que, d’après le môme jugement, le juge de paix n’a pu consulter les titres pour éclairer la possession. La cour suprême a accueilli le système du demandeur en cassation par un arrêt contenant les motifs suivants La cour ; — Vu les art. 2228 du Code civil et 23 du Code de procédure civile ; Attendu, en droit, 1° que la loi n’exige pas la possession matérielle comme condition rigoureusement indispensable de l’exercice des actions possessoires ; qu’en effet, suivant la définition donnée de la possession par l’art. 2228 du Code civil, un droit chose essentiellement incorporelle peut faire la matière de la possession, et par conséquent de l’action en complainte possessoire, autorisée par l’art. 23 du Code de procédure civile, si celui auquel ce droit appartient a été, depuis moins d’un an et jour, troublé dans sa jouissance, et que, par une application évidente de ce principe, le sieur Dumont a pu considérer la mise en culture par Conchon et Tanton des terrains litigieux comme un trouble porté à la possession dans laquelle il soutenait que lui et ses auteurs sont, depuis 1757, du droit de maintenir en état de non culture — 1S2 le tertre et le sentier régnant le long de son étang ; 2° que le juge du possessoire a toujours le droit, et souvent même l’obligation de consulter les titres, non pas pour reconnaître l’existence ou la non-existence du l'ait de possession, mais pour apprécier la nature et le caractère de cette possession dont il est juge ; qu’en cela, il ne sau rait contrevenir à la prohibition de l’art. 25 du Code de procédure civile, qui défend de cumuler le possessoire et le pétitoire, et qu’en jugeant le contraire, le tribunal d’Aubusson a faussement appliqué l’art. 25 du Code de procédure civile, en même temps qu’il a violé l’art. 23 du même Code et l’art. 2228 du Code civil. » Ine raison d’analogie va nous guider en matière de servitudes discontinues. L’art. 706 du Code civil fait résulter l’extinction des servitudes du non usage pendant trente ans ; cette disposition ne s’applique qu’aux servitudes conventionnelles. Les servitudes naturelles et légales fondées sur la nécessité ou l’utilité publique doivent toujours être maintenues. Le point de départ de cette prescription extinctive varie suivant que la servitude est continue ou discontinue ; dans le premier cas, la prescription commence du jour où l’on a cessé d’en user ; dans le second, de celui où l’on a fait un acte contraire à la servitude. Les actes contraires à la servitude peuvent émaner indistinctement du propriétaire du fonds dominant ou du propriétaire du fonds servant, puisque la loi est conçue dans les termes les plus généraux, qui s’expliquent par la nature même des choses. Mais le moment où l’on a cessé d’user des servitudes discontinues n’est pas toujours facile à déterminer. Il y a des servitudes dont on ne fait usage qu’à de longs intervalles, tous les deux, cinq, dix ou vingt ans ; le droit romain doublait en ce cas le temps de la prescription; mais la généralité des ternies de notre Code civil nous porte à décider qu’il n’v a pas d’exception ni d augmentation de délais pour ces servitudes; qu’on ne peut faire courir la prescription seulement du jour où le dernier acte de jouissance aurait dû avoir lieu; que, s’il s’est écoulé trente ans depuis le dernier acte de possession, l’extinction est incontestable; qu’ ainsi l'intention ne peut jamais les conserver au delà de ce terme ; telle est aussi l’opinion de M. Pardessus, r/e,s Servitudes, n° 305, rjue nous préférons à celle de M. Belime. Nous ne ferions exception que dans le cas où le titre mettrait un intervalle de plus de trente ans entre les actes d’exercice de la servitude. Toutefois, tant que la servitude ne serait pas prescrite, nous accorderions au créancier l’exercice de l’action pos- sessoire, quoique le dernier fait remontât à plus d’une année. 11 ne nous paraîtrait avoir perdu l’avantage de la possession annale qu’autant qu’il aurait laissé passer l’époque lixée sans user de la servitude, ou qu’il n’en aurait pas fait usage lorsqu’elle lui était nécessaire, dans le cas où, aucune époque n’ayant été déterminée, il aurait été convenu d’une manière générale qu’il pourrait s’en servir toutes les fois qu’il en aurait besoin. Ces principes nous semblent avoir été consacrés par un arrêt de la chambre des requêtes, du A juillet 1838, dont, nous en convenons, la rédaction pourrait être plus développée et plus explicite. 11 s’agissait d’une servitude de tour d’échelle et de passage pour la réparation d’une maison. Le contrat indiquait le lieu de passage et défendait de — 134 passer ailleurs. Cependant le créancier voulait se faire maintenir clans la possession de passer par un autre lieu. Le débiteur de la servitude soutint que le tour d’échelle et le passage étaient prescrits par le non-usage pendant plus de trente ans ; que d’ailleurs, quant au passage , il était, ainsi qu’on en convenait, contraire au titre ; que l’ancien était prescrit sans que le nouveau ait pu être acquis par la possession ; qu’en supposant, comme on le prétendait, qu’on eût passé et posé des échelles, fait des réparations, cinq ou six ans avant le trouble, on n’avait pas de possession annale. Mais ce système a été repoussé. Les tribunaux ont jugé que la servitude de passage n’était qu’un accessoire; que le lieu avait pu en être changé, puisque l’ancien était fermé ; que la réparation faite cinq ans avant le trouble suffisait; que la possession était conservée par l’intention, tant qu’on n’avait pas besoin cl’user de la servitude. Telle est aussi l’opinion de M. Dalloz, Rèp ., V° Prescription, qui combat sur ce point avec raison M. Vazeille. M. Dalloz combat encore avec autant de raison la conservation absolue de la possession par de simples vestiges. Il dit, et nous partageons son avis, que leur existence ne l’entraîne pas de plein droit; qu’ils peuvent seulement servir à faire une preuve plus marquée de l’intention ; mais que c’est aux tribunaux à, apprécier toutes les circonstances qui la font reconnaître, sans que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire soit soumis à une règle fixe, à aucune limite. La cour de cassation a, le 25 janvier 1835, rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de la cour de Grenoble, qui avait décidé que la seule existence de la martelière d’un moulin à foulon avait conservé la possession et le droit au cours d’eau, par le motif que cet arrêt n’avait fait qu’une appréciation d’actes et de faits abandonnée au pouvoir discrétionnaire des juges. La servitude ne serait pas éteinte si le créancier avait usé plus ou moins que ne porte son titre. Seulement, dans le premier cas il n’aurait pas acquis ce qui dépasserait son droit, mais dans le second il aurait perdu la partie qu’il n’aurait pas exercée; s’il avait usé autrement qu’il n’en avait le droit, il aurait perdu la servitude ; car il y a une grande différence entre faire plus ou moins ou faire autre chose. Pardessus, n° 304; Belime, n° 171. Celui qui a droit de passage à cheval aurait fait moins s’il avait passé à pied et plus s’il avait passé en voiture. On ferait autre chose en puisant à une fontaine différente de celle sur laquelle la servitude a été constituée. Après une année de changement dans le mode de la servitude, le créancier aurait perdu la possession ; le propriétaire aurait acquis celle de franchise de son fonds ou de réduction de la servitude, et pourrait intenter complainte pour s’y faire maintenir. Lorsque l’on s’oblige à une servitude et que le créancier n’en a jamais usé, la prescription trentenaire court du jour du contrat, sans distinction entre les différentes servitudes. Après une année révolue depuis la concession, le propriétaire du fonds aurait l’action possessoire contre tout ouvrage qui aurait l’exercice de la servitude pour objet. Mais, dans ce cas comme dans tous les autres, le créancier de la servitude pourrait, après avoir perdu la possession annale, l’acquérir de nouveau et se fonder sur cette nouvelle possession pour intenter l’action possessoire. Les servitudes discontinues se conservent non-seulement par le fait du créancier même, mais encore par celui d’un usufruitier, d’un mandataire, d’un parent, d’un ami, d’un domestique, d’un possesseur de bonne ou de mauvaise foi et par celui d’un co-propriétaire par indivis. 11 suffit d’un fait isolé de jouissance dans l’espace de trente ans pour empêcher la prescription ; par exemple, celui qui aura passé, puisé ou fait pacager une seule fois durant cette période, aura conservé la servitude. Le propriétaire du fonds ne pourrait prétendre qu’il s’agit d’une prescription acquisitive, seul cas auquel s’applique l’art. 2243 du Iode civil ; ici la prescription est libératoire , et l’art. 706 est général. La possession n’est point interrompue au préjudice du détenteur par un événement de force majeure qui en empêche l’exercice ; par exemple, par une inondation provenant des eaux de la mer ou d’une rivière, eût-elle même duré une année. L’art. 2243 du iode civil, en effet, ne fait pas résulter l’interruption d’une privation quelconque de la chose, mais seulement de la prise de possession, soit par l’ancien propriétaire, soit par un tiers. Ces principes ont été adoptés par arrêt de la cour d’Amiens du 17 mars 1825, et par celui de la cour de cassation du 21 juillet 1828, qui a rejeté le pourvoi formé contre le premier. Dalloz, 1828, p. 341. Les lois romaines donnaient une solution semblable dans le cas d’occupation d’un fonds ou de changement de lit d’un fleuve, ou dans celui où le dessèchement d'une source empêchait l’exercice d’une servitude de prise d’eau. L. 4, inp., quem. serv. amitt., et 1. 35, de sen\ prœd. rust. § U. Possession paisible. N* 1. Observations générales. Les lois romaines n’ont pas donné la définition de la possession paisible. Pothier De la prescription , n° 38 l’assimile entièrement à celle qui n’est pas interrompue. Mais le Code civil met entre l’une et l’autre quelque différence, puisqu’il exige que la possession , pour être valable, soit tout à la fois non interrompue et paisible. Cette différence ressort d’ailleurs de la nature des choses. Suivant les art. 2243, 2244 et 2247, la possession n’est interrompue que par une jouissance contraire de plus d’un an ou par une demande en justice. Si l’opinion de Pothier était admise, l’exigence du législateur serait sans objet relativement à la complainte, puisqu’elle est fondée sur une possession simplement annale. D’autres auteurs ont pensé que la nécessité d’une possession paisible signifiait que le détenteur ne devait pas avoir une possession dont le principe fût dû à la violence. C’est, suivant nous, confondre deux caractères essentiellement distincts. Une possession peut n’être pas commencée par la violence, et n’avoir pas été paisible pendant une année, comme elle peut avoir eu ce principe et avoir ensuite été paisible pendant toute l’année. Certes, une possession n’aura pas été paisible, si, avant l’expiration de l’année, un tiers y a apporté un trouble qui, plus tard, aurait autorisé la complainte. Si le détenteur a éprouvé des contradictions de fait, si la jouissance a été disputée, si des fruits lui ont été enlevés sans qu’il ait osé porter plainte; s’il n’a pu se maintenir en possession que par la force ou par l’a- tlresse; si, au moment où il cultivait, il a éprouvé de 1 — 158 — l’opposition ; si l’on a voulu l’empêcher de continuer ou l’expulser; dans tous ces cas, et une multitude d’autres qu’il serait aisé de prévoir, n’est-il pas évident que la possession n’a point été paisible et ne peut servir de fondement à la complainte ? C’est avec raison que la loi a exigé une possession paisible d’une année pour autoriser à, intenter une action soit contre le propriétaire, soit contre le possesseur antérieur qui reprendraient la jouissance d’un immeuble ; attachant à cet état de choses une maintenue, et souvent même la propriété, pour que sa présomption fût raisonnable et pût produire ces effets, il fallait un laps de temps écoulé sans contestation. Que signifie, en effet, une possession qui a pu être contestée dès le principe, qui a pu l’être encore constamment pendant toute l’année ? La possession paisible, exigée pour l’exercice de la complainte, est donc celle qui n’a été troublée à aucune époque de l’année antérieure au fait à l’occasion duquel elle est formée. Or ce trouble peut avoir lieu de deux manières. N” 2. Des diverses espèces de troubles. On connaît deux genres de trouille le trouble naturel ou de fait, le trouble civil ou de droit. Trouble s’entend, dit Loisel, non-seulement par voie de fait, mais aussi par dénégation judiciaire. » On risquerait de s’égarer, si l’on se fiait sans discernement aux anciens auteurs. Ils ne donnent pas des idées assez positives de ces deux genres de troubles et sont d’ailleurs peu d’accord entre eux. D’un autre côté il n’est pas toujours facile de distinguer les faits ou les actes qui opèrent le trouble de fait ou le trouble dé droit, de — 159 ceux qui n’ont pas cet effet. Il importe cependant beaucoup de ne pas se méprendre à cet égard. Il faut faire attention que les atteintes portées à la possession peuvent seules autoriser l’action possessoire; mais non des atteintes à la propriété ou de simples dommages, et qu’on doit avoir soin aussi d’agir dans l’année du trouble, à peine de déchéance d’après l’art. 23 du Code de procédure, dont les termes généraux embrassent également les deuxespècesdetroubles; que cette déchéance serait tellement absolue, que, pour prétendre plus tard au droit d’intenter complainte, il faudrait avoir acquis une nouvelle possession annale, paisible, postérieure au premier trouble et antérieure au nouveau, car l’ancienne ne serait plus d’aucune considération. Une nouvelle source d’embarras découle à cet égard de l’impossibilité où s’est trouvé le législateur de préciser les faits constitutifs des différents troubles et de l’indispensable nécessité d’en abandonner l’appréciation à la conscience des juges. Les doutes devront donc être interprétés par le juge de paix en faveur des parties qui, par prudence, devront être plus aisément portées à intenter leur action qu’à s’en abstenir. Ainsi, un arrêt de la cour de cassation du 16 avril 1833 a décidé que lorsqu’un particulier a détruit, par accident, une clôture, le propriétaire pouvait agir au possessoire, sans que le défendeur puisse écarter son action par le motif qu’il ne conteste pas la possession ; un autre arrêt du 21 avril 1834, décide que le simple fait d’avoir passé avec voiture dans la cour d’un individu constitue un trouble à la possession , de la compétence du juge de paix, bien que la propriété et la possession du demandeur ne soient pas contestées. — 160 — ti 11 y a trouble de fait, dit Bourjon Droit commun de la France, tom. 2, lit. h, chap. 1 er , sect. 1", n°2, lorsqu’un usurpateur se met en possession d’un héritage ou des fruits qu’il produit. 11 y a trouble de droit lorsqu’un tiers saisit entre les mains du fermier ou locataire en se prétendant propriétaire de la chose ; c’est trouble moins marqué que le précédent, c’est trouble de droit, mais qui ne donne pas moins que le premier ouverture à la complainte ; c’est toujours un spolié à réintégrer. » Le même auteur dit ensuite Ie lii il suit que si le possesseur d’un héritage est assigné pour justifier des titres en vertu desquels il possède, il ne peut prendre une telle demande pour trouble, et intenter sur icelle une demande en complainte; ce n’est pas trouble, mais action, et à laquelle il doit défendre comme telle. Il est étrange que le contraire ait pu tomber dans l’esprit de quelques-uns, et qu’ils n’aient pas senti que ce contresens qu’ils donnaient à la loi n’avait point d’objet, et n’opérait autre chose que de multiplier les procédures. En effet, la demande qu’on vient d’exposer est une demande purement pétitoire qui n’emporte aucun trouble de fait ni de droit, n’empêchant pas que le propriétaire ou possesseur ainsi assigné ne fasse toujours les fruits siens , ce qui écarte toute idée de trouble, et par conséquent toute demande en complainte. » Pour être recevable à intenter complainte, dit Bro- deau sur l'art. 90 de la Coutume de Paris, n° 7, il faut être troublé et empêché en sa possession, cessant lequel trouble et empêchement l’on n’a que la simple voie d'action, ce qui ne s’entend pas seulement d’un trouble de fait et d’une dépossession réelle et actuelle de l’héritage, /fil mais aussi du trouble par simples paroles verbales dites judiciairement en plaidant, ou rédigées par écrit dans des actes ou procédures judiciaires par lesquels on débat ou on dénie et révoque en doute le droit et la possession de l’adversaire possesseur, ce qu’il peut prendre pour trouble, former complainte et demander à être maintenu et gardé, comme il se pratique en toutes juridictions, nonobstant que l’auteur du Grand Coutumier, cbap. 31, tienne que paroles ne suffisent pas pour soi complaindre. » Rodier, sur l’ordonnance de 1667, semble n’admettre qu’une espèce de trouble, celui de fait. Le véritable cas de la simple complainte, dit-il, c’est quand il y a quelque trouble de fait qui ne va pourtant pas à nous déposséder. Le trouble civil résultant d’une assignation ou autre acte n’empêche pas la possession; on se défend 1 plutôt dans ce cas par exception. » D’Argentré dit, sur l’art. 106 de la Coutume de Breta- I gne Turbot autem quisquc etiarn per simplicem opposi- tionern. Ideo in foro dicere soient opposition vaut trouble, etiarn si fructibus manum nunquam admoverit. » Et sur I ces mots de l’art. 106 Et se fera le plegement complainte dans l’an et jour du trouble fait ou comminé, » l’auteur ajoute Commine, nain minæ et jactationes etiam verborum turbant quia scilicet obstent possidenti-, ne commode uti re suapossit. » Selon Pothier, Traité de la possession, n° 102 On appelle trouble de fait les differents faits par lesquels quelqu’un entreprend quelque chose sur un héritage dont je suis en possession, soit en le labourant, soit en y coupant les fruits qui y sont pendants, soit en y abattant quelque arbre, ou en arrachant quelque haie, ou en corn- — 162 - , blant un fossé, ou en en y ouvrant un ; je puis prendre pour trouble à ma possession les entreprises faites sur mon héritage, résultantes de quelqu’un de ces différents faits, et en conséquence intenter la complainte contre celui qui les a faites. Le trouble de droit est celui qui résulte de quelque demande judiciaire par laquelle quelqu’un me disputerait la possession que je prétends avoir de quelque héritage par exemple, si quelqu’un, prétendant avoir la possession de quelque héritage dont je prétends de mon côté être le possesseur, donnait contre moi une demande en complainte, étant assigné sur cette demande, je dois lui déclarer que je la prends pour trouble fait à ma possession, en laquelle je prétends être de l’héritage, et lui former de mon côté la complainte, aux fins d’être maintenu dans ma possession, et qu’il lui soit fait défenses de m’y troubler. La voie de la complainte, dit le Nouveau Denisart-, V° Complainte , est ouverte en général pour raison de toute espèce de trouble, de fait ou de droit. » Cependant on ne regarde pas comme trouble dans cette matière la demande formée au pétitoire. Pareille demande ne donne pas lieu à la complainte; c’est ce qui a été jugé par un arrêt rendu au grand-conseil- sur les conclusions de M. Joly de Fleury, le 8 avril 17/i0, entre les sieurs d’Harbouville et le sieur Grasset, curé de Revercourt. » On est troublé, dit Jousse, sur le titre 48 de l’ordonnance de 1667, de deux manières dans la possession d’un bien 4° par trouble de fait, 2° par trouble de droit. Le trouble de fait a lieu lorsqu’on empêche quelqu’un par voie fait de jouir de son héritage et d’en percevoir — 103 — les fruits. Le trouble de droit se fait lorsqu’on forme une opposition ou une demande judiciaire pour empêcher le possesseur d’un bien d’en jouir. » Voilà les anciennes autorités sur la matière. Voici maintenant les principes auxquels, suivant nous, on doit s’arrêter. Et d’abord, le trouble a incontestablement lieu, lorsqu’aux termes de l’art. 22/i3 du Code civil, le détenteur est entièrement dépossédé, car la dépossession totale peut avoir lieu sans violence ou avec violence. Dans le premier cas elle donne lieu à la complainte; dans le second,' à la réintégrande ; c’est le moyen employé pour obtenir le résultat plutôt que ce résultat lui-même qui dé- temine quelle action on doit exercer pour le faire cesser. Le trouble existe également par tous les actes spécifiés aux art. 22 M et 22A8 ; mais ces dispositions limitatives pour l'interruption de prescription ne sont qu’indicatives, lorsqu’il s’agit de rechercher si la possession a été paisible une foule d’autres faits ou actes dont l’appréciation est abandonnée aux tribunaux peuvent aussi empêcher quelle n’ait ce caractère. Il faut même remarquer que le trouble de fait proprement dit consiste le plus ordinairement dans une entrave, une simple gêne apportée à la jouissance, le trouble suffit pour que celui qui l’éprouve soit obligé d’agir dans l’année, s’il veut éviter que son adversaire ne le lui oppose plus tard comme ayant opéré contradiction de ses droits et interversion de titre, ou comme ayant empêché qu’il n’ait eu une possession paisible, nécessaire pour intenter la complainte. Dans le droit romain, il fallait avoir été seulement trou- — 164 — blé pour Intenter l’interdit ntipossidetis; parce qu’il avait pour but de conserver la possession, ce qui le faisait appeler interdictum retinendæ possessionis. On ne pouvait pas en user quand on avait été dépouillé ; on devait avoir recours à celui unde vi. Dans notre droit ancien, on a toujours pu, en cas de dépossession violente, choisir entre la complainte et la réintégrande, mais non dans le cas de simple trouble, qui n’a jamais donné lieu qu’à la complainte ; telle est aussi la règle de notre droit nouveau. De ce que l’art. 23 du Code de procédure n’a pas donné la définition du trouble, il faut tirer la conséquence que les juges peuvent en reconnaître l’existence, quoique le fait cause non un dommage, mais seulement la crainte d’en éprouver par la suite, comme nous l’avons déjà dit p. 33, et que nous le voyons dans trois arrêts de la cour de cassation des 11 juin 1828, 2 décembre 1829 et 22 mai 1833, ou décider qu’il n’y a pas trouble, parce qu’il n’y a ni préjudice actuel, ni possibilité que le plaignant en éprouve jamais, comme on en trouve un exemple dans un arrêt de la même cour, du 1 h août 1832. Il faut encore conclure de l’art. 23, comme la cour de cassation l’a jugé dans des termes formels, par arrêt du 9 janvier 1833, que l’exécution de quelques travaux par un propriétaire peut bien n’être pas considérée comme trouble, et que l’année, pour intenter l’action possessoire, doit courir non du jour où ils ont été commencés, lorsqu’ils sont inoffensifs, mais de celui où les voisins ont éprouvé du dommage des derniers ouvrages. Plusieurs décisions de la cour de cassation nous offrent — 163 — encore des exemples de trouble de fait qu’il importe de signaler. Par arrêt du 27 août 1829, elle a reconnu qu’il y avait trouble dans le fait de la plantation de bornes opérée sur un terrain dont la propriété et la possession étaient revendiquées par l’adversaire. Deux autres arrêts du même jour, 19 novembre 1828, ont décidé qu’il y avait trouble 1° dans le fait d’un des communistes qui faisait clore et ensemencer des pâturages gras et maigres dont les parties avaient toujours joui en commun, et que l’autre communiste était bien fondé à intenter complainte ; 2° dans le fait de creuser un fossé sur un chemin d’exploitation également commun entre plusieurs propriétaires. Dans une autre affaire jugée aussi par la cour de cassation, le 31 juillet 1832, nous voyons que le fait du trouble allégué était le dépôt de fagots fait sur un terrain dont le demandeur se prétendait possesseur. On ne soutint pas que ce fait ne constituait point un trouble. Au contraire, une enquête avait été ordonnée et la complainte avait d’abord été admise. Elle ne fut ensuite repoussée que par une exception dont nous aurons plus tard occasion de parler. Un arrêt du 8 novembre 1836 a décidé que bien que les riverains procèdent, conformément aux règlements , au curage d’une rivière non navigable, cependant, si au lieu de se borner à extraire les matières charriées par les eaux, ils font des travaux de nature à approfondir le lit et à diminuer ou détourner le cours d’eau qui alimente une usine, ils commettent un fait de trouble qui peut donner lieu, de la part du propriétaire de l’usine, à une action possessoire. Un arrêt de la chambre civile, du 3 février I8Z1O, a en- I '/ * • y-, \ \ \ \ \ •. \ •. \ \ *. -. . core jugé qu’il y avait trouble dans le fait de suppression d’une vanne établie pour l’exercice d’un droit d’irrigation ; et que la demande formée à cet égard par les possesseurs troublés était bien une action possessoire tendant à les faire maintenir dans la jouissance de leur droit d’irrigation, et non point une demande ayant pour objet l’exercice d’un droit de servitude discontinue, lequel, n’étant pas susceptible de s’acquérir par la prescription , ne pouvait servir de fondement à, une action possessoire. Enfin, nous trouvons un nouvel exemple de trouble dans l’espèce d’un arrêt rendu par la chambre des requêtes, le 2/i février 18/il La propriété du sieur de Lambilly est traversée par un chemin qu’il avait fait fermer par une barrière mobile fermant à clef, lorsque le sieur Leborgne est passé sur ce chemin avec une charrette attelée. Action possessoire en complainte. Leborgne oppose que le chemin est communal. Enquête. Sentence du juge de paix, qui rejette la demande en maintenue possessoire. Appel. 26 mars 1839, jugement confirmatif du tribunal de Ploërmel, qui considère que le chemin, il y a quatorze ans, était librement pratiqué comme voie publique , entretenu et réparé par le maire de la commune ; que s’il a été intercepté par le sieur de Lambilly, les barrières par lui posées ont été successivement brisées parles habitants; qu’aujourd’hui, à la vérité, il existe une barrière fermant à clé, mais qu’elle n’a pas empêché les habitants de passer sur le chemin sans la permission du sieur de Lambilly depuis moins d’un an ; d’où — 167 — il suit que ce dernier n’a pas une possession annale, paisible, et à titre de propriétaire. » Pourvoi du sieur de Lambilly. Arrêt de rejet, attendu que pour décider que le demandeur n’avait pas eu la jouissance paisible et depuis un an au moins du chemin qu’il revendiquait, et qu’il était dès lors non recevable dans son action, les juges se sont fondés sur des laits résultant d’une enquête faite, dont l’appréciation leur appartenait exclusivement. » lu reste, le simple possesseur a une action correctionnelle ou de police pour faire réprimer le trouble apporté à sa possession , lorsqu’il constitue un délit ou une contravention. Bien que les articles û3/i et suivants du Code pénal, qui prévoient les différentes atteintes aux choses immobilières, soient placés au chapitre des crimes et délits contre les propriétés, la possession n’en suffit pas moins pour autoriser l’action. Ici le législateur a voulu indiquer les choses qui auraient été l’objet du délit, et non restreindre l’exercice du droit qu’on peut y avoir. Mais il faut que la possession soit avouée parle délinquant. S’il la conteste, la justice criminelle doit renvoyer d’abord à fins civiles. C’est ce qu’a décidé la cour de cassation, par arrêt du 11 août 1837. 11 n’est pas nécessaire, dans ce cas, d’avoir une possession annale ; une possession, au moment du délit, est suffisante, sauf aux juges à corriger, par l’application de l’article /i 53 à 11, nous paraît avoir eu sur ce point des idées plus complètes et plus claires. Selon ce jurisconsulte, les actes de pure faculté ne peuvent être que ceux qui se rapportent à la liberté de l’homme dans ses actions, dans la disposition de ses biens, et dans son concours à la jouissance des choses communes à tous, ou destinées à l’usage du public, ou communes à des collections d’individus formant corps ou communauté. Il donne plusieurs exemples Ainsi, que pendant un laps de temps qui excède toute prescription, on ait fait moudre au même moulin, on n’a pas acquis de droit contre le meunier pour le forcer à cette pratique, et on n’a pas perdu le droit d’aller moudre ailleurs. En un mot, l’habitude des actions qui tiennent à la libre volonté des individus ne donne de possession ni pour eux, ni contre eux. Le vain pâturage des communautés d’habitants, sur tous les fonds non clos de leur territoire, après la levée de la récolte, n’est qu’une faculté pour les particuliers. Son exercice ne fait acquérir ni possession ni prescription. Le propriétaire ne peut jamais être empêché de — 195 — clore son terrain, et de le soustraire par ce moyen à la vaine pâture. A l’égard des choses destinées à l’usage du public, chacun a la faculté d’en user en se conformant aux règlements de police ; personne n’a le droit d’en jouir à l’exclusion des autres. Celui qui use davantage n’acquiert pas plus de droit que celui qui use moins, ni que celui qui n’use pas du tout. Mais la possession est collective, et les actes des individus, sans faire acquérir rien de personnel à aucun, constituent et conservent cette possession pour l’état ou pour la commune. » M. Troplong, de la Prescription, n" 38J, enseigne la même doctrine. Il faut donc comprendre, au nombre des facultés bien différentes d’ailleurs des droits, la liberté de faire des actes autorisés par le droit commun, par exemple de bâtir sur son fonds, d’absorber les eaux d’une source qui s’y trouve. Par aucun laps de temps, le propriétaire ne perdra cette liberté ni son voisin n’acquerra le pouvoir de l’empêcher de bâtir ou de disposer de la source. Voilà pour les actes de faculté. M. Vazeille s’exprime ainsi sur les actes de simple tolérance. Il s’établit souvent entre voisins une familiarité ou une complaisance qui fait qu’on s’accorde ou qu’on souffre sur les fonds des facilités et des usages qui, sans en avoir le caractère, peuvent ressembler à des actes de possession. Ils ne font pas acquérir des droits, parce que, comme l’a fort bien dit M. Bigot de Préameneu, celui qui les fait n’entend agir comme propriétaire, ni celui qui les autorise n’entend se dessaisir. La permission ou la tolérance, qui est leur unique fondement, les rend très-précaires, — 196 — très-incertains, et tout-à-fait sans conséquence contre le propriétaire. Ils ont lieu sous son bon plaisir, et il demeure toujours le maître de les faire cesser quand il le trouve à propos. » Tout cela est encore établi par Merlin. La familiarité , dit-il, V° Prescription , sect. 1, § 6, art. h , est une espèce de précaire tacite. Les actes qui en dérivent supposent un consentement qui n’est pas exprimé, mais qui est sans conséquence; et ils n’acquièrent ni droit ni possession, parce que celui sous le bon plaisir duquel ils sont faits demeure toujours le maître de les faire cesser quand il le trouve à propos. En vain donc seriez vous venu pendant vingt,, trente, cinquante ou cent ans, soit loger, soit dîner chez moi, la complaisance que j’ai eue de vous recevoir, de vous régaler, ne formera jamais un titre pour vous ; et jamais elle ne vous donnera le droit de me forcer à la continuer, lorsqu’il ne me plaira plus de le faire. » Et il cite un arrêt du parlement de Bordeaux qui a ainsi décidé la question à l’occasion des prétentions élevées par un chapitre de chanoines qui était depuis plus de cent ans dans l’usage de dîner certains jours de chaque année chez son évêque, et qui voulait faire considérer cet usage comme un droit. Par arrêt du 13 juillet 1775, le chapitre a été débouté de sa prétention. Des faits de jouissance peu importants, et n’occasionnant au propriétaire que peu ou point de dommage ou de gêne, sont facilement présumés soufferts par tolérance ou familiarité. C’est par une juste application de ces principes que deux arrêts de la cour de Riom, des 23 mai 1801 et 2/ — 197 — février 1805, rapportés par MM. Vazeille et Dalloz, qui les approuvent, et un arrêt de la cour de Bordeaux du 28 mars 1831, ont jugé que des faits de vaine pâture et d’enlèvement d’herbages ou de joncs sur un terrain laissé inculte ne sauraient, quelque temps qu’ils aient duré, dépouiller de la propriété de ce terrain celui qui fonde son droit sur des titres. Toutefois, la moindre différence dans les circonstances du fait, peut en amener aussi dans les décisions ; ainsi, deux arrêts de la cour de cassation, rendus le même jour, 8 janvier 1835, ont décidé que le pacage des bestiaux et l’enlèvement des litières sur un terrain qui n’est susceptible que de ce mode d’exploitation, peuvent servir de base à une action en complainte, et doivent, dès lors, être vérifiés par le juge saisi de l’action possessoire relative à ce terrain ; Que le pacage des bestiaux peut être valablement allégué pour établir un droit de co-possession sur un terrain qui n’est susceptible que de ce mode de jouissance. Un autre arrêt, en date du 5 avril 1841, a résolu une question tout-à-fait nouvelle, en matière d’actes de pure tolérance. Il s’agissait de savoir si celui qui était en possession du droit de suspendre une barrière à un arbre de son voisin, au moyen d’un gond accroché à cet arbre, pouvait, après que cet arbre avait été abattu par son propriétaire, demander par une action en complainte à être maintenu dans la possession de ce droit. Un jugement du tribunal de Valognes a résolu la question négativement, par le motif que les propriétaires de l’arbre auquel était suspendue la barrière avaient pu en disposer à leur gré ; et la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre ce jugement, attendu qu’il s’agit — 198 — d’une servitude qui n’a pas été reconnue avoir été établie par une convention, servitude essentiellement périssable avec l’objet que la main des hommes ne pourrait ni réparer ni perpétuer ; et que, dès lors, le tribunal de Valognes a pu considérer en fait cette servitude comme de pure tolérance, d’où il a dû, en droit, tirer la conséquence qu’elle ne pouvait être l’objet d’une action possessoire. » Nous ne rapportons cet arrêt que comme exemple de possession de tolérance , sans nullement adopter la doctrine de la cour sur le droit qui faisait l’objet du litige, droit qui, selon nous, ne peut être considéré comme une servitude. Un autre arrêt de la même cour du 29 août 1831, a décidé que la faculté laissée aux habitants d’une commune par tolérance de l’administration municipale, d’extraire du lit d’un torrent les pierres et le sable que les eaux y déposent, ne confère point à ceux des habitants qui seraient troublés par d’autres dans l’exercice de cette faculté, le droit d’intenter contre ces derniers une action possessoire. g 8. La possession ne doit pas être fondée sur la violence. La violence, en général, est la force dont on use pour contraindre une personne à faire quelque chose, à sous- crii’e une obligation, à s’abstenir d’un acte ou pour s’emparer d’un objet mobilier ou immobilier. Rappelons les diverses dispositions du Code civil relatives à la violence. Art. 1109. Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. — 199 — Art. 1111. La violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation, est une cause de nullité, encore quelle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. Art. 1112. Il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. On a égard, en cette matière, à l’âge, au sexe et à la condition des personnes. Art. La violence est une cause de nullité du contrat, non-seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. Art. 1114. La seule crainte révérentielle envers le père, la mère ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne sufiit point pour annuler le contrat. Art. 1115. Un contrat ne peut plus être attaqué pour cause de violence si, depuis que la violence a cessé, ce contrat a été approuvé, soit expressément, soit tacitement , soit en laissant passer le temps de la restitution fixé par la loi. Art. 1116. Le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres , l’autre partie n’aurait pas contracté. 11 ne se présume pas et doit être prouvé. L’art. 1304 porte que, dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, — 200 — cette action dure dix ans. Ce temps, ajoute-t-il, ne court, dans le cas de violence, que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. » Enfin, suivant l’art. *2233, les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription ; Et la possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé. » Il n’y a pas violence de la part de celui qui, attaqué par la force, emploie aussi la force pour se maintenir en possession. l’im vi repellere licere Cassius scribit idque jus naturel comparatur. Apparet autem inquit ex eo arma armis repellere licere. L. 1, § 27, ff. de vi et vi annota. Jousse, dans son Commentaire de l’ordonnance de 1667, dit que la voie de fait ne suppose pas la résistance , et que la violence, au contraire, la suppose ; mais on ne peut donner cette règle comme absolue. Il n’est pas indispensable, pour que la violence existe, qu’il y ait eu lutte, rixe, voie de fait corporelle. Il suffirait que les dispositions ou les menaces du perturbateur eussent effrayé le propriétaire ou les siens, de manière à le mettre en fuite, à le contraindre à abandonner la chose ou à l’empêcher d’y revenir s’il en était absent ou sorti naturellement. Les lois romaines, notamment la loi l rc , § 29, ff. devi et vi ar. et l’art. 1112 du Code civil, qui parle de crainte d’exposer sa personne ou sa fortune, etc., justifient notre sentiment; la violence morale nous paraît devoir produire le même effet que la violence physique ou matérielle. Du reste, nous ne réduisons pas la violence au seul mo- — 501 — ment où, par voie de fait, l’usurpation a été consommée ; nous l’étendons, par suite du principe ci-dessus, à tout le temps où, par la crainte d’être exposé aux méfaits de l’usurpateur, le possesseur dépouillé a été empêché d’agir. C’est aux tribunaux à fixer cette prolongation de la violence, d’après les circonstances particulières à chaque cause dont ils sont les appréciateurs plus ou moins sévères, plus ou moins indulgents. 11 est facile de se faire une idée de la continuité de la violence. Pendant qu’un particulier labourait un champ survient un tiers qui l’en chasse, jette sur la voie publique ses instruments aratoires, y introduit les siens et se livre à la culture, ou il l’expulse de la maison qu’il occupe, jette ses meubles sur le carreau et s’installe dans cette maison. Voilà bien la violence la plus caractérisée et la plus complète. Ce n’est pas tout prévoyant le cas où l’expulsé voudrait reprendre sa chose, soit par le fait, soit par une action judiciaire, il a déclaré qu’il faisait des dispositions pour résister et pour faire, le cas arrivant, un mauvais parti à celui qui a été dépouillé ; ou bien l’usurpateur est un homme mal famé, connu pour abuser de sa force, pour se livrer à des violences quand on contrarie ses volontés ou ses intérêts. Certes, les tribunaux peuvent voir dans ces circonstances la prolongation de la violence, et dès lors refuser d’accueillir la complainte qui serait formée par le spoliateur troublé, quand même sa possession aurait duré dix ans, parce que ce serait dix ans de violence. Pothier, de la Possession, n° 25; Dunod, Presc., p. 29; Troplong, Presc ., t. 1, p. i2A, décident que la violence employée pour faire souscrire un contrat de vente ne se communique pas à la possession ; que le contrat est res- cindable, mais que la possession est ^valable. Cela est vrai dans la rigueur des principes ; mais il arrivera rarement que la violence ne s’étendra pas à la possession, et elle sera facilement présumée. M. Carré se demande quand la violence a cessé. Ce savant professeur rapporte les diverses opinions que cette question a fait naître ; puis il ajoute Dire que la possession utile commence du jour où la violence est consommée nous parait contraire au principe qui déclare inutile toute possession qui a commencé par la violence. I’où suit que la prescription ne pouvant s’acquérir au moyen d’une semblable possession, encore bien que les actes de violence ne se soient pas perpétués, l’action possessoire n'est pas recevable à l’expiration d’une année de possession, pendant laquelle l’usurpateur n’eût fait aucun acte de violence. Nous concluons, en conséquence, que l’action possessoire n’est admissible qu’autant que l’usurpateur a possédé pendant trente ans et prescrit la propriété de la chose, sans qu’on puisse lui opposer l’exception de mauvaise foi. » Ainsi, M. Carré refuse la complainte, à moins que la violence n’ait cessé depuis trente ans, c’est-à-dire qu’il la dénie complètement, puisqu’il veut que l’usurpateur commence par faire décider qu’il a acquis la propriété par la prescription ; il le réduit donc à une action péti- toire. Nous ne pouvons partager cette opinion. Il est certain qu’une possession inefiicace pour autoriser la complainte, l’est aussi pour fonder la prescription, puisque l’une symbolise avec l’autre et que celle-ci a lieu dans toutes les matières prescriptibles. 11 n’v a pas plus de raison — 203 — pour admettre la prescription quand la possession a commencé par la violence, que pour admettre la complainte. Si l’on rejette celle-ci, il faut aussi proscrire celle-là. Le système de M. Carré tendrait donc, contre l’opinion qu’il a émise, à repousser toute prescription lorsque la possession a été violente dans le principe. Que la violence ne profite pas, que l’on ne compte pas le temps pendant lequel elle a duré, qu’on exige même des preuves bien positives de sa cessation, et qu’on présume jusque-là qu’elle subsiste encore, rien de mieux ni de plus raisonnable; mais lorsqu’il est prouvé qu’elle a complètement cessé, et qu’il n’a tenu qu’à l’individu dépouillé de reprendre sa chose, que l’on ne considère pas comme légitime la possession annale postérieure, qu’on n’accorde pas la complainte, c’est ce qui ne peut être soutenu sans rendre complètement illusoires les difi'é- rentes dispositions du Code, qui établissent clairement que la prescription reprend son cours dès que la violence a cessé ; or, la complainte est fondée sur une prescription annale. M. Toullier, t. 6, p. 95, n° 84, après avoir rappelé le principe qu’un contrat ne peut plus être attaqué pour cause de violence si, depuis que la violence a cessé, ce contrat a été approuvé soit expressément, soit tacitement, soit en laissant passer le temps de la restitution fixé par la loi, ajoute C’est-à-dire le temps de dix ans, qui ne courent que du jour où la violence a cessé; car la crainte est présumée avoir duré autant de temps que sa cause a subsisté Quamdiu durât causa metus, semper prœsumitur metus. lecius, cap. 219. Quand même il ne serait pas établi ce qui en effet peut paraître difficile au possessoire que la chose appartenait à celui qui s’en était emparé par violence, tous les actes d’approbation postérieurs la feraient suffisamment présumer. » Mais revenons à la question de savoir quand il y a cessation de violence. Ce que nous venons de dire en donne déjà une idée; nous y ajouterons quelques observations. Dans le droit romain, il n’y avait cessation de violence qu’autant que la chose était revenue dans la possession de celui qui en avait été dépouillé ou de ses héritiers. La loi française n’a point reproduit cette condition ; les tribunaux ne pourraient donc pas l’exiger. M. Delvincourt ne voit la cessation de la violence que dans la délivrance d’un nouveau titre à l’usurpateur ; mais cette interprétation restrictive est repoussée par la généralité des termes de la loi et par l’exposé des motifs de l’orateur du gouvernement, ainsi qu’il l’avoue lui- même et que l’observe M. Dalloz, Rèp., V° Prescription, n° 22, châp. 1", section 2. Ce dernier ajoute que c’est aux juges à fixer, d’après les circonstances, l’époque de la cessation de la violence, ce qui ne dispense pas les auteurs de donner quelques exemples pour les guider. M. Vazeille se borne à reproduire la disposition légale, et il est à regretter que cet auteur, qui traite si bien les questions qu’il soulève, ait été si bref sur celle-ci. Nous allons essayer de suppléer à son silence. Bien qu’il ne soit permis à personne de se faire justice à soi-même, il se peut qu’un particulier ait employé la violence pour se mettre en possession ; que postérieurement, le premier possesseur pouvant reprendre la chose, ait tenu une conduite telle, qu’il en résulte la reconnaissance formelle du droit du second possesseur, comme — SOS — s’il a fait un mur ou fossé, une haie de séparation entre leurs héritages contigus, s’il s’est arrêté, en labourant, au champ pris par son voisin ; si, dans des circonstances où l’influence de celui-ci était nulle, il a déclaré à des tiers que le champ envahi appartenait au voisin ; dans ces divers cas et une foule d’autres qu’on pourrait aisément exposer, la violence a évidemment cessé, et l’année de possession écoulée depuis cette cessation est efficace pour la complainte. Du reste, la violence nuit non-seulement à celui qui l’exerce, mais encore à celui au nom duquel elle a lieu, lors même qu’il l’ignorerait. Elle nuit à ses héritiers, même à l’acquéreur qui ne peut avoir plus de droits que lui, et dont la condition n’est pas différente. La violence, en fait de possession, a donc le même effet, quoiqu’elle ait eu lieu contre le fermier, les ouvriers, la famille, les hôtes du possesseur ou par eux. 11 arrive le plus communément que la violence et les voies de fait constituent un délit. Lorsqu’elles prennent ce caractère, elles sont, à plus forte raison, inefficaces pour constituer une possession servant de base à la complainte et à l’action pétitoire. Mais quelquefois le délit n’aura pas été accompagné de violence, et alors la possession sera vicieuse, par cela seul quelle se trouvera avoir eu un délit pour origine. Ainsi, un usager qui a joui sans procès-verbal de délivrance n’a pas une possession autorisant la complainte. Toutefois, une possession délictueuse à son origine deviendrait valable du jour où elle aurait cessé d’avoir ce caractère vicieux, par argument du principe d’après lequel la possession utile commence quand la violence a cessé. — 206 — Nous ne faisons aucune différence entre la possession à l’effet d’acquérir la prescription et celle à l’effet dè l’interrompre. Les faits délicteux ne pourraient donc pas plus comporter une interruption valable qu’une acquisition ; la loi est générale. Ainsi, par exemple, lorsque d’après l’art. 2243, l’interruption consiste dans la privation de jouissance par le fait d’un tiers ou du précédent possesseur, il est certain que la loi a entendu parler d’une prise de possession qui donne lieu à la complainte. Les deux possessions doivent réunir les mêmes conditions ; elles doivent être également continues, paisibles, publiques, non équivoques, non fondées sur la violence, la tolérance ou la familiarité. Il nous reste à examiner une question importante; c’est celle de savoir si toutes les conditions ou qualités de la possession, exposées dans les paragraphes précédents, sont absolues ou relatives; c’est-à-dire si elles doivent exister à l’égard de toutes personnes indistinctement, ou seulement à l’égard de celle contre laquelle la possession est invoquée. Nous avons déjà établi, page 90, sur une question qui a quelques rapports avec celle-ci, que la condition de la possession annale imposée à celui qui intente la complainte est exigée, soit qu’il la forme contre un précédent possesseur ou contre celui qui n’a jamais eu de possession ; que ce dernier devait réussir à repousser la complainte, lors même que le demandeur aurait une possession de trois cent soixante-quatre jours. Une raison d’analogie nous porte à donner une solution semblable à la question que nous discutons en ce moment. A la vérité, les lois romaines, notamment le § 4, Inst, — 207 — de interdictis, n’établissaient qu’une prohibition relative; elles ne refusaient l’interdit à celui qui était troublé contre le perturbateur, qu’autant qu’il avait usurpé précédemment l’objet en litige sur ce perturbateur même, vi, clam, ou qu’il la tenait de lui précairement; elles le lui accordaient quand c’était vis-à-vis d’autres que ces vices existaient; Pothier, de la Possession, n° 9>, et les auteurs du Nouveau Denizard, V° Complainte, enseignent la même doctrine en droit français ; mais le Code civil et le Code de procédure, au lieu de reproduire cette distinction , sont conçus dans les termes les plus généraux. La possession n’est respectable, ne mérite la faveur des lois et la protection des magistrats qu’autant qu’elle réunit les conditions dont le législateur a fait dépendre sa validité. Tout particulier attaqué en complainte peut prétendre ne devoir répondre qu’à celui qui a une possession paisible, publique, non équivoque, continue, non interrompue, à titre de propriétaire, exempte de familiarité, de tolérance; il peut discuter la possession de son adversaire et soutenir que la violence, la précarité ou tout autre vice, ont dû empêcher le demandeur d’avoir une possession réelle ; que cette possession appartient donc à un autre qui seul ale droit de l’attaquer; que sur l’action possessoire il ne s’agit pas de savoir si le défendeur a la possession, mais bien si le demandeur justifie de la sienne. Nous n’admettrions qu’une modification à cette règle ; elle a déjà été indiquée, page 185 ; c’est relativement à la publicité ou à la clandestinité ; ce n’est pas même une exception, car la nature des choses établit que celui qui a eu connaissance positive d’une possession, cachée pour tous les autres, et qui réunirait d’ailleurs tous les carac- — 208 — tères légaux, ne pourrait se faire une arme de l’ignorance d’autrui. Ç 9. Possession de choses qui sont dans le commerce et prescriptibles. Il y a des biens prescriptibles et d’autres qui ne le sont pas, et les causes d’imprescriptibilité viennent ou de l’usage auquel ils sont consacrés, ou de la qualité des personnes auxquelles ils appartiennent. L’art. 2220 soumet à l’empire de la prescription les biens qui sont dans le commerce. Les choses qui sont dans le commerce s’entendent non- seulement de celles qui font l’objet habituel de la profession de certains particuliers, mais encore de toutes celles qui peuvent être achetées et vendues par des individus étrangers au négoce. Tel, par exemple, fait son état d’acheter ou de fabriquer des étoffes pour les revendre. Ce n’est pas de ces choses-là exclusivement qu’on doit dire qu’elles sont dans le commerce; autrement on excluerait toutes celles qui sont immeubles, car il est généralement reconnu que ces biens, dont cependant on trafique, ne peuvent faire l’objet du commerce proprement dit, et que ceux qui achètent des maisons ou des terres pour les revendre ne sont pas des commerçants. L’art. 1128 du Code civil porte qu’il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions. » Et l’art. 1598 Que tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation. » Ainsi, les biens immeubles d’une femme mariée sous le régime dotal sont inaliéna- — 209 — > blés pendant toute la durée du mariage, quoiqu’ils soient incontestablement dans le commerce. Enfin, l’art. 2226 dispose qu’on ne peut .prescrire le domaine des choses qui ne sont pas dans le commerce. » Mais quelles sont les choses exclues du commerce? Aucune disposition du Code ne s’explique positivement à cet égard. De l’art. 2227, on peut conclure que ce n’est pas la qualité du possesseur, mais bien la nature de la chose possédée qui la met hors du commerce, puisque l’état, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent à plus forte raison les opposer. » L’art. 538 dit bien que les chemins, routes et rues à la charge de l’Etat, les fleuves et rivières navigables ou flottables , les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du territoire fiançais qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public. » Mais il ne dit pas expressément qu’ils sont hors du commerce ; il ne déclare pas que tout ce qui constitue le domaine public est nécessairement et exclusivement hors du commerce, et il ne le pouvait pas, puisque l’article suivant range au nombre des objets de ce domaine les biens vacants et sans maître, ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, » et que parmi ces biens il y en a ordinairement qui produisent du revenu, tels que des terres en labour, des prés, des bois, des vignes. Que conclure de tout cela? Que les choses hors du — âlO — commerce sont toutes celles qui, d’après leur nature, sont à l’usage perpétuel du public et ne peuvent être aliénées sans changer de destination, qu’elles appartiennent à l’Etat, aux départements ou aux communes. Le législateur n’a pas sans doute voulu donner une définition et une nomenclature de ces choses, dans la crainte qu’elles ne fussent considérées comme limitatives. Il a pensé que les termes, choses qui ne sont pas dans le commerce, étaient assez expressifs, et qu’en cas de contestation l’administration déterminerait quels biens sont ou non dans le commerce, sans que sa décision emportât en même temps jugement de la propriété. Autrefois, le domaine de la couronne ou du roi était généralement réputé inaliénable. Ce principe fut consacré par l’édit de Moulins du mois de février 1566, enregistré au parlement de Paris le 13 mai suivant. La nécessité de conserver le domaine de la couronne dans son intégrité, dit Lefebvre de la Planche Traité des domaines, t. 3, p. semble devoir être regardée comme ayant toujours été une loi fondamentale du royaume... En effet., si les lois des fiefs en défendent le démembrement, leur décision ne doit-elle pas être appliquée à ce patrimoine sacré, avec d’autant plus de raison que nos rois n’en étant que dépositaires et administrateurs, et n’en jouissant qu’en usufruit, sont obligés de le transmettre à celui qui leur succède ? » On comprenait sous la dénomination de domaine de la couronne ou du roi tous les biens appartenant à l’État, de quelque nature qu’ils fussent, même ceux consacrés à l’usage du public et ceux que le prince possédait au moment où il montait sur le trône ou qu’il acquérait depuis cette époque. Il n’y avait aucune distinction \ — 211 — entre les biens de l’État et ceux du roi. Tous étaient même appelés domaines royaux ; mais cette propriété était purement nominale ; elle était fondée sur l’habitude où l’on était de tout rapporter-à la majesté royale pour en augmenter la puissance et l’éclat ; néanmoins elle appartenait réellement à l’État; elle ne pouvait être aliénée ni prescrite ; on en exceptait cependant les biens appelés petits domaines, qui, aux termes d’une autre ordonnance de 1505, enregistrée le 27 mai, de la déclaration du 8 avril 1572, et des édits des mois de mars 1695 et d’août 1708 , étaient aliénables et prescriptibles ; mais on n’a jamais été bien d’accord sur les objets que l’on devait considérer comme tels. Si l’édit du mois d’août 1708 dit qu’on doit entendre par petits domaines, et conséquemment regarder comme aliénables 'à perpétuité les moulins, fours, pressoirs, halles, maisons, boutiques, échoppes, places à étaler, places vaines et vagues, communes, landes, bruyères, patis, palus, marais, étangs, hoqueteaux séparés des forêts, bacs, bateaux, péages, travers , ponts, passages, droits de minage, mesurage, aunage , poids, greffes, tabellionages, prés, îles, îlots, créments, accroissements, attérissements, droits sur les rivières navigables, leurs fonds, lits, bords, quais et marchepieds, les bras, courants, eaux mortes et canaux ; les places qui ont servi aux fossés, murs et remparts, fortifications tant anciennes cpie nouvelles de toutes les villes du royaume, les lois des 1 er décembre 1790 et 14 ventôse an VII semblent les restreindre aux terres vaines et vagues, landes, bruyères, palus, marais et terrains en friche autres que ceux situés dans les forêts, ou à cent perches d’icelles. principe de l’inaliénabilité du domaine de la cou- — 212 — ronne, l’exception apportée à ce principe pour les biens désignés sous le nom de petit domaine, enfin la distinction qui existait, sous l’ancienne législation, entre le grand et le petit domaine, se trouvent assez bien établis dans un arrêt de la chambre civile, rendu le 2 avril 1839, sur le pourvoi formé contre un arrêt de la cour royale d’Orléans, qui avait jugé que des terrains compris dans les abornements de la forêt domaniale d’Orléans avaient pu être aliénés comme faisant partie du petit domaine. Il ncrus semble utile de reproduire les principaux motifs de cet arrêt La cour, vu l’édit de Moulins du mois de février 1566, enregistré au parlement de Paris le 13 mai suivant; l’édit du mois d’avril 1667 ; les art. 24 et 31 de la loi des 22 novembre, 1" décembre 1790; l’art. 1 er de la loi du 3 septembre 1792 ; les art. 1 et 3 de la loi du 10 frimaire an II, et les art. 4 et 5 de celle du 14 ventôse an VII ; u Attendu que la pièce de terre revendiquée par les défendeurs contre la liste civile, et dont la propriété leur a été adjugée par l'arrêt attaqué, appartenait anciennement au domaine de la couronne ; u Attendu que le principe de l’inaliénabilité du domaine de la couronne, sauf les cas d’apanage et de nécessité de guerre, a été définitivement fixé par l’édit de Moulins du mois de février 1566, et que l’art. 5 de cet édit fait défense aux cours du parlement et chambre des comptes d’avoir aucun égard aux lettres-patentes contenant aliénation dudit domaine et fruits d’icelui; qu’une autre ordonnance de la même année 1566, enregistrée le 27 mai, qui a modifié le principe de l’inaliénabilité du domaine pour les terres, près, palus et marais vagues appartenant tiu roi, a for- - 213 — mellement excepté les terrains de cette nature enclavés dans les bois et forêts de la couronne, et qui en font la lisière à 100 perches près ; u Attendu que la loi des 22 novembre, 1 er décembre 1790, a consacré de nouveau les dispositions de l’édit de 1566 ; que l’art. 2/i de cette loi réputé simples engagements, et, comme tels, perpétuellement sujets à rachat, les ventes et aliénations de biens domaniaux , postérieurs à l’ordonnance de 1566, quoique la stipulation de rachat ait été omise au contrat, et que son art. 31 ne maintient les aliénations à titre d’inféodation, baux à cens ou à rentes, de terres vaines et vagues, landes, bruyères, palus, marais et terrains en friche, quautant qu’ils ne seraient pas situés dans les forêts ou à 100 perches d'icelles; qu'on trouve les mêmes dispositions dans les lois du 3 septembre 1792, ai't. 1"; du 10 frimaire an II, art. 1 et 2; du lh ventôse an Vil, art. h et b. » Aujourd'hui, il n’y a plus de distinction entre le grand et le petit domaine ; mais depuis 1790 on distingue le domaine de l’État ou public du domaine de la couronne ou liste civile, et du domaine privé du prince. Les canaux navigables et flottables, les chemins de fer, les routes départementales, les chemins vicinaux de grande et de petite communication, les rues et places publiques, les églises et les cimetières sont, comme tous les objets énoncés aux art. 538, 5/iO du Code civil, imprescriptibles tant qu’ils conservent leur nature et leur destination à l’usage public; ils ne peuvent être les uns ni les autres la matière d’une possession utile et d’une action possessoire. Un arrêt de la cour de cassation, en date du 10 janvier 18/i/j, rendu entre deux communes, a appliqué ces principes à un cimetière. - 2U — Mais Us ne conservent ce caractère d’imprescriptibilité que tant qu’ils sont consacrés à l’usage du public. C’est leur destination, leur application à l’usage de tous qui le leur imprime, et il est même impossible qu’il en soit autrement , car pendant que tout le monde use d’une chose, personne n’exerce d’acte de possession exclusive. Ces principes sont formellement consacrés dans un arrêt de la chambre civile, du 5 décembre 1838, à l’égard des églises ou édifices publics consacrés au culte. En effet, il résulte de cet arrêt que de tels édifices ne sont pas plus susceptibles d’une propriété privée depuis le Code civil qu’ils ne l’étaient auparavant, et que c’est là un principe d’ordre et de droit public ; mais que, du moment où leur destination première est changée, comme cela arrive, par exemple, s’ils sont vendus par l’État, ils prennent dès lors le caractère de biens particuliers, perdent pour l’avenir tous les droits exceptionnels ou privilégiés résultant de leur consécration au service divin et de leur destination à l’usage général, et deviennent susceptibles de toutes les modifications de la propriété ordinaire , et notamment de celle qui résulte de l’art. 661 Code civil, relatif à l’acquisition privée de la mitoyenneté. L’article 541 donne un exemple qui suppose une règle préexistante. Il dit bien que les terrains, fortifications et remparts des places qui ne sont plus places de guerre appartiennent à l’État, s’ils n’ont été valablement aliénés ou si la propriété n’en a pas été prescrite contre lui. » Mais pour que les remparts, terrains, fortifications et autres choses publiques soient prescriptibles, faut-il qu’on représente un acte de l’autorité administrative qui — 213 — en change la destination ? Acquiert-on la propriété par une possession postérieure de trente ans ? suffit-il de la simple possession pendant ce temps? On pourrait objecter jue, si la troisième question était affirmativement résolue, il n’y aurait plus de différence entre les biens qui sont hors du commerce et ceux qui y sont restés, qu’une possession trentenairc ferait également acquérir la prescription des uns et des autres. Cependant, nous croyons que la prescription doit régir tous lesbiens ; qu’il ne doit/avoir de différence que dans les actes de jouissance que les tribunaux peuvent plus facilement considérer comme précaires et de tolérance quand ils s’appliquent à une chose d’abord destinée à l’usage général; que la possession trentenaire, qui fait présumer une vente, fait à plus forte raison présumer l’acte administratif qui a changé la nature ou la destination de la chose; que si l’on suppose la perte d’un acte de vente authentique, on peut supposer celle d’un acte administratif, les dépôts de l’administration n’étant pas plus que ceux des notaires à l’abri des événements; qu’autrement une possession de plusieurs siècles serait inefficace, parce pi’on prouverait qu’il y a trois ou quatre cents ans la chose qui en est l’objet était un terrain de place publique, et parce que, bien que par le fait, depuis cette époque, cette chose ne fût plus place publique, il n’y aurait cependant aucun acte de l’administration qui lui aurait retiré ce caractère et cette destination. 11 nous semble qu’en retirant du commerce certains objets, la loi a seulement voulu faire comprendre que, quoique ces choses fussent publiques, personne ne pouvait cependant se permettre d’en disposer à son profit, ni empêcher, à l’aide de cette aliénation, l’usage de tous. — 216 — D’ailleurs chaque particulier sera très-empressé de conserver cet usage tant que l’administration ne le lui aura pas interdit ; la possession exclusive d’un citoyen ne peut donc avoir lieu qu’autant que l’administration aura changé la destination, l’usage du bien. Mais dès que l’administration peut changer cet usage, dès qu’elle peut ensuite vendre la chose, on ne verrait pas pourquoi elle ne serait pas prescriptible par une possession bien caractérisée et exclusive. Nous avions déjà, émis cette opinion dans notre Traité des chemins, et nous avions dit que s’il pouvait y être fait exception, c’était tout au plus relativement aux remparts, fortifications et terrains des places de guerre et des forteresses, par le motif que des dispositions spéciales défendent d’ériger ou d’abandonner des places de guerre sans l’autorisation du gouvernement. Depuis que nous avons exposé ces principes, il est intervenu, sous la date du 3 mars 1828, un arrêt de la cour de cassation dans lequel on lit que les remparts des places de guerre, que l’art. 540 du Code civil déclare faire partie du domaine public, et dont l’art. 13 de la loi du 10 juillet 1791 attribue la conservation au ministre de la guerre, qui en est déclaré responsable, ne sont point dans le commerce, et forment conséquemment un domaine inaliénable et imprescriptible de l’Etat ; qu’à la vérité, suivant l’art. 2, titre 4 de la même loi du 10 juillet 1791 , les bâtiments et emplacements que le ministre de la guerre ne jugerait pas nécessaire au service militaire, peuvent changer de nature et de destination par la remise que le ministre en ferait aux corps administratifs pour faire partie des pro priétés aliénables, et par conséquent désormais prescriptibles de l’Etat ; mais que ce changement de nature et de destination ne peut résulter que de décisions ministérielles, de procès-\ erbaux réguliers de remises, ou autres actes équipollents. » Mais, dans cette espèce, il s’agissait d’une rampe de rempart, c’est-à-dire de l’accessoire d’une place qui n’avait pas cessé d’être place de guerre, ainsi que cela était bien constaté. On conçoit que, dans ce cas, il faille une déclaration de ce qui est utile ou inutile au service de la place, sans qu’on puisse en rien conclure pour le cas où la place n’est plus destinée à la défense de l'Etat, ni à plus forte raison relativement aux terrains des routes, des rivières, des cimetières, églises, etc., etc., puisque la législation ne renferme rien de semblable pour ces divers objets, c’est-à-dire n’impose pas, pour les faire rentrer dans le commerce, la nécessité d’une déclaration formelle de l’administration. Telle paraît être aussi l’opinion de M. Dalloz, Rèp., V° Prescription, quoiqu’elle n’ait pas, nous en convenons, toute la précision désirable. Nous croyons, dit-il, que les chemins, lorsqu’ils sont abandonnés, les ports, les havres, les rades, quand ils viennent à être comblés, tombent dans le domaine de la prescription, de même que les terrains, les fortifications et remparts des places qui ne sont plus places de guerre ; argument de l’art. 5/il du Code civil. » Voy. Recueil pèriod. de 1825, 2, 1, et 1828, 2, 57. Il en faut dire autant, ajoute-t-il, des églises et des cimetières où l’exercice du culte et l’inhumation n’ont plus lieu, et en général de toutes les choses qui, susceptibles par leur nature d’une possession exclusive, n’ont été placées hors du commerce que par une considération d’utilité publique qui a cessé d’exister. » — 218 — Cet auteur cite un arrêt de la cour d’Orléans, du 6 mai 1808, dont M. Colas de la Noue nous donne la substance dans son utile recueil. Un particulier avait possédé un terrain pendant trente ans. La commune prétendait qu’il avait anciennement fait partie d’une place publique, qu’il était imprescriptible, et qu’on ne pouvait le conserver qu’en représentant une concession administrative ; niais ce système fut repoussé. A la vérité, il ne paraît pas que la commune ait prouvé que ce terrain eût jamais fait partie de la place; mais, à notre avis, la décision eût été la même si cette preuve avait été faite. Voyez encore arrêt de llouen , H février 1825 , et surtout celui de la chambre civile, du 5 décembre 1838, que nous avons cité plus haut. MM. Proudhon et Troplong pensent que les fonds du domaine public deviennent prescriptibles, sans acte ou décret de l’autorité qui les fasse rentrer dans le commerce, et par le seul fait de leur dégradation accidentelle, après l’anéantissement du service auquel ils étaient affectés. M. Vazeille, Traité des prescriptions, n os 91 à 96, pense aussi qu’il n’est pas nécessaire que l’administration ait supprimé la place de guerre par une déclaration formelle ; il admet les équipollents, et pour toutes les autres choses publiques il se contente du seul laps de temps requis pour l’acquisition de la prescription. La question semble résolue dans ce sens, relativement aux places de guerre, par un arrêt de la cour de cassation, du 30 juillet 1839, qui a décidé que le principe, que les terrains des fortifications des places de guerre ou postes militaires, tels que remparts ou autres objets faisant partie des moyens défensifs des frontières du — 219 — royaume, sont inaliénables et imprescriptibles, cesse dé recevoir son application lorsqu’il arrive un changement dans leur destination primitive, et que ce changement peut résulter de ce qu’ils ont été abandonnés pendant plusieurs siècles à l’exploitation de certains particuliers qui les ont possédés sans opposition et ont pu dès lors les acquérir par la prescription. Nous devons faire observer qu’une loi positive, celle du 10 septembre 1807, art. Al, autorise le gouvernement à concéder les lais et relais de la mer, les accrues, atlé- rissementsdes fleuves et des rivières, aux conditions qu’il juge à propos, sans l’intervention d’une loi spéciale, et qu’un arrêt de la cour de cassation, du 3 novembre 182A, les a déclarés prescriptibles et susceptibles de devenir l’objet d’une action possessoire ; qu’enfin les lits des fleuves ou rivières qui ont changé de cours deviennent immédiatement propriété privée, et, en rentrant dans le commerce, deviennent prescriptibles. L’art. 2227 du Code civil contient une disposition en vertu de laquelle l’aliénabilité, la prescriptibilité du domaine de l’État est incontestable, ce que ne contrarie pas la nécessité d’observer, pour vendre, certaines formalités ; car les biens des communes, un bois, un pré, par exemple, ne peuvent être aliénés qu’en vertu d’une loi, et cependant la propriété peut en être acquise par prescription; il n’y a d’exception que pour les choses destinées à l’usage du public les routes, fleuves, etc. Il ne suffit pas, comme l’enseigne M. Toullier, tome 6, n° 158, qu’une chose n’ait pas coutume d’être vendue, que la vente en soit prohibée ou ne puisse être faite qu’en vertu d’un décret royal ou d’autres formalités , pour quelle soit considérée comme étant hors du commerce ; au contraire, le Code considère comme étant dans le commerce toutes les choses susceptibles d’être vendues, quoique les lois en aient prohibé l’aliénation. » Ainsi donc, le principe d’après lequel la dotation de la couronne est inaliénable fut proclamé, dès le seizième siècle, d’abord par l’édit de 1530, et ensuite, nous l’avons déjà dit, par l’ordonnance de 1566, loi fondamentale de l’Etat, sncro sancta lex, connue l’appelle d’Argentré. Il fut consacré de nouveau par le sénatus- consulte du 30 janvier 1810, et par les lois des 8 novembre 18là et 2 mars 1832, qui contiennent les règles les plus précises. L’article 0 de la loi du 8 novembre 181/i, qui, du reste, ne fait que reproduire textuellement l’article 10 du sénatus-consulte de 1810, porte que les biens formant la dotation de la couronne sont inaliénables et imprescriptibles. » L’article 8 de la loi de 1832 est ainsi conçu Les meubles et immeubles de la couronne sont inaliénables et imprescriptibles ; ils ne peuvent être par conséquent ni donnés, ni vendus, ni engagés, ni grevés d’hypothèques néanmoins, les objets inventoriés avec estimation, aux termes de l’article 3, pourront être aliénés moyennant remplacement. » Cette imprescriptibilité est absolue ; elle n’est pas seulement établie contre le souverain qui ne peut acquérir par possession, quelque longue qu’elle ait été; elle l’est aussi contre les tiers qui ne peuvent prescrire les biens tant pi’ils demeurent affectés à la liste civile, pourvu qu’ils soient compris dans des états et plans ; ce n’est que du jour où ils en ont été distraits que la possession utile des tiers peut commencer. — 221 — Dans ces derniers temps, à propos d’un tableau remis en 1821 au duc de Maillé par la liste civile, pour en jouir temporairement, et acheté, en 1837, au décès du duc de Maillé, par le sieur Cousin, auquel l’intendant-général de la liste civile le revendiqua bientôt après, on éleva devant la cour de cassation la question de savoir si l’imprescriptibilité des biens formant la dotation de la couronne s’étendait même aux meubles antérieurement à la loi de 1832; si le possesseur de ces meubles ne pouvait pas s’autoriser de l’exception qu’en fait de meubles la possession vaut titre ; si, par exemple, un tableau dépendant de la liste civile n’était pas susceptible d’aliénation, et ne pouvait pas être rangé dans la classe des meubles susceptibles de détérioration par l’usage, et dont les articles 6 et 8 de la loi du 2 mars 1832 autorisent exceptionnellement l'aliénation moyennant remplacement; si, enfin , la liste civile actuelle avait le droit de se faire restituer des objets mobiliers dont la liste civile ancienne avait accordé la jouissance temporaire à des particuliers. La cour, par arrêt du 10 août 18/il, résolut ces diverses questions dans un sens contraire aux prétentions du possesseur du tableau. Quant au domaine privé, il ne se composait, d’après la loi du 8 novembre 1814, que des biens acquis par le prince depuis son avènement au trône. Ceux qu’il possédait antérieurement sont dès cette époque dévolus à l’État d’une manière définitive et irrévocable. C’est un principe très-ancien de notre droit public, et l’application en a toujours été fort avantageuse à l’État, dont elle a augmenté les ressources; mais la royauté élective parait entraîner d’autres règles ; aussi l’article 22 de la loi — 222 — du 2 mars 1832 porte-t-il que le roi conservera la propriété des biens qui lui appartenaient avant son avènement ; que ces biens et ceux qu’il acquerra à titre gratuit ou onéreux, pendant son règne, composeront son domaine privé. » L’article 23 ajoute que le roi peut disposer de son domaine privé, soit par acte entre vifs, soit par testament , sans être assujetti aux règles du Iode civil, qui limite la quotité disponible;» et l’article 2/i, que les propriétés du domaine privé seront, sauf l’exception portée en l’article précédent, soumises à toutes les lois qui régissent les autres propriétés. » Par conséquent, ce domaine privé est soumis aux règles ordinaires de la prescription. 11 y a d’autres biens encore qui sont régis par des principes spéciaux. Ce sont ceux qui forment les dotations prises sur le domaine extraordinaire, et les majorats institués soit avec des biens donnés par l’Etat, soit avec les propres biens de celui qui a obtenu cette distinction. Le domaine extraordinaire est aboli par l’art. 25 de la loi du 2 mars 1832 ; mais les dotations anciennes et les majorats institués ou avec les biens de l’Etat ou avec ceux des particuliers, subsistent toujours avec les modifications adoptées par la loi du 12 mai 1835. 11 ne peut plus en être créé aux termes de cette loi. L’art. AO du décret du 1" mars 1808 est ainsi conçu Les biens qui forment les majorats sont inaliénables ; ils ne peuvent être engagés ni saisis. » Comme on le voit, cet article ne dit pas, ainsi que les lois des 8 novembre 181A et 2 mars 1832, que les biens sont inaliénables et imprescriptibles. M. Delamalle, dans l’article Majorât du Répertoire de M. Favard, § 1 er , n° /i, n’en dit pas moins qu’ils sont imprescriptibles. Nous admettons volontiers que les choses frappées d’inaliénabilité absolue par les lois soient, par voie de conséquence, imprescriptibles, à moins d’exception exprimée dans ces lois elles-mêmes. Mais d’abord l’aliénation des majorais peut être autorisée par le roi. Ils ne sont pas inaliénables d’une manière absolue. L’art. 11 du décret du h mai 1809 nous paraît d’ailleurs ne laisser aucun doute sur la prescriptibilité des biens des majorats ; il est ainsi conçu S’il arrivait que des tiers eussent commis quelque empiétement ou usurpation sur les biens du majorât, le conservateur en donnera sur-le-champ avis au titulaire ou à notre commissaire près la commission du sceau des titres ; en cas d’urgence, le conservateur sera tenu, sans autre autorisation, de faire en son propre nom, aux frais du titulaire, les actes conservatoires nécessaires pour interrompre la prescription. » Ainsi, le décret reconnaît que la prescription court valablement au profit des tiers, puisqu’il recommande de faire des actes conservatoires pour l’interrompre. Vainement objecterait-on que, d’après l’art. 35 du décret du 1" mars, le titre et les biens affectés au majorât passent à la descendance légitime, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, ce qui constitue une substitution fidéi-commissaire ; car, dans l’ancien droit qui admettait cette substitution , il était assez généralement reconnu que des tiers pouvaient prescrire les lue ns substitués, soit avant, soit après l’ouverture de la substitution. 11 en doit être de même aujourd’hui, à plus forte raison. L’esprit de la nouvelle législation est plus favorable à la prescription, dont il a étendu le cercle. Il est constant que le Code civil déclare prescriptibles bien des choses qui ne l’étaient pas avant sa promulgation. Cette opinion puise une nouvelle force dans les modifications apportées par la loi du 12 mai 1835 à la législation des majorats, puisqu’elle autorise le fondateur d’un majorât à le révoquer en tout ou en partie. Les mêmes règles s’appliqueraient aux biens dont la substitution est permise par les art. lO/jS et suivants du Code civil. Nous ne voyons pas comment, dans le silence du Code, ils seraient soustraits à l’empire du droit commun, qui soumet tous les biens à la prescription, à moins qu’ils n’en soient exceptés par quelques lois. Si le grevé ne peut prescrire, c’est que la loi dit qu’on ne peut se changer la cause de sa possession, ni prescrire contre son titre ; mais un tiers qui n’est pas dans la même position peut acquérir valablement par la possession continuée pendant le temps fixé par le Code. 11 nous reste à examiner si les biens des mineurs et des interdits, et ceux constitués en dot aux femmes mariées sous le régime dotal, peuvent être pendant la minorité, l’interdiction ou le mariage, l’objet d’une possession valable donnant lieu l’action possessoire. Dans l’ancien droit, on n’était pas d’accord sur l’imprescriptibilité des immeubles des mineurs et des interdits. Les lois romaines, les coutumes et les auteurs offraient sur ce point de notables divergences, qui influaient nécessairement sur l’exercice de l’action en complainte. Aujourd’hui, cos difficultés ne subsistent plus. Sans doute les incapables peuvent posséder \alablernent et — 225 — prescrire par eux ou leurs représentants; mais on ne peut prescrire contre eux tant que dure leur incapacité. Ils peuvent faire leur condition meilleure, mais non aliéner leurs droits directement ou indirectement. L’art. 2252 du Code civil porte que la prescription ne court pas contre les mineurs et les interdits. Quels sont le sensetleselfets de cette disposition? c’est que l’on ne peut valablement posséder leurs biens, qu’ils en conservent toujours la possession pendant la minorité ou l’interdiction ; car la possession conduit à la prescription ; l’une est la cause, l’autre l’effet. Pour pouvoir prescrire, dit l’article 2229, il faut une possession... et il faut quelle ne soit pas équivoque, qu’elle ait lieu à titre de propriétaire. La possession annale qu’on aurait eue d’un bien de mineur ou d’interdit pourrait-elle prévaloir contre un titre formel qui établirait leur propriété sur cet objet? Parce qu’un tuteur aura négligé pendant un an de faire réprimer une usurpation, devront-ils perdre la jouissance de leur immeuble, et seront-ils forcés de se pourvoir au pétitoire ? Mais l’usurpation du tiers n’est-elle pas évidente? N’est—il pas certain qu’il ne peut invoquer de possession à titre non précaire, à titre de propriétaire? Le juge de paix n’a-t-il pas le droit et même l’obligation de prendre connaissance des titres pour caractériser la possession ? Pourquoi maintenir l’usurpateur dans une possession illégitime dont il pourrait abuser en détruisant la chose, et qu’il sera tenu d’abandonner par suite de l’action pétitoire qui deviendrait ainsi une pure formalité dont il est plus sage d’éviter aux parties les frais, les lenteurs et les inconvénients? Ce pie nous disons des biens des mineurs et interdits 15 — 226 — s’applique également à ceux qui ont été constitués en dot aux femmes mariées sous le régime dotal. Les art. 1561 et 2255 du Code civil nous semblent ne laisser là-dessus aucun doute. Il n’en serait différemment, comme nous l’avons déjà dit p. 132, qu’autant qu’il y aurait incertitude sur le fait de savoir si l’immeuble litigieux est la propriété du mineur, de l’interdit, de la femme; car, s’agissant d’une exception au droit commun, il faut que le fait qui lui sert de base soit bien clairement démontré. Il va sans dire aussi que la possession serait utile si elle avait eu lieu pendant un an depuis la cessation de la minorité, de l’interdiction ou du mariage. Nous venons de développer cette doctrine dans une consultation. En résumé, il faut tenir pour principe général, suivant nous, que l’imprescriptibilité d’une chose, quelle provienne de sa*nature, de l’usage auquel elle sert ou de la qualité du propriétaire, s’oppose à la possession et à l’action possessoire ; mais que 'cette action est reçue à raison de tous les biens, de tous les droits susceptibles d’être acquis par la prescription. Nous nous bornons, quant à présent, à ces simples observations; nous aurons occasion, plus tard, de leur donner de nouveaux développements quand nous en ferons l’application. — -m — TITRE II DES CHOSES POUR LESQUELLES ON PEUT INTENTER I.’ACTION POSSESSOIRE. CHAPITRE PREMIER Des biens qui peuvent être en général la matière de cette action. Nous examinerons, dans ce chapitre, pour quelle espèce de biens l’action possessoire est admise, et nous démontrerons qu’elle est reçue • 1° Pour les immeubles et droits réels qui y sont assimilés , et non pour les immeubles fictifs ; 2° Pour les meubles devenus immeubles par destination ; 3° Pour les immeubles ameublis par stipulation ; h° Mais non pour des meubles isolés ou pour universalité mobilière. section 1”. L’action possessoire est admise pour les immeubles et droits réels, mais non pour les immeubles fictifs. Le droit romain avait, comme nous l’avons vu dans le titre précédent, des interdits pour les personnes et les choses, pour les hommes libres et les esclaves, les meu- — 2*8 — blés et les immeubles. On connaissait l’interdit utrubi, qui avait lieu pour un seul objet mobilier, et celui ad exhibendum, qui tendait à faire représenter des hommes libres ou des .esclaves, ou un testament que l’on cachait. Ni l’un ni l’autre n’ont jamais été admis dans notre droit. La Coutume de Paris c t l’ordonnance de 1657, qui, plus prévoyantes que le Code de procédure, avaient pris soin de désigner les choses qui pouvaient être la matière de l’action possessoire, l’accordaient pour immeubles , droits réels et universalité de meubles; mais l’interdit ad exhibendum n’était point autorisé, même dans les colonies, à raison des nègres ou esclaves, considérés, par une législation inhumaine, comme meubles quand ils étaient attachés au service personnel, et comme immeubles par destination lorsqu’ils l’étaient à l’exploitation ou à la culture. Arrêt de la cour de cassation, du 5 août 1829. Nous ne trouvons, dans le Code de procédure civile, aucune disposition précise sur les biens qui peuvent être l’objet des actions possessoires ; ce n’est cjue par induction, et au moyen du rapprochement des art. 2, 3 et 23 du Code de procédure, dont les deux premiers sont empruntés à la loi du 2 h août 1790, qu’on est conduit à penser que les immeubles et droits réels immobiliers, que l’art. 526 du Code civil considère aussi comme immeubles, sont seuls susceptibles de ces actions. En efï’et, l’art. 2 commence par établir qu’en matière purement personnelle et mobilière, la citation sera donnée devant le juge du domicile du défendeur ; s’il n’a pas de domicile, devant le juge de sa résidence. Si donc la complainte était admise en matière mobilière, l’action devrait être portée devant le juge du domicile ou de la résidence du défendeur. Cependant, l’article suivant veut quelle le soit devant le juge de la situation de l’objet litigieux, lorsqu’il s’agit de déplacements de bornes, etc. Ici la loi énumère différents immeubles, puis ajoute et de toutes antres actions possessoires. » La loi du 25 mai 1838 n’est pas plus explicite sur le sujet qui nous occupe ; elle se borne, comme le Code de procédure, à énoncer quelques objets, et termine en répétant les mots et autres actions possessoires. 11 est assurément fort étrange que le législateur n’ait pas pris la peine de décider nettement pour quelle espèce de biens la complainte est recevable. Aucune disposition de nos lois ne l'excluant en matière mobilière, on pourrait être tenté de soutenir que les tribunaux devraient l’accueillir. Pourquoi, dira-t-on, en serait-il autrement? et quelle raison de distinguer entre les meubles et les immeubles? Lorsque le législateur a établi l’action possessoire, il a été guidé par le désir d’éviter les querelles, les voies de fait, et par le motif que le litige pouvant se prolonger, il était de toute justice de maintenir provisoirement en possession celui qui est déjà possesseur. Mais ces motifs ne s’appliquent-ils pas aux meubles comme aux immeubles? les hommes de mauvaise foi ne profiteraient-ils pas de la prohibition de l’action possessoire en matière mobilière pour s’emparer avec ruse ou violence d’un objet souvent précieux, dont ils jouiront, et qu’ils dissiperont môme pendant le litige sur la question de propriété qu’ils ne manqueront jamais d’élever? Celui qui aura été dépouillé par violence n’aura d’autre ressource que d'user de la même voie. N’y a-t-il pas, d’ailleurs, des meubles d'une plus grande valeur que beaucoup d’immeubles? Les navires, par exemple, les moulins — 230 — assis sur bateaux, ne sont-ils pas, par le Code de procédure et le Code de commerce, soumis pour la saisie et la vente à des règles spéciales ? Beaucoup de meubles ne sont-ils pas censés immeubles? Mais on peut répondre que l’ancienne législation elle- même n’admettait l’action possessoire en matière mobilière qu’autant qu’il s’agissait d’une universalité de meubles, et jamais pour un meuble seul, quelle qu’en fût l’importance ou la valeur; que le Code de procédure ne donnant, par aucune disposition, au juge de paix le pouvoir d’accueillir une action possessoire mobilière, il ne pourrait pas la juger, puisque évidemment il n’est qu’un juge d’exception institué pour prononcer sur les matières qui lui sont formellement attribuées, et dans les cas spécifiés ; qu’en matière d’attribution tout est de rigueur; que ce n’est pas le cas de dire qu’il suffit que le législateur ne l’ait pas défendu ; qu’il faut, au contraire, que la loi l’ait expressément permis, parce qu’un magistrat n’a de pouvoir qu’autant que la loi lui en confère. A ces raisons viennent s’en joindre d’autres encore. Nous ne nous appuyerons pas, toutefois, sur la maxime établie autrefois et rappelée par Imbert, que la possession des choses meubles est vile mobilium vilis est posses- sio ; ce motif serait, certes, bien peu convaincant. En voici d’autres qui valent mieux. En matière de meubles, possession vaut titre ; il est plus facile d’éviter les usurpations des objets mobiliers que celles des propriétés foncières ; la possession annale des meubles est difficile h constater; c’est avec raison que celui qui est en possession d’un meuble en est réputé le vrai propriétaire, parce qu’il est présumable que celui qui le détient ne le fait que par suite de consentement. Les meubles passant — 231 — rapidement et successivement dans un grand nombre de mains, sans acte écrit, il serait impossible de prouver la propriété au pétitoire ; celui qui, après avoir possédé pendant un an, aurait vendu, pourrait, après avoir touché le prix, reprendre irrévocablement sa chose par la complainte ; sans doute, il existe des meubles tellement volumineux et d’une si grande valeur, qu’on pourrait les assimiler à des immeubles ; mais il aurait été impossible de prévoir les différents cas d’exception, de préciser l’importance ni le volume ; il a bien fallu se renfermer dans une exclusion absolue. Certes, si les tribunaux inférieurs refusaient d’admettre la complainte en matière mobilière, la cour de cassation rejetterait le pourvoi formé contre ces décisions, car aucune loi n’aurait été violée. Nous croyons, au contraire, qu’elle casserait pour excès de pouvoir, si la complainte était accueillie par la raison déjà déduite, que les juges de paix n’ayant de pouvoir qu’autant que la loi leur en a expressément déféré, ce qu’ils font au-delà est nul. C’est ce qu’établit M. le président Henrion de Pan- sey dans son ouvrage sur l’Autorité judiciaire en France, et ce qui résulte du principe consacré par la cour de cassation, par arrêt du 19 mars 1825, rendu dans la fameuse affaire Roumage. Nous pouvons nous appuyer encore d’un passage de l’exposé des motifs du titre du Code civil sur la prescription. Le droit romain , disait M. Bigot de Préameneu, accordait, sous le nom d ’interdictum utrubi, une action possessoire à ceux qui étaient troublés dans la possession d’une chose mobilière; mais, dans le droit français, on n’a point admis, à l’égard des meubles, une action distincte de celle sur la propriété. On a dû maintenir la — 232 — règle générale qu’en fait de meubles, possession vaut titre. Ajoutons que les art. 3 du Code de procédure civile et 6 de la loi du 25 mai 1838 nous fournissent un nouvel argument, puisqu’ils attribuent la connaissance des actions possessoires au juge de paix de la situation de l’objet litigieux, ce qui ne peut s’appliquer aux meubles qui n’ont pas, à proprement parler, de situation, et que les objets qu’ils énoncent spécialement comme pouvant donner lieu à ces actions sont immobiliers. D’après l’art. 517 du Code civil, il y a trois sortes d’immeubles par nature, par destination, par l’objet auquel ils s’appliquent; mais des décrets spéciaux en ont créé une quatrième sorte que nous appelons fictifs. Le décret du 16 janvier 1808, relatif à l’organisation de la Banque de France, accorde aux actionnaires la faculté de donner à leurs actions, sur cet établissement, la qualité d’immeubles, en observant certaines formalités. Les décrets des 1 er mars 1808, h juin 1809 et 3 mars 1810, considèrent aussi comme immeubles les rentes sur l’État, les actions sur les canaux formant la dotation des majorats. Ce sont là des dérogations au droit commun établi par les art. 529 et 530 du Code civil ; mais elles ne peuvent avoir l’elïet de changer la nature matérielle des choses qui en sont l’objet, et qui sont toujours réellement mobilières. Il est par conséquent de toute évidence que ces choses ne donnent jamais lieu à l’action possessoire, et que les contestations dont elles peuvent être la matière, devant être résolues par l’interprétation des titres et des actes de l’administration qui les concernent particulièrement, sont de la compétence ou des tribunaux civils de pre- — 233 — mière instance ou de l’autorité administrative , suivant la question qu’il s’agit de décider. Au reste, les art. 517, 518, 519,520, 521, 523 spécifient les immeubles par nature, les art. 522, 524 et 525, ceux qui le sont par destination, et l’art. 525, ceux qui le sont par l’objet auquel ils s’appliquent; parmi ces derniers sont les servitudes, l’usufruit. SliCTION II. Des meubles isolés et des universalités de meubles. Nous avons démontré d’une manière générale, dans la section précédente, que les meubles ne pouvaient être la matière d’une action possessoire. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit à cet égard ; nous ajouterons seulement que la solution doit être la même, soit qu’il s’agisse d’une universalité mobilière, soit qu’il ne s’agisse que de quelques meubles isolés ; car le nombre n’en change pas la nature, et les raisons que nous avons données pour un seul s’appliquent incontestablement à une universalité. A la vérité, et comme nous l’avons déjà dit, sous l’ancienne législation, la complainte était admise pour universalité de meubles. L’article 97 de la Coutume de Pxiris portait Aucun n’est recevable de soi com- plaindre et intenter le cas de nouvelleté pour une chose mobilière particulière, mais bien pour universalité de meubles comme en succession mobilière. » L’ordonnance de 1557 admettait la complainte pour universalité de meubles, sans ajouter provenant d’une succession ; » mais les commentateurs, interprétant l’ordonnance par la coutume, avaient si bien senti tout ce — 234 — que cette disposition avait d’étrange, qu’ils avaient été forcés de restreindre la complainte au cas où il s’agissait d’une succession. On peut voir Dclaurière, sur l’art. 97 de la Coutume de Paris ; Bourjon, Droit commun de la France; Duplessis, des Actions. M. le président Henrion de Pansey, Compétence des juges de paix, semble être d’avis que cette complainte peut encore avoir lieu sous l’empire du Code de procédure, car il rapporte, sans aucune observation contraire, les lois et les auteurs qui l’admettaient autrefois. Cependant, sous l'empire même de l’ancienne législation , qui avait une disposition précise, ce principe fut attaqué, notamment par Bourjon, Droit commun de la France, t. 2, tit. A, cli. de la Complainte. Il paraît, dit-il, qu’il ne peut s’appliquer que lorsqu’une succession est contestée entre plusieurs ; mais si ces contestations s’élèvent avant l’an, c’est le cas du séquestre ; après l’an, il y a alors fin de non recevoir à intenter cette action. Je n’y vois donc pas de base ; c’est vain examen, vaine curiosité, plus que réalité que cette décision. » M. Merlin admet aussi la complainte pour universalité de meubles, comme on peut le voir sous ce mot de son Répertoire. MM. Levasseur, des Justices de paix; Dumont, Barbedette-Charmelais, Poncet, des Actions; Pigeau, Comment, posthum. ; Vazeille, des Prescriptions; Guichard, dans ses Questions possessoires ; Brossard, Juridiction civile des juges de paix, n°297; MM. Zachariæ et Troplong partagent ce sentiment. Voilà sans doute des autorités bien nombreuses et bien imposantes ; cependant nous sommes d’un avis contraire, et jamais aucun principe ne nous a paru plus évident que celui qui refuse l’action possessoire pour universalité de meubles. Les — m — auteurs que nous venons de citer nous paraissent avoir cédé trop facilement à l’influence des anciens principes, sans faire attention aux changements essentiels qu’ils ont subis. A tous ces auteurs, nous pouvons d’ailleurs en opposer d’autres dont les noms font aussi autorité en jurisprudence. M. Favard de Langlade, dans son Répertoire, au mot Complainte, décide nettement que l’action possessoire n’a pas lieu pour universalité de meubles. M. Adolphe Chauveau, que nous avons eu l’avantage de compter au nombre de nos confrères à la cour de cassation, et qui est maintenant professeur de droit administratif à la faculté de Toulouse, dans un article remarquable inséré au 8' cahier de son Journal des avoués de 1832; M. Carré, dans son ouvrage sur les Justices de paix, le disent également. Ce dernier se fonde sur ce que le Code de procédure ne répète pas la disposition de l’ordonnance de 1657, qui, comme nous l’avons déjà vu, autorisait formellement la complainte pour universalité de meubles ; sur ce que toutes ses dispositions supposent qu’il s’agit d’immeubles ; que l’art. 1041 du même Code abroge toutes lois, coutumes et usages relatifs à la procédure ; sur ce que l’art. 2279 du Code civil proclame en principe qu’en fait de meubles, possession vaut titre. On conçoit difficilement, dit-il, lorsque la loi garde le silence, comment il se pourrait faire qu’une totalité fût d’une autre nature que les unités dont elle se compose. » C’est aussi dans ce sens que s’explique fort nettement M. Aulanier. On admettait généralement autrefois, dit-il au n° 72, que l’action possessoire était recevable pour une univer- — 236 — salité de meubles composant une succession purement mobilière, beaucoup d’auteurs, entraînés par la routine, professent encore cette opinion tout-à-fait dénuée de fondement. Comme en fait de meubles la possession vaut titre, il ne serait pas raisonnable de faire pour les universalités mobilières une exception à la règle qui interdit la complainte pour les biens mobiliers. » Enfin, MM. belime, Caron et Dalloz repoussent également l’action possessoire pour universalité mobilière. Voyons, au surplus, sur quelles raisons se fondent ceux qui prétendent que la complainte a lieu pour universalité de meubles provenant d’une succession. Un particulier décède ne laissant que des meubles. Plusieurs individus se présentent presque aussitôt et se disputent l’hérédité. Ils veulent se mettre en possession. Il est évident que ni l’un ni l’autre ne peut intenter la complainte. Il n’y a pour aucun d’eux de possession particulière, ils n’ont que celle qu’avait le défunt; mais ils ne peuvent l’invoquer ni l’un ni l’autre, puisque leur qualité d’héritiers est contestée et incertaine. Il n’y a donc lieu qu’au séquestre. Supposons maintenant que l’un des prétendants se soit mis en possession de l’hérédité depuis un an ; qu’après ce temps un autre se présente comme héritier pour le tout ou pour la moitié, et qu’il s’empare de ce qu’il prétend lui appartenir. Le premier .pourra-t-il intenter la complainte? Si l’affirmative était admise, il pourrait user et abuser, et en fin de cause il adviendrait que, soit par le simple usage, soit par mauvaise foi, tous les meubles se trouveraient détruits ou dissipés, et que son insolvabilité rendrait tout recours illusoire, inconvénient qui n’est pas à craindre pour les immeubles. Mais, objectera-t-on peut-être, l’usurpation ne sera pas répri- — 237 — mée ; la voie de fait sera donc encouragée, récompensée? Celui qui l’aura commise se sera donc créé un droit qui l’emportera sur une possession paisible ? Nous répondons que la loi donne aux magistrats le moyen d’obvier à cet inconvénient par le séquestre, qui garantit, autant que possible, tous les intérêts; que s’il est probable que celui qui se sera emparé de vive force des meubles s’empressera de les dissiper, et qu’ainsi le séquestre ne pourra avoir lieu, évidemment la complainte ne serait pas plus efficace pour l’empêcher de les détourner et de les dissiper, et qu’en fin de cause, s’il est reconnu n’avoir aucun droit à la propriété, il peut être condamné comme voleur ; que la crainte de cette condamnation est la seule garantie que le législateur ait pu donner contre de telles voies de fait aussi, même dans le droit romain, qui admettait l’interdit utrubi pour meubles, en cas de trouble, il n’y en avait pas pour la dépossession par voie de fait. Vinnius en fait la remarque Hoc interdictum recuperandœ possessions ad res mobiles non pertinet, cum in eo casu safficiat acho furti, aut vi bonorum raptorum; cela s’applique à tous les cas, même à ceuxùle meubles isolés qui auraient été dérobés. Ce que nous venons de dire s’applique également au cas où un particulier s’emparerait de tous les meubles d’une succession, parce qu’il prétendrait les avoir acquis du défunt ou de ses héritiers. Dans toutes les contestations qui peuvent naître pour les meubles, soit qu’il s’agisse de quelques-uns seulement, soit qu’il s’agisse d’une universalité, nous ne voyons que des questions de propriété. Celui qui détient est réputé propriétaire, parce qu’en matière mobilière la possession vaut titre; il peut s’élever une contestation — 238 — non-seulement sur la qualité d’héritier, mais encore sur la question de savoir si les meubles ou quelques-uns d’entre eux appartenaient au défunt et font partie de sa succession ; nous ne connaissons pas d’action possessoire pour se faire maintenir dans un droit, un titre d’héritier; enfin la complainte est réelle et doit toujours s’appliquer à un objet déterminé, et non à un droit intellectuel. Ajoutons, en terminant sur ce point, que le motif donné par les auteurs sur les dispositions de la Coutume et de l’ordonnance qui autorisaient la complainte pour universalité de meubles, était le même que celui qui l’admettait pour les rentes constituées et les offices. Ces diverses choses étaient des immeubles fictifs, et ils disent tous que l’universalité mobilière participe de cette fiction, sapit quid immobile. Ce n’était donc qu’à cause de la nature immobilière que la complainte était reçue; il était donc vrai de dire, alors comme aujourd’hui, que la complainte ne pouvait avoir lieu que pour choses ou droits réels immobiliers ; mais notre Code n’ayant plus rangé dans cette catégorie les rentes, les offices, l’universalité des meubles, toutes ces choses étant au contraire meubles, il s’ensuit nécessairement qu’il n’y a plus de raison pour qu’aucune d’elles puisse donner lieu à la complainte. SECTION III. Immeubles par destination. Les auteurs sont bien laconiques relativement aux immeubles par destination. M. Carré, dans son dernier ouvrage, tome 2, page 250, n° 1403, se borne à dire Les choses immobilières par leur nature ne sont pas les seules — -239 — à l’égard desquelles la loi donne ouverture à cette action ; elle est également recevable par rapport à celles que la loi réputé immeubles fictifs par leur destination ou par leur application. Telles sont les objets mentionnés dans les art. 524, 525 et 526 du Code civil. » M. le président Ilenrion de Panseycite Imbert, qui dit On peut défendre en matière possessoire quand elle est mue et formée pour meubles, qu’ils ne tiennent et ne sont adhérents aux immeubles; car s’ils sont conjoints et accessoires des immeubles, la complainte est bien recevable. » M. le président cite encore Brodeau, qui, sur l’art. 07 de la Coutume, s’exprime ainsi La complainte a lieu pour les meubles adhérents et cohérents ou incorporés au fonds, et qui ne sont pas possédés comme chose mobilière, comme les ustensiles tenant à fer et à clous, chevillés ou scellés en plâtre et mis pour perpétuelle demeure, qui ne peuvent être emportés sans fraction ni détérioration. » Comme on le voit, l’opinion de ces auteurs est limitée. Elle n’embrasse que les choses mobilières qui sont adhérentes aux immeubles, qui tiennent à fer et à clous, sont chevillées ou scellées en plâtre, etc., etc. Cependant M. Henrion de Pansey en tire une conclusion bien plus générale. Ainsi, dit-il, celui qui est troublé dans la jouissance d’une maison peut demander d’être maintenu dans la possession, non-seulement de l’édifice, mais des meubles qu’il renferme, et qui par leur destination sont réputés immeubles. Il en est de même des mouches à miel et de toutes les choses mobilières que le Code civil réputé immeubles, — 240 — Pour tous ces objets, le possesseur qui en est dépouillé n’est pas réduit, comme pour les meubles proprement dits, à l’action en revendication, action pétitoirequi impose à celui qui l'intente l’obligation de prouver sa propriété. Il peut prendre la voie de la complainte, ce qui lui procure deux avantages 1° il suffit qu’il prouve qu’il possédait un an avant le fait dont il se plaint; 2° il a la faculté de porter son action devant le juge de paix, quelle que soit la valeur de l’objet qu’il réclame. » Mais les meubles deviennent immeubles par destination de plusieurs manières ; les uns y sont incorporés, scellés à plâtre, ou à chaux, ou à ciment, ou y sont placés de telle manière qu’ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés. Les autres le deviennent parce qu’ils sont livrés par le propriétaire au fermier ou au métayer pour la culture, ou placés par lui pour le service et l’exploitation de ce fonds. Tels sont, indépendamment des animaux, les ustensiles aratoires, les semences données au fermier ou colon partiaire ; Les pigeons des colombiers ; Les lapins des garennes ; Les ruches à miel ; Les poissons des étangs ; Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes; Les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres usines ; Les pailles et engrais. A cette nomenclature, on peut ajouter les nègres qui, dans les colonies, sont jusqu’à l'affranchissement promis — 211 — par la loi du 24 avril 1833, considérés comme immeubles quand ils sont attachés à l’exploitation des fonds. Édit de mars 1685, dit Code noir, art. 48. Mais cette qualité d’immeubles par destination que la loi donne aux objets que le propriétaire a placés pour le service et l’exploitation d’un fonds, n’étant que le résultat d’une fiction qui doit céder à la réalité, disparaît aussitôt que le propriétaire a changé la destination de ces objets et les a rendus à leur qualité naturelle de meubles en les détachant du fonds. La cour de cassation a, par trois arrêts des 5 août 1829, 3 août 1831 et 17 juillet 1838, appliqué ces principes dans des espèces où il s’agissait d’esclaves placés sur une habitation aux colonies ; elle a jugé que ces esclaves n’ont le caractère d’immeubles par destination qu’aussi longtemps qu’ils restent attachés au fonds, et qu’ils perdent ce caractère et recouvrent la qualité de meubles dès l’instant qu’ils en sont distraits par la vente séparée qu’en fait le propriétaire. Il existe bien une loi du 18 juillet 1845 relative au régime et au rachat des esclaves dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de Bourbon et leurs dépendances ; mais elle ne change rien aux principes ci-dessus exposés. Quant aux meubles immobilisés par leur incorporation et leur adhérence au fonds, nul doute que le possesseur annal de la maison ne puisse former complainte, et que le juge de paix, après avoir vérifié qu’ils ont avec cet édifice l’adhérence qui leur donne le caractère d’immeubles, ne doive prononcer la maintenue ou la réintégrande. Par exemple, il est des poêles pratiqués dans des murs pour chauffer deux pièces, et qui y sont, ainsi que leurs 16 — 242 — tuyaux, scellés à fer, chaux et plâtre; celui qui détruirait ou enlèverait ces objets troublerait le détenteur dans la possession de sa maison, car ils en font partie essentielle tout comme un mur, une cloison, des grilles, la toiture, qui, en cas d’atteinte de la part d’un tiers, pourraient être l’objet de l’action possessoire. les principes ont été consacrés par arrêt de la cour de cassation du 18 août 18 / 2 , rendu au prolit d’une commune qui avait poursuivi un particulier par action possessoire pour avoir enlevé les barres de bois, cadenas et boulons d’une barrière destinée â la clôture d’une place publique. Mais, malgré la généralité des termes dans lesquels est conçue l’opinion de M. Henrion de Pansey, il y a plus de difficulté à admettre la complainte pour les meubles immobilisés, sans adhérence au fonds, par exemple pour les nègres, les mouches à miel, les semences données au fermier, les pigeons, les lapins. Au premier aspect, il paraît étrange qu’on puisse l’intenter à celui qui se sera emparé de quelques abeilles, pigeons ou lapins, de pailles ou de grains destinés aux semences, de charrue, de faux ou autres instruments d’agriculture, de moutons ou chevaux qui se trouvaient dans les bâtiments d’une ferme ou dans un champ qui en dépend. On peut objecter que toutes ces choses ne deviennent immeubles que par l’effet d’une intention ou d’une convention souvent inconnue des tiers, et qui ne peut avoir d’effet à leur égard ; que la fiction légale ne les concerne pas et qu’ils ne -doivent voir que leur nature réelle ; qu’il est impossible de se faire maintenir dans la possession de mouches à miel, de lapins, de semences qui peuvent avoir été détruits ou avoir passé en plusieurs mains; que — 243 — les seules actions qu’on puisse intenter à leur sujet sont une demande en dommages-intérêts devant les tribunaux civils, ou une action devant les tribunaux criminels pour vol ou pour destruction d’objets mobiliers. A cela on peut répondre que le détenteur possède plutôt une habitation garnie de nègres, un colombier garni de pigeons, une garenne garnie de lapins, une ferme pourvue de ruches à miel, de moutons, chevaux, instruments aratoires, semences, engrais, qu’il ne possède des nègres, des pigeons, des lapins, etc., et que, conséquemment, c’est moins dans la possession de ces objets mobiliers qu’il s’agit de le maintenir ou réintégrer que dans celle de la garenne, du colombier, de la ferme, dont tous ces objets font partie nécessaire, puisqu’ils sont destinés au service de l’exploitation, qu’ils constituent le domaine rural, qui, sans eux, pourrait devenir inutile et négligé. Ce sont les différentes parties d’un même tout. L’accessoire est de la même nature que le principal et doit en suivre le sort, d’après la maxime Accessorium sequitur vicem rei principalis. Le possesseur annal de ces accessoires, lorsqu’ils y ont été placés depuis un an, demandera donc à être maintenu dans la possession de la garenne, du colombier, de la ferme, et, conséquemment, des objets qui en font partie. Sans doute cette action sera intentée rarement, soit parce que le possesseur préférera prendre la voie criminelle, comme plus propre h réprimer sévèrement l’atteinte portée à ses droits, soit parce qu’il aura la conviction que l’auteur de la soustraction n’élève aucune prétention à la propriété ni à la possession du surplus de son immeuble, et qu’une demande en dommages-intérêts le satisfait pleinement ; mais il n’en est pas moins certain qu’il a la faculté d’opter pour l’action posses- soire, qui devra être accueillie soit que le défendeur ait commis le fait avec prétention annoncée à la propriété ou à la possession de la ferme, ou de l’objet particulier qui en a été distrait, soit qu’il ait renoncé devant la justice à cette prétention. Cette solution est conforme aux principes du droit commun ; car lorsque des bois, des blés, des foins sont coupés et enlevés, le possesseur a le choix ou de la voie criminelle, ou de la simple action civile en restitution de ces objets avec indemnité, ou de l’action posses- soire, pour être maintenu en possession de son héritage, sans pouvoir être repoussé, soit parce que ce sont des objets mobiliers qu’on lui a enlevés, que l’auteur ne se prétend ni propriétaire ni possesseur, soit parce que ces objets sont déjà consommés ou vendus. Mais si le fermier ou tout autre individu qui aurait soustrait des meubles adhérens ou non au fonds les avait ensuite vendus et livrés à un tiers, l’action possessoire pourrait-elle être intentée contre celui-ci? Il est bien certain que la complainte peut être intentée contre le tiers qui aurait acquis un champ ou une maison de celui qui ne les détiendrait que par suite d’un trouble ou d’une usurpation. Mais le Code civil a, relativement aux meubles, des dispositions importantes qu’il ne faut pas perdre de vue. Art. 564. Les pigeons, lapins, poissons, qui passent dans un autre colombier, garenne ou étang, appartiennent au propriétaire de ces objets, pourvu qu’ils n’y aient point été attirés par fraude et artifice. Art. 2279. En lait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé — 2io — une chose peut, la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve, sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. Art. 2280. Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté. » Ces dispositions de la loi s’appliquent-elles à tous les meubles sans distinction, ou ne concernent-elles que les meubles non devenus immeubles par destination ? Il nous semble difficile de pousser les conséquences de l’immobilisation jusqu’à soustraire les meubles, qui en sont l’objet, à l’empire de la règle établie par les articles précités. Ils ne sont immeubles que parce qu’on les considère comme unis au fonds, et à cause de leur corrélation avec ce fonds. Qu’ils aient le caractère immobilier entre le propriétaire et le fermier, ou à l’égard de tous ceux qui connaîtraient la convention ou le fait qui les rendent tels; que celui qui, s’introduisant dans la maison, et enlevant le poêle qu’il a vu pratiqué dans le mur et scellé, soit considéré comme ayant attenté à l’immeuble, rien de mieux, parce qu’au moment de la voie de fait la chose a ce caractère ; mais elle est devenue meuble après l’attentat. A l’égard du tiers, elle n’est et ne peut être qu’un meuble, puisqu’elle est telle par sa nature, et que sa destination est détruite. Le législateur a bien senti la nécessité de consacrer des dispositions particulières sur les meubles. Ils passent rapidement de mains en mains, sans contrat, sans — 216 — que les parties qui se les transmettent se connaissent. Souvent tout est terminé à l’instant; l’un livre, l’autre paye. Où en serait le commerce si l’on pouvait, par des exceptions purement légales, dont rien n’indique l’application à tels on tels meubles, anéantir un achat consommé par la livraison et le payement ? Le Code a fait une exception pour le cas du vol ou de la perte de la chose ; mais cette exception, que la morale et l’équité justifient également, doit être restreinte à ses termes précis. La seule action que donne la loi est la revendication dans le délai de trois ans de la perte ou du vol. Une simple action possessoire n’est point une revendication elle ne pourrait y suppléer. Si l’on pouvait l’admettre, la loi serait éludée. Celui qui aurait possédé pendant un an se ferait maintenir par la complainte, et il en resterait là, parce qu’il ne lui serait peut-être pas possible de prouver sa propriété. Cependant, d’après le principe que celui qui a été maintenu au possessoire n’a plus rien à prouver, il gagnerait définitivement, puisqu’il rejetterait sur son adversaire la preuve de la propriété. Pour pouvoir revendiquer dans le cas de l’article précité , il faudra presque toujours agiter la question de propriété. Le tiers qui sera prévenu d’avoir acheté, volé ou trouvé une chose qu’on soutiendra ne pas lui appartenir, prétendra qu’il en est le propriétaire. Comment maintenir en possession de cette chose celui qui, dans la réalité, n’y aurait aucun droit? Toutefois, ce que nous venons de dire cesserait d’être applicable si le tiers était de mauvaise foi, s’il connaissait le caractère immobilier de la chose. La fraude, en effet, fait exception à toutes les règles. Il en serait ainsi, même quand il aurait acheté dans une foire, marché, vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, l’est ce qu’a jugé la cour de cassation, section criminelle, par arrêt du 25 novembre 1825, rapporté aux Annales de jurisprudence et de législation commerciales, vol. de 1825, p. 2/i5. Une curandièrc avait vendu dans un marché public des toiles qui lui avaient été confiées pour les blanchir, La curandière fut poursuivie pour abus de confiance, et l’acheteur comme complice par recelé. Ils furent condamnés l’un et l’autre. L’acheteur s’est pourvu en cassation, et l’un de ses moyens était basé sur la violation de l’article 2280 du Iode civil. 11 prétendait que cette disposition était introduite dans l’intérêt du commerce; que le législateur, en s’exprimant en termes généraux qui n’admettaient aucune distinction, s’était fondé sur la présomption légale que celui qui achetait aussi publiquement une chose que tout autre que lui pouvait acquérir, était à l’abri de tout soupçon, et était légitime propriétaire. Mais ce moyen fut rejeté, attendu que l’art. 2280 du Iode civil n’est applicable qu’au détenteur de bonne foi, et que dès lors il ne pouvait l’être à B..., déclaré complice par recèlement, et par conséquent constitué en mauvaise foi. » Dans une autre espèce, un sieur Quarré, propriétaire d’un bien rural auquel il avait attaché un beau troupeau de moutons, l'afferma à un sieur Moreau ; celui-ci conduisit ce troupeau à un marché public, où il le vendit à un sieur Lesage. Le propriétaire du domaine attaqua cette vente, qui fut cependant validée tant en première instance qu’en appel. Il se pourvut en cassation, et l’un 218 — de ses moyens consistait à prétendre que les articles 2270 et 2280 du Code civil, ci-dessus rapportés, ne pouvaient être invoqués par l’acquéreur pour conserver le troupeau ; que ce troupeau était immeuble par destination, aux termes des articles 523 et 524 du Code civil ; que celui qui acquiert un immeuble a non domino n’en devient propriétaire que par une possession prolongée pendant le temps nécessaire pour constituer la prescription, et que jusque-là il profite seulement des fruits s’il est de bonne foi, circonstance qui n’existait pas. Mais par arrêt du 8 mai 1827, qui, à notre connaissance, n’a été inséré dans aucun recueil, la chambre des requêtes a rejeté ce moyen, en disant que les articles de lois invoqués par le demandeur n’étaient pas applicables à la cause; que la mauvaise foi n’était pas prouvée. SECTION IV. Des immeubles ameublis par stipulation. 11 nous reste à dire un mot des immeubles qui ont été ameublis. D’après l’article 1505 du Code civil, les époux ou l’un d’eux peuvent faire entrer dans la communauté les immeubles qui leur appartiennent. Cette clause s’appelle ameublissement. Nous n’entretiendrions pas nos lecteurs de la difficulté qui peut se présenter de savoir si la complainte est recevable à raison de ces immeubles, si nous n’avions été témoin d’une discussion très-vive dans laquelle la négative a été soutenue fortement. Ces immeubles, disait-on, perdent leur caractère. Puisque la loi qui repousse la complainte pour les objets — 2i9 — mobiliers est conçue en termes généraux qui n’admettent aucune distinction , qu’il s’agit d’une matière de la compétence d’un juge spécial, il faut s’en tenir strictement à la règle. Or, la complainte étant admise pour les meubles qui, par leur adhérence à des immeubles, deviennent immeubles fictifs, il faut la rejeter à l’égard des immeubles qui, par la convention, changent de nature et deviennent des meubles fictifs. Mais ces raisonnements ne sont que de purs sophismes. Et d’abord, comme en matière de complainte il ne s’agit [ue de possession , que la propriété est incertaine, chacun prétendant avoir possédé à titre de propriétaire; que ce serait d’ailleurs la convention seule qui changerait l’état des choses, il serait impossible d’admettre la doctrine que nous combattons, puisque les contrats n’ont d’ellet qu’entre les parties; que le juge de paix ne peut les interpréter, et que, souvent en les interprétant, il ne pourrait savoir si l’immeuble appartient aux époux ou au tiers qui les a troublés ou qu’ils ont troublé. '.eux qui soutiennent l’opinion contraire à la nôtre mettent donc en fait ce qui est en question ; ils supposent comme constant que l’immeuble appartient en propriété aux époux, ou qu’il est compris positivement dans une clause d’ameublissement. Mais en admettant cette supposition comme la vérité, nous dirons qu’on ne serait pas mieux fondé à repousser la complainte. Il n’est pas vrai, il n’est pas même possible que les immeubles deviennent des meubles par le seul effet d’une convention. Tout ce qui en résulte, c’est que la communauté en devient propriétaire et en dispose sans en de- — 250 — voir d’indemnité à celui des époux qui les a apportés; c’est un effet purement légal et pas du tout matériel. Ce sont toujours des immeubles, puisqu’ils ne peuvent se transporter d’un lieu à un autre. Toutes les raisons que nous avons données pour justifier la nécessité d’une complainte en matière immobilière s’appliquent assurément aux immeubles soumis à la clause d’ameublissement, tandis qu’aucune de celles que nous avons données pour repousser une semblable action en matière mobilière ne s’applique à ces mêmes immeubles. Nous nous livrerons, dans les chapitres suivants, à de plus grands développements à l’égard de plusieurs points traités dans celui-ci. Nous avons dû nous borner, quant à présent, à des idées générales, à poser des principes ; nous en ferons plus tard l’application. CHAPITRE II Des divers immeubles et droits réels qui peuvent être l’objet des actions possessoires. Maintenant qu’il est bien établi que les immeubles et droits réels immobiliers donnent seuls lieu à l’action pos- sessoire, il convient d’examiner séparément chacune des choses de Cette nature qui peuvent en devenir l’objet. L’article 3 du Code de procédure, après avoir désigné nominativement les actions relatives aux déplacements de bornes, aux usurpations de terre, arbres, haies, fossés et autres clôtures, ajoute et toutes autres actions possessoires. » La loi du 25 mai 1838 attribue aux juges de paix la connaissance des entreprises sur les cours d’eau servant à l’irrigation des propriétés, et au mouvement des usines et moulins, des dénonciations de nouvel œuvre, complaintes , réintégrandes et antres actions possessoires. Ces articles de loi indiquent une première division entre les choses expressément énoncées et celles qui ne le sont pas. SECTION ] rc . Des choses désignées par le Code de procédure et par la loi du 25 mai 1838 comme pouvant être l’objet des actions possessoires. Nous suivrons, dans les développements que nous avons à donner sur ce sujet, l’ordre adopté par le Code et par la loi de 1838 ; nous commencerons par le déplacement de bornes. — 232 — § 1". Des déplacements de bornes. Suivant les auteurs du Nouveau Denisart, MM. Merlin, Favard, au mot borne; Toullier, t. 3, p. l/i5; Pardessus, des Servitudes, n° 120, on entend par bornes, en général, toute séparation naturelle ou artificielle qui marque les confins ou la ligne de division de deux héritages contigus. On peut planter des arbres ou une haie pour servir de bornes, creuser un fossé, élever un talus, un mur, etc. Mais on entend communément par bornes, des pierres plantées debout et enfoncées en terre aux confins de deux héritages. Quelquefois on plante à chaque extrémité des confins deux pierres réunies, pour leur donner le caractère de bornes; d’autres fois on n’en plante qu’une seule, et, pour la mieux caractériser, on brise une brique ou l’on fend une pierre en deux morceaux, que l’on réunit, puis on les place au-dessous de la borne. » Chez les Romains, les bornes étaient sacrées. Selon Festus, in voce Termino, ils en avaient fait un dieu; ils sacrifiaient au dieu Terme, parce qu’ils croyaient que les bornes des héritages étaient sous sa protection Termine, tel lapis, lu quoque numen liabes. Ovin., Fast., 1. 2. C’était à cause des sacrifices que faisaient les païens sur le lieu où ils plaçaient ces bornes, qu’on y trouvait de la cendre et du charbon. L’usage de mettre ces signes sous les bornes, qui s’est maintenu jusqu’à nos jours, n’a probablement pas d’autre origine, — 253 — Numa Pompilius voua à l’exécration publique et celui qui faisait passer la charrue sur une borne et les animaux dont il se servait Qui Terminum exarassit, ipse — 293 — 3° Il en serait de même pour ce qui tient aux chemins de halage dont le sol est en général la propriété des particuliers, sur lequel l’Etat est censé n’avoir qu’une servitude, et pour ce qui est des lits abandonnés, aux termes de l’art. 563 , ou du cas où le fleuve,.en se formant un bras nouveau , coupe et embrasse le champ d’un propriétaire riverain et en fait une île art. 562 ; ou encore du droit de pêche, dans le cas prévu par l’article h de la loi du 15 avril 1820. A plus forte raison, l’action possessoire est-elle admise dans toutes ces hypothèses, lorsque le débat, au lieu de s’élever entre l’Etat et des particuliers, s’agite entre des particuliers seulement. Il y a plus, et le trouble dans la possession de9 eaux navigables ou de leurs accessoires qui ne donnerait pas lieu à l’action possessoire entre l’Etat et les particuliers, rend au contraire cette action généralement recevable entre ceux-ci. Le gouvernement seul a le droit d’autoriser à faire des prises d’eau dans les rivières du domaine public; mais la concession une fois faite, les difficultés survenues entre divers concessionnaires ou riverains sont du ressort des tribunaux, surtout lorsqu’elles s’agitent au possessoire. Nous pourrions étayer notre opinion d’un décret du 10 septembre 1808 et d’un arrêt du conseil du 9 janvier 1828, rendu sur conflit. Nous convenons qu’on y aura recours rarement, parce qu’à raison du mélange ordinaire de l’intérêt public et privé, on pourra obtenir de l’administration la répression du fait dommageable ; mais il pourra quelquefois en être autrement. L’action possessoire ne pourrait être refusée contre le — 29t — particulier qui arrêterait le mécanisme, les roues de l’usine ou s’installerait dans le bâtiment. Il en serait de même du cas où, par exemple, il s’emparerait de la prisé d’eau dont le voisin est en possession depuis un an, soit pour arroser sa prairie, soit pour faire mouvoir son moulin, ou s’il faisait clans la rivière des travaux qui lui nuisent. La réintégrande serait certainement admise s’il y avait eu violence ou voie de fait. Toutes les raisons que nous avons données comme fondement de cette action s’appliqueraient très-bien ici. Nous ne comprendrions pas que lorsqu’un particulier aurait commis les entreprises dont nous venons de parler, malgré la résistance du possesseur, la réintégrande pût être refusée à ce dernier. Nous pensons que la complainte devrait aussi être admise. Le défendeur ne pourrait repousser ni l’une ni l’autre action en demandant la production des titres ; car, dès que l’administration peut autoriser les prises d’eau, les moulins, le possesseur est réputé, à l’égard des tiers, avoir obtenu la permission ; seulement cette non production serait un motif pour que le juge de paix exigeât du demandeur une possession bien plus positive résultant de faits non équivoques. Les auteurs du Xouveau Denisart, V° Complainte, citent un arrêt du parlement de Paris, du 20 mai 1761, qui consacre en partie ces principes, en admettant la complainte dans une espèce qui mérite d’être remarquée, puisqu’il s’agissait d’une rivière navigable. M. le duc de Chaulues était en possession, pour faciliter l’empoissonnement de ses étangs, de faire lever tous les ans, depuis le 15 août jusqu’au 8 septembre, un — 295 — vantail de chaque écluse des moulins étant sur la rivière de Somme navigable, dans une étendue de près de six lieues au-dessus et au-dessous de Péronne. Ayant été troublé dans l’exercice de ce droit par le chapitre de Péronne, propriétaire’ de plusieurs moulins sur cette rivière, il forma complainte. Le chapitre soutenait que le droit prétendu par M. le duc de Chaulnes ne pouvait être qu’une servitude, parce que le terrain sur lequel il l’exerçait ne relevait pas de lui, mais du roi, et que le droit sur la chose d’autrui est servitude quand il n’appartient pas au seigneur; d’où le chapitre concluait qu’il ne pouvait y avoir lieu à la complainte. L’arrêt rendu sur les conclusions de M. Joly de Fleury accueille la demande, maintient et garde le duc de Chaulnes dans sa possession, avec défenses de l’y troubler, sauf au chapitre à se pourvoir au pétitoire, ainsi qu’il avisera. La jurisprudence moderne n’est pas moins positive. Nous avons cité ci-dessus, et dans notre Régime des eaux, des décisions qui ne laissent là-dessus aucun doute. Vainement opposerait-on, comme contraire à ces principes, un arrêt du conseil du 1 er février 1833, parce que, dans l’espèce sur laquelle il est intervenu, il y avait mélange de l’intérêt public et privé; il s’agissait d’exécuter dans la rivière des travaux qui pouvaient en exhausser le lit, contrairement aux besoins de la navigation. Ainsi toute discussion entre particuliers qui a pour objet des servitudes, des droits d’usage et de propriété de cours d’eau, et autres charges résultant d’actes et contrats, ou qui sont fondés sur la possession plus ou moins longue, donne lieu à l’action possessoire, soit que les actes émanent de l’administration, soit qu’ils renferment des conventions privées, car l’usage des eaux publiques peut être entre particuliers le sujet de conventions qui, bien que non opposables à l’administration, n’en sont pas moins obligatoires*pour ceux qui les ont souscrites. Nous bornerons là nos observations sur cette matière, que nous avons traitée avec plus d’étendue dans notre ouvrage déjà cité. A ht. 2 . Des eaux qui ne sont ni na\ fables ni flottables. Nous subdiviserons cet article en deux numéros nous parlerons 1° des eaux qui ont un cours, 2° et des eaux qui n’en ont pas. Nous commence! ons par celles-ci. \ n 1 er . Des eaux qui 11*0111 pas de cours lacs, étangs, inares, citernes, puits, fontaines, eaux minérales. Les lacs, étangs, mares et citernes, sont des amas d’eaux dormantes plus ou moins considérables. 11 y a des lacs et étangs navigables auxquels il faut par conséquent appliquer les règles que nous avons déjà données relativement aux eaux de cette nature. Nous ne nous occupons ici que de ceux qui ne sont ni navigables ni flottables. Ces derniers, qu’ils appartiennent à l’État, aux communes ou à des particuliers, sont soumis aux principes que nous allons rappeler. Observons que le lac ne diffère de l’étang qu’en ce que, pour l’ordinaire, il renferme une plus grande masse d’eau pie celui-ci. L’un et l’autre en renferment plus que les • mares et citernes. Les mares sont particulièrement en usage dans la Normandie, et les citernes dans le Midi de la France. On nourrit ordinairement du poisson dans les lacs et étangs. Leurs terrains sont en pente, fermés le plus souvent par une chaussée ou déversoir auquel on adapte une bonde ou petite vanne qui sert à les mettre à sec pour la pêche et le curage. La mare est une cav ité de peu d’étendue qui ne contient communément que des eaux pluviales, et qui sert au puisage, au lavage, à l’abreuvage des bestiaux. La citerne est un trou dont le fond, pavé, glaisé et couvert de sable, est destiné à recevoir et conserver les eaux pluviales, et qui, à peu de choses prés, a la même destination que la mare. Aucune loi ne détermine de distance à observer entre l’étang, la mare ou citerne que l’on établit, et le fonds voisin. 11 faut se reporter à ce que nous avons dit, page 283, pour les fossés, et reconnaître qu’en général cet établissement ne doit donner lieu qu’à l’action péti— toire. Si les eaux, par leur infiltration ou autrement, nuisaient aux voisins, ceux-ci auraient le droit de faire réparer le dommage. Ils ne seraient même pas tenus d’attendre l’effet des eaux ou des travaux ; ils pourraient poursuivre l’auteur des ouvrages, ainsi que nous l’avons vu précédemment; car la crainte fondée du dommage empêche de jouir paisiblement, déprécie même la propriété; il y a trouble à la possession. Le second projet de Code rural contient à cet égard des dispositions qui, bien que n’étant pas des lois, peuvent être ici utilement rappelées Art. 203. Celui qui fait construire un étang ne peut inonder aucune partie des héritages voisins, sans le cou- — 298 — sentement des propriétaires ou sans un titre formel ayant moins de trente ans de date. Il sera tenu de laisser à découvert, entre le bord de son étang et l’héritage voisin, un espace suffisant, suivant les circonstances locales, que ledit héritage ne soit point incommodé par les eaux. Cette distance sera réglée de gré à gré entre les parties ou par le juge de paix, sur un avis d’experts, et sans le recours au tribunal de première instance. Art. 20/i. Les propriétaires d’étangs sont obligés d’entretenir en bon état les chaussées, digues et décharges, à peine de répondre des dommages qui résulteraient de leur négligence à cet égard. Les cas fortuits ou de force majeure demeurent exceptés. » Lorsque les divers objets désignés ci-dessus ont un déversoir, l’étendue du terrain qui les constitue et celle des héritages voisins sont faciles à déterminer. Le propriétaire de l’étang, etc., est réputé l’être de tout le terrain que l’eau couvre quand elle est à la hauteur du déversoir ; par conséquent, la possession que les voisins peuvent acquérir pendant les basses eaux, sur partie de ce terrain, est précaire, inefficace, et ne peut autoriser la complainte, comme l’a jugé un arrêt de la cour de cassation du 25 avril 1811, à moins toutefois qu’ils n’aient fait des constructions qui empêchent les eaux de revenir baigner le terrain qu’elles occupent ; car alors la possession serait valable et bien différente de celle invoquée dans l’espèce de l’arrêt ci-dessus, qui consistait seulement à avoir coupé des herbes. L’art. 558, en effet, n’a statué que pour le cas d’alluvion, c’est-à-dire où les choses restent en même état, ce qui n’einpêche pas d’appliquer — 299 — les règles clu droit commun sur la possession et la prescription ; à plus forte raison, le principe que l’alluvion n’a pas lieu à l’égard des étangs cesse-t-il d’être applicable quand l’étang a disparu depuis plus de trente ans et qu’il n’existe plus qu’un simple fossé avec cours d’eau. Arrêt de la cour de cassation du 28 avril 1845. Par conséquent, lorsque l’étang a cessé d’exister depuis trente ans, ceux qui en ont possédé le lit pendant cette période en ont acquis la propriété par la prescription arrêt de la cour de cassation du 29 décembre 1845, et, après une année de possession pleine et entière du terrain de l’étang, le possesseur troublé pourrait intenter l’action possessoire. D’un autre côté, le propriétaire de l’étang n’acquiert aucun droit sur les terres que les eaux couvrent, soit par suite de crues extraordinaires, soit par l’exhaussement du déversoir. Art. 558 du Code civil. La disposition de cet article n’est que la reproduction du principe établi, en droit romain, par la loi 12 ff. de acquir. re. do-min. Lacus et stagna licet interdum cres- cant interdum exarescant, suos tamen terminas retincnt; ideoque in his jus alluvionis non adgnoscitur. L’inondation, dans le second cas l’exhaussement du déversoir, est même un délit, aux termes de la loi du 6 octobre 1791 et de l’art. 457 du Code pénal. Dans les deux cas, eût-elle duré pendant une année, elle ne pourrait autoriser la complainte. Il en est dilféremment des terres que les eaux couvrent par suite d’envahissements successifs occasionnés par le flottement. Comme, dans ce cas, ces envahissements ne sont point le résultat de l’élévation du déversoir, ni du défaut d’entretien des digues, ni enfin du fait du pro- — 300 — priétaire, mais qu’au contraire 1 étang ne s’est agrandi que successivement et par une cause naturelle, le propriétaire profite de ces envahissements et conserve les terres envahies, qui dès lors deviennent imprescriptibles comme les rives mômes de l’étang. Arrêt du 17 décembre 1838. 11 faut en dire autant des terrains couverts périodiquement durant les crues annuelles de la saison d’hiver, dalla disposition de l’art. 558 du Code civil, de laquelle il résulte que le propriétaire d’un étang ne peut profiter des crues extraordinaires, ne doit s’entendre que des crues accidentelles et non des crues périodiques. Les terrains couverts par ces dernières sont réputés faire partie intégrante du lit et des rives de l’étang et participent à son imprescriptibilité. Arrêt du 9 novembre 18/il. L’application de l’art. 558 entraine plus de difficulté lorsqu’il n’existe pas de déversoir certain. Cependant il faut bien se rattacher au fait matériel de la possession qui doit servir de règle de décision. La loi de 1791 défendant d’inonder l’héritage voisin, lors même que l’étang n’apas de déversoir, il est indispensable de consulter l’état des lieux et l’étendue de la jouissance respective pour connaître s’il y a ou non délit. La possession annale doit être admise, autoriser la complainte et conduire à la solution de la question, comme la possession trentenaire servirait à décider celle de propriété. Art. 271, deuxième projet de Code rural. Dans le même cas, les titres peuvent être utilement consultés et servir à fixer le caractère et l’étendue de la possession. C’est ce qui résulte de cet art. 271 et d’un arrêt de la cour de cassation du 9 août 1831, conçu dans les termes suivants Attendu que l’arrêt attaqué a reconnu, en droit, que — 301 — lorsqu’il s’agissait de déterminer l’étendue d’un étang, c’était le déversoir qui devait, indépendamment du titre, régler la contenance de l’étang ; mais qu’il a constaté, en fait, que l’ancien déversoir avait été détruit clandestinement par les propriétaires, et qu’il n’en subsistait aucune trace ; qu’en se fondant par ce motif sur les énonciations du titre, il n’a pas violé l’art. 558 du Code. » Il peut arriver qu’un étang appartienne à plusieurs particuliers qui y exercent des droits différents. Nous voyons dans l’espèce d’un arrêt de la cour de cassation du 31 janvier 1838, que la pêche d’un étang appartenait à l’un, et qu’un autre avait droit d’en recueillir les produits quand il était à sec. Lorsque la propriété des lac, étang, etc., est reconnue, celui qui n’a fait qu’y puiser ne peut prétendre avoir acquis aucun droit de propriété ni de servitude. Telle est l’opinion d’Houard, qu’un arrêt de cassation du 23 novembre 1808 a consacrée. L’auteur s’exprime ainsi, Dictionnaire de droit normand, V° Mure. Le propriétaire d’un fonds où est une mare, dit-il, peut en faire tel usage qu’il veut; il peut en refuser l’usage à scs voisins, et quelque longue possession qu’ils aient eue d’y puiser de l’eau, cette possession est une servitude qui ne peut faire un titre. La possession, en ce cas, pouvant dériver de tolérance comme d’un droit, est douteuse, et dans le doute on doit se déterminer en faveur de la libération. Le prétexte d’utilité publique ne peut valoir en ce cas. Le propriétaire du fonds n’est obligé de secourir la communauté que lorsqu’elle n’est pas en état de se procurer les secours que, sans s’incommoder, il peut lui donner; or, ii l’exception du cas d’absolue nécessité, les — 302 habitants peuvent se creuser des mares dans les lieux qui leur appartiennent ; mais ils n’ont pas le droit d’obliger le propriétaire d’une mare à la faire subsister; il est libre de la supprimer quand il le croit convenable à ses intérêts. » Il en serait différemment si les habitants avaient fait, même conjointement avec le propriétaire, tous les actes de possession que comporte un immeuble de cette nature ; par exemple, si, outre les lavage, puisage et abreuvage, ils avaient pêcbé, curé, emporté les terres et les bois ou arbrisseaux qui y auraient pris naissance. La réunion de tous ces faits serait nécessaire. Alors la possession serait commune. Une année suffirait pour autoriser la complainte, qui aurait pour but, de la part de ceux qui auraient été troublés par leurs cointéressés, de se faire maintenir dans une possession en commun avec eux. Il n’est pas nécessaire, en effet, pour intenter l’action possessoire, d’avoir une possession exclusive. Arrêt de la cour de cassation du 19 novembre 1828. Si la jouissance était exclusive, ce serait dans une possession exclusive que le juge maintiendrait. Mais si la propriété originaire de l’étang n’était pas constatée ou avouée, le juge ne pourrait exiger des faits de possession aussi précis ni aussi multipliés. Il adjugerait la possession exclusive à celui qui seul aurait fait quelques-uns de ces actes, ne fussent-ils que de puisage, lavage, abreuvage, ou la jouissance commune à ceux qui les auraient exercés également. Lorsqu’un étang est desséché en exécution de la loi du 1 h frimaire an II, les droits de pêche, d’abreuvage ou puisage qu’on peut y avoir sont nécessairement suspendus; mais ils revivent si l’étang est rétabli, à moins que — 303 — le rétablissement n’ait lieu qu’après trente ans. Cette solution est vraie, même quand l’étang appartient à l’État et que c’est lui qui l’a desséché. Arrêt de la cour de cassation du 30 décembre 1839. L’art. 266 du second projet de Code rural contient une disposition qui nous paraît conforme aux principes, et que nous adoptons, sauf le délai dans lequel il circonscrit la réclamation. Il est ainsi conçu En cas d’inondation, crue ou débordement d’eau, le propriétaire de l’étang aura le droit de suivre son poisson sur le terrain d’autrui, même jusqu’à la fosse de l’étang supérieur, pendant huit jours, à compter de celui où l’inondation aura cessé, le propriétaire voisin étant présent ou dûment appelé. Il aura le même droit, soit pendant le temps de la pêche, soit en cas de rupture des chaussées, digues, grilles ou grillons, à la charge, dans tous les cas, de payer les dommages occasionnés par cette recherche. Mais si le poisson a passé dans un autre étang également empoissonné, il n’y aura pas lieu au droit de suite, pourvu que le poisson n’ait point été attiré par fraude ou artifice. » Il est bien évident que si le voisin refusait de rendre le poisson jeté sur son terrain par une inondation, le propriétaire de l’étang ne pourrait, en se fondant sur ce que ce poisson est immeuble par destination, intenter l’action possessoire ; car il n’est pas troublé par le fait de son adversaire dans la possession de cet étang. Il y aurait plus de difficulté à le décider ainsi, dans le cas où le poisson aurait été attiré dans l’étang voisin par fraude et artifice. Le poisson faisant partie de l’immeuble, il semble que ce fait pourrait être pris pour — 30-i — trouble à la possession ; que l’on pourrait demander à y être maintenu, avec restitution du poisson ; mais il vaudrait mieux se pourvoir simplement en dommages-intérêts. L’usurpation, l’entreprise sur un lac, étang, mare ou citerne, peuvent avoir lieu soit en attirant, en pêchant le poisson, en dérivant une partie de leurs eaux, en s’emparant d’une portion de leur lit, en y abreuvant ses bestiaux, y puisant, lavant, ou de toute autre manière qui constitue l’usage de la chose, permis au seul propriétaire ou à celui qui a acquis des droits. L’art. 205 du 2” projet de iode rural est ainsi conçu Les propriétaires d’héritages voisins d’un étang ne peuvent, d’aucune manière, détourner ou attirer les eaux qui l’alimentent, ni avoir des fossés derrière ou plus près de sa chaussée qu’à, la distance de deux mètres au moins, afin de prévenir l’infiltration des eaux. » Cette disposition est sage dans ses deux parties ; mais, dans l’état actuel de notre législation, la seconde ne peut être considérée par les tribunaux comme une règle générale; ils ont au contraire un pouvoir discrétionnaire et doivent se déterminer d’après les circonstances. De leur côté, ces propriétaires ont action, comme nous l’avons vu, contre le constructeur de l’étang qui, par sa trop grande proximité, leur cause ou peut leur causer un dommage, ou qui les inonde ; ils auraient également action dans le cas où le défaut de curage, l’établissement d’un routoir, nuiraient à la salubrité ou à la propriété. Ils pourraient user de la complainte. Ces principes seraient de même applicables au cas où l’étang serait d’origine nationale, ainsi que l’a décidé la cour de cassation, le 16 janvier 1832, pour celui du Plessis-Piquet. Il a été aussi jugé par cet arrêt que lors- — 305 — que l’État vend les eaux provenant de l’étang, avec déclaration que la jouissance des eaux ne comprend point la propriété foncière ni la pêclie de cet étang, ni celle de ses francs-bords, qui pourront toujours être loués par l’État comme par le passé, l’acquéreur n’a droit qu’auxe aux qui sortent, coulent et se répandent en dehors; que l’État, ou celui cpii le représente, a le droit d’enclore cet étang, en laissant passage aux eaux, et de profiter de ses glaces. Les principes ci-dessus sont encore applicables au cas où il s’agit de dommages causés à l’aide de travaux faits à la chaussée et au déversoir d’un étang, soit qu’ils aient été autorisés par l’administration, soit que l’auteur des travaux ait dépassé les termes de la permission. Arrêt de la cour de cassation du 23 mai 1831. Le puits est un trou profond creusé de main d’homme, ordinairement revêtu de pierre en dedans, et fait exprès pour en tirer de l’eau. 11 est loisible à tout propriétaire de creuser un puits dans son propre fonds; le voisin ne pourrait intenter contre lui une action possessoire à raison de ce fait, quand même son puits ou sa source en seraient taris, pourvu que les travaux aient, été entrepris non dans l’intention de nuire, mais dans un but d’utilité. Il devrait y avoir exception, suivant nous, dans le cas où, en creusant un puits, on ferait tarir des sources d’eaux minérales, et qu’on exposerait un établissement thermal à être détruit. Il y aurait même lieu, dans ce cas, à l’action en dénonciation de nouvel œuvre, en se conformant toutefois à ce que nous avons dit dans le titre 1" en traitant de cette action ; car il importerait de ne pas laisser porter à l’établissement un préjudice qu’il pourrait être impossible de réparer après l’achèvement des 20 — 306 — travaux. Voyez sur cela et sur la compétence des autorités notre Régime des eaux et l’art. 129, second projet de Code rural. L’art. 67A du Code civil exige que celui qui fait creuser un puits, près d’un inur mitoyen ou non, laisse la distance prescrite par les règlements et usages particuliers, ou fasse les ouvrages prescrits par ces mêmes règlements ou usages pour éviter de nuire au voisin. L’infraction k cette disposition donnerait lieu de la part de celui-ci k une action soit en complainte, soit en dénonciation de nouvel œuvre, comme dans le cas de plantation trop rapprochée de l’héritage voisin. L’art. 6 de la loi du 25 mai J 888 donne pour ce cas une nouvelle attribution aux juges de paix. L’effet de cette innovation et de l’action qui en résulte a été développé par nous page 263. La loi garde un silence absolu sur le creusement de puits ailleurs qu’auprès d’un mur. Il n’y a, dans ce cas, d’autre règle que le droit commun qui oblige l’auteur du dommage à le réparer. En cas de contestation, les tribunaux seraient les arbitres de la nécessité et de la nature des précautions à prendre pour l’éviter ou le réparer. Les réflexions que nous avons faites ci-dessus, pour les fossés ou étangs, s’appliquent aux puits, avec quekfhes modifications que la différence de nature des uns et des autres fera facilement sentir. Il faut en dire autant de la profondeur à donner au puits, sur laquelle la loi se tait également. Les puits peuvent être possédés par un seul ou en commun k titre de propriété, de servitude ou de bail. Les actions possessoires dont ils deviennent l’objet — 307 — dans ces divers cas sont régies par les principes déjà exposés et par ceux cpie nous expliquerons bientôt relativement aux contestations de cette nature. La fontaine est un lieu d’où l’eau jaillit du sein de la terre, et qui est ordinairement disposé par la main de l’homme pour donner aux particuliers et au public la facilité d’y aller puiser et de l’employer à leurs besoins. Dans les campagnes, les fontaines sont de la plus grande simplicité ; mais dans les villes, elles offrent parfois de très-beaux monuments. Il y a aussi des fontaines, puits ou sources d’eaux salées dont le propriétaire peut disposer à son gré, lorsqu’il emploie les eaux dans leur état naturel, mais non lorsqu’à l’aide de procédés, ou préparations quelconques, il les convertit en sels ; dans ce dernier cas, il est soumis à quelques formalités préalables et à une surveillance propres à assurer le recouvrement des impôts, aux termes de la loi du 24 avril 1806 et du décret du 11 juin suivant; il est assujetti à obtenir une concession du gouvernement. Il en est de même pour l’exploitation des mines de sel gemme qui rentrent dans l’application de la loi du 21 avril 1810, cjui n’est qu’indicative dans son énonciation des matières minérales arrêt de la cour de cassation du 8 septembre 1832, ou pour une exploitation proprement dite de puits ou sources d’eaux salées. Nous expliquerons plus bas, dans divers articles, comment les règles des actions pos- sessoires y sont applicables ; nous dirons seulement à présent que nul ne peut les exploiter sans permission du gouvernement, à peine d’être poursuivi correctionnellement, car c’est une matière d’ordre public qui e9t régie par les lois et l’acte de concession. Personne fie peut acquérir de possession contraire. — 308 — Nous parlerons des actions possessoires dont les eaux salées peuvent être l’objet dans l’article suivant, en nous occupant spécialement des sources. N° 2. Des eaux qui ont un cours. Nous suivrons les eaux de cette espèce dans les diffé- rentes variations que leur cours peut offrir. Celui qui a une source dans son fonds, quelle soit d’eau ordinaire, thermale ou salée, peut en usera sa volonté, sauf le droit que le propriétaire du fonds inférieur aurait acquis par titres ou par prescription art. 041 du Code civil, et sauf pour les sources d’eaux salées l’application de la loi du 20 juin 18/jO, d’après laquelle nulle exploitation de sources ou de puits d’eau salée ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du gouvernement, et sauf aussi l’application des lois et règlements relatifs aux eaux minérales ou thermales. Celui qui n’aurait dans son fonds qu’une des sources servant à alimenter un ruisseau venant des fonds supérieurs, ne pourrait pas disposer de tout le cours d’eau qui traverserait son héritage. Il n’aurait le droit établi par l’art. 641 du Code civil que sur la source qui surgit dans sa propriété. Mais il peut, après avoir usé de sa source, ou en laisser couler les eaux naturellement sur les fonds inférieurs qui sont obligés de les recevoir art. 640, ou les diriger vers d’autres fonds, soit qu’ils lui appartiennent, soit qu’ils appartiennent à des tiers, pourvu toutefois que les propriétaires de ceux-ci consentent à les recevoir, lorsque la pente naturelle des lieux ne les y assujettit point. Il suit de là 1° que le propriétaire immédiatement inférieur ou plus éloigné ne pourrait intenter d’action possessoire contre le propriétaire de la source, lois même qu’elle serait nouvelle et que son cours n’aurait pas encore duré une année, quelque dommage, quelques dégradations qui en résultassent pour lui, à moins que par des travaux on ne lui eût donné une autre direction plantés sur les chemins vicinaux, leur appartiendraient. Les actions pétitoires et possessoires dont ils pourraient être l’objet seraient de la compétence des tribunaux, soit qu’elles eussent lieu entre la commune et les particuliers, ou entre ceux-ci seulement. Arrêts du conseil des 28 août 1827, l/j mai 1828, 15 septembre 1831. Une instruction ministérielle du 16 novembre 1839 a ci'éé une nouvelle classe de chemins publics appelés ruraux, qui ne sont ni vicinaux ni départementaux. Il est reconnu que les premiers sont régis par les mêmes principes que les autres propriétés communales ou privées, et que, conséquemment, ils peuvent être l’objet des actions possessoires et pétitoires de la part des particuliers, avec envoi en possession réelle en cas de succès de ces actions. N" 3. Chemins privés ou de desserte. Ces chemins peuvent appartenir aux communes ou aux particuliers, soit à titre de propriété exclusive ou indivise du sol, soit à titre de servitude sur ce même sol. Dans ce second cas, les chemins ou passages sont régis par les principes sur les servitudes. Nous renvoyons les explications dont ils peuvent être l’objet à l’article dans lequel nous traiterons des .actions possessoires relatives aux servitudes en général. Quant aux chemins existant à titre de propriété, ils sont soumis aux principes qui régissent les autres héritages consacrés à des usages différents. Souvent la possession animo domini est difficile à établir, parce que les titres du demandeur et du défendeur sont muets sur ce point. Lorsque celui qui se prétend troublé n’a d’autre acte de jouissance à opposer que le fait de passage, le dé- — 347 — fendeur peut soutenir que ce n’est là que l’exercice d’une servitude discontinue, qui ne peut constituer une possession valable ; mais si, d’un autre côté, les localités attestent que le demandeur a dû laisser une partie de terrain pour ne servir que de passage, de moyen d’exploitation nécessaire, qu’il ait fait tous les actes dont ce terrain est susceptible d’après sa nature, que nul autre ne s’en prétende propriétaire, la défense du perturbateur ne saurait être admise. 11 n’en est pas de ce cas comme de celui où le demandeur avoue la propriété de son adversaire et se borne à réclamer une servitude ; alors un titre est nécessaire, comme nous le verrons bientôt. La cour de cassation a consacré ces principes par arrêt du 25 août 1829, sur le pourvoi du marquis de Radepont celui-ci demandait à être maintenu dans la possession d’un chemin privé conduisant à son habitation ; sa possession se réduisait au passage. Il ne réclamait pas une servitude ; il se disait propriétaire du sol sur lequel il avait passé. Le tribunal des Andelys avait repoussé sa demande, parce que sa possession n’était que l’exercice d’une servitude discontinue ; mais son jugement fut cassé par le motif que le demandeur s’était prétendu propriétaire du sol. Ces principes s’appliqueraient, bien entendu, à une commune qui réclamerait un chemin comme public. Un arrêt de la cour de cassation du 7 mars 1837 a décidé avèc raison qu’il appartenait aux juges d’apprécier les circonstances, les localités et les actes, et a rejeté le pourvoi formé par un sieur Bernard contre un arrêt de la cour de Caen qui avait adjugé la propriété d’un chemin à une commune, en se fondant notamment sur ce que le public y avait toujours passé sans obstacle, et sur des inductions tirées des titres et de l’état des lieux. — 348 Un autre arrêt de la même cour, du 18 avril 1838, a décidé qu’on avait pu admettre, dans l’intérêt d’une commune demanderesse au pétitoire, la preuve que depuis plus de trente ans le terrain en litige avait été reconnu et constamment pratiqué comme chemin vicinal publiquement et paisiblement. Au lieu d’intenter l’action pétitoire, la commune aurait pu se borner à agir au possessoire, et le juge de paix aurait été compétent pour en connaître, en prenant les mêmes éléments pour base de sa décision. 11 ne faudrait pas néanmoins donner trop de latitude à ce principe. Si les circonstances de localités ou autres démontraient que l’articulation de propriété n’était qu’un moyen imaginé pour éluder l’application de la règle qui prohibe l’action possessoire pour servitude discontinue, le juge ne devrait pas s’y arrêter; mais il devrait avoir soin de faire la déclaration expresse de son opinion. A plus forte raison celui qui, réclamant un chemin comme propriétaire du sol, produirait un titre par lequel sa propriété serait constatée, devrait-il être maintenu par le juge de paix dans sa possession, dont il établirait ainsi le caractère et la légitimité. N" 4. Chemins de fer. Les chemins de fer, d’une invention assez récente, sont très en usage aux Etats-Unis et en Angleterre. Le plus moderne et le plus perfectionné de ces chemins, dans la Grande-Bretagne, est celui de Manchester à Liverpool, sur lequel on fait quinze lieues à l’heure, dans des chars ou wagons, à l’aide de machines à vapeur dites locomotives, sans que cette excessive célérité fasse éprouver aux voyageurs aucune incommodité. — 349 — Il existe aussi des chemins de fer en Allemagne et en Belgique. L’établissement de ces moyens de communication ne date, en France, que de 1823. Les premiers qui y aient été établis, sont situés à Saint-Etienne Loire ou dans les environs ; mais depuis, il en a été construit plusieurs autres sur différents points de la France, notamment en vertu de la loi du 11 juin 1842. 11 ne faut pas croire qu’il entre beaucoup de fer dans l’établissement de ces chemins ; au contraire, on n’y voit que deux baguettes appelées rails, dans lesquelles s’engrènent les roues des chars destinés à les desservir. L’introduction des chemins de fer en France il ayant eu lieu, comme nous venons de le dire, que depuis un petit nombre d’années, la catégorie dans laquelle ils doivent être classés, leur régime, la compétence des autorités en cas de dégradation, anticipation, ont été incertains jusqu’à la loi du 15 juillet 1845, dont les bases ont été développées par une ordonnance royale du 15 novembre 184 du Code civil. Sont immeubles par destination, les chevaux, agrès, outils et ustensiles servant à l'exploitation ; mais on ne considère comme chevaux destinés à l’exploitation que ceux qui sont exclusivement attachés aux travaux intérieurs des mines ; à plus forte raison en serait-il ainsi des esclaves dans les colonies, et, par voie de conséquence, ils cesseraient d’être immeubles dès qu’ils seraient détachés de ce service. Argument des arrêts de la cour de cassation des 5 août J 829 et 3 août 1831. Les matières extraites, les approvisionnements et autres objets mobiliers sont meubles. Art. 8 et*9. Le propriétaire du sol ne pourrait attaquer au posses- soire le concessionnaire de la mine; car celui-ci, ne faisant qu’exécuter sa concession, ne peut troubler personne par l’exercice d’un droit légitime, 3o6 — 11 en serait autrement s’il étendait son exploitation à d’autres terrains que ceux compris dans la concession ; Mais s’il prétendait que ces terrains y sont compris, et qu’il y eût doute réel, par conséquent nécessité d’interpréter l’acte d’autorisation et les procès-verbaux et plans dressés en exécution des articles 29 et 30, il faudrait s’adresser au conseil d’Etat, qui seul aurait le droit d’en fixer le sens. Il en serait de même en cas de contestations sur le taux de la redevance, qui doit être déterminé par la concession, nonobstant toutes stipulations contraires. Arrêts du conseil des 29 janvier 1841, 1" juin et 19 juillet 1843, 24 janvier 1846. Toute question de propriété du sol renfermant la mine est du ressort des tribunaux. Il résulte évidemment des articles 15, 48 et 56 de la loi d’avril, que les contestations élevées à raison des travaux postérieurs à la concession des mines et relatifs à leur exploitation, doivent être portées devant les tribunaux. Arrêt de cassation déjà cité du 21 avril 1823. Un arrêt du conseil du 3 avril 1831 a même décidé qu’une demande formée par des concessionnaires de mines contre des concessionnaires de chemins de fer, en payement d’indemnités qu’ils prétendent leur être dues pour une portion de leur périmètre dont ils ont été privés par suite de l’exécution du chemin de fer au travers dudit périmètre, est du ressort des tribunaux, parce que les autorisations administratives ne sont point attaquées. Le juge de paix serait compétent pour statuer sur l’action possessoire du concessionnaire contre tous ceux qui le troubleraient dans la possession de la mine et des objets immeubles par destination, à moins qu’il n’y eût lieu à interpréter la concession. § !i. Ateliers insalubres. Les ateliers de cette nature ne peuvent être établis qu’avec autorisation. Lorsqu’ils l’ont été sans cette formalité, les voisins qui en éprouvent du dommage peuvent en provoquer la destruction administrativement ou judiciairement, et réclamer devant les tribunaux une indemnité. Ils ont aussi le droit de se pourvoir en simple police. Si, après l’autorisation, ils éprouvent un préjudice, ils ne peuvent pas demander aux tribunaux la destruction de l’établissement, mais seulement des dommages-intérêts. Quant à l’autorité judiciaire à laquelle ils doivent s’adresser, c’est ou le juge de paix, quand l’action est fondée sur un dommage aux champs, etc. arrêts de la cour de cassation des 19 juillet 1826 et 2 janvier 1833, lors encore que l’indemnité n’excède pas 200 francs, ou le tribunal civil lorsqu’il ne s’agit pas de préjudice aux champs, et que la somme réclamée s’élève au-dessus de 200 francs. En général, il n’y aura pas lieu à l’action possessoire, parce qu’il n’y aura pas trouble matériel, et que la possession ne sera pas contestée ; il suffira presque toujours de former une demande en indemnité. Cependant, si le concessionnaire bâtissait sur le fonds voisin, portait atteinte à des droits acquis, dirigeait dans un cours d’eau, dans une cour ou dans une maison les résidus de sa fabrique, celui dont la possession serait ainsi troublée aurait une action possessoire pour s’y faire maintenir ou réintégrer, sauf pourtant au juge à ne rien prescrire de contraire à l’acte d’autorisation. On peut voir ce que nous disons dans notre Régime — 358 des eaux, et clans le troisième volume, sur les actions qui appartiennent aux voisins d’un établissement insalubre, même après l’autorisation administrative. § 5. Droits de superficie. Nous avons déjà dit quelques mots des droits de superficie en traitant de l’usurpation des arbres et des haies. Nous allons envisager ici ces droits d’une manière plus générale. Il existe au Digeste un titre De superficiebus ; c’est le titre 18, livre 43. On entend par superficie ce qui est adhérent à la surface du sol, comme les maisons, bâtimens et clôtures, ainsi que les arbres et plantes de toutes espèces loi 13, in pr. ff. de Serv. prœd. rustic., lib. 8, tit. 3 ; par conséquent, le droit de superficie consiste à pouvoir réclamer ces objets en tout ou partie, à titre de propriétaire. Le sol et la superficie peuvent être acquis, même par prescription, et appartenir à des personnes distinctes. M. Proudhon, Traité de l’usufruit, tome 8, page 547, fait observer avec raison que la superficie n’est pas un droit incorporel comme celui d’usage; qu’elle est un immeuble réel et physique, une vraie propriété foncière pour le superficiaire comme tout autre héritage ; il assimile le sol et la superficie à une maison composée de plusieurs étages qui peuvent appartenir à divers propriétaires et être possédés ou prescrits séparément ; il admet les mêmes règles pour les premiers objets; il ajoute que le superficiaire a l’action en revendication, et par conséquent l’usage de tous les interdits et actions possessoires pour la conservation de son immeuble. — 859 — Ainsi celui qui a fait faire des plantations, des semences, des constructions sur un terrain qui ne lui appartient pas, et qui les a possédées pendant un an, a l’action possessoire non-seuleinent contre des tiers, mais même contre le propriétaire de ce terrain qui le troublerait. Celui-ci ne pourrait la combattre en prétendant qu’il a le droit d’en demander la destruction art. 555 du Code civil; car, d’une part, on peut acquérir par titre ou par prescription la superficie d’un immeuble, et, de l’autre, cette exception, fondée sur la propriété, ne pourrait être opposée qu’autant que le défendeur prendrait la voie pétitoire. Mais si le superficiaire était un antichrésiste, un séquestre, un fermier auquel le contrat ne donne pas le droit de faire des constructions, ou ne le lui donne qu’à la charge de le? laisser au propriétaire à l’expiration de la convention, nous ne croyons pas qu’il eût l’action possessoire même contre les tiers, à cause de la précarité de son titre, qui ferait présumer qu’il n’a bâti que par tolérance. 11 existe encore aujourd’hui un genre particulier de superficie dans la partie de la ci-devant province de Bretagne, qui se compose des départemens des Côtes-du- Nord, du Morbihan et du Finistère ; c’est le droit qui résulte des baux à convenant ou à domaines congéables. Ces baux sont ceux par lesquels un propriétaire concède, moyennant une rente annuelle et pour un temps limité, la jouissance de son fonds à un colon auquel il vend en même temps les édifices et superficies, appelés aussi droits réparatoires, qui existent sur ce fonds, mais sous la condition expresse que ce colon ne pourra être expulsé sans qu’on lui ait remboursé, à dire d’experts, — 3UÜ — les édifices et superficies qui existeront à l'époque de sa sortie, et suivant la \alcur qu’ils auront alors. Le propriétaire qui fait la concession s’appelle foncier, et le fermier domanier ou colon. L’article f de la loi du 5 août 1701, qui maintient les baux à domaine congéable, rappelle le principe que les édifices et superficies vendus au domanier sont meubles à l’égard du propriétaire foncier, mais immeubles à l’égard des tiers. I n arrêt de la cour de cassation du 25 novembre 1820, en rejetant le pourvoi formé contre un arrêt de la cour de Ilennes, a décidé que la faculté de congément de la part du bailleur n’était pas de l'essence du -bail à convenant, qu’il pouvait y renoncer sans dénaturer son bail. Un autre arrêt de la même cour, en date du 7 décembre 1820, portant rejet d’un pourvoi fariné contre un arrêt de Rennes, a encore jugé que la loi du 0 août 1701, articles 11 et 13, accordant au domanier la faculté d’exiger du foncier le payement des édifices et superficies à la cessation du bail, et renvoyant pour les baux futurs aux conventions qui seraient faites, doit être entendue en ce sens que les domaniers de baux futurs auront aussi la même faculté si, dans leur bail, il n’y a stipulation contraire ; le silence ne suffirait pas pour que le domanier fût privé de cette faculté. delà posé, il nous parait certain que le colon, maître absolu de ses droits, peut intenter contre les tiers l’action possessoire, réintégrande ou complainte, sans avoir besoin ni du consentement ni de l’assistance du foncier, toutes les fois que le fait qui y donne lieu porte atteinte à sa jouissance des édifices ou superficies et accessoires, par exemple lorsque ces tiers usurpent ses bâtiments, ses arbres, veulent, exercer des servitudes, ou lui refusent l’exercice de celles auxquelles il a droit, l’est aussi contre lui que l’action possessoirc des tiers doit être dirigée; mais les décisions qui interviennent n’ont l’autorité de la chose jugée que relativement au droit du superll- ciairc, et nullement quant au droit du propriétaire foncier, à moins que celui-ci n’ait été également appelé devant le juge ou n’y soit intervenu. Nous puisons un argument favorable à notre opinion dans un arrêt de la cour de cassation du 10 novembre 1828, que nous avons déjà cité plusieurs fois. Nous croyons même que le domanier peut intenter l’action possessoire contre le foncier qui aurait usurpé ses droits, nonobstant le principe que les édifices et superficies sont meubles respectivement à ce dernier ; car ce principe ne reçoit d’application que dans le cas où le foncier exerce des droits attachés à la foncialité, et non dans ceux où il cherche à usurper la propriété du colon. 5 0. Nue propriété et usufruit, usage et habitation. Lorsque la nue propriété et l’usufruit d’un immeuble, au lieu d’être réunis sur la même tête, sont divisés et possédés séparément, chaque ayant-droit peut intenter l’action possessoire. Cette solution est évidente à l’égard du nu-propriétaire. Elle 11 ’était, dans l’ancien droit, l’objet d’aucune difficulté. Les auteurs 11 e faisaient pas de différence entre celui qui avait la pleine propriété, et celui qui n’avait que la nue propriété. Mazuer, l’un d’eux, Pratique, cliap. 2, n° 5/i, s’exprime ainsi Celui à qui la nue propriété appartient doit être ouï, en cas de nouvelleté; s’il requiert être 362 — maintenu en la possession ou quasi-possession de sa propriété, afin que la réelle portion lui appartienne et qu’il en puisse jouir et user, l’usufruit étant expiré. Autrement, il pourrait perdre sa possession à l’occasion de ce tiers possesseur, et, en ce cas, la possession civile, jointe à la propriété, produit des effets corporels. » Le viager, dit Loisel, liv. à, t. 3, reg. 3, conserve la possession du propriétaire. » Tous les auteurs modernes, MM. Henrion, Merlin, Fa- vard, Proudhon, Puranton, Carré, Aulanier, émettent la même opinion sous l’empire des lois nouvelles. Le motif qu’ils en donnent, et que Mazuer avait indiqué, est que le nu-propriétaire a intérêt d’agir quand F usufruitier néglige de le faire, pour éviter la perte de la possession et même de la propriété, par la prescription que pourrait opposer le tiers qui aurait réellement joui de la chose. D’un autre côté, si l’intérêt est évident, le droit ne l’est pas moins. Le nu-propriétaire, sans percevoir les fruits de la chose, la possède cependant par l’entremise de l’usufruitier, ainsi que l’a décidé l’art. 2236, dont la rédaction, nous en convenons, n’est pas parfaite, mais dont on ne saurait contester le sens. Ajoutons que l’art. Gl/i, obligeant l’usufruitier à dénoncer au propriétaire les usurpations des tiers, suppose nécessairement que celui-ci a droit d’intenter l’action possessoire, sans quoi cette disposition n’aurait aucun but. L’arrêt de la cour de cassation du 6 mars 1822, cité par quelques auteurs qui le combattent comme contraire à ces principes, nous parait pouvoir s’expliquer par les circonstances de l’affaire sur laquelle il est intervenu. A la cessation d’un usufruit, le nu-propriétaire intenta ac- — 363 — tion possessoire à un autre usufruitier qui prétendait avoir remplacé le précédent, dont les droits n’étaient éteints que depuis un mois. Le défendeur opposa le défaut de possession annale, non du tréfonds, mais de la jouissance. On peut concevoir que, dans un tel débat pour cette jouissance, la cour ait cru devoir s’arrêter au défaut de possession matérielle de la part du nu-propriétaire ; par conséquent, ce qui est dit dans l’arrêt, que l’usufruitier ne possède pas pour et au nom du propriétaire, mais pour lui-même et en son nom personnel ; que celui-ci ne peut joindre à sa possession celle de l’usufruitier, ne doit s’entendre que dans un sens restreint à l’espèce dans laquelle il a été rendu. Nous sommes d’autant plus porté à le décider ainsi, que la même cour a posé en principe, par arrêt du 7 octobre 1813, que l’usufruitier est essentiellement le mandataire du propriétaire, et que ce qu’on peut faire par son mandataire, on peut, à plus forte raison, le faire soi-même. Le droit de l’usufruitier, d’intenter l’action possessoire, était également proclamé par les anciens auteurs. Nous ne connaissons parmi eux que llodier qui ait enseigné une doctrine contraire ; mais elle devait avoir peu de poids, car, outre que l’opinion de cet auteur était isolée, elle était fondée sur l’assimilation erronée de l’usufruitier au fermier et au séquestre, qui n’ont qu’une possession précaire ou naturelle, qui ne possèdent pas en leur nom. Bourjon, Droit commun de la France, t. 2, chap. de la Complainte, sect. 3, s’exprime bien différemment; voici ses termes L’usufruitier, troublé dans son usufruit, a la voie de la complainte ouverte, parce que son droit est un droit — 304 — réel qui lui ouvre toutes les actions nécessaires pour le maintenir dans sa jouissance. 11 doit donc avoir ce droit et cette action de même que le propriétaire, comme suite de sa qualité et de son droit. » Jousse, llousseaud La Combe, en citant brodeau, sur Paris; Cujas, dans ses Observations, liv. 9, chap. 32; Pothier, Traité de la possession; Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique ; les auteurs du Xouveau üenizart; Pigeau, Procédure du Châtelet, partagent l’opinion de bourjon. Les auteurs modernes ne sont pas moins formels; M\l. Merlin, Favard, Henrion, Toullier, Duranton, Proudhon, Poncet, Carré, Guichard, Longchamps, Au- lanier, brossard et plusieurs autres s’en expliquent dans le même sens. MM. Dufour et barbedette sont les seuls qui enseignent une doctrine contraire ; mais leur opinion ne peut prévaloir sur celle des auteurs que nous venons de citer. La raison sur laquelle ils la fondent est peu propre à la justifier; ils disent que l’usufruit est une servitude discontinue et apparente, ou continue non-apparente ; mais, au contraire, tous les auteurs le considèrent comme une partie de la propriété, pars dominii, et l’arrêt du 6 mars 1822 dit aussi que l’usufruitier jouiten vertu de la disposition expresse de la loi qui considère l’usufruit comme une partie de la propriété. L’art. 2236 ne réputé l’usufruitier détenteur précaire que relativement au nu-propriétaire ; son unique but est de l’empêcher de prescrire la nue propriété, tant que le titre n’est pas interverti ; mais il est sans application aux relations de l’usufruitier avec les tiers. Cet usufruitier peut intenter contre ceux-ci les actions possessoires, — 36b — puisque, d’une part, le fait qui y donne lieu porte préjudice à sa possession, et que de l’autre, aux termes des art. 578, 567 et 598, il jouit de la chose, de toutes les servitudes, droits et avantages y attachés connue le propriétaire lui-mème; qu’il doit la conserver à celui-ci, et qu’enfin l’art. 613 le charge des frais des procès relatifs à la jouissance. De ce que l’art. 61A l’oblige à dénoncer l’usurpation au propriétaire, il ne faudrait pas conclure que celui-ci eût seul droit d’action. 11 en résulte seulement qu’elle appartient à l’un comme à l’autre, et que le législateur a voulu mettre le propriétaire à même de l’exerce', si le détenteur ne jugeait pas à propos de l’intenter lui-même. Nous ne pensons pas, néanmoins, que le nu-propriétaire et l’usufruitier pussent se contraindre réciproquement à intenter l’action possessoire ou à y défendre. Outre que la loi ne renferme aucune disposition qui autorise une pareille contrainte, elle serait contraire au droit commun, d’après lequel personne ne peut être forcé à agir. Il y aurait seulement lieu à la répétition des frais et faux frais. * De même que la possession de l’usufruitier profite au propriétaire, de même le premier ajoute à sa possession celle de ce dernier lorsqu’elle lui est nécessaire pour compléter l’année antérieure au trouble, puisqu’il lui succède dans une partie de la propriété. Pothier distingue le cas où le perturbateur en veut aux fruits de celui où il élève des prétentions à la nue- propriété, et son opinion paraît avoir entraîné les auteurs du Code civil ; mais elle a peu d’application au possessoire ; cela est évident quant au trouble de fait, qui constitue toujours une atteinte à la jouissance. Pour ce qui est du trouble civil ou de droit, qui consisterait à pré- — 360 — tendre à la nue propriété, sans contester les droits de l’usufruitier, comme il ne comporte ni empêchement réel ni demande d’être mis en possession, il se résout généralement en une action pétitoire qui ne peut être agitée avec l’usufruitier. Il est un cas où le nu-propriétaire peut avoir une possession propre et indépendante de celle de l’usufruitier; celui-ci, en effet, est soumis à des restrictions dans l’exercice de ses droits. Il doit conserver la substance de la chose, y faire les réparations d’entretien, les grosses restant à la charge du nu-propriétaire ; il est tenu d’observer l’ordre des coupes pour les bois taillis ou de futaie, de n’user des pépinières, des mines et carrières qu’avec modération. Le nu-propriétaire qui aura exécuté les réparations ou fait condamner l’usufruitier qui abusait de son droit aura une possession de la nue propriété. Il aura intérêt à la conserver, et, par conséquent, il pourra intenter contre un tiers qui se prétendrait aussi nu-propriétaire et viendrait le troubler, une action pos- sessoire pour y être maintenu ; par la même raison, celui-ci pourrait intenter cette action, si la possession était de son côté. Mais il est une espèce particulière d’usufruitiers à qui l’action possessoire n’est permise qu’à la charge d’obtenir une autorisation préalable du propriétaire, et même de l’autorité administrative. En effet, si les art. 5 et 7 du décret du 6 novembre 1813, sur les biens des cures, disent que les titulaires de ces cures exercent les droits d’usufruit, qu’ils en supportent les charges, ainsi qu’il est établi par le Code civil ; qu’ils doivent jouir des biens en bons pères de famille, les entretenir avec soin et s’opposer à toute usurpation ou détérioration, l’art, l/j leur — 367 — défend de plaider pour un droit foncier et toute action possessoire est de cette nature sans l’autorisation du conseil de préfecture, précédée de l’avis du conseil de fabrique ; défense d’autant plus remarquable, qu’ils plaident à leurs frais et risques ; aussi, un arrêt de la cour de cassation du 8 février 1837 a-t-il refusé l’action possessoire au curé qui n’avait pas d’autorisation. On ne pourrait objecter que, depuis la loi du 18 juillet 1837, il en devrait être différemment; que le décret de 1813 avait exigé l’autorisation sous l’influence d’une législation qui la prescrivait aux établissements publics pour intenter complainte ; mais que la dernière loi, en affranchissant les communes, par conséquent les fabriques, en dispense aussi les curés qui les représentent et sont leurs mandataires légaux. Nous répondrions que le décret de 1813 est tout spécial, et n’a été en rien abrogé par la loi nouvelle ; que le mandataire peut être assujetti à des précautions non exigées du mandant; que celle invoquée ne dispense d’autorisation que les établissements eux-mêmes, et non ceux qui intentent action à. leur place ; que cela est si vrai, que, d’après les art. 1 er , /i9 et 50, dont les termes sont généraux, le contribuable qui a droit d’intenter à ses frais les actions que la commune néglige, ne peut pas plus introduire une action possessoire que toute autre, sans l’autorisation du conseil de préfecture, bien que la commune en soit dispensée, comme nous l’avons vu, pour la complainte. La discussion qui précède nous conduit naturellement à apprécier l’effet des jugements qui interviennent sur les actions relatives à la nue propriété ou à la jouissance. S’il n’y a, au pétitoire ou au possessoire, de débat que — 368 — sur la nue propriété, sans contestation sur l’usufruit, l’usufruitier ne doit pas être mis en cause, et le jugement qui intervient n’a aucun effet à son égard, puisque la chose jugée ne s’étend pas à l’usufruit. S’il n’y a contestation que sur l’usufruit, sur la jouissance, la nue propriété étant reconnue à celui, qui a concédé le premier droit, l’usufruitier seul doit défendre, et le jugement qui intervient n’a point autorité de chose jugée vis-à-vis du propriétaire, qui ne peut être mis en cause que dans le cas où chaque prétendant à l’usufruit tiendrait ses droits de lui et invoquerait sa possession. Si, au contraire, le débat roulait sur la possession en général, sans restriction ni distinction, il intéresserait également le propriétaire et l’usufruitier; un seul ou les deux en même temps pourraient figurer au procès ou y intervenir ; mais le jugement rendu avec l’usufruitier seul profiterait au nu-propriétaire s’il était favorable, quoiqu’il ne pût lui être opposé si l’usufruitier avait succombé. Le nu-propriétaire peut même obtenir, s’il est encore dans le délai, un nouveau jugement qui profitera à l’usufruitiei'. Lorsque l’usufruitier n’a pas dénoncé au propriétaire l’atteinte d’un tiers, quelle soit restreinte à la nue propriété ou quelle ne .comporte pas cette distinction, ou que, dans ce second cas, il n’a pas agi dans les délais, il est, aux termes de l’art. 61 A, responsable de sa négligence; lorsqu’il l’a prévenu, sa responsabilité cesse, et le propriétaire qui n’a point agi ne peut exercer contre lui aucun recours, car il tient de la loi le droit de poursuivre le perturbateur. Le propriétaire et l’usufruitier sont également en faute ; ils ne peuvent exercer aucun recours l’un contre l’autre. Observons, d'ailleurs, que, malgré les termes des art. KH et 001, l’usufruitier peut intenter les actions possessoires avant d’avoir fait dresser un état des immeubles et donné caution. Il est réellement en possession du jour où l’usufruit est ouvert, puisque les fruits lui appartiennent art. 604. Le mode de jouissance seul est restreint jusqu’à l’accomplissement de ces formalités, qui ont pour but non de l’en priver, mais d’assurer la conservation de la chose. L’usufruitier nous paraît fondé à exercer l’action pos- sessoire contre le propriétaire qui le trouble dans sa jouissance ; vainement opposerait-on que la loi le considère comme possesseur précaire, au moins à l’égard de ce dernier; car nous avons déjà dit qu’il n’en était ainsi que pour l’acquisition de la nue propriété ; mais il en est différemment pour l’usufruit, qui est une partie de la propriété, et qui, comme toute autre, peut s’acquérir par prescription, suivant ce qu’enseignaient, dans l’ancien droit, Lacombe, au mot complainte et au mot. usufruit ; Cujas, Fachinée, etc., dont l’opinion est reproduite et approuvée par Duranton, t. 4, n" 502; Proudhon, t. 2, n°751 ; Toullier, t. 3,n° 393; Dalloz, Rép ., V° Usufruit, p. 788, qui tous accordent, par voie de conséquence, la complainte à l’usufruitier contre le nu-propriétaire. L’opinion contraire est soutenue par les auteurs de la Thémis, t. 6, p. 332; mais les raisons sur lesquelles ils se fondent ne peuvent prévaloir sur un si grand nombre d’autorités et sur la décision positive desarrêts de la cour de cassation des 17 juillet 1816 et 14 décembre 1840. Celui-ci est ainsi conçu Attendu 1° qu’aux termes de la loi, l’usufruit est un droit réel, distinct de la propriété du fonds, Pt que, 370 — comme tel, il engendre les actions possessoires ainsi que toutes les autres qui naissent d’un droit réel; que si, dans l’intérêt du propriétaire, l’usufruitier est tenu de lui dénoncer les troubles survenus, il a le droit d’agir contre lui lorsque le trouble qu’il éprouve dans sa jouissance provient du fait de ce dernier ; que, par cela même qu’il jouit en maître et par lui-même, il a les actions attarliées h la possession, soit contre les tiers, soit contre le propriétaire, et, en les intentant, il n’exerce pas le droit d’autrui, mais son droit personnel ; attendu 2° que le jugement du 21 mai 1836, n’étant pas constitutif, mais déclaratif du droit de possession, la dame Gardel a pu joindre à sa possession celle de son mari, qui lui avait donné l’usufruit dont il s’agit, et qui possédait depuis plus d’une année la chose par lui donnée; qu’il résulte de ce qui précède, qu’en décidant qu’elle ne pouvait pas exercer l’action possessoire dans le cas dont il s’agissait, le jugement dénoncé a expressément violé l’art. 23 ci- dessus référé. » Le propriétaire n’aura pas souvent lieu d’intenter l’action possessoire contre l’usufruitier reconnu. Les demandes que le premier est dans le cas de former ne semblent relatives qu’îi l’abus que celui-ci pourrait se permettre dans l’exercice de ses droits, et la contestation devrait être décidée par l’interprétation des conventions ou l’application des principes qui constituent le fond. Cependant l’usufruit pouvant s’acquérir par prescription, le mode de son exercice pouvant également s’acquérir de cette manière, l’on conçoit qu’il est des cas où le propriétaire ait intérêt à se faire maintenir dans sa possession. La contestation sur l’interprétation du contrat ou sur l’acquisition par prescription à défaut de conven- - 371 tio» peut être longue, et il importe au propriétaire de résister en attendant aux excès de l’usufruitier ou à l’usurpation de celui qui se prétend tel, sans aucun droit. Les droits d’usage et d’habitation sont de la même nature que celui d’usufruit. Ils ne diffèrent de ce dernier qu’en ce qu’ils sont plus restreints. Ils peuvent être l’objet de l’action possessoire et sont régis par les mêmes principes. Les auteurs par nous cités plus haut ne laissent là-dessus aucun doute. Quant aux droits d’usage dans les forêts, nous nous en occuperons à l’article où il sera question des servitudes. § 7. I' l’ompliytéose. Le Code civil garde le silence sur l’emphytéose ; les caractères de ce contrat, même dans l’ancienne jurisprudence, n’étaient pas bien fixés. Les auteurs du Nouveau Dènizart la définissent un contrat par lequel le propriétaire d’un héritage en cède à quelqu’un la jouissance pour un temps et même à perpétuité, à la charge de bâtir ou améliorer, et d’une prestation ou redevance annuelle que le bailleur se réserve pour marque de son domaine direct. Il ne faut pas la confondre avec le bail à longues années ou à rente ; car, suivant Loyseau, elle produit une obligation réelle qui suit le fonds en quelques mains qu’il passe, tandis que celle résultant du bail est personnelle. 11 est généralement reconnu que l’emphytéose a titre et possession valable pour intenter l’action possessoire. Cette doctrine a même été consacrée par un arrêt formel de la cour de cassation du 2 juin 1822. 572 — Le sieur Bournizien Dubourg, emphytéote pour quatre- vingt-dix-neuf ans d’un moulin à farine, intenta complainte à M. Despagnac. Elle fut accueillie; mais sur l’appel, le tribunal de Corbeil infirma, attendu que le demandeur n’était que fermier, par conséquent possesseur précaire. L’arrêt de cassation porte, entre autres motifs, ceux qui suivent Attendu que. le contrat d’emphytéose a sa nature et produit des effets qui lui sont propres ; Que ces effets sont de diviser la propriété du domaine donné à emphytéose en deux parties, l’une formée du domaine utile dont la rente que se retient le bailleur est représentative, l’autre appelée domaine utile, qui se compose de la jouissance des fruits qu’il produit; Que le preneur possède le domaine utile qui lui est transmis par l’effet de ce partage, comme propriétaire pouvant, pendant la durée du bail, en disposer par vente, donation, échange ou autrement,, avec la charge toutefois des droits du bailleur; pouvant, pendant le même temps, exercer l’action in rem pour se faire maintenir contre tous ceux qui l’y troublent et contre le bailleur lui-même, suivant les lois 1 et 3, ff. si ai/er vectigalis; que ces dispositions des lois romaines ont été admises en France, tant en pays de droit écrit qu’en pays coutumier, et que le Code civil, qui n’a pas traité du bail emphytéotique, ne les a ni changées ni modifiées. » Quoique la cour se soit fondée sur les anciens principes, parce qu’il s’agissait d’un contrat passé avant le Code civil, elle eût décidé de même en cas d’une emphytéose stipulée sous son empire, puisqu’elle déclare que le Code ne les n pas modifiés. — 373 — Nous croyons que ce n'est pas seulement contre les tiers, mais encore contre le propriétaire lui-même que le possesseur peut intenter l’action possessoire. Outre que l’arrêt ci-dessus le décide ainsi, il nous paraît que le droit d’emphytéose peut, comme celui d’usufruit, être acquis par la prescription. Il faut d’ailleurs appliquer ici ce que nous avons dit en traitant de l’usufruit. $ 8. Biens dos communes et de l’État; des établissements publics; des champs de foiic, halles et marchés. Nous avons dit, pages 209, 219, que les biens de l’État, des départements, des communes et des établissements publics qui en dépendent, étant dans le commerce, pouvaient être prescrits, et par conséquent l’objet des actions pétitoire ou possessoire, soit de la part de l’Etat et des communes, soit contre eux. Cela est évident pour l'action pétitoire ; tous les jours les communes et l’Etat revendiquent des propriétés devant les tribunaux ou y sont traduits. La loi du 9 ventôse an XII et l’ordonnance du 23 juin 1819, relatives aux biens communaux, n’attribuent juridiction aux conseils de préfecture que lorsque la qualité communale de l’immeuble n’est pas contestée. Il en est de même à plus forte raison, de l’action possessoire, ainsi que cela résulte d’une jurisprudence constante. Ainsi, à l’égard de l’Etat, ce principe a été consacré, notamment par arrêt du 22 juin 1836, dans une espèce remarquable. Une coupure avait été faite au canal du Japon qui est navigable. Les syndics de l’association se pourvurent par la voie de complainte contre l’auteur de ce fait. Celui-ci prétendit être aux droits de l’Etat, soutint que le conseil — 37-t — de préfecture était seul compétent, aux ternies de la loi du 29 floréal an X, qui attribue à l’administration la répression des entreprises en matière de grande voirie, et que, dans tous les cas, l’action possessoire était non recevable, parce qu’il s’agissait d’une chose du domaine public, hors du commerce, et par conséquent imprescriptible. le système fut repoussé par toutes les juridictions. Nous lisons dans l’arrêt de la cour de cassation qu’aux termes de l’art. 2227 du Iode civil, l’Etat est soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers; que cette règle s’applique aux prescriptions relatives à la possession, comme à celles relatives à la propriété; d’où il suit que l’action en complainte peut être dirigée contre l’Etat tout comme une action relative à la propriété pourrait l’être. Un arrêt de la cour de cassation, du 15 prairial an XII, a décidé que le juge de paix avait pu connaître d’une action possessoire relative une source naissant dans un terrain communal, soit qu’elle fût dirigée contre la commune elle-même, soit quelle le fût contre celui à qui elle avait cédé son droit aux eaux ; on trouve une décision fondée sur le même principe dans un arrêt du 1" avril 1806; la commune soutenait que, s’agissant d’un terrain à elle appartenant, il n’y avait lieu ni à prescription, ni à complainte. Son système fut repoussé ; décisions semblables du conseil d’Etat, les 24 mai 1808 et 10 février 1810, au sujet d’une fontaine et d’un terrain prétendus communaux. Enfin, un arrêt de la chambre des requêtes, du 19 janvier 1831, a rejeté le pourvoi d’unè commune, fondé à tort sur ce que, d’après les lois et ordonnances de l’an XII et de 1819, les contestations re- — 375 — latives aux biens communaux sont de la compétence de l’administration. 11 existe encore quatre autres arrêts semblables de la même cour, des 3 novembre 182/i, 7 août et 18 novembre 1834, et 22 juin 1835. On peut voir sur tout ce qui concerne les biens communaux un très-bon ouvrage dé AI. Latrulle-Alontmey- lian, ancien avocat aux conseils et à la cour de cassation. Nous n’avons excepté de l’action possessoire que les choses qui sont hors du commerce, qui forment le domaine public, national, départemental ou communal; nous comprendrons parmi les choses hors du commerce, non-seulement celles énoncées dans les art. 538, 5A0 du Code civil et celles désignées page 213, mais encore les monuments ou établissements publics, tels que bibliothèques, musées, jardins ^ ”cs, hôpitaux, hôtels de ville; hôtels des grandes administrations, palais des chambres législatives, mais non les jardins qui en dépendraient et seraient à l’usage particulier du chef d’administration. Nous avons aussi excepté, page 220 et suivantes, certains biens qui, sans être affectés à un service public, sont cependant déclarés inaliénables ou imprescriptibles. Nous pouvons y ajouter les forêts de l’Etat, dont l’art. 12 de la loi du 1 er décembre 1700 défend l’aliénation, et que les art. 00, 01 et 02 du Code forestier de 1827 défendent de grever de droits d’usage ou d’affectations quelconques. Alais pourrait-on étendre cette exception aux champs de foires, halles et marchés, en les assimilant aux rues, places et monuments publics ? Il semblerait naturel d’admettre l’affirmative dans le cas où une halle; un marché auraient été construits pour être affectés à cet usage, comme dans le cas où une foire se tiendrait — 376 — dans un lieu public, n’eùt-il aucune autre destination. Les halles à la volaille et au blé de Paris sont, sans contredit hors du commerce. Nous ne verrions d’exception à ce que nous venons de dire que dans le cas où les foires et marchés tiendraient dans un champ produisant ordinairement des fruits ou dans des bâtiments pris à loyer d’un particulier. Cependant la cour de cassation, par arrêts des 1 er août 1800 et 19 juillet 1820, a admis un principe différent pour les halles. Nous ne croyons pas qu’ils doivent faire jurisprudence. $ •. Biens indivis. Les biens indivis ou communs entre plusieurs propriétaires, tels que murs, fossés, haies, sentiers d’exploitation, champs, maisons, etc., donnent lieu à la complainte des uns contre les autres en cas de trouble ou usurpation ayant pour but l’attribution d’une possession exclusive. Le communier est bien fondé à demander que la jouissance reste commune, comme elle l’a été dans l’année antérieure au trouble, car il fait seulement maintenir ou rétablir l’état naturel des choses jusqu’au jugement de la propriété ou du partage, ce qui est de l’essence de la complainte. Ces principes, contestés par quelques auteurs et par quelques tribunaux, sont aujourd’hui bien fixés par de nombreux arrêts de la cour de cassation. Nous citerons particulièrement ceux des 10 novembre 1812, entre Etilein et divers habitants du village de la Vergue; 29 novembre 181 A, Joly; 8 décembre 1S2A, entre Athénas, Heureux et donnerais; 27 juin et 11 décembre 1827, entre les hospices d’Arles et le sieur Nay ; 19 novembre 1828, entre les sieurs Domingon — 377 — et Gharmensat; même jour, entre Moutier et Viel; là avril 1830, Clément; 29 mars 1841, Garnier. Les sentiers servant à l’exploitation de divers fonds qu’ils traversent, sont de plein droit censés propriété commune, à moins que des titres produits ne détruisent cette présomption. Arrêts de la cour de cassation des 29 novembre 181 A, 11 décembre 1827, 20 juin 1828, et La- laure, des Servitudes. Nous donnerons de plus grands déxeloppcmenlsàcct égard, en nous occupant des personnes qui peuvent ou contre lesquelles on peut intenter l’action possessoire. § 10. Biens d’origine nationale et autres vendus par l’administration. Quoique nos lois, et notamment celle du 28 pluviôse an VIII, confèrent aux conseils de préfecture le jugement des contestations relatives aux domaines nationaux vendus par l’Etat, il est incontestable que l’action possessoire à laquelle ils donnent lieu, soit entre l’Etat et des particuliers, soit entre particuliers seulement, est de la compétence des juges de paix ; car les tribunaux administratifs ne sont chargés que de juger le fond, par interprétation des ventes nationales, ou déclaration de ce qui s’y trouve compris, tandis que le juge de paix prononce sur la possession tout-à-fait indépendante de la question de propriété qui demeure entière. Ie nombreux arrêts du conseil et de la cour de cassation ont proclamé ces principes. Nous citerons parmi les premiers ceux des 25 mars 1806,16 août 1808, 26 juillet 1826, 2 h janvier et 19 décembre 1827, et parmi les seconds, ceux des 28 août 1810 et 16 janvier 1832. Les mêmes principes s’appliquent à la vente adminis- — 378 -> trative des biens communaux. Quoique la question dé savoir quels sont les objets compris dans l’ordonnance autorisant la vente puisse, dans certains cas, être réservée à l’administration, la question de possession annale n’en est pas moins de la compétence du juge de paix, qui doit seulement surseoir à y statuer, s’il pense que l’interprétation est utile à la décision de la complainte. Arrêts du conseil du 4 juillet 1827 et de la cour de cassation dit 11 mai 1831. Mais des poursuites de vente faites en exécution de la loi du 14 ventôse an Vil, contre un détenteur de domaine national, ne pourraient autoriser une action en complainte. Arrêt de la cour de cassation du 25 juillet 1836. §11. Des servitudes. Déjà, nous avons compris diverses servitudes au nombre des choses qui peuvent être la matière des actions possessoires. L’étendue que nous avons alors donnée â nos développements nous permettra d’être ici fort laconique. N“ 1. Notions générales. La servitude est une charge imposée en faveur d’un héritage sur un autre appartenant à un propriétaire différent; car ne-mini res sua servit. La grande et première division des servitudes, tirée de la cause qui les produit, est en naturelles, légales et conventionnelles. Art. 639 du Code civil. Les servitudes naturelles dérivent de la situation des lieux. Ce sont l’obligation de recevoir les eaux qui découlent du fonds supérieur sans le fait de l’honnne, les droits de bornage et de clôture. Les servitudes légales résultent des dispositions dé la loi ; les unes ont l’utilité publique bu communale pour objet. Nous en avons suffisamment traité en parlant des chemins de lialage, des routes et des voies vicinales ; les autres concernent l’intérêt particulier; ce sont le mür et le fossé mitoyens, la distance des plantations, l’extension des branches et racines, la distance ou les précautions à observer pour certaines constructions, telles que puits, fosse d’aisance, forge, étable, etc. Les restrictions relatives aux jours, à l’égout des toits, le passage en cas d’enclave, et enfin le passage des eaux créé par la loi du 29 avril 1845. Les servitudes conventionnelles sont établies par le fait de l'homme; elles résultent des conventions expresses ou présumées, c’est-à-dire de la prescription. Une seconde division des servitudes est en continues et discontinues. Les continues sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme; les discontinues celles qui ont besoin de ce fait pour être exercées. La troisième division est en servitudes apparentes ét non apparentes. Des servitudes peuvent être tout à la fois discontinues et apparentes ou non apparentes. La distinction des servitudes continues et discontinues, apparentes et non apparentes, est sans objet, quant à celles qui résultent de la situation des lieux ou de la loi ; elle n’a d’utilité que pour les servitudes conventionnelles qui sont susceptibles d’acquisition et d’extinction par prescription. Aussi cette distinction est-elle placée dans le Code au chapitré des servitudes établies par le fait de l’homme. — 380 — Les seules servitudes qui puissent s’acquérir par la prescription, c’est-à-dire par une possession de trente ans, sont celles qui réunissent le double caractère de l’apparence et de la continuité. Quant aux autres, c’est-à-dire les continues non apparentes et les discontinues apparentes ou non apparentes, la possession même immémoriale est inefficace ; un titre est indispensable; cette disposition n’atteint pas, bien entendu, les servitudes déjà acquises par la possession avant l’émission du Code civil ; mais celles-ci ne peuvent donner lieu à la complainte qu’après le jugement de l’action pétitoire. Le jugement est un titre qui vient appuyer la possession ; sans ce titre l’action possessoire est non recevable, et le juge du possessoire doit la rejeter, car il ne peut vérifier si, en effet, la servitude était prescrite avant le Code; ce serait préjuger le pétitoire. C’est ce qui a été jugé par un arrêt de la chambre civile du 2 juillet 1823, dans lequel les principes que nous professons sont très-nettement posés. Toutefois, il faut s’entendre sur ce qui doit être considéré comme titre. Nous ne verrions pas un titre valable dans un acte de contradiction suivi d’une possession trentenaire. La contradiction n’a d’autre effet que de légitimer la possession et d’autoriser la prescription poulies choses et les droits qui peuvent s’acquérir de cette manière; elle serait entièrement nulle pour l’acquisition d’une servitude qui ne peut prendre sa base dans une possession même immémoriale. 11 en serait de même d’un acte souscrit par un tiers qui prétendrait avoir droit à la servitude ou par tout autre qui n’aurait jamais possédé le fonds servant. Mais il en serait autrement, à notre avis, d’un acte de — 381 — concession de servitude émané du possesseur à titre de maître et de propriétaire du fonds qui serait grevé. Quoiqu’il vînt à être plus tard évincé de ce fonds, parce qu’il serait jugé qu’il n’en a pas la propriété, le titre ne nous paraîtrait pas moins devoir servir de fondement à la prescription et à l’action possessoire ou pétitoire. N° 2. Des servitudes naturelles et légales. De ce que l’inférieur est tenu de supporter les eaux descendant du fonds supérieur, il suit qu’il n’aurait pas l’action possessoire en cas d’écoulement récent d’une source qui n’aurait pas une année d’existence. 11 n’aurait pas non plus action en cas d’éboulement d’un terrain supérieur sur le sien, eut-il été amené par des travaux que la propriété autorise, si la cause première devait en être attribuée à un vice occulte du terrain que l’on n’a pu connaître. Arrêt de la cour de cassation du 29 novembre 1832. Un voisin n’aurait pas davantage action pour empêcher le propriétaire contigu de se clore, quoique cette innovation lui fit perdre l’avantage de la vaine pâture, ou tout autre qui ne serait fondé ni sur un titre ni sur la loi. Si un voisin établissait des jours et fenêtres dans un mur non mitoyen, mais soit sans observer les distances, soit sans prendre les précautions déterminées par les articles 676, 677, 678 et 679 du Code civil, il y aurait lieu contre lui â l’action possessoire pour faire réprimer son usurpation ; mais, après l’année, il faudrait se pourvoir au pétitoire ; et l’action possessoire appartiendrait à l’auteur des vues pour se faire maintenir en cas de — 382 — trouble, parce que la servitude de vue, étant continue et apparente, est prescriptible. Si le trouble consistait en une construction qui rnas- querait les vues, celui qui les aurait pratiquées depuis un an aurait l’action possessoire ; la cour de cassation avait d’abord jugé le contraire. Arrêts des 10 janvier 1810, 23 avril 1817, 2/i juin 1823. Mais elle est revenue sur cette jurisprudence par arrêt du l or décembre 1835. La complainte serait recevable contre celui qui ouvrirait des vues dans son mur, après que le voisin aurait expressément déclaré vouloir acquérir la mitoyenneté, et pendant qu’on procéderait aux expertises et estimations des indemnités qu’il aurait à payer. Ce que nous venons de dire ne s’applique point aux rues, places, routes ou chemins publics sur lesquels on peut percer des jours ou des portes, diriger l’égout de ses toits à sa volonté. Ces diverses servitudes subsistent même après aliénation de ces choses en faveur de particuliers qui restent chargés de les supporter. Arrêt du conseil du 25 avril 1833. Le principe relatif à l’ouverture des fenêtres ou jours, hors des cas et sans les conditions déterminées par la loi, s’applique également aux établissements exécutés en contravention aux diverses dispositions de l’article et à l’article 681. Le droit de profiter des eaux d’une source dans le cas prévu par l’article 643 du Code civil est une servitude légale. Le trouble apporté à son exercice donne lieu à la complainte. Le juge de paix a le pouvoir de rechercher la nécessité qui, d’après la loi, est la cause du droit des habitants. Le droit de passage est, comme nous l’avons dit, une servitude discontinue qui ne peut donner lieu à l’action possessoire, à moins qu’il ne soit appuyé sur un titre. Par arrêts des 3 juin et 2/i novembre 1835, et 9 mars 18/i6, la cour de cassation a décidé formellement qu’il en était ainsi, lors même que le passage s’annonçait par un ouvrage extérieur, une porte par exemple, parce qu’en effet l’ouvrage rend bien la servitude apparente, mais n’empêche pas qu’elle soit toujours discontinue, et ne puisse s’acquérir que par titre. Mais il en est différemment du passage accordé en cas d’enclave par l’art. 382. L’enclave n’est pas définie par la loi. Les juges, même au possessoire, doivent avoir certaine latitude pour la rechercher et la constater. La contiguïté d’un chemin public, d’un cours d’eau, même lorsqu’il appartiendrait au propriétaire du fonds, pourrait être déclarée ne pas faire cesser l’enclave, si le mauvais état du chemin ou la nature de la rivière rendaient le passage dangereux ou trop difficile, ou exigeaient des dépenses trop considérables pour l’état des communications. Voyez notre Traité des chemins, et arrêts de la cour de cassation des 31 mai 1825, 23 août 1827 et 16 février 1835. Il en serait de même dans le cas où une partie du fonds ne toucherait à la voie publique que par un fossé, un rocher, une montagne qui s’opposeraient à la communication directe avec cette voie. Le propriétaire tiendrait de la loi le droit de passer sur l’héritage ou les héritages voisins, et il devrait être maintenu dans la possession qu’il aurait eue pendant un an sans être tenu de produire un acte de concession, parce qu’alors le titre du réclamant est la loi elle-même; ce qui s’applique à toutes les servitudes naturelles ou lé- 384 — gales. Arrêts de la cour de cassation des 26 janvier'1825, 9 mai 1831. Cette solution sur laquelle la jurisprudence a été longtemps incertaine, ne saurait plus être aujourd’hui l’objet du moindre doute. Si deux arrêts de la cour de cassation des 7 février 1811 et 8 juillet 1812, ont d’abord refusé l’action possessoire pour trouble dans l’exercice d’un passage en cas d’enclave, deux autres arrêts des 10 juillet 1821 et 22 août 1827, avaient déjà, à l’occasion d’une question analogue, posé un principe différent, et depuis, dix arrêts des 8 janvier, 7 mai 1829, 10 mars 1830, 21 mars et 9 mai 1831, 27 juin, 19 novembre 1832, 23 mars et 7 juin 1830, et 12 décembre 1843 , l’ont de nouveau consacré. Ainsi, les doutes élevés par M. Va- zeille, des Prescriptions, tome 1, n°* 409 et 410, ne sont pas fondés. Et si le propriétaire enclavé qui jouissait déjà d’une servitude de passage venait à changer la destination primitive de son fonds, il aurait le droit d’exiger, sauf indemnité, une extension ou modification de la servitude, proportionnellement aux besoins de l’exploitation nouvelle. Arrêt de la cour de cassation, du 8 juin 1836. Mais il faut remarquer que celui qui se prétendrait ou serait réellement enclavé, et qui n’aurait jamais exercé le passage, ou celui qui, après l’avoir exercé, aurait besoin d’en obtenir un nouveau, à raison des changements survenus dans les lieux ou dans l’exploitation, ne pourrait, de son autorité privée, établir ce passage, en choisir l’emplacement, et que s’il le faisait sans l’intervention de la justice, le propriétaire du fonds que l’on veut ainsi grever de servitude, mais qui serait en possession annale de franchise, serait recevable à intenter l’action posses- — ,!8S — soire pour s’y faire maintenir. Vrrêt de cassation du lô juillet 18/iâ, entre Linarès et Darlot. Si l’enclave n’avait pas une année d’existence, le propriétaire de l’héritage sur lequel le passage serait pratiqué pourrait faire réprimer ce fait, sans que le possesseur du fonds enclavé pût opposer que l’exercice d’un droit fondé sur la nécessité et sur la loi ne peut pas être un trouble ; car autre chose est le principe du droit, autre chose est le mode de son exercice ; et lorsque l’enclave est prouvée, il reste encore à régler par lequel des fonds voisins ou par quelle partie de ces fonds le passage doit avoir lieu; ce réglement excède la compétence du juge de paix et ne peut être fait que par les tribunaux civils. 11 s’ensuit que si, après avoir passé pendant moins d’un an, l’enclavé venait à être troublé dans son passage, il ne pourrait intenter complainte pour s’y faire maintenir. Voyez notamment les arrêts de la cour de cassation des 7 juin 1830 et 12 décembre 18/3. 11 est évident que le fait matériel, la possession annale du passage doit être la règle des parties et du juge pour décider sur la complainte en cas d’enclave ; le propriétaire de l’héritage assujetti serait fondé à intenter cette action contre le voisin qui viendrait à changer l’emplacement par lequel il aurait passé pendant une année entière. Cour de cassation, 24 juin 1828. Réciproquement, le propriétaire du fonds enclavé serait fondé à se faire maintenir dans la possession de passer par la partie du fonds qui lui aurait servi à cet usage pendant un an. Le propriétaire du fonds servant ne pourrait s’v opposer, sous prétexte que le passage est par cet endroit plus long et plus dommageable pour lui, ni demander que le juge de paix recherchât et fixât cet endroit. 386 — d’échelle au nombre des servitudes légales; il est également certain que, dans les pays où l’acquisition en était autrefois permise par possession, il faut que cette acquisition ait été accomplie avant le Code. Cependant, la première décision a été controversée entre MM. Guichard et Aulanier; le premier tient pour l’abolition du tour d’échelle comme servitude légale ; le second pense, au contraire, qu’elle forme un droit acquis pour ceux dont les constructions existaient avant le Code ch il. Nous croyons inutile de suivie ces auteurs dans leurs raisonnements opposés, car la question qui les divise a été nettement tranchée par deux arrêts de la cour de cassation, qui paraissent avoir échappé à leurs recherches. Nous les avons déjà cités ; ils sont des 31 octobre 1810 et 21 avril 1813. M. Merlin les reproduit, V° l'm- sinage, avec des conclusions fort étendues prononcées lors du dernier. Il prouve que toutes les servitudes dérivant des anciens usages ou des dispositions expresses des coutumes, sont abolies par l’art. 7 de la loi du 30 ventôse an XII, lequel déclare, qu’à compter du jour où ont été exécutoires les lois dont se compose le Code civil, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales... avaient cessé d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l’objet de ces lois; qu’il en est ainsi, lors même qu’on en aurait joui de temps immémorial avant le Code civil, parce que cette possession résultant d’une coutume, celui contre lequel on l'invoque ayant été forcé de la soull'rir, il n’en pouvait résulter aucune acquisition de droit ; pie l’art. ùl du Code civ il ne maintient pie les servitudes acquises par la seule possession, sans le secours de la coutume, — 390 — parce qu’elle est fQiidée sur le consentement présumé du voisin. Les deux arrêts cités ont pleinement consacré cette opinion. Ces principes reçoivent exception au cas de réparation à faire à un mur mitoyen ; chacun des propriétaires étant tenu d’y contribuer également, doit, par une conséquence nécessaire, fournir le passage sans lequel l’obligation ne pourrait s’accomplir. Quant au tour d’échelle, qui consiste en un terrain délaissé par le propriétaire au delà de son mur ou bâtiment, il subsiste toujours, puisqu’il est établi à titre de propriété et non de servitude. La cour de cassation a jugé, le 15 décembre 1835, pie le propriétaire d’un moulin construit sur un canal fait de main d’homme, constituant une propriété privée commune à plusieurs moulins alimentés par ses eaux, a le droit, en l’absence de titre contraire, de passer sur la douve de ce canal dans toute son étendue, pour veiller au libre cours des eaux. L’usinier troublé dans la possession d’exercer ce passage, aurait incontestablement l’action possessoire pour s’y faire maintenir, comme en matière de sentier d’exploitation. .Y’ 3. Des servitudes établies par le fait de l'homme. Nous avons déjà dit que les servitudes continues et apparentes pouvant s’acquérir par la prescription, la possession annale autorisait la complainte à leur égard. Ainsi, cette action appartient au possesseur d’une fenêtre, d’un aqueduc, d’un égout, lorsqu’il est troublé. Mais la possession ne pouvant plus faire acquérir. ; s — 301 — autres servitudes, ne peut, par conséquent, en ce qui les concerne, servir de fondement à la complainte. Vainement un particulier aura-t-il, de temps immémorial, exercé le puisage ou lavage même à l’aide d’établissements fixes et apparents arrêts de cassation du h octobre 1807, fait pacager ses bestiaux arrêt de la même cour du 22 novembre 1830 ou passé sur le fonds d’autrui, même au moyen d’une porte qu’il y aura ouverte, il n’aura par là acquis aucun droit. Cette décision s’applique aussi à une commune lorsqu’elle a d’autres chemins dans le voisinage. Arrêt du 30 novembre 1830. 11 en est autrement lorsque le demandeur, outre la possession annale qu’il allègue, produit un titre pour prouver que sa possession résulte d’un droit légitime, et n’est pas l’effet de la tolérance ou de la familiarité. Le juge de paix non-seulement peut, mais doit l’apprécier sous ce seul rapport, quand même il serait contesté, pourvu qu’il se borne à maintenir dans la possession sans rien décider sur le fond du droit. Nous pensons qu’il aurait le même pouvoir, dans le cas où le titre serait combattu par un autre ou attaqué de nullité pour vice de forme, sauf cependant à l’écarter si cette nullité était constante à ses yeux et résultait de faits certains, mais non lorsqu’elle ne peut être la conséquence que d’une action en rescision ou d’une instruction plus ou moins longue. 11 ne pourrait pas davantage prendre pour base de sa décision un acte authentique contre lequel une inscription de faux serait admise, ou celui sous-seing privé dont les signatures seraient contestées. Il a été jugé le 1 er avril 1837, par la cour de cassation, que la possession suffit à celui qui, au lieu de réclamer un simple droit de servitude, se prétend propriétaire du terrain ou de l’objet sur lequel il a exercé le passage, pacage ou puisage. Du reste, le juge de paix doit n’user du pouvoir d’appliquer les titres qu’avec une grande réserve. Tous ces principes nous paraissent résulter de la jurisprudence constante de la cour de cassation. Nous citerons les arrêts des 2 et 2 /i juillet 1810 , 0 juillet 1812 , 2 mars, 17 mai 1820 , 20 janvier, 10 avril, 0 novembre, 21 décembre / lévrier 1820 , 21 mars, 0 décembre 1831 . juge pourrait aussi consulter les titres pour rechercher si l’objet en litige est dans le commerce et susceptible de prescription. La cour de cassation l’a ainsi jugé avec raison, par arrêts des 10 lévrier et 25 juillet 1837, et 2 lévrier 18/0. On peut voir encore un arrêt assez important rendu le 12 novembre 1838, par la chambre des requêtes, sur le pourvoi de la ville de Bolbec contre du tribunal du Havre. La même cour a jugé, le 21 mai 1838, qu’un petit terrain situé en dehors des murs de clôture d’une propriété particulière et attenant à une place publique, avait pu être présumé faire partie de cette place, déclaré imprescriptible et non susceptible de donner lieu à complainte. La cour de cassation a encore rendu, le 8 mai 1S38, un arrêt qui mérite une attention spéciale. Pour se défendre d’une action possessoire et soutenir qu’il était co-usager avec les demandeurs, le sieur Bou- geret invoquait un très-ancien titre. Les demandeurs répliquent que les droits sont prescrits et éteints, soit parce que, s’agissant d’un sol originairement forestier, 3113 — on n’a pu les conserver que par des déclarations et procès-verbaux de délivrance, soit par le non-usage pendant trente ans. Mais les juges du possessoire ont refusé de statuer sur l’exception, et la cour a approuvé ce refus, attendu que si ces juges doivent apprécier les titres, ils ne doivent pourtant pas prononcer sur leur validité relativement au fond du droit, se livrer à des instructions longues et dispendieuses pour écarter ou admettre les objections proposées contre les titres; qu’il suflit d’en reconnaître la régularité, d’en apprécier la portée, de la prendre, s’il y a lieu, pour point de départ, alin de déterminer le véritable caractère de la possession, tous les droits des parties demeurant réservés au pétitoire. Par un autre arrêt du 23 mai 1838, la cour régulatrice a cassé un jugement qui avait écarté un titre un partage de biens communaux fait en 1791 comme nul, aux termes de la loi du 9 ventôse an XII ; elle s’est fondée sur le motif bon pour l’espèce, mais qu’il ne faudrait pas appliquer d’une manière absolue, qu’en matière possessoire la question de validité ou de non validité des titres ne peut autoriser à déclarer la possession vicieuse et sans effet. Nous disons qu’il ne faudrait pas appliquer ce motif d’une manière absolue; nous pensons en effet qu’il faut au moins, pour pie l’action soit recevable, que la validité du titre soit constatée quant au possessoire. Kt c’est ce pie la cour de cassation elle-même a décidé par arrêt du 2t juillet 1839, duquel il résulte, qu’au cas d’action possessoire ayant pour objet une servitude discontinue, telle qu’un droit de passage, laquelle action n’est recevable qu’autant que le droit se trouve fondé sur un litre, — 3!>i — le juge du possessoire auquel un tel titre est présenté doit, si sa validité est contestée, apprécier lui-même cette validité en ce qui touche le possessoire, pour statuer ensuite sur l’action à laquelle il sert de base. Il ne peut renvoyer cet examen aux tribunaux ordinaires, et surseoir à statuer sur le possessoire, jusqu’à ce que leur décision soit intervenue. Nous ne pensons pas que le juge de paix puisse prendre en considération ni rechercher une possession tren- tenaire ou immémoriale dans les pays où, avant le Code civil, les servitudes discontinues s’acquéraient de cette manière ; car, d’une part, le Code veut qu’elles fussent déjà acquises avant sa promulgation ; et, de l’autre, il n’appartient pas au juge de paix de donner un titre aux parties ; il peut seulement appliquer celui dont l’existence lui est établie par la production qu’elles en font. Aussi, en pareil cas, la cour de cassation a-t-elle décidé, le 3 octobre 181A et le 2 juillet 1823, que la voie pétitoire est la seule praticable. Remarquons, que lorsque sur une complainte le défendeur allègue qu’il a la possession annale de couper des litières, de fagoter et de faire paître sur le terrain en litige, que même ses auteurs ont cultivé ce terrain pendant nombre d’années, sans trouble ni opposition, si le tribunal juge qu’en fait le demandeur ne justifiant pas sullisamment de sa possession annale, il y a lieu à admettre le défendeur à la preuve de ses faits de possession, il n’y a point là de contravention aux dispositions de l’art. HH du Code civil. Arrêt de la cour de cassation du 21 février 1827. Lorsque le demandeur 11 ’ofïre pas de justifier sa possession exclusive, et que d’ailleurs son adversaire prouve — 39o — qu’il a eu aussi la possession de l’objet litigieux, le juge peut prononcer en faveur de ce dernier, sans être obligé d’ordonner que le demandeur fera preuve de la possession exclusive alléguée. Arrêt de la cour de cassation du 31 août 1831. Aux ternies de l’art. 692, la destination du père de famille vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes. Cette décision n’a d’importance qu’au péti— toire, parce qu’elle dispense de la prescription ; mais elle n’en a point au possessoire, puisque la possession annale est toujours exigée pour la complainte, et que les servitudes dont il s’agit sont prescriptibles. Mais l’art. 69A portant que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l’un de ses héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue de substituer activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné, est-il corrélatif à l’art. 692, fait pour le même cas, ou bien s’applique-t-il, sans distinction, à toutes les servitudes continues et discontinues, toutes les fois qu’il existe un signe apparent entre les deux immeubles? Les auteurs les plus graves sont divisés sur cette question. Les uns prétendent que l’art. 69A ne doit s’entendre que des servitudes continues et non des servitudes discontinues, et que le principe posé par l’art. 692 doit régir l’art. 69A, qui n’en est que le développement. Telle est l’opinion de MM. Delvincourt, Cours de Code civil, t. 1 er , p. 533 ; Toullier, t. 3, n“ 613, et Favard de Lan- glade, Repert., V° Servitude, sect. 3, § A, n° 3. Mais la doctrine contraire est professée par MM. Par- dessus, Traité des servitudes, n°* 289 et 300; Merlin, Rc- pert., V° Servitude, § 19, n° 2 ; Duranton, Cours de droit civil, t. 5, n 0 ' 570 et suiv., et Solon, Traité des servitudes réelles, n° 399. Suivant ces auteurs, l’art. 694 n’a aucun rapport avec l’art. 692 ; il statue pour un cas autre que ceux prévus par celui-ci, et il en est parfaitement indépendant, puisqu’il ne tire aucune considération de la continuité ou discontinuité de la servitude; mais qu’au contraire, dans le cas qu’il prévoit, la servitude est maintenue, par cela seul qu’elle est manifestée par un signe apparent, soit qu’elle soit continue ou discontinue. La jurisprudence, longtemps incertaine, parait s’être fixée dans ce dernier sens. Nous citerons notamment les arrêts de la cour de Caen du 15 novembre 1836, de la cour de Douai du 1 er juillet 1837, et de la cour de Limoges du 4 août 18/jO ; et ceux rendus par la cour de cassation les 26 avril 1837 et 2/i février 1810. Ajoutons, toutefois, que ce dernier arrêt introduit une distinction tout-à-fait nouvelle, et donne à la question une solution moins générale, en ce que tous les arrêts antérieurs ne soumettaient l’application de l’article 694 aux servitudes discontinues qu’à la condition d’un signe apparent, tandis que l’arrêt du 24 février 1840 exige de plus que la servitude ait une origine légale résultant soit d’un titre, soit de l’état des lieux et de la nature même des choses, comme au cas d’enclave. Quanta l’action possessoire, nous croyons que l’existence d’un signe apparent ne suffirait point pour l’autoriser; il faudrait encore qu’il s’agisse d’une servitude continue. Mais au cas de servitude discontinue, le demandeur alléguerait en vain l’article 694, s’il ne joignait à sa possession annale un titre originaire. 397 — Nous ne considérons le pacage sur le fonds d’autrui que comme une servitude discontinue, sans distinguer entre la grasse et la vaine pâture, conformément à l’article 688, dont les termes sont généraux. Il ne peut donc s’établir par la possession, et n’est pas susceptible de l’action possessoire quand il n’est pas appuyé sur un titre. Nous n’admettrions d’exception que dans les cas où la propriété ne serait d’aucun autre produit, et où celui qui aurait exercé le pacage se prétendrait propriétaire du sol. Alors le juge de paix aurait la faculté de considérer les faits comme constituant une possession non précaire et à titre de propriétaire. Nous rangeons aussi le droit de secondes herbes dans la catégorie des servitudes discontinues. La cour de cassation a eu deux fois à prononcer sur ce point. Dans la première espèce, elle évita de le faire en décidant que le jugement qui avait reconnu qu’une plantation exécutée sur un pré grevé de cette servitude ne constituait pas un trouble à la possession, avait jugé en fait, et ne pouvait être cassé. Arrêt du 19 juillet 1825. L’arrêt rendu dans la seconde espèce, le 7 mars 1826, énonce positivement que le droit de secondes herbes, exercé sans titre, est une servitude discontinue. Toutefois, il a été décidé par un arrêt de la chambre des requêtes du 22 novembre 1841, que la perception des secondes herbes d’un pré au profit d’une commune, soit par elle-même, soit par des tiers auxquels elle l’affermait, peut, suivant les circonstances de fait et de lieu dont les tribunaux sont appréciateurs souverains, constituer, non une servitude de vaine pâture, insusceptible d’être acquise par prescription, non pas même un droit d’usage, susceptible d'être racheté par voie de canton- — 398 — nement, maïs un droit de co-propriété, qui peut être acquis par une possession trentenaire. Les usages dans les bois et forêts se divisent en grands et petits. Les premiers consistent dans le droit de faire paître les bestiaux, de se faire délivrer du bois de chauffage et de construction. Les autres consistent principalement dans le droit d’enlever les bois morts et morts bois. Les auteurs ne sont pas d’accord sur la nature du droit d’usage ; les uns le considèrent comme une co-propriété ; les autres, parmi lesquels on compte MM. Ilenrion chapitre A3, § 8, Merlin Questions de droit, V° Pâture et bavard de Langlade, rép. V° Usayes droit d’, comme une servitude discontinue. Nous n’avons pas l’intention de nous livrer à la discussion de ces opinions diverses, parce que nous devons nous borner autant que possible à traiter des actions possessoires. Nous dirons seulement que nous adoptons la dernière; que, par conséquent, le trouble à un usage ne peut donner lieu à la complainte qu’autant que le droit est établi par titre. Cette solution est commune aux bois de l’État et des particuliers. Nous n’admettrions même pas d’exception pour le cas où l’on invoquerait des procès-verbaux de défensabilité et de délivrance pendant plusieurs années, et notamment pendant celle qui aurait précédé le trouble. Ces actes, sufli- sans pour empêcher la prescription du droit résultant d’un titre, ne pourraient équivaloir au titre constitutif exigé par la loi ; il y aurait pour les bois de l’État une raison de plus de cette solution ; c’est que tous les droits non reconnus par des décisions antérieures au Code forestier ou par suite d’instances engagées dans les deux ans de ce Code sont supprimés, et qu’il est défendu d’en établir à l’avenir. *w» 300 •“» La jurisprudence de la cour de cassation nous semble conforme à notre sentiment. Un premier arrêt du O mars 1817 décide qu’un droit d’usage dans les bois peut être considéré comme servitude. Nous lisons dans un autre arrêt du 23 mai 1832 que les droits d’usage dans les forêts sont des servitudes discontinues, qu’en Alsace ces servitudes pouvaient s’acquérir par la prescription avant le civil ; que l’art. 691 a maintenu les droits d’usage acquis de cette manière buis cette province avant ce '.ode. Deux autres arrêts de la même cour des 6 février et 3 avril 1833, donnent aussi aux droits d’usage dans les bois et forêts de l’Iitat, des communes ou des particuliers, la qualification de servitudes. Un arrêt plus récent, rendu par cette cour le 30 juillet 1838, décide encore que les droits d’usage dans les forêts ne constituent au profit des usages qu’une servitude discontinue qui, aux termes des lois sur la contribution foncière, n’est soumise à aucune partie de cet impôt. Cependant un autre arrêt de la même cour, du 6 août 1832, fait résulter de la loi du 10 juin 1793 une exception toute spéciale ; il a jugé qu’une commune en possession d’un pacage, sur un terrain situé dans le territoire d’une commune voisine, doit, aux termes de cette loi, section A, article 2, être maintenue dans sa possession, parce que l’article 691, sur l’impossibilité d’établir les servitudes discontinues autrement que par titres, n’a porté aucune atteinte à la législation communale résultant de cette loi de 1793. Jusqu’ici nous n’avons considéré que le propriétaire troublé dans l’exercice d’une servitude par celui sur le fonds duquel il prétend pouvoir l’exercer; mais nous de- — 400 — vons nous occuper aussi de ce propriétaire qui soutiendrait n’être assujetti à aucune charge. Celui-ci aurait sans contredit, en général, l’action possessoire appelée négatoire pour se luire maintenir dans la possession libre et franche de son héritage, nonobstant un arrêt de la cour de cassation du 2 février 1820, rendu entre Mairet et la veuve Tarnier, dont nous avons combattu la décision dans notre Traité, des chemins, et que M. Merlin a également combattu dans ses Questions de droit, X° Servitudes. Mais comme la prescription peut servir à fixer le mode d’exercice même des servitudes légales, par exemple pour les eaux que le fonds inférieur est tenu de supporter et pour le passage en cas d’enclave, il y aurait lieu, après une année de possession, à une action possessoire, s’il était fait quelque innovation à cet état île choses. Voy. pages 258, 315 et 319. L’action possessoire du propriétaire de l’héritage serait recevable lors même qu’une servitude discontinue, le passage, le puisage ou le pacage, aurait eu lieu pendant plus d’un an avant la demande, lu pareil fait ne peut entraîner ni perte ni acquisition de droit. Lors même qu’il s’agit de servitudes continues et apparentes, ou de servitudes discontinues, mais fondées en titres, le propriétaire est admis, après un an de non exercice, à intenter l’action possessoire, parce que les servitudes qui résultent du fait de l’homine peuvent s’éteindre par la prescription, c’est-à-dire par le non usage, pendant trente ans. Art. 705 du Code civil. De nombreux arrêts de la cour de cassation ont fait l’application de ces principes aux usages dans les bois et forêts. — 401 Ils ont décidé que l’usage, comme toute autre servitude, était prescrit après trente ans de la date du titre qui l’avait établi; que c’était à l’usager de prouver qu’il avait joui de son droit pendant ce temps, ou au moins pendant celui suffisant pour interrompre la prescription ; que le fait de jouissance ou d’interruption ne pouvait résulter que de procès-verbaux réguliers de délivrance ou de défensabilité, ou d’actes émanés soit du propriétaire de la forêt, soit de ses représentants ou équipollents à de tels procès-verbaux, ou établissant un commencement de preuve par écrit propre à autoriser la preuve testimoniale d’une possession légitime, sans quelle pût résulter du seul fait matériel de là jouissance de l’usage. On peut voir notamment les arrêts des 23 mars, 31 août, 15 et 16 novembre 1842, 4 et 19 novembre 1845. butin un arrêt du 15 novembre 1841 a décidé, dans un cas spécial, que la prescription des droits d’usage et autres servitudes attachées à un domaine court contre l’acquéreur de ce domaine, à partir du jour de la vente, encore bien qu’à cette époque le domaine soit affermé par un bail antérieur qui ne prend fin qu’à une époque postérieure à la vente ; dans ce cas, l’acquéreur ne serait pas fondé à prétendre que la prescription n’a couru contre lui qu’à partir de l’expiration du bail. Il suit de tout ce que nous venons de dire sur les usages dans les bois et forêts que celui qui prétendrait y avoir droit ne pourrait intenter l’action possessoire contre le propriétaire, qu’autant qu’à un titre constitutif, il joindrait une possession annale antérieure au trouble, établie par des procès-verbaux de délivrance ou des actes équipollents, et qu’après une année de non-exercice de 1 usage, la complainte ait au propriétaire 26 — — ,. •. i pour se faire maintenir dans la possession de franchise de son fonds. „ Nous ferons, en terminant, une observation commune à toutes les servitudes ; c’est qu’aux termes de l’art. 701 du Code civil, le propriétaire du fonds, débiteur de la servitude, peut obtenir le changement du lieu de son exercice, lorsque l’assignation primitive est devenue trop onéreuse, et que l’innovation qu’il propose ne préjudicie pas au créancier. La cour de cassation a même appliqué ce principe au cas où une transaction avait mis en commun des eaux destinées à l’irrigation de deux propriétés et çn avait réglé l’usage. Mais le propriétaire du fonds servant ne pourrait opérer le changement avant d’avoir obtenu l’autorisation de celui à qui la servitude est due, ou, à son refus, de la justice. S’il le faisait, ce créancier serait bien fondé à intenter action en complainte ou réintégrande pour faire rétablir l’ancien état des lieux. — 403 — CHAPITRE III Dp» divers objets qui, dans l’ancien droit, étaient considérés comm immeubles ou droits réels donnant lieu à l’action possessoire, et qui ne pourraient plus eii être l’objet aujourd’hui. SECTION 1". Notions générales. Nous nous sommes proposé, dans le titre second de cet ouvrage, de faire connaître les différentes choses qtii peuvent être l’objet des actions possessoires. C’est pour atteindre plus efficacement ce but, qu’après en avoir déjà, dans les deux chapitres précédents, passé un assez grand nombre en revue, nous avons cru devoir consacrer un chapitre particulier à certaines d’entre elles qui, dans l'ancienne législation, étaient considérées comme droits réels immobiliers. La comparaison et le rapprochement des unes et des autres feront mieux comprendre encore le sens et l’application des principes que nous avons posés. Par le mot droit réel, dit llodier, sur l’art. 1", lit. 18 de l’ordonnance de 1669, quest. 2, on entend un droit attaché à une chose, comme une rente foncière, un droit de cens, de champart, de dîme, de péage, etc. Les droits de patronage, les droits honorifiques des patrons et des seigneurs sont pareillement regardés comme des droits réels, à raison desquels on peut intenter l’action possessoire. Suivant Mareschal et Simon, au Traitç — 404 - des droits honorifiques, t. 1", p. 157, 195, 518, ort compte surtout parmi les droits honorifiques, la litre ou ceinture funèbre, le banc, la sépulture ou le sépulcre, l’offrande, l’eau bénite, le pain bénit, la paix à baiser, le rang aux processions. Il fut jugé, par arrêt du parlement de Toulouse du 27 septembre 1743, que le baron de Lanta avait pu former complainte à raison des droits de justice contre le sieur Molinier, qui prétendait avoir une vingt-quatrième portion de la justice, dans le lieu de Sainte-Foi, descendant de la baronnie de Lanta. Les particuliers peuvent même intenter cette action pour les sépultures dont ils sont en possession, et les marguilliers pour les bancs. Voyez le Traité des droits honorifiques, pages 232 et 253. Je ne doute pas, malgré ce que dit Lange en sa Pratique, liv. 3, cliap. 5, qu’on ne fût reçu à exercer l’action de complainte et réintégrande à raison des fonctions, droits et émoluments d’un office, surtout d’un office héréditaire et patrimonial, et tel est l’avis de Loiseau, Traité des offices , liv. 3, cliap. 4, n° 25. On pourrait encore demander par voie de réintégrande d’être remis en possession de son état de légitimité. » Nous renvoyons à ce que dit Pothier, Traité de la possession, depuis le n° 88, jusqu’au n° 94, relativement aux droits de complant et de banalités, à la corvée, à la dîme. L’action possessoire était également admise à raison de trouble dans la jouissance des bénéfices. L’ordonnance de 1067 renferme un titre entier le 15“' consacré aux procédures sur le possessoire des bénéfices. tOo — Pothier, de la Possession, il 0 ’ 134 et suivants, traite cette matière avec étendue. M. Henrion de Pansey est d’avis que la complainte peut encore avoir lieu aujourd’hui 1° En faveur des créanciers de rentes foncières, lorsqu’ils sont troublés dans leur jouissance, soit par le débiteur de la rente, soit par un tiers pii prétend avoir droit de la percevoir ; mais il pose un principe différent relativement aux rentes constituées, même avec hypothèque spéciale. 11 cite Faber, Mazuer, Brodeau sur l’art. 98 de la Coutume de Paris, n° 3 ; de Laurière sur l’art. 96 ; Imbert, Coquille. 2° Pour droit de champart, c’est-à-dire pour le droit de percevoir certaine partie des fruits d’un fonds. 11 pense que si le propriétaire d’un héritage grevé du droit de champart refuse d’en continuer le paiement, celui qui l’a perçu pendant les années précédentes peut, par voie de complainte possessoire, demander à être maintenu dans sa possession. Il cite deux arrêts du parlement de Paris, des 5 mars 1718 et 27 janvier 1737. 3° Pour droits de péage. Si une communauté ou des particuliers, dit-il, étaient en possession de la franchise d’un droit de péage qui serait établi sur un pont, un chemin ou un bac, et que le propriétaire du droit voulût les y assujettir, ils pourraient intenter la complainte à l’effet d’être maintenus possessoirement dans cette franchise. le même, si, après avoir payé le droit pendant plus d’une année, cette communauté ou les particuliers déclaraient qu’ils entendent s’y refuser, le propriétaire du droit aurait la même action pour les contraindre à en continuer le paiement. » L’auteur cite Boutillier et Dumoulin. 4° Et pour services éventuels. L’auteur appelle ainsi l’obligation où seraient un ou plusieurs particuliers de faire telles ou telles réparations à des maisons, moulins ou autres usines, d’en réparer les écluses, d’en curer les biez, d’entretenir les fossés. Si ces particuliers, sommés de remplir leurs obligations, s’y refusent, il y a lieu contre eux à la complainte possessoire. Nous avons déjà eu plusieurs fois occasion de le dire, le vénérable président a presque constamment cédé à l’influence des anciens principes, sans tenir compte des changements que notre nouvelle législation y a apportés. Il est certain que son opinion et celle de Rodier sont incompatibles avec cette législation. SECTION II. Désignation spéciale de chacun des objets qui ne sont plus réputés immeubles ou droits réels immobiliers. Après ljes notions générales, viennent les détails précis et développés. § 1?'. Des bénéfices et dîmes. On nommait autrefois bénéfice le droit attribué à un clerc de jouir durant sa vie de certains biens consacrés à Dieu, à cause de l’office spirituel dont ce clerc était chargé par l’autorité de l’église. Il n’y a plus aujourd’hui de bénéfices, ils ont été supprimés par la loi du 12 juillet 1790 ; il ne peut donc plus y avoir de complainte en matière bénéficiale. Il en est de même des dîmes, dont la suppression a été prononcée parles lois des h août 1789 et 14 avril 1790, qui n’exceptent que celles qui peuvent être assimilées - *97 - aux rentes foncières. Ces rentes n’ayant plus de caractère mobilier, ne pourraient être l’objet d’une action pos- sessoire. ÿ 2. Des droits de patronage, rangs aux processions, etc.; des choses saintes, des reliques. Les droits de patronage, les droits honorifiques des patrons, l’offrande, l’eau bénite, le pain bénit, la paix à baiser, le rang aux processions, etc., sont aussi abolis par les lois des h août, 1781 et autres subséquentes, et il n’est pas besoin d’ajouter que dans les lieux où quelques- uns de ces usages abusifs auraient pu se maintenir, ceux qui seraient en possession annale d’en jouir ne pourraient intenter l’action possessoire, soit parce qu’ils en auraient joui sans aucun titre, soit parce que la chose qui serait l’objet de la possession n’aurait aucun caractère mobilier et ne serait pas prescriptible. Il faudrait porter la même décision relativement à la consécration des choses saintes, des reliques qui, d’après l’espèce d’un arrêt du parlement de Paris, rapportée au tome 2, d’Augeard, étaient autrefois susceptibles de l’action possessoire, mais qui n’en pourraient plus être l’objet aujourd’hui. 4J 3. Des droits do justice et des offices. Les droits de justice sont également abolis. Les offices ne subsistent plus au même titre qu’autrefois, et n’ont pas un caractère immobilier. Un magistrat n’aurait donc pas l’action possessoire contre quiconque le troublerait dans l’exercice de ses fonctions. Personne ne peut les exercer sans avoir été nommé par l’autorité. 11 ne peut donc y avoir en cette matière de possession valable ni de prescription. Tout se règle par l’acte d’institution du fonctionnaire et par le texte des lois qui déterminent ses attributions, ’.ette décision est commune aux divers fonctionnaires de l’Etat dans l’ordre judiciaire, administratif ou militaire. Il en est de même des offices ou charges de notaires, d’avoués, greffiers, commissaires-priseurs, agents de change et autres; tout se règle aussi par l’ordonnance de nomination et par les lois qui précisent les attributions et les droits de ces divers officiers publics. D’ailleurs, l’objet de la contestation, en supposant même qu’elle portât sur la clientèle ou sur les pièces, titres, dossiers, recouvrements, ne se réduirait-il pas à une chose purement mobilière? $ k- ic l’état de légitimité. On ne pourrait davantage intenter l’action possessoire pour être maintenu ou réintégré dans son titre de légitimité ; car c’est un droit incorporel et qui ne s’applique pas à un objet immobilier ; il ne peut donner lieu qu’à une question d’état qui comprend le fond du droit dont les tribunaux ordinaires doivent seuls connaître. Mais si, en vertu de ce titre de légitimité dont un particulier est en possession, il possède depuis un an des immeubles sur lesquels un tiers commet des usurpations, il a, sans difficulté, le droit de se faire maintenir ou réintégrer dans la possession de ces biens. L’état de légitimité peut seulement être pris en considération par le juge pour servir à déterminer le caractère de la possession des immeubles, sur lesquels doit exclusivement porter la maintenue. — 409 — $ 3. De l’action eu revendication d'immeubles. Quoique l’article 531 du Code civil déclare immeuble par l’objet auquel elle s’applique l’action tendant à revendiquer un immeuble, et qu’un axiome du droit romain considère l’action comme la chose môme qui habet ac~ tionem ad rem recuperandam, ipsum rem habere videtur, nous ne saurions concevoir, connue le dit M. Carré, n° 1/j23, un seul cas dans lequel une semblable action donnât ouverture à celle possessoire. M. ’-arré en donne les raisons suivantes, que nous approuvons Le caractère principal de la possession d’où peut dériver cette action, c’est d’être publique, et certes nulle publicité dans la possession d’une action. Quel serait d’ailleurs le genre de trouble apporté relativement à une action? Ce ne serait pas sans contredit un trouble de fait ; ce ne pourrait être tout au plus qu’un trouble de droit, résultant par exemple de ce qu’un autre que celui à qui appartiendrait l’action l’intenterait dans son propre intérêt, et comme si elle lui appartenait à lui- même; mais en cette circonstance, ce serait à celui qui prétendrait que l’action lui appartient réellement, à intervenir dans l’instance pour revendiquer son droit, et, en tout cas, ce droit ne pourrait être compromis s’il n’intervenait pas, puisque, comme propriétaire de l’action, on ne pourrait jamais lui opposer l’autorité de la chose jugée, suivant la maxime res inter alios judicata tertio non nocel. » § 6. Des rentes et champarts. Toutes rentes constituées avec hypothèque ou l’on- — 410 — cières sont déclarées rachetables et mobilières par les art. 529 et 530 du Code civil ; elles ne peuvent donc devenir l’objet de l’action possessoire. En effet, le créancier ne serait troublé que dans le droit d’une prestation pécuniaire ou en denrée qui n’a aucun caractère immobilier. champart campi pars est une dénomination générale qui signifie le droit d’exiger une certaine quantité des fruits d’un héritage que l’on a donné il cultiver sous cette condition, soit à perpétuité, soit pour un temps. 11 s’appelle aussi dans quelques contrées terrage, agrier, tosque ou tâche, quart, cinquain ou vingtain. On le nomme communément complant, quand il a pour objet un terrain planté en vignes ou destiné à l’être. Les champarts seigneuriaux ou mélangés de féodalité, ont été supprimés par la loi du 17 juillet 1793. Ceux qui étaient purement fonciers ont été conservés; mais ils sont devenus rachetables en vertu des lois des 4 août 1789 et 18 décembre 1790, toutes les fois que les baux primitifs avaient transmis au preneur la propriété du fonds. Dans les autres cas il n’y a pas lieu au rachat, ainsi que l’a décidé un avis du conseil d’état du 4 thermidor an VIH, qui assimile les preneurs à portion de fruits aux fermiers ordinaires. L’admissibilité de la complainte pour trouble dans la perception d’un champart ou complant a donné lieu, entre les auteurs modernes, à des débats fort animés que nous ne reproduisons pas, parce que la jurisprudence de la cour de cassation est maintenant fixée dans le sens de la négative par quatre arrêts de la chambre civile. En premier arrêt, du 16 janvier 1826, rejette le pourvoi formé par le sieur Bauchène, contre un jugement qui i — 411 — refusait d’admettre la complainte pour droit de cham- part, attendu, porte-t-il, que le demandeur n’indique aucune loi qui donne la qualité de droit réel à la prestation par lui réclamée à titre de complant; d’où il suit que le jugement attaqué n’a contrevenu à aucune loi. » Le 29 juillet 1828, autre arrêt portant rejet du pourvoi formé contre un jugement du tribunal de Bressuire, qui avait repoussé la complainte ; les motifs sont trop étendus pour trouver place ici. Le 9 août 1831, arrêt d’autant plus remarquable qu’il casse un jugement par lequel la complainte avait été admise ; il esj, ainsi conçu La cour, vu les art. 529 et 530 du Code civil, attendu que les rentes et redevances de toute nature ont été déclarées rachetables par les lois de 1790,1792 et 1793, et par l’art. 530 du Code civil; que le § 2 de l’art. 529 du même Code les a réputées meubles par la détermination de la loi; que, dans l’espèce, il s’agissait d’une redevance purement foncière, établie par suite d’une transmission de propriété; et non d’un simple bail passé à quelque titre que ce soit; qu’il serait dès lors constant dans la cause que la redevance dont il s’agit aurait été de la nature du complant dans son origine, et quelle aurait eu, sous l’ancienne législation, le caractère d’un droit immobilier, qu’elle aurait perdu ce caractère par la nouvelle ; Qu’ayant pris celui de meuble, le refus de paiement de la part du débiteur ne pouvait être poursuivi que par les voies ordinaires, et non par celle de la complainte possessoire, qui n’est autorisée qu’en cas de trouble apporté à la jouissance d’un droit immobilier. » Le 11 février 1833, 4 e arrêt qui a encore cassé, parles mêmes motifs, un jugement du tribunal de Fontenay-le- Conte, qui avait admis la complainte pour refus de paiement d’un champart. Remarquons d’ailleurs que ces arrêts n’ont statué que dans des cas où le créancier d’une portion de fruits a aliéné la propriété. Mais lorsqu’au contraire il l’a conservée, le preneur n’est plus qu’un colon, un fermier ordinaire; à plus forte raison, ne peut-il intenter l’action possessoire contre son propriétaire, et celui-ci ne peut la former contre lui. § 7. Dos droits de péage et droits éventuels. Les droits de péage ne peuvent donner lieu à l’action possessoire. En effet, l’action qui a pour but de triompher du refus de les acquitter, ou d’être maintenu dans la possession de franchise, ne porte toujours que sur une prestation pécunière qui ne présente rien d’immobilier, et qu’on ne peut assimiler même dans le second cas à un service foncier, c’est-à-dire à une servitude imposée sur un fonds en faveur d’un autre fonds; ce n’est qu’une exception personnelle. Les mêmes motifs servent à résoudre dans le même sens la question de recevabilité de la complainte pour droits éventuels. Jf 8. Des sépultures et tombeaux. Quant aux sépultures, sépulcres ou tombeaux, il faut distinguer D’après les art. 2 et h du décret du 23 prairial an 12, chacun peut choisir le lieu destiné à son inhumation, et être enterré dans sa propriété, pourvu qu’elle soit hors — 413 — et à la distance prescrite de l’enceinte des villes et bourgs, c’est-à-dire à 35 ou AO mètres au moins. Les bienfaiteurs des hôpitaux peuvent être inhumés dans l’enceinte dé ces établissements, lorsqu’ils ont en exprimé le désir dans leurs actes de donation ou de dernière volonté. Art. 13. Hors ces cas d’exception, les inhumations se font dans les cimetières publics. Point de doute qu’en cas d’inhumation dans une propriété privée, l’atteinte portée à un tombeau ne donnât lieu à la complainte, de la part du possesseur annal du lieu consacré à la sépulture. Mais il en serait différemment pour les inhumations dans l’enceinte des hôpitaux ou des cimetières publics, parce que ces propriétés sont imprescriptibles, et seulement grevées d’une servitude de sépulture. Du reste, la violation des tombeaux ou des sépultures donne lieu aux peines prononcées par l’article 350 du '.ode pénal, indépendamment de celles applicables au vol, soit que l’inhumation ait été faite dans une propriété privée, soit quelle ait eu lieu dans les hôpitaux ou cimetières. § 9. Chasse et pèche. Le droit de chasse ne nous semble pas susceptible de s’acquérir par la possession, car on ne peut le considérer que comme une sorte de servitude discontinue qui doit absolument être établie par titre ; le titre, fût-il même une faculté perpétuelle de chasser sur des héritages déterminés, ne constituerait qu’une concession en faveur de la personne, et ne pourrait, en cas d’obstacle apporté à — tu — son exercice, soit par le propriétaire du fonds, soit par un tiers, autoriser le concessionnaire à intenter la complainte ; car il n’en résulterait d’autre avantage que celui de pouvoir s’emparer du gibier qui n’est pas le produit de ce fonds, et ne forme jamais qu’un objet mobilier. Le droit de pêche nous paraît être de la même nature. Nous croyons que personne ne peut l’acquérir par prescription, pas plus le propriétaire de la rive opposée, qui a droit de pêcher dans le cours d’eaü de son côté, en vertu de la mitoyenneté, qu’un étranger non riverain. 11 nous semble que l’article 2 de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche fluviale, qui, après avoir posé le principe général que les riverains ont chacun de son côté le droit de jîêche jusqu’au milieu du cours de l’eau, ajoute, sans préjudice des droits contraires établis par possession, n’a pas entendu que le fait de pêche par un non riverain, même à l’aide de travaux dans la rivière pour le faciliter, fût constitutif de prescription. Il a sans doute eu en vue le cas où le lit des eaux serait prescrit par un non riverain, comme lorsqu’il s’agit d’aqueducs, de canaux d’irrigation ou de moulins. La complainte serait inadmissible lors même que le droit de pêche, en le supposant susceptible d’aliénation, ce que nous n’examinons pas ici, aurait été cédé par un acte, soit à un étranger, soit au co-propriétaire du cours d’eau ; car cette cession n’attribuerait point de droit foncier ; il n’en résulterait que l’avantage de s’emparer du poisson. Mais le possesseur d’un héritage, du lit du cours d’eau sur lesquels la chasse ou la pêche auraient lieu, pourrait intenter la complainte dans l’année du trouble, à moins qu’il n’eût accordé la faculté dont l’exercice motiverait — 41b — son action, parce que alors on la repousserait en produisant l’acte qu’il a consenti. A plus forte raison la chasse et la pêche par un tiers, au préjudice du propriétaire du fonds, donneraient lieu à l’action possessoire dans les cas où le poisson et le gibier pourraient être considérés comme immeubles, d’après ce que nous avons dit précédemment pages 200 et suivantes. § 10. Chapelles, bancs et places dans les églises. Les chapelles, les bancs, les places dans les églises ou le culte divin est célébré publiquement, ne peuvent être l’objet d’une action possessoire, lors même que ces diverses choses auraient été établies aux frais de quelque particulier; car le sol sur lequel elles reposent est imprescriptible. Ce particulier, malgré ses travaux et sa longue possession, ne peut y avoir acquis aucun droit. Tous ces principes ont été proclamés par arrêts de la cour de cassation des 1 er décembre 1823 et 19 avril 1825. Il n’y a évidemment lieu qu’à des actions ordinaires en dommages intérêts, ou à toutes autres établies par le droit commun, ainsi que l’a décidé un arrêt de la même cour du 14 mars 1833, dans une espèce où la fabrique d’une église ayant fait supprimer un de ses bancs, la personne qui prétendait y avoir droit à trois places avait demandé, par action en justice de paix, non la maintenue en possession annale, mais le rétablissement du banc ou une indemnité de 24 fr. pour en tenir lieu. Remarquons même, relativement aux bancs dans les églises, que la concession qui en est faite n’est que provisoire et précaire, aux termes du décret du 30 décembre 1809; et qu’il a été décidé, par un décret du 18 août — 410 — 1807, que la connaissance des contestations auxquelles leur jouissance peut donner lieu appartient à l’autorité administrative. Mais l’imprescriptibilité des églises, des chapelles qui en dépendent, n’a lieu qu’autant qu’elles sont bien réellement consacrées au culte divin; et elle ne s’applique pas aux anciennes églises ou chapelles qui n’ont pas été mises à la disposition de l’évêque, de la fabrique ou de la commune, aux termes des articles 75 et 70 de la loi du 18 germinal an X, et qui ont été au contraire consacrées à un service non religieux. Celles-ci sont avec raison considérées comme des propriétés privées pouvant devenir l’objet d’une possession capable d’autoriser une action possessoire, complainte ou réintégrande ; ainsi l’a très- bien décidé un arrêt de la cour de cassation du h juin 1835, que nous avons déjà cité, qui a été rendu, sur le pourvoi de la commune de Mayenne, contre l’hospice de la même ville. 11 en serait de même des chapelles établies dans des propriétés particulières ; ainsi beaucoup sont fondées par des personnes privées dans leurs maisons ou châteaux ; ces propriétés sont alors prescriptibles comme toutes chapelles appartenant aux particuliers, fussent-elles consacrées à l’exercice du culte divin ; c’est ce qui résulte de l’arrêt du A juin 1835, dans lequel on lit que l’imprescriptibilité est sans application à une église ou chapelle d’une maison particulière, d’un château, d’un établissement particulier quelconque, église ou chapelle, qui ne pourrait être dans ce cas autre chose qu’une propriété privée, quoique le culte divin y fût publiquement célébré. » M. Carré, dans son Gouvernement des paroisses, n 0 ' 300, 307, va jusqu’à appliquer ces principes aux chapelles qui ne sont pas situées sous les voûtes de l’église, niais qui ont leur voûte à part. Il décide que celles-ci sont susceptibles d’être prescrites, et par suite qu’elles donnent lieu à l’action possessoire; mais il faudrait pour cela que le juge qui a un pouvoir discrétionnaire à cet égard commençât par déclarer qu’elles ne font pas partie de l’église. Arrêt de la cour de cassation du 1S juillet 18-28. ÿ 11. D — Lorsqu'il \ a lieu à l’action en réintégrande, il snliil que le demandeur allègue la possession au moment de la voie de lait, et conclue à y être réintégré avec rétablissement des lieux dans leur précédent état, dommages-intérêts et dépens. Si le défendeur seid ne se présente pas, le juge de paix peut donner défaut et adjuger les conclusions du demandeur sans ordonner d’enquête, de visite de lieux. Quoique l’article 150 du '.ode de procédure civile qui impose au juge, a\ant de donner défaut, l’obligation de vérifier si les conclusions sont justes, semble par la place qu’il occupe ne s’appliquer qu’aux contestations portées devant les tribunaux de première instance, à raison de leur importance et de la nature des moyens sur lesquels elles reposent, cependant, dès que l’article 10 porte que la cause sera jugée par défaut, ce qui veut dire appréciée, que les Ibis exigent que tout jugement soit motivé, c’est un devoir pour le juge de paix de rechercher de quel côté est le bon droit, de manière à prononcer en faveur de celui-là même qui fait défaut, si la prétention de l’adversaire qui comparaît ne lui semble pas fondée. \joutons que d’ailleurs la loi ne prescrit au juge aucune règle pour former sa conviction il suffit donc qu’il la déclare pour que le jugement soit régulier; l’art. 24 ne suppose la nécessité d’une enquête que lorsque la possession ou le trouble sont déniés, et, d’après l’art. lors même que le défendeur se présente, conteste l’un ou l’autre, consent aux preutes et vérifications ou les requiert, e’est pour le juge, une faculté et non une obligation absolue de les ordonner. Lu ell'et, le demandeur ou le défendeur peut avoir dans des actes relatifs à la jouissance, dans des mémoires ou — Ht — quittances de travaux ou d'impôts, la preuve positive de sa possession ou de tout autre moyen ou exception, dette possession peut être purement civile; de même qu’aux termes des articles 2244, 22A8, l’interruption civile résulte d’une citation eu justice, d’un commandement, d’une saisie ou d’une reconnaissance, de même aussi la possession peut résulter d’actes semblables, puisque ces actes ont pour but de la conserver en empêchant un tiers de l’acquérir; la vue des lieux peut même par elle seule, et sans le secours des témoins, conduire le juge à décider sur la possession en laveur de l’une ou l’autre des parties; car là où la preuve testimoniale est permise, de simples présomptions peuvent tenir lieu de témoignages. Article 1353 du Code civil. l/enquète ne peut porter sur le fond du droit. Au surplus, ce n’est pas seulement dans ces divers cas que le juge peut se dispenser d’ordonner la preuve; il a sur ce point un pouvoir discrétionnaire et indéfini, soit qu'il prononce par défaut ou contradictoirement. Divers arrêts de la cour de cassation des 25 juillet 1825, 28 juin 1830, 22 mai 1833, 4 juin 1835, 17 dédécembre 1844, ont consacré ces principes dans des espèces où les défendeurs ne s’étaient pas bornés à dénier les faits articulés par leurs adversaires, mais avaient conclu formellement à la preuve des faits qu’ils alléguaient. lïarrêt du 22 mai 1833 est surtout remarquable en ce qu’il est rendu dans une espèce où, pour ne point admettre la preuve, les juges ne déclaraient même pas qu’elle était inutile, ni dans quels éléments du procès ils avaient puisé leur conviction. ’.et arrêt a été rendu sur le pourvoi du sieur Bayle contre Lautier. Le juge de paix s’était déclaré incompétent parce que les travaux avaient été complètement exécutés sur le fonds du défendeur quand l’action pos- sessoire avait été formée. Sur l’appel du sieur Lautier, Bayle, après avoir conclu à la confirmation, déniait subsidiairement le trouble articulé par le demandeur ; il soutenait qu’à la distance où son barrage était placé il était impossible qu’il fit refluer les eaux sur le fonds de celui-ci et lui causât aucun préjudice, aucune incommodité. 11 faisait observer que, d’après l’article 540 du Code civil, il n’est interdit à l’inférieur de barrer les eaux qu’autant qu’il en résulte un dommage pour les voisins, mais que le barrage non nuisible est permis. Il conclut expressément à être admis à la preuve des faits qu’il articulait. Sur ce, jugement ainsi conçu Considérant que les ouvrages établis par Bayle se composent d’une martelière et d’une vanne en bois qui y est adaptée, que le juge de paix pouvait se déclarer incompétent relativement à la martelière, parce qu elle est sur le terrain de Bayle et qu’elle n’était pas par elle- même un obstacle à l’écoulement des eaux; qu’il n’en est pas de même de la vanne, qui, étant destinée à procurer la réunion de ces mêmes eaux, change l’état ordinaire du fossé en les y faisant refluer, ce qui justifie l’action introduite devant le premier juge; qu’à cet égard, l’on excipe en vain de ce que l’intimé a construit sur sa propriété, puisqu’une partie de cette construction étant le moyen employé pour changer un état de choses préexistant dans un objet commun entre les parties, chacune a le droit de réclamer le maintien de la situation primitive ; par ces motifs, le tribunal réforme la sentence dont — 443 — est appel, éyoquant, ordonne que Bayle sera tenu d’enlever et supprimer la vanne, et de rendre libre la circulation des eaux. » Pourvoi pour violation des art. 2/i et /i73 du Code de procédure, en ce que le jugement attaqué a prescrit de piano la destruction d’une vanne, sans avoir préalablement ordonné une enquête, une vérification des lieux pour constater s’il y avait trouble à la possession de Lautier, et s’il éprouvait un préjudice, lorsque, comme dans l’espèce, il y avait dénégation de ces faits et oll're surabondante de la part du défendeur de prouver qu’ils n’existaient pas. Dans tous les cas, ajoutait le sieur Bayle, le tribunal devait au moins déclarer d’une manière positive que l’instruction sollicitée était inutile, et donner les motifs pour lesquels il la refusait; il n’a pas même expressément déclaré qu’il y eût trouble, dommage. Il a encore violé l’art. i73, qui n’autorise les juges d’appel à évoquer qu’autant que l’affaire est en état. Sur ce, arrêt de rejet dans lequel on lit le motif suivant Attendu qu’aucune loi n’impose au juge de paix l’obligation d’ordonner l’enquête en matière de complainte, lorsqu’il trouve d’ailleurs sa religion sufli- sannnent instruite ; que le tribunal d’appel a reconnu que la cause était en état de recevoir un jugement définitif; que, dès lors, en évoquant le fond et y statuant définitivement sans ordonner l’enquête demandée, le tribunal, loin de violer l’art. 2/i, n’a fait qu’une juste application de l’art. A73 du Code de procédure. » On lit dans l’arrêt du k juin 1835, que la question de savoir si le demandeur en réintégrande était ou non en possession actuelle de l’objet litigieux, au moment de la violence donl il s’est plaint, n’est autre chose qu une question de fait soumise à l’appréciation exclusive du juge, comme le sont tous les faits dont la preuve est admissible ; qu’en cas de dénégation des faits de possession, l’art. 2/i du Code de procédure civile n’impose point au juge l’obligation d’ordonner la preuve; car il se peut pie des faits const ants et déjà justifiés soient déniés par erreur ou de mauvaise foi; le juge convaincu n’est pas tenu d’ordonner une preuve inutile ; l’art. 2/i porte seulement que l’enquête qui sera ordonnée ne pourra porter sur le fond du droit, et l’art. 3/i laisse toute latitude au juge, en disant qu’il ordonnera la preuve, s’il la trouve utile et admissible. Puisque nous venons de parler de réintégrande, examinons la question de savoir si, après avoir été admis à la preuve de la possession et de la violence sur action en réintégrande, le demandeur pourrait conclure à la pleine maintenue, c’est-à-dire, transformer cette action en complainte, parce que les témoins auraient déposé d’une possession annale ? Nous sommes d’avis de la négative. Le juge n’a été saisi que d’une action en réintégrande ; il n’a pas admis les parties à la preuve d’une possession annale. On 11 e peut, dans le cours de l’instance, changer la nature de l’action quand les règles qui gouvernent l’une et l’autre sont différentes, l’est par un effet du hasard que les témoins ont déposé d’une possession annale. Le défendeur 11 ’a pu prévoir ce résultat ni préparer la preuve contraire. Cette substitution d’une action à l’autre serait une surprise. Mais nous croyons, comme nous l’avons déjà dit p. o — contre son vendeur à l’occasion de la complainte intentée contre le premier. Arrêt du 11 janvier 1809. 3° Dans celle qui maintient dans le droit de passer avec chars et bœufs, en se fondant sur la possession et sur un titre constitutif de la servitude. Arrêt du 24 juillet 1810. !\° Dans celle qui prend en considération l’art. 558 du '.ode civil, pour décider que celui qui, ’ 'es basses eaux, a coupé les herbes d’un étang, n’a pu acquérir une possession de nature à autoriser la complainte. Arrêt du 23 avril 1811. 5° Dans celle qui maintient un propriétaire d’héritage traversé par un cours d’eau en possession de ne pas souffrir le passage que réclame le propriétaire inférieur, comme une conséquence du droit d’aqueduc, par application des articles 393, 397, 398 du Code civil, la défense, quoique portant sur le fond, s’appuyant de l’art. 640 du même Code, et soulevant une question de propriété, ne pouvant changer la compétence. Arrêts des 23 février 181 A, 12 juin 1810, 30 novembre 1818, 9 février, 2 mars 1820, 29 décembre 1828. Même décision quand les titres sont contestés ou combattus par d’autres. 10 mai 1820. 3° Dans celle qui accueille la complainte du propriétaire de l’héritage supérieur contre l’inférieur, lequel a établi une digue qui empêche l’écoulement des eaux. Arrêt du 13 juin 181 A. 7" Dans celle qui accueille l’action possessoire de l’acquéreur de la partie inférieure d’un pré contre le propriétaire de la partie supérieure, en se fondant sur ce que, d’après un acte, la destination du père de famille et les art. 088 et 089 du Code civil, l’écoule- — i'j" — ment a lieu à titre de servitude continue. Arrêt du 13 juin 181 A. 8° Dans celle qui prend en considération les dispositions de la loi et du droit commun, lesquelles équivalent à un titre, pour maintenir le demandeur dans sa possession annale. 1" mars 1815, 20 janvier 1825. 9° Dans celle qui rejette la demande possessoire par des motifs relatifs à la propriété du fonds en même temps qu’à la nature de la possession, lorsque d’ailleurs le demandeur est renvoyé à se pourvoir au pétitoire. 20 janvier et 9 novembre 1825. La même chose a été jugée par deux autres arrêts, l’un du 12 décembre 1830, l’autre du 8 avril 18A6, rendu sur le pourvoi d’un grand nombre d’habitants d’Entraigues qui réclamaient la maintenue en possession d’affouages. Nous appelons l’attention spécialement sur ce dernier arrêt, qui étend aussi loin que possible la doctrine qui permet au juge du possessoire d’apprécier les titres de propriété soit pour accueillir, soit pour rejeter la complainte. 10° Dans celle qui, en reconnaissant une possession, ordonne une plantation de bornes pour éviter un nouveau trouble, tenir lieu de cépées coupées et sous la réserve de l’action pétitoire. 27 avril 181A et 2; que le maire ayant, devant le juge de paix, méconnu la possession du demandeur et articulé possession contraire, avait agi en temps utile; que l’autorisation postérieure et l’intervention en appel faisaient revivre ces défenses; que les exceptions du maire étant reeevables, le tribunal d’appel ne pouvait statuer sur l’action principale sans statuer en même temps sur ces exceptions. Un autre arrêt de la cour de cassation du 13 juin 18/43, rendu sur le pourvoi des sieurs Sol et consorts contre la ville de Toulouse, a encore décidé que si celui qui a commis un lait de trouble prétend n’avoir agi qu’au nom et dans l’intérêt d’un tiers, il ne peut soutenir que l’action — -toi» — possessoire était non recevable contre lui ; il n’a que le droit de mettre en cause et d’appeler en garantie celui pour le compte duquel il a agi, lors même que ce serait une commune. section vm De l'intervention. Lu tiers peut intervenir dans une instance possessoirc, sans y avoir été appelé, pour appuyer le demandeur ou le défendeur en prenant son lait et cause, '.'est aussi ce qui résulte de l’arrêt du 18 janvier 1832, cité dans le paragraphe précédent. Rien ne s’opposerait à ce qu’il y intervînt même pour soutenir que la possession n’appartient à aucune des parties, et doit lui être adjugée. L’article 466 et les autres dispositions du Code de procédure, en matière d’intervention, formant le droit commun, sont par conséquent applicables aux justices de paix comme aux autres juridictions. Cette doctrine est indiquée par M. Henrion de Pansey, chap. 47, intitulé De la règle complainte sur complainte n’a lieu. C’est, dit-il, une des règles de l’ordre judiciaire, que complainte sur complainte n’a lieu, de même que saisie sur saisie ne vaut. 11 existe une instance en complainte entre deux particuliers qui se prétendent respectivement en possession du même objet depuis an et jour. Un tiers, qui a la même prétention, intervient au procès et déclare qu’il le prend pour trouble à sa possession ancienne, notamment d’an et jour. 11 le peut, sans doute-, mais formera-t-il une se- i/O — coude complainte? Non; ce serait complainte sur complainte. 11 doit se borner à former opposition à la coins plainte existante, et cette opposition le conduira au mèipe résultat. » Et sur cela, M. Henrion cite Imbert. Dans une affaire jugée par la cour de cassation, le 17 mars 1819 Journal des Audiences, 1814, page 376, on voit que les parties et les juges qui ont prononcé le jugement attaqué avaient donné un autre sens à la maxime, en décidant que l’acquéreur d’une personne déjà condamnée au possessoire ne peut pas intenter la complainte en vertu de la possession postérieure. Mais la distinction des auteurs que nous avons cités est subtile et inadmissible ; et d’abord, dans leur système, qu’importerait que le tiers à qui l’on reconnaît le droit d’intervention se bornât à s’opposer à la complainte ou qu’il déclarât la prendre pour trouble et en former une de son chef, puisqu’on avoue que dans les deux cqs il obtiendra le même résultat ? 11 y a mieux encore il serait impossible à l’intervenant d’obtenir la maintenue ou la réintégrande dans sa possession, s’il n’y concluait pas formellement ; une simple opposition n’équivaudrait pas à des conclusions de cette nature. Nous soutenons donc qu’il peut, à son choix, ou intervenir dans l’instance, déclarer qu’il prend le procès ou le fait qui y a donné lieu pour trouble à sa possession, et demander à y être maintenu, aux termes de l’arrêt du 18 janvier 1832, déjà cité, ou intenter une action possessoire séparée à l’un et l’autre, ou seulement à celui qui sera considéré comme l’auteur direct du trouble. 11 n’est, d’ailleurs, dans la nécessité de prendre l’une ou l’autre voie que lorsqu’un des particuliers en cause est sou représentant. CHAPITRE III lu jugement, de son effet et de ses suites, et des divers retours dont il peut être l'objet. SECTION l'*. Du jugement. Nous avons déjà, dans le chapitre précédent, parlé du jugement par défaut ; nous ferons en outre observer ici qu'il peut être frappé d’opposition dans les trois jours de sa signification, et nous allons nous occuper plus particulièrement du jugement contradictoire ou définitif. Après que les enquêtes ont eu lieu, si le juge de paix en a ordonné, il procède à ce jugement. Il doit avoir soin de le rendre dans les quatre mois qui suivent la prononciation de son interlocutoire. Plus tard, il devrait être annulé par les juges d’appel, ainsi que la procédure qui l’aurait précédé et qui serait périmée de plein droit, même au préjudice des femmes, des mineurs et interdits, car l’article 15 du Code de procédure est conçu en termes généraux qui n’admettent aucune distinction. Sous l’empire de la loi du 25 octobre 1790, la Gour de cassation avait jugé, par arrêt du 15 germinal an XI, que cette péremption était d’ordre public et ne pouvait être convertie par le fait des parties. Quoique les termes de l’article 15 du Code de procédure different peu de la loi de 1790, ou a cependant soutenu, et la cour de cassation a jugé par arrêt du 7 janvier 1835, en assimilant cette péremption à une prescription et par application de l’article 2221 du Code civil ou de l’article 399 du Code de procédure, que les parties pouvaient y renoncer, soit expressément, soit tacitement. Mais en acceptant cette solution, il faudrait au moins reconnaître que, comme aux termes de l’article 2222 du Code civil, ceux-là seuls qui peuvent aliéner sont capables de renoncer à la prescription, un tuteur, un maire ou autre administrateur ne pourraient renoncer à la péremption si cette renonciation avait pour effet soit de priver ceux qu’ils représentent de leur action posses- soire, parce qu’ils ne seraient plus dans l’année du trouble pour la renouveler, soit de les priver d’opposer à l’administrateur qu’il n’est plus lui-même dans ce délai, car il en résulterait perte de possession et quelquefois même de propriété. Au surplus, la cour de cassation est maintenant saisie de cette question par suite de l’admission du pourvoi de la commune de Breteuil. M. Avisse est chargé de la cause de cette commune. L’action possessoire, au cas de la péremption établie par l’article 15, serait considérée comme non avenue et ne pourrait être renouvelée qu’autant que le demandeur serait encore dans l’année du trouble. Le juge se détermine par le résultat des enquêtes. A cet égard, plusieurs cas peuvent se présenter. Ou les enquêtes prouvent clairement une possession exclusive en faveur du demandeur, et alors le juge l’y maintient ; Ou elles prouvent qu’il n'a pas la possession exclusive, mais seulement une possession commune ; le juge le maintient dans cette possession si le défendeur la lui a contestée intégralement, mais le déboute de sa demande lorsque celui-ci n’a contesté que la possession exclusive, a allégué la jouissance commune, et que le fait qui a donné lieu au procès rentre précisément dans cette jouissance Ou les enquêtes, loin d’établir la possession du demandeur, prouvent celle du défendeur, et alors le juge doit débouter le premier de son action ; Ou les empiètes établissent que l’action possessoire n’a pas été intentée dans l’année du trouble, et, alors le juge de paix doit la déclarer non recevable ; Ou enfin les enquêtes n’établissent positivement soit seules, soit avec le secours des localités et des titres, de possession ou détention en faveur d’aucune des parties, et alors le juge doit les renvoyer à procéder au pétitoire. ce qui est, en d’autres termes, déclarer le demandeur purement et simplement non recevable, puisque, de cette dernière formule, il résulte manifestement que les parties n’ont plus que l’action au fond. Pour prononcer régulièrement, et suivant la rigueur des principes, le juge de paix devrait, dans ce cas, condamner le demandeur aux dépens, d’après l’article 130 du '.ode de procédure civile. Toute partie qui succombe doit y être condamnée ; il ne devrait ni les compenser, ni les réserver, pour que, dans ce dernier cas, le juge du pétitoire y statuât ; nous ne verrions de motif légal à la compensation ou à la réserve que dans le cas ou le défendeur se serait rendu reconventionnellement demandeur en maintenue, et où il serait déclaré par le juge qu’aucune des parties n’a prouvé sa possession. Le juge de paix pourrait alors» ordonner le séquestre ou accorder la récréance, comme nous l’avons vu page 07. L’article 2000 du Code civil autorise le juge de paix à prononcer la contrainte par corps, mais en cas de réin- tégrande exclusivement. La contrainte par corps aurait lieu non-seulement pour le délaissement de l’héritage, mais encore pour la restitution des fruits et le paiement des dommages-intérêts ; mais non pour les dépens de l’instance. Elle ne serait pas applicable au cas de simple complainte. L’article 1 20 du Code de procédure, qui autorise à la prononcer pour dommages-intérêts excédant 300 lianes, ne peut être étendu aux matières dont les juges de paix connaissent. Nous croyons même que les juges d’appel n’auraient pas en ces matières plus de pouvoir que ces magistrats, et ne pourraient par conséquent la prononcer lors même qu’en inlirmant ils accorderaient des dommages-intérêts excédant 300 francs que le premier juge avait refusés ; car le tribunal d’appel doit seulement examiner si la première décision est bien ou mal rendue, et n’a d’autre mission que de faire ce que le premier juge aurait pu ou dû faire et n’a pas fait. L’art. 120 ne s’applique qu’aux matières dont un tribunal d’arrondissement est saisi au premier degré. La contrainte par corps ne peut jamais être prononcée contre les septuagénaires, les femmes et les filles article 2000 du Code civil, quand même le fait aurait été susceptible de poursuite correctionnelle, et par conséquent de cette contrainte, aux termes de l’article 52 du Code pénal, car elle ne peut être appliquée que par les tribunaux de justice répressive. — 4T6 — SECTION 11. De l’appel et du dernier ressort. Les jugements qui prononcent sur les actions posses- soires ne sont en général rendus qu’en premier ressort, et sont conséquemment susceptibles d’appel, lors même que le demandeur n’aurait conclu qu’à des dommages- intérêts n’excédant pas 100 francs. A la vérité, la jurisprudence a été longtemps incertaine sur ce point. Par arrêts des 2 A messidor an XI et 2A prairial an XII, la cour de cassation avait établi le principe que nous venons de rappeler. Depuis, après de longs débats et beaucoup de difficultés, elle a abandonné cette jurisprudence, et décidé, par six arrêts des 0 frimaire an XIV, 6 octobre 1807, 28 octobre 1808, 13 novembre 1811, 1" juillet 1812 et 13 août 1818, que dès l’instant que le demandeur en complainte avait fixé à 50 francs * ou à une somme inférieure les dommages-intérêts qu’il réclamait, le juge de paix devait prononcer en dernier ressort. Cette série de décisions n’a pas empêché M. Merlin de donner la préférence à celles de l’an XI et de l’an XII, et la cour, après avoir de nouveau examiné la question en audience solennelle de toutes ses chambres, présidée par le garde des sceaux, est revenue à sa première jurisprudence, par arrêt du 25 mai 1822, rendu sur le pourvoi du sieur Barré ; il est ainsi motivé Attendu qu’il est de principe général que les actions ayant pour objet des choses d’une valeur indéterminée * 00 fr. talent, avant la loi de 1138, le taux du dernier resxort. doivent subir deux degrés de juridiction ; que la loi n’a pas excepté l’action en complainte de l’application de cette règle générale ; qu’il suit de là, que si l’immeuble ou droit réel dont la possession est litigieuse, et dans lesquels le demandeur en complainte veut se faire maintenir, est d’une valeur indéterminée, le juge de paix ne peut statuer qu’en premier ressort ; que, dans l’espèce, indépendamment des dommages-intérêts dont la valeur a été fixée à 48 francs, le juge de paix de a maintenu le sieur barré dans une possession par lui réclamée, contestée par tes défendeurs, et dont la valeur était indéterminée ; d’où il suit que le tribunal de Bourges, en recevant l’appel, n’a pas violé l’art. 10, tit. 3 de la loi du *24 août 1790, et qu’il en a fait au contraire une juste application. » Quatre arrêts de la même cour, des 11 avril 1825, 14 février 1820, 31 juillet 1828, 31 août 1831, sont semblables au précédent. Le même principe s’applique à la réintégrande, car il s’agit aussi, sur cette action, de la possession d’un immeuble de valeur indéterminée que veut recouvrer une partie, et qu’elle conservera jusqu’à ce qu’un jugement possessoire ou pétitoire la condamne à l’abandonner. L’arrêt du 19 novembre 1819, qui décide le contraire, a été rendu sous l’influence de la jurisprudence que l’arrêt solennel du 25 mai a changée. Aussi, un autre arrêt de la cour du 5 mars 1828 a-t-il positivement décidé, qu’en matière de réintégrande, le jugement n’était rendu qu’à la charge de l’appel. La loi de 1838 a posé sur tout cela quelques principes qu’il importe de signaler. Son article 0 porte que les juges de paix connaissent des actions possessoires à la charge d’appel, et l’art. 1" — ni — n’accorde à ces juges le pouvoir de prononcer en dernier ressort que lorsqu’il s’agit de demandes purement personnelles d’une valeur de 100 francs seulement. 11 n’y aurait pas d’exception, lors même qu’il pourrait être établi que la valeur du fonds en litige est de 100 francs, ou que le demandeur concilierait à ce qu’il fût fait défense à son adversaire de le troubler à l’avenir dans sa possession, à moins que celui-ci n’aimât mieux payer une somme de 100 francs. La loi, en effet, est conçue en termes généraux qui repoussent toute distinction; elle ne s’arrête pas non plus au revenu, comme elle le fait pour régler le premier ou le dernier ressort dans les tribunaux de première instance ; ce revenu ne fût-il que de quelques centimes, le jugement n’en serait pas moins susceptible d’appel. Nous ne pouvons donc attribuer qu’à une erreur typographique ce qui est dit au Nouveau Répertoire de M. Dalloz aîné, que le juge du possessoire statuerait en dernier ressort si la valeur de l’objet litigieux était inférieure à 00 francs en rente ou par prix de bail. Mais il en serait différemment si, au jour de la comparution devant le juge de paix, le défendeur reconnaissait expressément la possession et se bornait à contester soit le trouble, soit le quantum des dommages-intérêts, que nous supposons toujours fixés par le demandeur à 100 francs seulement, car le premier ou dernier ressort doit être déterminé par la valeur à laquelle les conclusions des parties ont limité le litige au moment du jugement, abstraction faite des conclusions antérieures. L’art. 5 de la 101 nouvelle sur les justices de paix fournit un argument à l’appui de cette opinion, puisqu'il défère aux juges de paix la connaissance en dernier ressort jusqu’à J 00 francs — 478 — des actions pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes, et de celles relatives à l’élagage des arbres ou haies, et au curage soit des fossés, soit des canaux servant à l’irrigation des propriétés et au mouvement des usines, lorsque les droits de propriété ou de servitude ne sont pas contestés. Mais lorsque le juge de paix est dans le cas de statuer en dernier ressort sur le fond, en raison de la valeur du litige, son jugement est cependant sujet à l’appel, quant aux questions de compétence, soit qu’elles s’élèvent à raison du domicile, de la situation de l’objet litigieux ou de la matière, puisque l’art. 14 de la loi de 1838 ne distingue pas. L’art. 13 de cette loi porte que l’appel des jugements des juges de paix ne sera recevable ni avant les trois jours qui suivront celui de la prononciation des jugements, à moins qu’il n’y ait lieu à exécution provisoire, ni après les trente jours qui suivront la signification à l’égard des personnes domiciliées dans le canton ; Que les personnes domiciliées hors du canton auront pour interjeter appel, outre le délai de trente jours, le délai réglé par les art. 73 et 1033 du Code de procédure civile. L’art. 14 ajoute que l’appel des jugements par lesquels le juge de paix se sera déclaré compétent, ne pourra être interjeté qu’après le jugement définitif ; et un arrêt de la chambre des requêtes, en date du 13 janvier 1847, rendu sur le pourvoi du sieur Thibault et la plaidoirie de M. Avisse, a étendu ce principe même à un jugement qui, en statuant sur la compétence, avait prescrit une mesure interlocutoire, par exemple, une visite de — -179 — lieux et une enquête; nous croyons, toutefois, cet arrêt susceptible de critique sous ce dernier point de vue; Fappel est de droit commun, la prohibition est l’exception ; on ne peut l'étendre au delà du cas spécifié en termes exprès. Les jugements par lesquels le juge de paix se déclare incompétent, sont forcément susceptibles d’appel immédiatement après les trois jours de la prononciation. Les juges d’appel ont, aux termes de l’art. /i73 du Code de procédure, la faculté d’évoquer le fond, pourvu qu’il soit en état et qu’ils y statuent définitivement par un seul et même jugement; mais il importe qu’ils fassent bien attention à remplir les conditions auxquelles l’exercice de cette faculté est subordonné ; ils ne doivent pas infirmer par un premier jugement, et renvoyer à procéder au fond pour prononcer plus tard leur décision définitive; ils violeraient la loi. Ils doivent, s’ils ne sont pas suffisamment éclairés, rendre un jugement d’avant faire droit, sans rien juger, et en réservant tous les moyens des parties. Toutefois, ce qui précède ne s’applique qu’au cas où le fond n’a pas été définitivement jugé par le juge de paix ; mais s’il l’a été, fùt-ce même par jugement par défaut auquel on n’aurait pas formé opposition, l’appel déférant nécessairement au tribunal le fond du procès, il n’y a pas lieu à l’astreindre aux conditions de cet article, puisqu’il n’évoque pas. Alors il peut, après avoir infirmé, prescrire un avant faire droit et juger définitivement le fond par une décision subséquente. Ces points divers résultent d’un grand nombre d’arrêts de la cour de cassation, que l’on trouve dans tous les recueils. On peut voir notamment ceux des 28 avril — 180 4823, 22 décembre 4824, 4$ novembre 4828, 24 mai 4833. Les juges d’appel peuvent même, en infirmant une sentence du juge de paix qui aurait prononcé sur le fond définitivement, ou retenir le jugement, du fond ou le renvoyer devant un juge de paix autre que celui qui a d’abord statué. Ainsi, supposons que le juge de paix ait accueilli la complainte en se fondant, malgré la dénégation du défendeur, sur ce que les actes produits établissaient la possession et le trouble, et que le tribunal d’appel ait infirmé, par le motif que la preuve n’en était pas acquise, et en ordonnant soit une enquête ou expertise, soit une visite des lieux ; il pourra ou faire ces opérations, ou remoyer devant un juge de paix pour qu’il j soit procédé et qu’il soit statué au fond. On ne pourrait opposer que ce serait faire parcourir aux parties plus de deux degrés de juridiction, puisque la jurisprudence qui s’était introduite sous la loi du 4" mai 1790 a été changée par les art. 472 et 473 du Code de procédure civile. D’après le premier de ces articles, l'exécution d’un jugement infirmatif peut être renvoyée à un juge de première instance ; et suivant le second, le tribunal a la faculté de garder le jugement du fond, ce qui signifie qu'il peut aussi le renvoyer au magistrat inférieur. demandeur en complainte pourrait produire en appel un titre dont il n’aurait pas argumenté dev ant le juge de paix. Ainsi, par exemple, celui qui aurait demandé à être maintenu dans un droit de passage, de puisage, mais qui n’aurait invoqué aucun acte, pourrait, sur l’appel, qu’il fut intimé ou appelant, exhiber un titre susceptible de justifier sa prétention ce ne serait pas une non- — 4ftl voile demande, puisque la chose litigieuse, le droit qu’il prétend y exercer n’auraient point changé, le serait tout simplement un moven nouveau autorisé par l’art. Atii du iode de procédure; à plus forte raison le défendeur aurait-il la même faculté. Mais si devant le juge de paix il ne s’était agi que d’une action en réintégrande, sans production de titre, et si devant le tribunal le demandeur abandonnait la réintégrande, ou plutôt la convertissait en complainte et produisait un titre, ces conclusions constitueraient une demande nouvelle dill'érente de la première, soumise a d'autres règles que celles-ci. Les juges devraient la déclarer non recevable, ainsi que nous l'avons dit p. M/i. Le juge de paix pourrait ordonner l’exécution provisoire de son jugement, avec ou sans caution, suiv ant les distinctions établies par les art. 1! et 12 de la loi de 1838. Plusieurs arrêts de la cour de cassation, et notamment celui du S novembre 1833, rendu sur le pourvoi des sieurs Lefebvre et Seillière, ont décidé que le juge du possessoire pouvait prononcer la solidarité pour le paiement des dommages-intérêts auxquels il condamnait les divers co-auteurs d'un fait de trouble. Cependant, nous n’avons jamais pu approuver cette jurisprudence, qui nous parait contraire au principe général, que chacun doit seulement une part égale de la dette commune, à moins qu’il n’y ait solidarité établie par la loi ou indivisibilité dans l’obligation. r, rien n’est plus divisible qu’une somme de dommages-intérêts, et aucune disposition légale n’autorise en pareil cas une condamnation solidaire. ai lH* — section m. tics voles extraordinaires pour attaquer les jugements. 11 existe quatre voies extraordinaires pour attaquer les jugements et arrêts en général ; ce sont 1° la tierce opposition , 2° la requête civile, 3° la prise à partie, /i° le pourvoi en cassation. De ces quatre voies, il n’y a pic la requête civile qui, aux termes de l’art. /80 du Code de procédure, ne soit pas admise contre les sentences de justice de paix ; mais les trois autres le sont incontestablement, d’après les art. h7h, / i78, 509 du Code de procédure, et 15 de la loi du 25 mai 1838. Cependant la requête civile pourrait être admise contre le jugement rendu sur l’appel de la sentence du juge de paix ; c’est ce qu’on peut induire de l’art. 509 du Code de procédure civile et d’un arrêt de la cour de cassation du l/i juin 18/13, rendu sur le pourvoi d’un sieur Garnier. 11 y a lieu au recours en cassation, soit contre les jugements en dernier ressort des juges de paix dans les cas fort rares où ils prononcent ainsi, soit contre ceux rendus sur l’appel par les tribunaux de première instance. Nous ferons toutefois remarquer qu’il existe entre les uns et. les autres une grande différence relativement aux moyens de les attaquer. Les jugements des tribunaux de première instance peuvent être attaqués pour simple violation de loi, incompétence ou excès de pouvoir, tandis que ceux émanés des juges de paix ne peuvent l’être que pour excès de pouvoir. Art. 15 de la loi du 25 mai 1838. V la vérité, il semblerait résulter, au premier aperçu de — 483 — la généralité des termes de cet article, que, dans tous les cas, l’excès de pouvoir donne lieu au pourvoi en cassation; mais cela ne peut s’appliquer qu’aux jugements en dernier ressort ; ainsi les jugements des juges de paix rendus seulement en premier ressort doivent être attaqués par la voie d’appel, même pour excès de pouvoir, et quant à ceux rendus en dernier ressort, ils ne peuvent l’être que par voie de cassation et dans le seul cas où ils sont entachés de ce vice. C’est aussi le sentiment de MM. Curasson et Tarbé. Nous n’en dirons pas davantage à cet égard, parce qu’il existe sur les attributions de la cour de cassation deux très-bons ouvrages, l'un de M. Godard de Saponay, notre collègue, et l’autre de M. Tarbé, enlevé si jeune à la magistrature et à ses nombreux amis. SECTION IV. Effets du jugement. Nous avons déjà indiqué, pages /0, 82, 269, 287, l’effet du jugement de maintenue dans la possession annale ou de réintégrande dans la possession instantanée. Au second cas, celui qui a succombé peut intenter complainte en prouvant une possession annale antérieure à celle dans laquelle son adversaire a été rétabli, à moins qu’il n’ait laissé passer l’année du trouble. Au premier cas, celui qui a été maintenu ne peut plus être évincé de la chose que par action pétitoire. 11 est réputé propriétaire jusqu’à ce que son adversaire prouve son droit par un titre formel ou par une possession constitutive de prescription antérieure à la sienne. Dès que celui qui est maintenu en possession est ré- — 484 — puté propriétaire jusqu’à preuve contraire ai t. 2230 du Code civil, parce qu’il n’a pu gagner sa cause qu’en se fondant sur une possession animo domini, il s’ensuit qu’il peut non-seulement recueillir les produits comme un usufruitier ou fermier, mais même disposer de la chose et faire tous actes de propriété, même pendant l’instance pétitoire qui serait intentée par son adversaire ; il serait seulement exposé à une action, et les tiers acquéreurs à une demande en résolution pour le cas où il succomberait au pétitoire. L’article 1001 du Code civil nous paraît inapplicable ici, et le juge saisi du pétitoire ne pourrait ordonner le séquestre de l’objet litigieux sans porter atteinte à la chose jugée. Supposons, en effet, que la complainte ait été intentée à raison d’une coupe de bois, d’une démolition de bâtiment ou d’un projet de vente publiquement annoncé, et que le défendeur se lût lui-même constitué reconventionnellement demandeur en maintenue et ait réussi, n’est-il pas évident qu’il pourra continuer ce qu’il avait commencé, et que le séquestre avec toutes ses suites rendrait illusoires la possession reconnue et les dispositions du jugement de complainte? Le séquestre ne percevrait-il pas d’ailleurs les fruits et revenus, et le possesseur ne serait-il pas ainsi privé même de la jouissance la plus ordinaire? Cette conséquence ne vient-elle pas encore fortifier notre sentiment? 11 est bien évident que le jugement rendu au posses- soire, se bornant à maintenir le demandeur en sa possession, ne peut, lors même qu’il applique des titres ou une loi constitutifs du droit au fond, avoir, sur ce dernier point, l’autorité de la chose jugée ; que les juges du pétitoire ne seraient pas liés non plus par l'appréciation qui 485 — aurait été faite de la possession par le juge de paix ; s’ils peuvent s’en aider, comme de tous les éléments de la cause, ils peuvent aussi la déclarer précaire, quoique celui-ci l’ait déclarée légale et légitime. Cour de cassation, 1" mars 1820, l" février 18/il, 25 janvier 18/i2. Tout ce qui peut résulter de la sentence au possessoire, c’est que le demandeur a ou n’a pas possession annale avec les réparations, dommages, intérêts et dépens qu’il a paru juste au juge d’allouer à l’une ou l’autre partie. La sentence de ce magistrat n’a autorité de chose jugée que pour les faits de trouble qui y ont donné lieu, et ne s’étend pas à des faits tout différents qui peuvent bien n’en avoir pas le caractère arrêt de la cour de cassation du 30 mars 18/il, affaire Saul nier ; l’autorité de la chose jugée n’a également lieu qu’entre les mêmes parties. Ainsi une sentence rendue contre un seul de plusieurs intéressés à la même chose ne peut être invoquée par les autres ou opposée aux autres; et en supposant qu’à cause de l’indivisibilité de l’objet en litige, et delà disposition de l’article /i78 du Code de procédure, elle doive s’exécuter provisoirement jusqu’à la rétractation par la voie de la tierce-opposition, toujours est-il que, par l’emploi de cette voie de recours, on doit amener un nouvel examen de la cause, et que si le demandeur est jugé fondé, la rétractation doit profiter même à celui qui avait d’abord succombé. Du reste, l’autorité de la chose jugée peut être opposée, bien entendu, à tous les représentants de celui qui a succombé, aux héritiers, acquéreurs, etc., comme ceux- ci peuvent l’invoquer lorsque la décision a été rendue en faveur de leur auteur, pourvu pie la décision soit intervenue avant le changement d’état régulièrement cons- taté. Arrêt de la cour de cassation du 30 novembre 1840. L'effet de la maintenue possessoire est de rejeter sur l’adversaire la nécessité de l’action pétitoire et de la preuve de sa propriété ou de son droit; mais celte preuve peut se faire de plusieurs manières, par titres, c’est-à- dire par actes valables émanés de parties ayant qualités pour les consentir, par possession constitutive de prescription et par la disposition légale. Nous n’avons aucune explication à donner sur les titres dont la validité et l’existence dépendent de l’application des règles du droit commun. Quant à la possession trentenaire qu bien à celle de dix ou vingt ans, elle est tout en faits qui peuvent être prouvés par témoins; ils peuvent l’être également, aux termes de l’article 1353 du Code civil, par des présomptions abandonnées à la conscience du magistrat; la prescription peut donc s’établir par de simples présomptions. Ces présomptions peuvent encore, quoiqu’il ne s’agisse pas d’établir la prescription, servir de preuve de propriété, surtout lorsqu’il faut déterminer l’étendue des circonstances et dépendances, des accessoires d’un domaine. Quand le titre de propriété est écrit sur les lieux, résulte de faits matériels, de dénominations que les juges trouvent positifs, on ne voit pas pourquoi on leur contesterait le pouvoir de reconnaître la propriété et de faire cesser l’ayantage de la maintenue possessoire ; n’est-ce pas là une appréciation laite dans les limites légales et qui échappe à la censure de la cour régulatrice? C’est aussi ce qu’elle a jugé par l’arrêt du 31 juillet 1832, déjà cité, et par un autre arrêt du 24 février 1840, rendu contre l’État qui revendiquait la propriété d’arbres plantés sur une route royale; arbres que la loi du 12 niai 1825 présume appartenir à l’Jvtut. Mais cette présomption était détruite par une présomption contraire. Restent les présomptions légales. Pour les haies, les fossés, les murs, la loi établit en principe général la mitoyenneté, sauf les exceptions résultant de certains faits, de titres et de la prescription. Nous pensons pie la sentence de maintenue en possession exclusive de ces objets n’a d’autre effet pie d’en assurer la possession pro\ isoire à celui qui l’a obtenue, et qui peut en avoir acquis la pleine propriété par titre ou par prescription; mais,de même que le demandeur au pétitoire pourrait invoquer un titre écrit ou la prescription, de même aussi il peut invoquer la présomption de la loi qui forme un véritable titre. La cour de cassation a ainsi jugé pour la haie par arrêts des 13 décembre 1830 et 17 janvier 1838, qui s’appliquent aussi au mur et au fossé. Nous en dirons autant relativement aux servitudes, à celles qui ne peuvent s’acquérir que par titres comme à celles qui peuvent s’acquérir en outre par la possession. Le propriétaire du fonds que l’on prétend asservi et qui a succombé au possessoire, ayant un titre de propriété qui réclame toujours en sa faveur, devra réussir dans son action pétitoire si son adversaire ne prouve pas son droit de servitude par titres ou par prescription ; celui-ci aura toujours eu l’avantage de jouir de la servitude jusqu’à la décision au pétitoire, et c’est bien quelque chose. Il en serait de même, à plus forte raison, dans le cas où le juge le paix aurait constate une possession immémoriale, ainsi que l’a décidé la cour de cassation, par arrêt du 31 juillet 1832, rendu entre le sieur Pierrot et la commune de Pressigny. Remarquons, toutefois, que le défendeur au posses- soire 11 e peut, aux termes de l’article 27 du iode de procédure, se pourvoir au pétitoire, non-seulement qu’après que l’instance sur le premier point est entièrement terminée, tant en première instance qu’en appel, ou qu’il a déclaré acquiescer au jugement, mais encore qu’il l’a complètement exécuté, par l’abandon du fonds, la destruction des ouvrages qu’il aurait pu faire, la réparation des dégradations, le payement des dommages-intérêts et des frais; il ne pourrait sé pourvoir quand même il l'aurait exécuté en majeure partie, et qu’il ne de\ rait plus pie quelques dépens. Si néanmoins la partie qui a obtenu les condamnations était en retard de les faire liquider, le juge du pétitoire pourrait fixer, pour cette liquidation, un délai après lequel l’action au pétitoire serait reçue. Art. 27 du '.ode de procédure. défendeur 11 e pourrait suppléer à l’exécution des condamnations par une caution d’y satisfaire ; la loi n’admet pas ce tempérament. Elle exige une exécution réelle et immédiate. Lors même qu’il y aurait retard de faire liquider les condamnations, la caution serait encore inadmissible tout ce [ue la loi permet, c’est la fixation d’un délai pour la liquidation. Comment, d’ailleurs, déterminer sûrement l’étendue du cautionnement pour des condamnations non liquidées? Du reste, il est loisible au défendeur au pétitoire de renoncer à l’exception dilatoire puisée dans l’art. 27 ; cette renonciation résulterait suffisamment, suivant nous, de ce qu’il aurait défendu au fond, sans la faire valoir. Cette disposition n'est point applicable au demandeur qui aurait succombé et aurait éprouvé des condamnations ; il pourrait se pourvoir au pétitoire avant d’v avoir satisfait. Dans le même cas où le demandeur a succombé, son adversaire est réputé propriétaire jusqu’à ce qu’il prouve son droit par la voie pétitoire. Il en serait encore ainsi dans le cas on l’action pétitoire n’aurait pas été précédée de la complainte, d’après les deux règles de droit in ilnbio inelior est musa passidentis, et adore non probante rens absoleilitr. Toutefois, lorsqu'il n’est intervenu aucun jugement de maintenue, le juge du pétitoire peut ordonner le séquestre. de lacliose litigieuse, si le détenteur en abuse, y commet des dévastations, ou si l’état de ses allaires fait craindre qu’il ne puisse restituer les fruits qu’il pourrait être, par la suite condamné à rendre, ou enfin si aucune des parties n’a réellement la possession. Nous devons résoudre ici une question indiquée ci-dessus, pages 118 et 121, où nous avons rapporté deux arrêts de la cour de cassation des 12 juin 1800 et 17 mars 1810,qui ont décidé que la possession dans laquelle on s’était maintenu après un jugement sur complainte qui l’avait adjugée à un autre, ne pouvait autoriser l’action possossoire de la part du détenteur, qui n’était toujours considéré que comme possesseur précaire. les décisions nous paraissent fort justes quand l'action est intentée par le défendeur déjà condamné au posses- soire, parce que, d’après l’art. 2210, la détention précaire ne peut, quelque temps qu’elle ait duré, conférer aucun droit, aucun litre à celui qui l’invoque, à moins qu’il n’y ait eu interversion, aux termes de l’art. 2218. Mais il en est différemment quand c’est un acquéreur qui invoque une possession à lui propre et postérieure à son acquisition. L’art. 2239, dont nous avons développé le sens dans le tit. 1 er , s’applique directement ici. Or, c’était précisément l’esprit des deux arrêts que nous venons de citer. Lorsque c’est le demandeur en complainte qui a succombé, il faut distinguer s’il a été jugé que sa possession était précaire, il est évident que ce vice subsistant toujours, une possession postérieure ne peut autoriser la complainte, à moins qu’il n’y ait interversion. Mais s’il a été débouté de sa complainte par le motif qu’il ne promait pas de possession annale ou qu’il n’existait pas de trouble, il pourra, plus tard, la renouveler, parce qu’il peut avoir acquis une possession civile, ou qu’il peut être survenu un trouble positif. Celui qui, après avoir obtenu gain de cause au posses- soire, perd son procès au pétitoire, n’est pas obligé de restituer les dépens ni les dommages-intérêts auxquels il a fait condamner son adversaire. Ils ont été occasionnés par le fait de celui-ci ; c’est lui qui, en agissant irrégulièrement, au lieu de se pourvoir en justice, a mis le premier dans la nécessité de le poursuivre et de faire réprimer sa voie de fait. Il doit eu être puni, et il ne le serait pas ou ne le serait qu’imparfaitement s’il pouvait ensuite recouvrer les dépens et les indemnités, ou du moins celles-ci. Ce serait encourager les voies de fait, puisque les condamnations ne seraient qu’une avance qu’on pourrait toujours recouvrer. 11 laudrait en dire autant du cas où les dépens auraient été compensés entre les parties. Le demandeur au pétitoire ne pourrait réclamer de son adversaire la portion des dépens pie la compensation a fait peser sur lui. Mai» si, par un jugement rendu sur le possessoire, le — 491 — juge de paix avait, même à tort, réservé les dépens, cette sentence ayant acquis force de chose jugée, à défaut de recours, devrait recevoir son exécution, et les juges de l’action pétitoire, en accueillant la demande, pourraient condamner le défendeur aux dépens des deux instances; c’est ce que la cour de cassation a décidé pur arrêt du 8 décembre 1836. Voyez aussi p. /73. Quant aux fruits, la décision est dans l’application du principe établi par l’art, ô/p. Le possesseur de bonne foi, obligé d’abandonner la chose qui ne lui appartient pas, conserve les fruits qu’il a perçus antérieurement à l’action, lors même qu’il n’existe aucun jugement qui l’ait préalablement maintenu dans sa possession, soit parce qu’il n’y a pas eu de demande possessoire, soit parce qu’aucune des parties n’a justifié de la possession annale et à titre de propriétaire qu’elle alléguait. A plus forte raison doit-il conserver les fruits quand il en a obtenu un ; mais cette conséquence ne résulte pas forcément d’une pareille décision ; car, comme nous l’avons vu au titre 1 er , page 129, la bonne foi n’est pas nécessaire dans celui qui forme la complainte. Toutefois, pour le contraindre à restituer les fruits, une déclaration formelle de mauvaise foi serait indispensable de la part des juges du pétitoire ; car, aux termes de l’art. 2268 du iode civil, la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver, les principes ont été consacrés par arrêt de la cour de cassation, rendu le 5 juillet entre le sieur Bartholdy et la ville de Colmar, qui a cassé un arrêt de la cour royale de la même ville. Depuis, de nombreux arrêts ont de nouveau consacré le principe de la nécessité d’une déclaration expresse de i!-2 — mauvaise foi pour légitimer la restitution des fruits; nous citerons notamment ceux des 2/i juillet 1839 et 12 mai IH/iO; mais il ne faut pas se méprendre sur ce qu’on doit considérer comme fruits on ne pourrait, par exemple, considérer comme tels des arbres de haute futaie non mis en coupes réglées. Le possesseur de bonne foi, eût-il obtenu un jugement de maintenue , ne pourrait donc être autorisé à les conserver; il devrait, au contraire, être condamné à les restituer, dans tous les cas, au demandeur au pétitoire qui serait déclaré propriétaire du bois, ainsi que cela résulte de l’art. 591 du Code civil et de, l’arrêt Colasson du 8 décembre 1836, précédemment cité. Lorsque l’objet litigieux a été mis en séquestre ou en récréance, même entre les mains de l’une des parties, il est évident que, pendant tout le temps que cet état de choses a duré, elle n’a pas eu la possession de l’objet litigieux et n’a pu en gagner les fruits; elle est dès lors tenue d’en rendre compte à celui qui réussit au pétitoire. Quant aux impenses et améliorations que le possesseur évincé aurait pu faire, il faudrait suivre pour le règlement de ses droits et obligations les principes tracés par les art. 555 et 1375 du Code civil. 11 y aurait aussi lieu de l’assujettir à tenir compte des destructions et détériorations qu’il aurait commises. Faisons observer, en terminant, que le juge de paix ne serait nullement lié par un interlocutoire, eût-il même été exécuté sans réserves par les d'eux parties ; et après avoir ordonné la preuve par témoins et par visite des lieux, pour vérifier la possession et le trouble allégués, il pourrait, par le jugement définitif, écarter le résultat — 493 — fte cette instruction comme inutile, se déterminer par une exception, comme, par exemple, celle tirée de ce que l’objet du litige est une chose consacrée à un usage public hors du commerce, et non susceptible de prescription. Ces principes résultent d’une foule d’arrêts, et notamment de celui de cassation du 25 juillet 1837. Le jugement possessoire n’aurait même, comme nous l’avons dit, aucune influence sur la nature et l’appréciation des faits que les juges du pétitoire pourraient caractériser tout autrement. Supposons, par exemple, que le juge de paix eût repoussé la complainte par le motif que les faits articulés ne sont que de tolérance et de jouissance précaire, ou ne constituent que l’exercice d’une servitude discontinue, et que le demandeur reproduise identiquement les mêmes faits devant le juge du pétitoire, bien évidemment celui- ci ne sera pas lié par la première sentence, et pourra décider que ces faits, continués pendant trente ans, ont produit l’acquisition de la propriété par la prescription. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE. TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE TRAITÉ DE LA POSSESSION ET DES ACTIONS l'OSSESSOIItES 111 Rh 1". Dos actions possessoires en général ; possession requise; délai pour los intontor. i CHAPITRE I er . Principes du droit romain et du droit français ancien et actuel, sur les actions possessoires en général et sur plusieurs d’entre elles on particulier. —Définition de ces actions et de la possession qui y donne lieu ; de leur but. ib. Section i". Actions possessoires en général. ib. Section ii. De la dénonciation de nouvel œuvre, de la réinté- grande, de la i-écréance et du séquestre. 14 § 1 ". De la dénonciation de nouvel œuvre. jb. iV 1 . Droit romain. 15 N“ 2 . Ancien droit français. 23 N" 3 . Droit français actuel. 32 $ 2. De la réintégrande. 37 S 3 . De la récréance et du séquestre. 69 Section iii. Objet et but de l’action possessoire. 82 CHAPITRE II. Durée de la possession requise pour pouvoir intenter l’action possessoire. Délais dans lesquels elle doit être exercée. — De ceux contre lesquels ils courent. 87 Section i". Durée de la possession et délais dans lesquels l’action doit être intentée. .. ib. Section h. Les délais dans lesquels l’action doit être formée courent contre toutes personnes. 100 CHAPITRE III. Nature de la possession exigée pour l’exercice de l’action en complainte; manière dont elle s’acquiert et se perd. 110 Section t re . Observations générales. ib. Section ii. Développements des principes de chacune des qualités de la possession. 113 § 1 ". Possession non précaire. ib. 4 2 . Bonne et mauvaise foi dans la possession. 126 3 . Possession continue et non interrompue. 141 5 Î 4 . Possession paisible. 157 N° 1". Observations générales. ib. N" 2 . Des diverses espèces de trouble.. 158 jï 5 . Possession publique. Ig/, l’ign » 6 . Possession non équivoque et à titre de propriétaire. ..... 191 S 7. Possession de tolérance, ou de simple faculté. 19 ,t S 8 . Possession non violente. 19 g ÿ 9. Possession de choses qui sont dans le commerce et prescrij- tibles. 208 TITRE II. Des choses pour lesquelles on peut intenter les actions possessoires. 227 CHAPITRE I". Des biens en général pii peuvent être la matière de ces actions. jb. Section t re . I.’action possessoire est admise pour les immeubles et droits réels, mais non jtour les immeubles lictifs. il. Section ii. Des meubles isolés et des universalités de meubles. . . 233 Section tu. Immeubles par destination. 238 Section iv. Des immeubles ameublis par stipulation. 248 CHAPITRE II. Des divers immeubles et droits réels qui peuvent être l’objet des actions possessoires. 251 Section i". Des choses désignées par le Code de procédure et par la loi du 25 mai 1838 comme pouvant être l'objet des actions possessoires. il. jj 1 ". Des déplacements de bornes. 252 § 2. Des usurpations de terre. 260 ÿ 3. Des usurpations d’arbres et de haies. 263 Sj 4 . Usurpation de murs, fossés, etc. 281 ij 5. Des entreprises sur les eaux. 288 A ht. 1". Des eaux navigables ou flottables et accessoires. 290 Art. 2. Des eaux qui 11 e sont ni navigables ni flottables. 296 A” 1 ". Dos eaux qui n’ont pas de cours lacs, étangs, mares, citernes, puits, fontaines, eaux minérales. ib. N° 2. Des eaux courantes. 30 H Section ni. Des choses non désignées par le Code de procédure ni par la loi de 1838, et qui peuvent être l’objet des actions possessoires. 330 § 1". Des chemins. ib. N° 1. Chemins royaux, départementaux et de halagç. ib. N“ 2. Chemins vicinaux ou communaux. 340 N° 3. Chemins privés ou de desserte. 3/16 N“ 4. Chemins de fer. 3 iig § 2. Des marais. 330 3. Des mines. 353 li. De l’état de légitimité. /,08 s 3. De l’action en revendication d’immeubles. /joo ÿ fi. Des rentes et clmmparts.’ p,. ^ 7. Des droits de péage et droits éventuels. . 412 * 8. Des sépultures et tombeaux.’ j,. ÿ tl. lhasse et pèche. 4i;j ij 10. Chapelles, bancs et places dans les églises. . 415 *411. Des banalités. 477 TITRE 111. De la procédure relative au\ actions jiossessoires. . . . 410 CHAPITRE 1". Iles règles à suivre pour former la demande. ib. Section 1". Notions générales. il,. Section 11. De ceux par qui et contre qui les actions possessoires doivent être formées. CHAPITRE II. Do la procédure devant le juge de paix. 4au Section i rc . Du demandeur. jli. Section 11. Du défendeur. 447 Section ni. Du cas où le demandeur et le défendeur font defaut. . Section iv. Do la prohibition du cumul du possossoire et du péti- toiro. il,. S 1 er . Notions générales. il,. ^ 2. Des cas où il n’y a pas cumul. 432 Section v. Des moyens de défense fondés sur ce qu’il s’agit de matières ou d’actes administratifs. 440 Section ni. Des demandes en garantie. 403 Section vu. De l’intervention. 400 CHAPITRE III. Du jugement, de son effet, de ses suites et des di- ters recours dont il peut être l’objet. 471 Section i r '. Du jugement. ih. Section ii. De l’appel et du dernier ressort. 473 Section tu. Du recours en cassation. 482 Section n. Effets du jugement.. . . . iS3 l’an». — Imprimerie de lits aine., rue des Grands-Augustin», 7. TRAITÉ LA POSSESSION DE LA PROPRIÉTÉ DES ACTIONS POSSESSOIRES ET PÉTITOIRES orv rages ne nÉne aetemi Ot’l SE TROTTENT A LA MÊME ADRESSE Régime des» enu\. ou Traité des eaux de la mer, des fleuves, rivières navigables et flottables, et autres eaux de toute espèce, 3 e édition, avec un commentaire sur le décret de décentralisation administrative, du 25 mars 1852 ; le tout mis au courant de la législation et de la jurisprudence, jusqu’en avril 1853. 5 volumes. Prix 20 fr. et 26 fr. par la poste. Commentaire de* loi* des 20 avril 1845, et fl I juillet A849, sur les irrigations, avec un extrait des législations étrangères sur le même sujet. Prix 3 fr. et 3 fr. 50 c. par la poste. Traité des chemins de toute espèce, comprenant les grandes routes, les chemins vicinaux, rues et places publiques, arbres, haies, fossés, alignements, règlements de voirie, i e édition. 1 vol. in-8°. Prix 7 fr. et 10 fr. par la poste. Supplément nu traité des chemins, contenant un commentaire de la loi du 21 mai'1836, sur les chemins vicinaux, et de nombreuses additions au Traité. Prix 3 fr. et 4 fr. par la poste. IMPRIMERIE DE PILLET FILS AISÉ, BCE DES GRAXDS-AIGCSTIXS, 5. TRAITÉ DE LA POSSESSION DE LA PROPRIÉTÉ ET DES ACTIONS POSSESSOIIIES ET PÉTITOIRES DEUXIÈME PARTIE DE LA PROPRIÉTÉ ET DES ACTIONS PÉTITOIRES PRÉCÉDÉE DÏ'N SUPPLÉMENT A LA PREMIÈRE PARTIE POSSESSION ET ACTIONS POSSESSOIRES, ET SUIVIE D’UNE TABLE ALPHABÉTIQUE ET RAISONNÉE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LES DEUX VOLUMES Par F. X. P. GARNIER Avocat à la Cour impériale de Paris, ancien magistrat, ancien président du Conseil de l'ordre des avocats au Conseil-d’Etat et a la Cour de cassation, membre de la Légion d'honneur, de la Société philoterhnique, de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, et de plusieurs autres Sociétés savantes. PARIS CHEZ L'ÉDITEUR, RUE DE TOURNON, AA 1853 A LA 1" PARTIE Dl TRAITÉ DE IA POSSESSION DES ACTIONS POSSESSOIRES ET PÉTITOIHES C’est-à-dir9 4 celle qui traite de la possession et des actions possessoires. 32 Avant de nous occuper des actions pétiloires, nous croyons devoir offrir, dans un appendice, un résumé de doctrine sur plusieurs questions importantes que nous avons eu à examiner depuis la publication de la première partie de notre travail, et une analyse de toute la jurisprudence, depuis la même époque jusqu’à ce jour. A ce moyen, cette partie de notre Traité sera, nous l’espérons du moins, aussi complète et aussi utile que possible. APPENDICE. Page 37, après le 3' alinéa , ajoutez Zachariæ et Molitor pensent également que l’ancienne dénonciation de nouvel œuvre, telle que l’entendaient les lois romaines et notre vieux droit français, n’existe plus aujourd’hui ; qu’elle est en tous points assimilée aux actions possessoires ordinaires, à la complainte et soumise aux mêmes conditions que ces actions. On peut voir Molitor, de la Possession et des Actions possessoires, ouvrage posthume, de la page 210 à la page 225, où il rapporte textuellement l’opinion de Zachariæ. Au surplus, la jurisprudence actuelle depuis longtemps fixée dans ce sens, attestée par de nombreux arrêts de la Cour de cassation, et l’opinion presque unanime des auteurs, ne peuvent plus laisser de doute sur ce point et doivent faire cesser toute controverse. P. 65, après le 1" alinéa, ajoutez ce qui suit Depuis l’impression de cette partie de notre ouvrage, il est intervenu trois arrêts de la Cour de cassation qui — 500 — ont entièrement confirmé la jurisprudence des précédentes décisions. L’un en date du 22 novembre 1846, émané de la chambre civile, casse un jugement qui avait refusé d’accueillir une action en réintégrande, en se fondant sur ce que le demandeur ne justifiait pas d’une possession annale. La Cour a reconnu, que dès qu’il s’agissait d’une action en réintégrande motivée sur une voie de fait, la possession existant au moment de cette voie de fait était suffisante. Les deux autres arrêts émanés de la chambre des requêtes, sont des 10 août et 3 mai 1848, et rejettent des pourvois formés contre des jugements qui avaient accueilli des actions en réintégrande, fondées sur possession non annale. Le premier dit, dans l’un de ses motifs, que l’action en réintégrande peut être intentée toutes les fois que le détenteur d’un immeuble en a été dépossédé par un acte de violence, pourvu cependant que la détention ne soit pas elle-même le résultat d’un fait violent, furtif ou clandestin. Le second décide positivement que l’allégation d’un droit et d’une possession annale antérieure, de la part de l’auteur de la voie de fait, n’avait pu empêcher l’admission de l’action en réintégrande fondée sur la simple possession qu’avait le demandeur au moment où cette voie de fait avait été commise. Nous pouvons ajouter à toutes les autorités citées dans notre ouvrage principal et dans cet appendice, l’opinion de Molitor, professeur àla faculté de droit de Gand, Traité de la possession et des actions possessoires, ouvrage publié en 1852 ; on trouvera, de la page 199 à la page 208, une discussion assez étendue de la question de réintégrande. — 301 — L’auteur cite à l’appui de son opinion l’art. 9 de la loi belge du 25 mars JS41, sur la compétence en matière civile et la discussion de cet article à la chambre des représentants ; il s’exprime en ces termes Il résulte formellement de la discussion à laquelle l’art. 9 de cette loi a donné lieu, que l’action en réintégrande n’y est nommée que pour indiquer que le législateur a entendu conserver cette action avec le caractère que nous lui connaissons. En effet, dans le projet du gouvernement, l’art. 9 de la loi ne faisait aucune mention de la réintégrande; mais lors de la discussion, à la séance du 5 mai 1840, AI. de Garcia fit remarquer qu’il lui paraissait utile de trancher par une disposition législative la controverse qui s’était élevée sur cette action ; en conséquence, il présenta un amendement tendant à faire nommer dans la loi l’action en réintégrande, pour montrer par là que la loi entendait conserver cette action et y appliquer les principes reconnus ; puis, sur une observation présentée par AI. Leclerq, alors ministre de la justice, pour montrer ce qu’il y avait de peu précis dans l’amendement, Al. de Garcia ajouta qu’il voulait que, par son amendement, il fût reconnu que l’action en réintégrande était non-seulement une action possessoire, mais une action possessoire sui generis; et que, par son insertion dans la loi, la conservation de cette action, complètement indépendante de la possession annale, serait placée en dehors de toute contestation ; qu’on continuerait donc à y appliquer les principes qui ont existé dans l’ancien droit, et qui réellement n’ont pas été détruits. AI. Ilaikeni parla dans le même sens, et montra que la loi française du 25 mai 1838 contenait une disposition qui tranche dans le même sens cette question — 302 — controversée; puis l'amendement de M. de Garcia fut adopté sans autre discussion. » Nous sommes donc, plus que jamais, fondé à persister dans notre opinion sur le maintien par notre législation actuelle de la réintégrande, avec les caractères et conditions marqués dans la législation antérieure ; et nous avons la conviction, que toute controverse doit cesser dans les tribunaux comme parmi les auteurs. Il est évident que la lutte serait désormais inutile et que les tribunaux qui la favoriseraient rendraient un bien mauvais service aux parties en les exposant à des frais considérables, car la Cour de cassation ne manquerait pas d’annuler leurs décisions. P. 103, après le 1 er alinéa , ajoutez La chambre des requêtes de la Cour de cassation a rendu, le 1 er août 1848, un arrêt qui semble condamner la doctrine que nous venons de développer à la page précédente. Mais la condamnation est plutôt dans les circonstances de l’espèce sur laquelle il est intervenu que dans sa rédaction. En fait, il s’agissait bien de fouilles successivement opérées dans un champ, et dont les premières remontaient à plus d’une année avant l’action en complainte; mais la Cour a motivé son arrêt d’une manière générale, . et a interprété le jugement de manière à y trouver la déclaration que le trouble n’avait réellement existé que par la dernière fouille ; de sorte que c’était là une appréciation de fait quelle ne pouvait reviser. La Cour nous paraît d’ailleurs avoir été ici dominée par la considération qu’avait présentée le rapporteur, qu’au fond, la — 503 — complainte avait été repoussée, de sorte que le pourvoi était presque sans intérêt. Quoi qu’il en soit, nous persistons à penser que l’action en complainte doit être intentée dans l’année du premier fait de trouble, à peine de déchéance. La loi exige une possession annale, antérieure au trouble, et une action dans l’année de ce même trouble. La théorie des troubles successifs mènerait bien loin. Qu’un particulier exploite journellement une marnière, une carrière, on soutiendra qu’à la fin de l’année, depuis le dernier fait, c’est-à-dire deux ans après le premier, l’action sera encore recevable. Il en pourrait être de même pour des bois, des terres, même pour des bâtiments, dont les travaux de réparations, ou les faits d’occupation, dureront une année. Ce serait s’écarter du texte comme de l’esprit de la loi. Que les juges du possessoire aient une certaine latitude pour rechercher les faits constitutifs du trouble, nous le concevons, puisque la loi exige le trouble réel. Un fait peut annoncer l’intention de troubler sans être une atteinte à la possession ; nous le disons nous-même en citant un exemple ; nous en trouvons même un nouvel exemple dans deux arrêts des requêtes des 3 et h août 1852, rendus sur les pourvois du sieur Martel contre le sieur de Béthune. Mais, dansl’espèce del’arrêtclul cr août, évidemment les premières fouilles constituaient un trouble à la possession de celui qui prétendait avoir des droits exclusifs au fonds sur lequel elles avaient eu lieu. P. 267, après le 1 er alinéa, ajoutez La Cour de cassation a, par arrêt du 1 h novembre 18Ù9, admis l’action possessoire à raison d’arbres — 504 — abattus par un voisin ; le juge d’appel l’avait repoussée, en se fondant sur ce que les arbres étaient un objet mobilier, dont la destruction ne pouvait donner lieu qu’à une indemnité pécuniaire ; mais la Cour a annulé, par le motif que le demandeur en complainte, en articulant la possession annale des arbres, avait soutenu que le sol sur lequel ils avaient été plantés lui appartenait également, et qu’il avait conclu à ce que son adversaire fût tenu de les remplacer; que, par conséquent, le débat était bien relatif à un objet immobilier. La Cour n’a pas eu besoin d’examiner la question de savoir si les arbres, abstraction faite du terrain, auraient pu devenir l’objet d’une action possessoire. Nous l’avons traitée page 264, à laquelle nous renvoyons. P. 284, après le 3' alinéa, ajoutez Mais deux arrêts de rejet de la Cour de cassation, chambre civile, en date des 11 avril 1848 et 3 juillet 1849, sont un peu en opposition avec notre doctrine. Ils reconnaissent, comme étant encore en vigueur, les usages locaux qui obligent celui qui se clôt par un fossé à laisser un certain espace de son terrain entre ce fossé et la propriété voisine, et ils accordent l’action possessoire contre le propriétaire qui établit son fossé à l’extrême limite de son fonds, soit parce qu’en agissant ainsi, il expose le fonds voisin à des éboulements et dommages, soit parce qu’il tend à usurper la propriété du franc- bord au delà du fossé et qui est censé l’accessoire de ce fossé. Ils déclarent formellement que le juge de paix est autorisé à prendre en considération ces usages et ces circonstances pour apprécier l’action possessoire. — 503 — Nous n’avions pas dit que celui qui établissait un fossé fût absolument dispensé d’observer une distance. Nous pensions seulement que les usages ou règlements n’étant pas maintenus par le Code, pour éviter sans doute le chaos de l’ancien état de choses, et pour établir, autant que possible, l’uniformité de législation, il y avait seulement lieu par le juge de paix de rechercher si les travaux étaient en fait nuisibles ou non nuisibles. Après y avoir bien réfléchi, nous ne pouvons nous ranger ii la doctrine consacrée par ces arrêts, et nous devons persister dans notre opinion nous ne pouvons admettre le maintien des anciens usages ou règlements qui nous ramèneraient la divergence, les inconvénients des anciennes coutumes. P. 291, après le 5 e alinéa, ajoutez ce qui suit Par arrêt du 26 novembre 18/i9, la Cour de cassation, chambre civile, a fait l’application de ces principes, en cassant un jugement du Tribunal de Nogent, qui les avait méconnus. Il s’agissait des rives artificielles ou digues de la Seine que l’État avait fait construire de 1785 à 1788. La ville de Nogent-sur-Seine ayant intenté action possessoire à l’État, qui avait vendu les herbes excrues sur ces digues, le juge de paix et le tribunal d’appel avaient déclaré la possession valable, parce que, suivant eux, les digues ou rives artificielles n’étaient par aucnne loi placées hors du commerce, et étaient conséquemment prescriptibles. La cassation est fondée sur les motifs suivants Pétitoire ou action pétitoire, en latin petitorium, vient de petere, demander, poursuivre, et sous ce rapport on pourrait dire que cette expression convient à toutes les demandes faites en justice, quel qu’en soit l’objet, mobilier ou immobilier, droit incorporel, créance d’une somme d’argent, rentes, et comprend même l’action possessoire. Mais dans l’usage consacré par une longue suite de siècles, le mot pétitoire a servi à désigner le fond du droit, la propriété même de la chose et l’action au moyen de laquelle on revendique cette propriété, par opposition au possessoire qui dans l’origine, c’est-à-dire dans le droit ante-Justinien, comme nous l’avons vu p. 3, de la l re partie, n’était considéré ni comme une demande ni comme une action, et ne donnait pas lieu à un juge- — 5S3 — ment *. Nous devons ajouter que l’expression pètitoire, dans sa généralité, a été appliquée à la revendication de la propriété des choses purement mobilières, comme à celle des immeubles. Cela se conçoit, les meubles et les immeubles pouvaient être l’objet d’un interdit; et dans notre ancien droit français, les meubles pouvaient être aussi, quoique d’une manière plus restreinte, l’objet de la complainte. Petere hœrcditatem, petitio hæreditatis, demander une hérédité, pétition d’hérédité, c’était là en effet une action sur le fond même du droit de l’hérédité, et tendant à se faire délivrer les objets qui la composaient. 11 y a au Digeste un titre de hæreditatis petitione et au Code, trois titres de petitione hæreditatis, de petitionibus bonorum sublatis, de plus petitionibus ; au Digeste et au Code, il y a un titre de Rei vindicatione. 12° La loi 62, ff. de judiciis est ainsi conçue Inter liligantes non aliter lis expediri potest quam si alter peti- tor, alter possessor sit esse enim debet qui onera petitoris, sustineat et qui Commodo possessoris fungatur. Au titre UH possidetis, nous lisons loi 1", § 1". Hoc interdictum Uli possidetis de soli possessore scriptum est, quern potiorcm prætor in soli possessione habebat, et est prohibitorium ad retinendam possessionem. —§ 2. Uu- jus autem intei'dicti proponendi causa hœc fuit quod sepa- rata esse debet possessio a proprietate ; /ieri etenirn potest, ut alter possessor sit, dominas non sit; alter dominas qui- dem sit, possessor vero non sit fieri potest ut et possessor idem et dominus sit. —§3. Inter litigatores ergo quo - tiens est proprietatis controversia, aut convenit inter li- * In interdicto, possessio; in acticne, proprielas vertilur. L. U, 5 ult. ff y de excep. rei Judicatæ. — 554 — tigatores uter possessor sit, uter petitor, aut non convenu. Si convenit, absolutum est ille possessoris commodo, quem convenit possidere; ille petitoris onere fungetur. Au titre de Rei vindicatione, il est question du jugement pétitoire, Judicium petitorium. Nous lisons encore au g A, titre de Interdictis des Institues de Justinien Retinendæ possessionis causa comparata sunt interdicta, Uti possidetis et Utrubi; cum ab utraque parte de proprietate alicujusrei, controversia sit, et ante quœralur, uter ex litigatoribus possideat, et uter petere debeat. Namque nisi ante exploratum fuerit, utrius eorum posses- sio sit, non potest petitoria actio institui quia et civilis et naturalis ratio facit, ut alius possideat, et alius a possi- dente petat. Et quia longé Commodius est et potius possidere quam petere. Ideo plerumque et fere semper ingens existit contentio de ipsa possessione. Commodum autern possidenti in eo est, quod etiamsi ejus res non sit, qui possidet, si modo actor non potuerit suam esse probare, remanet in suo loco possessio; propter quam causam, cum obscura sunt utriusque jura, contra petitorem judicari solet. Interdicto Uti possidetis de fundi vel ædium possessione conlenditur. Dans les plus célèbres interprètes du droit romain, notamment dans Barthole et Cujas, on ne trouve rien autre chose sur l’action pétitoire, si ce n’est quelle est relative à la propriété, tandis que l’interdit est en général relatif à la possession. On peut voir particulièrement les commentaires sur l’interdit Uti possidetis, sur les titres de Acq. et amitt. possessione, de Rerum divisione, de Rei vin- dicat. Voilà pour le droit romain. — 55o — » 13° Voyons maintenant les auteurs français et étrangers, et commençons par ceux de nos auteurs qui ont écrit avant le Code de procédure civile. Imbert, Pratique judiciaire, p. h, s’exprime ainsi La matière et cause civile est ou personnelle ou réelle, pétitoire ou possessoire. La personnelle procède de contrat ou acte équipollent à contrat. En la pétitoire est question de la propriété et seigneurie de la chose ; en la possèssoire, de la possession. Et parce qu’en toutes actions civiles y a presque môme et semblable style de procédure, nous les traiterons toutes par un même ordre ; fors quand il y aura différence en la procédure ; car, en ce cas, en chacun lieu propre et particulier nous mettrons la différence. » Et en note En termes de droit, sont mises deux espèces d’actions In rem, quæ dicitur vindicatio, et in personam quæ condictio appellatur, L. aclionum généra 25 * et L. actionib 37. 1. de actionibus ; § sed istæ, §namque, § appellamus, aux institutions de Justinien, liv. à, Titre de Act. Combien que plusieurs autres divisions soient mises ès dits lieux. Mais les définitions de l’action personnelle ou pétitoire sont prinses de la mesme loy. 25 D. de Act. et du § omnium actionum et § appellamus, Instit., eodem litulo. » Nous lisons dans le même ouvrage Pratique judiciaire, à la p. 222, en note. Notez que celui qui agit au pétitoire, possessorem adversarium agnoscit. § omnium Inst, de Act. cui datur actio multo magis exceptio, * Aclionum généra sunt duo in rem quæ dicilur vindicatio; et in personam quæ condictio appellatur. In rem actio est per quam rem nostram quæ ab alio possidetur, petimus ; et semper adversus eum est qui rem possidet. — 556 — L. vindicantem D. de evict., ainsi qu’il a été jugé par arrêt récité par Gallus, q. 46, n" 17, et ne doit être suivie la distinction de Jason, m § œquo Inst, de Action. » Enfin, le même Imbert, Pratique, p. 443, s’exprime ainsi Mais il y a une matière que l’on appelle négatoire, laquelle, combien qu’elle semble être pétitoire, néanmoins ne l’est, et celui qui l’intente ne constitue le défendeur possesseur ; et la forme d’intenter cette action est à ce qu’il soit dit et déclaré le défendeur n’avoir droit d’aller et venir par tel lieu, etc. Il y a plusieurs autres actions, lesquelles semblent être pétitoires, lesquelles ne le sont. Comme si l’on propose pour avoir payement des arrié- rages de quelque rente, sans conclure à continuation et en ce cas le défendeur lors pour raison de la dénégation, qui emporte trouble, le demandeur pourra former complainte. » Voilà, à peu près, tout ce que nous trouvons sur les actions pétitoires, dans l’ouvrage très-étendu de notre vieil auteur. Nous n’en trouvons pas davantage dans les ouvrages de Masuer et de Itebuffe qui avaient précédé celui d’Imbert, et qui ne se sont pas mis plus en frais que lui sur ce sujet quoiqu’ils aient tous trois traité des actions possessoires avec plus de soins et de développements. Duplessis, Coutume de Paris, tome 1 er , des actions, livre 1 er p, 597, s’exprime ainsi Comme toutes choses sont meubles ou immeubles, aussi pour les immeubles y a-t-il premièrement l’action pétitoire pour en revendiquer la propriété; secondement, l’action possessoire ou complainte, pour en revendiquer ou conserver la possession. Troisièmement, et, pour les meubles, il y a l’actiou — 557 — de revendication de meubles, qui est aussi bien réelle que les autres ; il n’y a différence que de nom. La coutume n’a point parlé de l’action pétitoire non plus que de l’action de revendication de meubles. Aussi leur pratique est-elle assez notoire dans l’usage, et tout ce qui s’en observera en passant est que A l’égard de l’action pétitoire, elle ne se juge que sur des titres, si ce n’est qu’il y ait prescription alléguée, et dure dix, vingt ou trente ans, suivant la distinction articles 113 et 118. » C’est là tout ce que dit Duplessis de l’action pétitoire, dans deux volumes in-folio. Dumoulin, sur la même coutume de Paris, s’exprime en termes analogues. Brodeau et Delaurière, sur la même coutume, en disent bien moins encore, puisqu’ils se bornent à poser en principe que le pétitoire ne doit pas être accumulé avec le pos- sessoire, sans nous faire connaître ce que c’est que le pétitoire. Quant à Domat, il garde le silence le plus absolu sur l’action pétitoire. Nous avouons n’en avoir pu même découvrir le nom dans tout son ouvrage. Basnage,Bérault,Flaust,Latournerye, commentateurs de la Coutume de Normandie, et Houard, Dictionnaire du droit normand, disent seulement que l’action pétitoire est relative à la propriété. Voici tout ce que nous trouvons dans le Commentaire de la coutume d’Auvergne, de Chabrol, T. I" p. 63 Pour réunir tous les principes sur cette matière des actions possessoires il reste à observer que la question de propriété, qu’on appelle le pétitoire, ne peut être agitée qu’après la décision du possessoire et l’exécution du jugement qui y a fait droit c’est la disposition de l’ordonnance de 1667 ; elle n’a fait que confirmer une maxime — 338 — ancienne ; le possessoire ne serait pas d’un grand avantage au possesseur, si l’on pouvait y joindre le pétitoire. » Coquille, sur la Coutume de Nivernais-, Auroux des Pommiers, sur celle du Bourbonnais; d’Argentré sur celle de Bretagne, Chassané et Davot sur celle de Bourgogne s’expriment à peu près dans les mêmes termes. Henrys et Bretonnier, dans quatre volumes in-folio, écrivent à peine ce que c’est que l’action possessoire; quant à l’action pétitoire, ils n’en prononcent même pas le nom, et s’occupent fort peu de la revendication. Pothier, dans son Introduction générale aux coutumes, se borne à mentionner l’action pétitoire, mais sans même la définir; il n’en écrit même pas le nom dans son Traité de la Revendication, dans celui de la Possession et des Actions possessoires. Enfin, dans son Traité de la Procédure civile, œuvre posthume, nous lisons ce qui suit On ne doit point, dans les instances de complainte, cumuler le pétitoire au possessoire ; c’est pourquoi lorsqu’une demande en complainte ou réintégrande a été intentée, on ne peut pas former de demande au pétitoire, c’est-à-dire former aucune contestation sur la propriété de l’héritage ou du droit dont la possession est contestée, jusqu’à ce que l’instance sur ce possessoire ait été entièrement terminée. L’auteur ajoute sous le même numéro La partie qui a été condamnée au possessoire, n’est pas recevable à former sa demande au pétitoire, jusqu’à ce qu’elle ait entièrement exécuté le jugement rendu contre elle au possessoire, etc. » Lange, Boutaric, Theveneau, Bornier, Jousse, parlent bien du pétitoire comme ne devant pas être cumulé avec le possessoire; mais ils ne donnent même pas une — 559 — définition quelconque, la définition la plus brève du péti- toire. Rodier se contente de-dire qu’il diffère de la complainte en ce que celle-ci est fondée sur le fait de la possession, tandis que le pétitoire est relatif à la propriété et est fondé sur le droit et les titres. Pétitoire dit Pigeau, Procédure du Châtelet. T. II, p. 113, c’est l’action par laquelle on réclame un bien dont on se prétend propriétaire et qui est possédé par un autre. » 14° Bourjon, Droit commun de la France, T. II, p. 515, s’exprime ainsi Celui qui est propriétaire d’un héritage ou autre immeuble, qui se trouve en la possession d’un autre, a l’action pétitoire contre le possesseur, pour en revendiquer la propriété; c’est son objet et sa fin cette action a lieu contre celui qui a possédé avec titre et bonne foi, comme contre l’usurpateur, lorsque son titre est vicieux, quoiqu’il en ait ignoré le vice. De là il suit que celui qui a acquis un héritage, croyant que le vendeur d’icelui en était propriétaire, peut être assigné, par le vrai propriétaire, pour être condamné à se désister, à son profit, delà propriété, possession et jouissance d’icelui, et que le dernier, justifiant son droit, le premier doit être évincé, c’est la juste fin de cette action. » Le Dictionnaire de Trévoux, V° Pétitoire, s’exprime ainsi Terme de jurisprudence, action par laquelle on demande le fonds ou la propriété d’une chose. Poursuite que l’on fait pour retirer la possession d’un bien qui nous appartient, de celui qui en est le possesseur, en justifiant que nous en avons la propriété. On le dit même de l’instance faite en justice pour être maintenu ou établi dans la jouissance d’un bénéfice. Petitoria, disceptatio. Il — 560 — se dit par opposition au possessoire où il ne s’agit que de la possession. Le pétitoire des bénéfices appartient aux juges d’église, les séculiers n’en jugent que la complainte possessoire dans les causes de spoliation. Il faut juger le possessoire avant que de pouvoir agir pour le pétitoire. Action pétitoire, ou au pétitoire. Demande faite en justice pour obtenir la propriété d’un héritage ; et en matière bénéficiai, demande faite pour être déclaré titulaire d’un bénéfice. » Prévôt de la Jannès, dans ses Principes de la jurisprudence française, dit aussi que l’action pétitoire porte sur le fond du droit, à la différence de l’action possessoire, qui n’a pour objet que la possession et ajoute qu’il y a autant d’actions pétitoires que de manières d’acquérir la propriété ou des droits sur les immeubles. Poullain-Duparc prononce le nom du pétitoire, mais sans même le définir. Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, V° Action, s’exprime dans les termes suivants Action pétitoire, est celle par laquelle, celui qui a la propriété d’un fonds ou qui a un droit réel sur un héritage, agit contre le possesseur d’icelui, à l’effet d’avoir la possession de l’immeuble qui lui appartient, ou d’avoir la jouissance des droits dont l’héritage est chargé envers lui. Cette action a donc lieu pour deux différents objets. Le premier pour avoir la possession d’un fonds qui nous appartient, et alors le demandeur conclut à ce que, attendu qu’il est propriétaire d’un tel héritage, le défendeur qui le possède soit condamné à se désister et départir de la possession et occupation dudit héritage, soit tenu de le restituer au demandeur et d’en rendre les fruits — 561 — depuis son indue jouissance, avec dommages-intérêts et dépens. L’autre objet est d’avoir la jouissance des droits réels, comme sont le cens et les rentes foncières dont un héritage est chargé ; et en ce cas le demandeur conclut à ce que le possesseur de l’héritage qui est chargé du cens ou de la rente foncière, soit tenu d’en payer au demandeur tant d’années d’arrérages échues, d’en continuer le payement dans la suite, de donner ses héritages par déclaration et d’exhiber ses titres, sinon qu’il ait à déguerpir. » Pétitoire dit l’ancien Denizart V° Pètitoire du latin pelere , demander est un ternie de Palais, qui signifie l’action par laquelle on demande le fonds ou la propriété d’une chose. Il se dit par opposition à possessoire où il ne s’agit que de la possession. » L’action pétitoire, disent les auteurs du nouveau Denizart V e Action, p. 196, est celle par laquelle nous demandons à être déclarés propriétaires d’un immeuble ou d’un droit réel comme une servitude ou droit de cens, une rente foncière ou de quelque droit universel, tel qu’une succession. » 15° Passons aux auteurs modernes. Par l’action pétitoire, dit Merlin. Repert. V° Action, nous revendiquons la propriété d’un fonds ou d’un droit réel contre le possesseur. » Poncet, des actions, n° 52, s’exprime dans les termes suivants Action pétitoire. C’est la revendication de la propriété ; donc elle prend sa source et son principe dans le droit de propriété que nous prétendons avoir sur l’immeuble. 36 — 362 — C’est la revendication d’un immeuble, donc c’est tel immeuble désigné qui en est l’objet direct. C’est cet immeuble que nous attaquons ; donc nous ne pouvons agir que devant le Tribunal de la situation et contre la personne qui a qualité pour le défendre. N° 55. D’après tout ce qui vient d’être dit, nous pouvons développer notre définition de l’action pétitoire ainsi qu’il suit C’est l’action par laquelle nous demandons au Tribunal que notre propriété, sur un ou plusieurs immeubles désignés et situés dans son arrondissement, soit reconnue, et, qu’en conséquence, le défendeur soit condamné à nous en relâcher la possession véritable ou civile. » Boncenne, Théorie de la procédure civile. T. I, p. 52 L’action pétitoire est la revendication delà propriété d’un immeuble ou d’un droit réel sur un immeuble, contre celui qui le possède et qui prétend aussi en être propriétaire. Il faut bien supposer que le demandeur en ce cas est privé de la possession et que la propriété ou le droit lui sont contestés; autrement l’intérêt de son action ne se concevrait pas. » Et p. 65 Dans les cas généraux où la possession est utile, l’action possessoire se réduit aux termes les plus simples lequel des concourrents possède, lequel ne possède pas? L’action pétitoire conduit à cette question lequel est propriétaire? Car celui qui ne possède pas peut être le véritable propriétaire. Ici c’est un fait, là c’est un droit à juger. » Thomines Desmazures, dans son Commentaire du Code de procédure, rappelle bien la règle que le demandeur au pétitoire ne sera plus recevable à agir au possessoire ; que le pétitoire et le possessoire ne doivent pas être eu- — 563 — mulés; mais tout ce qu’il dit de l’action pétitoire c’est qu’elle est relative à la propriété. Par l’action pétitoire, disent Carré et Chauveau sur l’art. 23, Code de procédure, le propriétaire d’un fonds ou d’un droit réel attaché au fonds, agit contre celui qui possède l’un ou l’autre à l’effet d’en être déclaré propriétaire. » Delaporte, Demiau, Pigeau, Berriat Saint-Prix, Dalloz aîné, Armand Dalloz, dans leurs Répertoires de jurisprudence; Devilleneuve, dans sa Table raisonnée; Curasson, dans son Traité de la compétence des juges de paix , s’expriment à peu près dans les mêmes termes. Les actions possessoires , est-il dit au Dictionnaire de procédure de Bioche et Couget, sont uniquement relatives à la possession ; celles qui ont trait à la propriété, s’appellent pétitoires. Il y a entre ces deux espèces d’actions la même différence qu’entre la propriété et la possession. » Dictionnaire de l’Académie, V° Pétitoire Pétitoire, terme de jurisprudence. Il se dit en parlant d’une demande faite en justice, pour être maintenu ou rétabli dans la propriété d’un bien immobilier. Se pourvoir au pétitoire, demande au pétitoire, demandeur, défendeur au pétitoire. Gagner son procès au pétitoire, être déclaré légitime propriétaire de l’héritage en litige. » 15° 6is La législation de la Grande-Bretagne connaît peu la distinction entre les actions possessoires et pétitoires. Les commentateurs, et notamment Blackstone, ne prononcent pas le nom de celles-ci; quant à ce qui touche à la possession, celui qui y a réellement droit et en a été dépouillé, peut en général la reprendre, pourvu que ce soit sans violence, ce que Blackstone appelle remède par en- — 561 — trée ou d’entrée, et s’il est empêché, il peut en faire le simulacre le plus près possible de la propriété, avec réitération tous les ans. Dans des cas particuliers, il y a lieu à un writ d’entrée ou à une assise, actions sur lesquelles la possession seule est agitée. Mais dans le premier cas, la mesure sur les entrées peut être inefficace, et dans tous la partie peut avoir intérêt à préférer la voie du droit commun. Or, tous les juges, tous les tribunaux, sont également compétents pour connaître des deux catégories d’actions relatives aux immeubles situés dans la circonscription de leur ressort. La contestation commence généralement par un icrit original, sollicité et obtenu de la Cour de la chancellerie, qui est, comme le dit Blackstone, l’Officina justitiœ la boutique ou la monnaie de la justice, et qui ordonne au défendeur de faire justice au demandeur ou de comparaître en justice pour répondre à sa prétention. On fait usage du writ lorsque, entre autres choses, il s’agit de la restitution de la possession d’une terre. Après l’expédition du writ original, le premier pas que l’on fait dans la poursuite d’une cause s’appelle le procès, comme le seul moyen d’obliger le défendeur à comparaître en justice. Avis est donné à la partie d’y obéir. Cet avis est donné par assignation qui est un avertissement de comparaître à la Cour sur le rapport du writ original donné au défendeur par deux messagers du sclié- riff, appelés sergents, soit à la personne, soit à sa maison, soit à sa terre. Cet avertissement se donne sur la terre dans les actions réelles, en fichant un bâton ou baguette blanche sur les terres du défendeur. Cette baguette ou bâton, chez les peuples du Nord, s’appelle baciilus nunciatorius , et par le Statut 31 d’Elisabeth, — 565 — ch. 3., l’avis doit aussi être publié un jour de dimanche, devant la porte de l’église paroissiale. Néanmoins dans les petites causes, c’est-à-dire dans celles au-dessous de la valeur de 40 shellings, qui s’intentent dans les cours foncières ou dans celles des comtés, il n’est pas besoin de writ royal. Les procès comme du temps des Saxons continuent d’y être intentés par plaintes; c’est-à-dire par un mémoire particulier présenté en pleine Cour au juge, et par lequel le demandeur expose la cause de l’action. Dans ce cas le juge est tenu de lui rendre justice, sans aucun ordre spécial du roi. Blackstone, Lois anglaises, liv. 3, cliap. 18 et 19. On trouvera peu ou point de lumières, sur le sujet de cet ouvrage, dans les autres législations étrangères, ainsi qu’on pourra s’en convaincre en lisant les très-utiles et très-bons travaux de deux laborieux et savants magistrats, l’un de notre ami, M. de Saint-Joseph, intitulé Concordance des Çodes civils français et étrangers, l’autre de M. Victor Foucher. Les commentateurs ou interprètes des législations étrangères, dont les ouvrages nous ont passé sous les yeux, ne nous offrent également que de faibles ressources. 16° Quant à nous, voici notre définition de l’action pé- titoire C’est l’action par laquelle nous revendiquons la propriété ou la franchise d'un immeuble ou l’exercice d’un droit réputé immobilier, contre celui qui a la possession de la chose ou qui nous a troublé, soit dans notre propriété, soit dans notre possession. Quoique des lois romaines et des auteurs disent que l’action dont il s’agit doit être intentée contre celui qui a la possession, par celui qui ne l’a pas et qui se prétend — S66 — propriétaire, parce qu’autrement il est sans intérêt, la possession devant lui suffire, et que les actions relatives aux servitudes qu’ils appellent négatoires quand elles ont pour but de s’en affranchir, et confessoires quand elles tendent à se les faire adjuger, ne puissent pas être rangées dans la classe des actions possessoires ou péti- toires, par la raison qu’elles ne sont pas l’objet d’une véritable possession, nous ne pouvons admettre d’après les principes de notre droit, ni ces décisions, ni les raisons sur lesquelles elles sont fondées, qui nous paraissent plus subtiles que solides, et reposer sur de véritables disputes de mots. Nous pensons que les servitudes comme les immeubles sont l’objet d’une véritable possession, avec des caractères différents, sans doute, comme les droits que cette possession indique ; que celui dont la propriété ou la possession est contestée ou troublée, quoiqu’il n’ait pas été réellement dépossédé, peut très-bien, au lieu d’intenter l’aetion possessoire en cas de simple trouble à sa possession, préférer l’action pétitoire; que quelquefois même il n’aura pas le choix comme s’il n’a pas de possession annale; qu’il peut avoir intérêt à faire cesser les doutes, les dénégations élevés sur son droit de propriété. La règle que nous avons rappelée comme puisée dans les lois romaines et les auteurs, ne peut donc être considérée que comme un principe général, mais non absolu. Molitor, de la Revendication est de notre avis, et donne môme aux lois romaines une interprétation conforme à notre sentiment. Sans doute, il arrivera rarement que celui qui, malgré un trouble peu grave, conservera la jouissance de l'immeuble ou dont la propriété — 567 — ne sera l’objet que d’une protestation vague de la part d’un tiers, intentera à celui-ci procès au pétitoire, parce que son intérêt est un sûr garant qu’il ne fera pas de procès légèrement et sans nécessité ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il aura ce droit par exception si l’on veut, et que les tribunaux ne pourraient le repousser qu’autant qu’ils découvriraient que son action serait dictée par une crainte exagérée ou par un évident esprit de tracasserie et de chicane. 17° Ainsi, tandis que l’action possessoire complainte ou réintégrande est uniquement fondée sur la possession annale ou instantanée, et n’a pour résultat que d’y faire maintenir ou réintégrer, ce qui ne constitue qu’une mesure provisoire qui ne termine rien posses- sionis momentanea est utilitas , laisse intacts les droits au fond, les droits dans la chose même, la propriété, et qui peut être prise contre le propriétaire lui-même, l’action pétitoire, au contraire, ne donne lieu qu’à l’examen et à la décision de la question de propriété ; et le jugement, qui intervient pour décider auquel des contendants la propriété appartient, fixe la position et les droits respectifs des parties, et termine entre eux tout débat relatif à la chose litigieuse. Le demandeur au pétitoire doit donc conclure formellement à être déclaré propriétaire ou copropriétaire d’un immeuble, d’un droit réel d’usufruit, d’usage, d’habitation, de servitude, ou à ce que l’immeuble dont il est reconnu propriétaire, soit déclaré franc de toute charge foncière ou servitude, et s’il demande en même temps à être maintenu ou réintégré en possession, c’est seulement comme conséquence de son droit de propriété, à la différence du demandeur au possessoire qui conclut à être — 568 — maintenu ou réintégré dans sa possession, et abstraction faite de tout droit à la propriété. Voy. page 551. 15° Ce qui précède fait bien comprendre que nous ne considérons pas comme pétitoire toute action relative à un immeuble, toute action réelle immobilière; et que nous ne lui attribuons ce caractère que lorsque le droit au fond est réclamé, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de la propriété. Nous ne pourrions donc ranger dans la classe des actions pétitoires proprement dites, les actions en partage d’une succession dans laquelle il existe des immeubles, lorsqu’il ne s’agit que de l’opération matérielle de la division des biens entre les cohéritiers dont les droits héréditaires sont reconnus ; une demande en bornage, qui ne soulèverait non plus aucun débat sur le fond des droits des parties, et qui, par ce motif, serait de la compétence du juge de paix ; une demande en suppression de plantations comme faites à une distance moindre que celle déterminée par les usages ou règlements et par la loi, la demande en élagage d’arbres, la demande à fin d’observation des règlements ou usages sur les distances à observer ou les précautions à prendre relativement à certains ouvrages exécutés près ou contre un mur mitoyen ou non mitoyen art. 87i, Code civil, etc., qui seraient toutes trois comme celle en bornage de la compétence du juge de paix. Nous nous croyons d’aulant plus fondé à leur refuser le nom d’action pétitoire, que les juges de paix ne connaissent jamais, comme on le sait, des questions de propriété; que même les art. 5 et 6 de la loi du 25 mai 1838, refusent positivement à ces magistrats la connaissance des matières dont nous venons de parler, aussitôt que les droits de propriété ou de servitude sont contestés. — 569 — 19° Nous savons bien que quelques personnes, et notamment des praticiens, veulent donner le nom d’action pétitoire à toute action qui touche à un immeuble, ne fût-ce même que pour les récoltes; nous savons même qu’un arrêt de la Cour de cassation, du 11 décembre ISM, semble servir de prétexte à ce sentiment; mais nous ne pouvons le partager. Nous croyons qu’on donne trop de portée à cet arrêt. On en va juger. 20° Une petite rivière traverse les propriétés des sieurs Matton et d’Hervilly, situées en face l’une de l’autre. Le premier, prétendant que celui-ci avait fait des travaux qui. constituaient une entreprise sur le cours d’eau, l’assigna en complainte. Le sieur d’Hervilly demanda reconventionnellement que son adversaire fût condamné à couper des branches d’arbres, et à détruire des arbres qui n’étaient pas à la distance prescrite par l’art. 571 du Code civil. Sentence du juge de paix, qui, après descente sur les lieux, accueille la demande du sieur Matton et repousse celle reconventionnelle du sieur d’Hervilly. Mais sur l’appel, ce fut tout le contraire; il y eut infirmation complète. La demande principale fut repoussée, et celle reconventionnelle fut admise. Le Tribunal ordonna la destruction des arbres plantés à une distance moindre que celle voulue par la loi. Pourvoi en cassation. —Le sieur Matton insiste sur ce que les arbres, ayant été plantés depuis plus d’un an, ne pouvaient faire la matière que d’une action pétitoiie, qui ne devait pas être exercée reconventionnellement à une action possessoire que le juge avait même repoussée. Arrêt. — Attendu que la demande reconventionnelle du sieur d’Hervilly, qui tendait à faire condamner le — 570 — demandeur à arracher des arbres plantés à une distance moindre que celle qui est déterminée par la loi, n’a, dans les termes de la cause, soulevé aucune question qui se rattache à une contestation sur la propriété; que, d’autre part, lors même que cette demande aurait eu un caractère pétitoire , par cela seul quelle était de nature à être soumise au juge de paix, elle pouvait être l’objet d’une reconvention, même dans un litige engagé au posses- soire; que, par suite, le juge de paix était compétent pour en connaître; la Cour rejette le pourvoi. » Comme on le voit, l’arrêt est loin de déclarer que la demande reconventionnelle en suppression d’arbres plantés à une distance moindre que celle fixée par les usages et règlements, est une action pétitoire; il y a tout au plus, dans la décision de la Cour, une simple supposition, une hypothèse. Ce ne serait pas, dans tous les cas, d’après la supposition de la Cour, une action pleinement pétitoire; elle y toucherait seulement; elle aurait un caractère pétitoire. L’arrêt n’aurait pu reconnaître dans cette demande, une véritable action pétitoire, sans violer ouvertement les art. 25, 26 et 27 du Code de procédure, qui prohibent le cumul du pétitoire et du possessoire, veulent qu’ils soient décidés par des juges différents, et déclarent le juge de paix incompétent pour connaître de l’action pétitoire. Il faudrait en dire autant des dommages causés aux propriétés, champs, fruits et récoltes, par l’exploitation d’un établissement industriel, non autorisé ou autorisé, car une semblable action n’entraîne aucune discussion sur le fond du droit de propriété ou de servitude des immeubles qui sont la cause ou le sujet du dommage. On peut voir sur ce point l’excellent ouvrage que M. Avisse a publié sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes. On ne pourrait non plus considérer comme péti- toire la demande formée contre le propriétaire d’un établissement industriel pour le faire condamner, soit à modifier, soit même à détruire cet établissement, en se fondant sur ce qu’il est dangereux pour la salubrité publique, pour la santé des hommes, des animaux, du voisinage, et compromet gravement les récoltes ou les produits des propriétés voisines. Dans une pareille action, en effet, ni la propriété du défendeur, ni celle du demandeur, prises et considérées en elles-mêmes, ne sont l’objet de la contestation. Le débat porte exclusivement sur l’usage que le défendeur fait de sa propriété, et le demandeur, tout en rendant hommage au principe écrit dans la première partie de l’art. 5Ziû du Code civil, que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, se borne à invoquer contre lui la deuxième disposition de cet article Pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et règlements. » Or, les lois et règlements défendent de porter atteinte à la salubrité, à la santé des citoyens et aux produits des propriétés d’autrui *. 11 en serait différemment, et l’action serait pétitoire, si le demandeur, au premier motif de sa demande, en joignait un autre, tiré, soit de ce que le défendeur a bâti sur un terrain appartenant au demandeur lui-même, soit de ce que le défendeur s’était interdit la faculté de cons- * Voyez encore l’ouvrage de M. 4 v > sse , avocat au Conseil-d’État et à la Cour de cassation, sur les établissements industriels de toute espèce, et les lois et règlements qu’il cite. — 572 — truire sur le sien ; ou si celui-ci, en prétendant que son établissement est seulement incommode, nuisible aux récoltes, soutenait en outre qu’il résulte de conventions arrêtées entre eux ou ceux qu’ils représentent que le demandeur est tenu de supporter ces charges à titre de servitude. 21“ Concluons donc de tout cela que les actions en partage, en bornage, en suppression d’arbres, de haies trop rapprochés, en élagage et réparation de dommages causés aux propriétés par des établissements industriels dans les circonstances que nous avons indiquées et sans débat sur la propriété du fonds, ne peuvent être tout au plus appelées que des actions quasi-pétitoires. 22“ Mais on devrait considérer comme une action bien réellement pétitoire, une demande tendant à obtenir en cas d’enclave, et moyennant indemnité à fixer, aux termes des art. 582, 583, 684 du Code civil, un passage qu’on n’aurait jamais exercé sur les fonds de ses voisins. Faisons observer que si l’on avait une possession tren- tenaire de ce passage, on aurait acquis le droit de l’exercer par le lieu même où il aurait été pratiqué, et l’on serait affranchi de toute indemnité. On pourrait, dans le même cas, si l’on était troublé dans sa possession, intenter l’action en complainte possessoire. 23“ Il faut encore donner le nom d’action pétitoire, soit à la demande tendant à se faire accorder le droit d’aqueduc prévu et autorisé par la loi du 29 avril 1845, soit à celle tendant à obtenir la faculté d’appuyer un barrage de prise d’eau sur les fonds voisins, aux termes de la loi du 11 juillet 1847. Nous pouvons même étayer notre opinion d’un arrêt de la Cour de cassation, du 25 août 1852, sur lequel nbus aurons bientôt occasion — 573 — de revenir, et qui, rendu dans l’espèce d’une demande à fin d’autorisation d’établir un barrage sur la rive opposée, qualifie formellement cette demande d’action péti— toire. 24° Nous ne terminerons pas ce chapitre sans citer plusieurs exemples, plusieurs décisions judiciaires, qui serviront à faire encore mieux comprendre, s’il est possible, le caractère de l’action pétitoire et sa différence avec l’action possessoire. Nous reviendrons d’ailleurs avec plus de développements sur ce sujet dans le chapitre relatif à la procédure et au jugement des actions pétitoires. 25° La décision qui est relative au fond du droit, soit pour accueillir l’action du demandeur en reconnaissant sa propriété, soit en le repoussant par le motif qu’il n’en a pas justifié ou qu’elle' appartient au défendeur, est un jugement au pétitoire. Action en justice de paix par un sieur Debarrois aux sieurs lliquet et Ribouleau, pour être maintenu dans la possession annale d’un bois que ces derniers avaient récemment fait couper. Les défendeurs ont répondu qu’ils s’étaient renfermés dans les limites du bornage fait entre Debarrois et leur auteur, suivant procès-verbal homologué par le Tribunal de Sens; que, de plus, deux jugements du même Tribunal, en date des 27 avril 1820 et 15 décembre 1831, avaient jugé que les bornes établies étaient la limite de la propriété de Debarrois, dont la possession ne pouvait prévaloir contre ces actes. Sentence du juge de paix qui déclare l’action mal fondée. Sur l’appel, jugement du Tribunal de Sens qui con- 574 — firme, attendu que la possession dont se prévaut le demandeur n’a point les caractères voulus par l’art. 2229, Gode civil, puisque le terrain sur lequel il a fait les ouvrages qui sont l’objet de sa complainte possessoire, a été jugé appartenir à ses adversaires. 11 était évident que les juges ne s’étaient occupés que des titres et de la propriété, et avaient négligé la possession annale qui pouvait cependant être acquise depuis les jugements. Aussi, par arrêt du 17 mai 1848, la Cour régulatrice a-t-elle cassé, en se fondant sur ce que le motif du jugement attaqué n’appréciait pas le fait de possession en lui-même, mais qu’il le repoussait d’une manière absolue, et par cela seul qu’il ne pouvait avoir de valeur en regard du droit de propriété qui, avant l’existence de ce fait, avait été reconnu au profit des défendeurs à l’action possessoire; qu’en décidant ainsi, le jugement attaqué avait cumulé le pétitoire et le possessoire et ouvertement violé les art. 23 et 25 du Code de procédure, et l’art. 2229 du Code civil. 26° Nous trouvons un nouvel exemple dans un arrêt de la Cour de cassation, chambre civile, en date du 11 août 1852, cassant un jugement qui, pour repousser une action possessoire relative à l’usurpation d’un terrain, s’était uniquement fondé sur ce que, d’après les titres produits par le défendeur, en s’emparant de ce terrain, il n’avait fait qu’user de son droit. Voyez d’autres arrêts des 12 avril 1813, 7 août 1833 qui ont cassé des jugements qui, soit pour accueillir la complainte, soit pour la repousser, s’étaient uniquement fondés sur les titres sans s’occuper de la possession. 27° L'n autre arrêt de la chambre des requêtes, en date du 17 novembre 1847, a décidé que l’inexécution — 575 — d’une convention passée entre deux propriétaires voisins, au sujet du mode d’exercice d’une servitude, ne pouvait donner lieu qu’à une action pétitoire. 28° Nous avons dit, Impartie, p. 450, que le juge de paix ne pouvait cumuler le possessoire et le pétitoire. Nous en dirons autant du juge ou Tribunal de première instance. Il ne pourrait, par deux décisions distinctes, constater la possession annale et y maintenir ou réintégrer l’une des parties, et juger la question de propriété en faveur de la môme partie ou de son adversaire ; il ne pourrait pas davantage rendre une décision séparée sur la possession annale ou la réintégrande, en attendant le jugement du fond, ou ne considérer l’action pétitoire portée devant lui que comme une action en réintégrande mal qualifiée et y statuer. Car les actions possessoires et pétitoires sont des matières bien différentes, attribuées à des tribunaux bien différents aussi, et il n’est permis à personne de changer les règles de compétence à raison de la matière, les règles d’attribution judiciaire * ; la réintégrande, ou renvoi en possession, pourrait seulement être prononcée comme une conséquence de la déclaration ou attribution de propriété **. Cependant une mesure provisoire, une sorte de séquestre pourrait être prononcée en faveur de l’une des parties, jusqu’à la décision définitive sur la question de propriété. Nous trouvons un exemple d’une semblable mesure dans l’espèce d’un arrêt de la Cour de cassation, du 19 avril 1836, où nous voyons qu’un jugement de première instance avait maintenu le défendeur dans sa possession, qui n’était • ArrCt de la Cour de cassation, du 16 mars 1841, entre Mulot et Toustain-, Devilleneuve et Carette 1841-1-196; Dalloz et Journal du Palais. " Voyez ci-dessus, page 567. — 570 — pas contestée, et ordonné en même temps une mesure d’instruction avant faire droit au pétitoire. 29° 11 y a des choses qui ne peuvent jamais donner lieu qu’à l’action pétitoire, à l’exclusion de celle pos- sessoire ; encore est-il vrai, dans ce cas, que la première ne peut être que très-rarement portée devant les tribunaux avec chance de succès, parce que la question de propriété, on peut le dire, est décidée d’avance par l’autorité administrative. Lorsqu’il s’agit de déterminer les limites d’un fleuve, •d’une rivière navigable ou flottable, de la mer, d’une grande route, et de savoir si un terrain litigieux fait partie du lit, des bords de ce fleuve, de cette rivière, de la mer, du sol de la route ou des héritages riverains, des propriétés privées, c’est à l’autorité administrative à décider la question que soulève le débat, sauf recours au ministre. On reconnaît bien que les particuliers ont la faculté de porter la question de propriété devant les tribunaux, après la décision rendue par l’autorité administrative; mais c’est là plutôt une fiction qu’une réalité, un principe qui reste pour ainsi dire à l’état de théorie, et dont on n’aperçoit guère d’application pratique ; car que reste-t-il à faire en général aux tribunaux, en présence du principe qui leur défend de porter la moindre atteinte aux mesures prises par cette autorité, qui peut, ainsi que cela résulte de la jurisprudence du Conseil-d’État, fixer l’étendue du domaine public, non-seulement pour le présent, mais dans le passé, si loin qu’on le fasse remonter *, et en présence de la règle d'inaliénabilité, d’imprescriptibilité du * Arrêts du Conseil-d’État, des 31 mai 1851,3 juillet 1832. Voyez ci- dessus, Appendice, p. 307. — £>77 — domaine public? n’est-il pas évident que l’administration aura, presque toujours par le fait, tranché, d’ manière définitive, la question de propriété en faveur de l’État? Néanmoins, il peut y avoir des circonstances particulières et assurément fort rares, où l’action pétitoire ne sera pas stérile, comme celle, par exemple, où le demandeur pourra produire des titres de propriété d’une date antérieure à l’édit de 1566, c’est-ù-dire remontant à une époque où le domaine public était aliénable et prescriptible. 37 — 578 — CHAPITRE DEUXIÈME. DES CONDITIONS EXIGÉES POUR INTENTER LES ACTIONS PÉTITOIRES. SOMMAIRE ' 30“ Transition. — Objet du présent chapitre. — Cas et conditions auxquels les actions pétitoires peuvent être intentées. 31° La condition fondamentale est que le demandeur soit propriétaire. 32° Importance de la propriété.—Sa cause et ses effets. —Blackstone, Montesquieu, Treilliard, Portalis, Faure, Ballanclie, Thiers, Dalloz aîné, Armand Dalloz, Proudlion, Giraud, Pellat, Code Napoléon. 33° Nous ne sommes pas propriétaires d’héritages achetés par un tiers avec nos deniers. La propriété révocable peut autoriser l’action pétitoire. 34° Ce qu’on doit rechercher pour intenter l’action pétitoire. 33° Suite. 35° M * Dispositions du Code sur les biens et droits immobiliers. 35 ° ter Dispositions du même Code sur les divers modes d’acquisition de la propriété. 30° Propriété en Algérie et aux colonies. 37" Le demandeur au pétitoire, après s’ôtre assuré de son droit de propriété, doit examiner si son action est recevable. 38° Suite. Non recevabilité de l’action pétitoire avant jugement de l’action possessoire, et exécution complète du jugement rendu sur cette action. — Dans quels cas et contre quelles personnes. 38 » ws Suite. Développements. 39° Suite. Arrêts remarquables de la Cour d’Aix et de la Cour de cassation. 30° Observations sur ces arrêts. 31° Autres applications du principe consacré par ces arrêts. — 579 — 42° Transition. — Cas où le pètitoire a été précédé du possessoire, et cas où il n’en a pas été précédé. 43° Dans les deux cas, c’est au demandeur à faire preuve de la propriété ou du droit qu’il réclame. —Le défendeur reconnu possesseur par le seul fait qu’il y a action pètitoire n’a rien à prouver. — Articles du Code civil. 44° Motifs de cette règle. 43° Citations puisées dans le droit romain. 36° Citations puisées dans le droit français; Bourjon, Pothier, Pi- geau et autres auteurs. •17° Articles du Code civil touchant la preuve de la propriété immobilière. 48° Preuves et actes à produire par le demandeur. 49° La principale preuve est celle par titres. — Le défendeur peut opposer leur nullité. — Point de prescription contre celui qui possède. — Moyens divers en la forme et au fond. — Le demandeur doit prouver sa propriété môme dans la personne de ses vendeurs ou auteurs tant que la prescription n'est pas acquise. 30° Débats sur l’interprétation des titres respectifs. 5t° Cas où le pètitoire est facile à juger. — Titre consenti par le défendeur. 32° Mais ordinairement, il y a plus de difficultés. — Actes émanés de tiers. 33° Suite. Exemple. 54° Suite. Actes sous-seings privés n’avant pas date certaine. 55° Les actions pèlitoires portent en général sur des immeubles accessoires dépendant d’autres fonds, et d’une importance plus ou moins médiocre. — Comment et par quelle preuve les juges peuvent-ils se décider? — Jurisprudence de la Cour de cassation. 36° Cas où il n’y a pas de litres, et où il s’agit d’immeubles plus importants et séparés. — Nature des preuves; Boiceau, Danty, Argou, Pothier, Toullier, Merlin, Bonnier, Demanle. 57° Raisons qui doivent porter à maintenir les principes malgré leur apparente rigueur. 38» Conclusion. 39° Le dernier état de la jurisprudence de la Cour de cassation conforme à l’opinion de l’auteur. 00° Suite. Observations. 61° Discussion des arrêts contraires. — 580 — 62» Explication de quelques personnes sur la divergence des arrêts. — Réfutation. 63° Les tribunaux pouvant se déterminer par des présomptions tempéreront facilement ce que les principes auraient de rigoureux. 64° Les mêmes principes et la même solution applicables au défendeur. 65° Cas où les deux parties ont une possession égale. 66° Effet, quant au pétitoire, de la sentence de maintenue en possession des haies, fossés, murs, constructions et plantations, canaux artificiels, etc. 67° Même solution relativement aux servitudes et à l’accession. 68° Observations sur les choses du domaine public et les actions pèliloires dont elles peuvent être l’objet. 69° Jurisprudence textuelle de la Cour de cassation sur les preuves de la propriété. — Premier arrêt. 70° Suite. Deuxième arrêt. 71° Suite. Troisième arrêt. 72° Suite. Quatrième arrêt. 30° Nous nous sommes occupé, dans le chapitre précédent, des actions en général ; nous avons indiqué leurs différentes espèces, puis défini les actions pétitoires en particulier, expliqué leur nature, leur cause et leurs effets ; nous allons maintenant rechercher dans quels cas et surtout à quelles conditions ces actions spéciales peuvent être intentées. 31° L’action pétitoire étant la demande delà propriété, la condition fondamentale, exigée de celui qui l’intente, est qu’il soit propriétaire de la chose ou du droit qu’il revendique ou représentant de ce propriétaire. 32° Nous avons déjà indiqué, n° h du chapitre précédent, l’importance de la propriété. Nous devons revenir ici sur ce sujet avec quelques développements. Il n’y a rien qui affecte si généralement l’imagina- — S81 tion et qui attache si fort le cœur de l’homme que la propriété. » Blackstone, Lois anglaises, livre 2, chap. 1 er . Le bien public, dit Montesquieu, Esprit des lois, livre 26, chap. 14, est toujours que chacun conserve invariablement la propriété que lui donnent les lois civiles. » Il faut, disait le conseiller d’État Treilhard, dans l’exposé des motifs de la loi relative à la distinction des biens, il faut assurer le libre exercice de nos facultés, nous conserver le fruit de nos travaux et de notre industrie, il faut enfin garantir la propriété la propriété ! base fondamentale et l’un des plus puissants mobiles de la société. Qui pourrait, en effet, aspirer à la qualité d’époux, désirer celle de père, si en prolongeant notre existence au delà du trépas, nous ne transmettions pas avec elle, les douceurs qui l’ont embellie ou du moins consolée? » Quelques écrivains, disait M. Portalis, dans l’exposé des motifs sur le titre de la propriété, supposent que les biens de la terre ont été originairement communs. Cette communauté, dans le sens rigoureux qu’on y attache, n’a jamais existé ni pu exister. Méfions-nous des systèmes dans lesquels on ne semble faire de la terre la propriété commune de tous que pour se ménager le prétexte de ne respecter les droits de personne. C’est par notre industrie que nous avons conquis le sol sur lequel nous existons ; c’est par elle que nous avons rendu la terre plus habitable, plus propre à devenir notre demeure. La tâche de l’homme était, pour ainsi dire, d’achever le grand ouvrage de la création. Or, que deviendraient l’agriculture et les arts sans la propriété — 58-2 — foncière, qui n’est que le droit de posséder avec continuité la portion de terrain à laquelle nous avons appliqué nos pénibles travaux et nos justes espérances? En un mot, c’est la propriété qui a fondé les sociétés humaines; c’est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre propre existence; c’estpar elle que l’industrie de l’homme, cet esprit de mouvement et de vie qui anime tout, a été porté sur les eaux et a fait éclore, sous les divers climats, tous les genres de richesse et de puissance. Loin que la division des patrimoines ait pu détruire la justice et la morale, c’est au contraire la propriété, reconnue et constatée par cette division, qui a développé et affermi les premières règles de la morale et de la justice. Car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose. » u II est certain, disait le tribun Faure, dans son rapport au Tribunat sur la loi relative à la propriété, que la propriété est la base de tout édifice politique; qu’une des premières conditions du pacte social est de protéger et de maintenir la propriété ; que tout ce qui tient à cet objet est de la plus grande influence sur le sort des peuples, et enfin que plus les lois sur la propriété sont justes et sages, plus l’État est florissant et heureux. » La propriété, dit Ballanche, a une source divine. On peut voir aussi ce que disent, à ce sujet, M. Ch. Giraud dans ses Recherches sur la propriété chez les Grecs et les Romains; M. Pellat, de la Propriété en droit romain, M. Peinante, Cours de Code civil, et M. Thiers qui a publié vers la fin de 1848 un ouvrage très-remarquable sur la propriété, dont nous citerons quelques passages. La propriété, dit M. Thiers, est un droit, un droit sacré, comme la liberté d’aller, de venir, de penser et d’écrire; elle est aussi indispensable à l’existence de l’homme que la liberté elle-même. La propriété est un fait constant, universel, de tous les temps et de tous les pays sans exception, croissant et non décroissant; il est le plus respectable, le plus fécond de tous, le plus digne d’être appelé un droit; car c’est par lui que Dieu a civilisé le monde et mené l’homme du désert h la cité, de la cruauté à la douceur, de l’ignorance au savoir, de la barbarie à la civilisation. Le travail est le vrai fondement de la propriété. L’ardeur au travail vient en grande partie de la faculté de transmettre la propriété. La propriété n’est complète que par la faculté de la transmettre à titre onéreux ou gratuit, à titre de donation ou d’hérédité. Sans la propriété mobilière, il n’y aurait pas même de société; sans la propriété immobilière, il n’y aurait pas de civilisation. La société, les lois doivent garantir et protéger la propriété, en assurer la libre possession et la libre transmission. » Le droit de propriété, dit Proudhon, Traité du domaine public, n° 42 , doit être considéré comme la base de la société, le fondement de la civilisation et le plus ferme appui de toutes nos institutions politiques, puisque c’est par rapport à lui que la société a reçu son organisation, et qu’on ne pourrait cesser de le respecter, sans tomber de suite dans l’anarchie et le chaos de toutes les passions humaines *. » • Comme on le voit, les doctrines du professeur de Dijon diffèrent totalement de celles de son homonyme, avec lequel il ne doit pas être confondu. — 584 — La propriété est l’œuvre de la société constituée, l’expression des besoins de stabilité que la civilisation développe; elle est l’élément le plus vivant, le plus essentiel de toute société. On ne peut espérer ni ordre ni prospérité là où elle n’est pas protégée. » Dalloz aîné, Armand Dalloz, Dictionnaires , V° Propriété. La propriété est le fruit du travail, de l’économie, de la bonne conduite; l’oisiveté est au contraire la mère de tous les vices, et les vices enfantent les crimes. Les particuliers, dit l’art. 537 du Code Napoléon, ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, sous les modifications établies par les lois. La propriété, d’après l’art, 544, est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » 33° On n’est pas propriétaire d’une chose, et l’on n’a pas droit de la revendiquer, par cela seul quelle a été achetée avec des deniers qui nous appartiennent lorsque le contrat d’acquisition est passé non pas en notre nom, mais au nom et en faveur de celui qui était dépositaire de nos deniers. Nous avons seulement action contre ce dernier, en restitution des deniers et même en payement de dommages-intérêts, s’il n’a pas accompli la mission que nous lui avions donnée. Loi 6, c. de llei vind. Pothier, Molitor; arrêt du Parlement de Paris, du 7 mai 1782, Merlin, Rep. V° Revendication. Pellat, p. 424. Ce dernier auteur cite trois exceptions en faveur 1“ du militaire; 2° du pupille; 3° du conjoint qui, admises par le droit romain, ne le sont pas chez nous. Les art. 1435 et 1553 du Code civil ne sont pas contraires à notre solution; car ils supposent l’un et l’autre — 585 — que le mari a déclaré acquérir des deniers de la femme pour servir d’emploi ou de remploi, et que l’acquisition a été acceptée par elle. Une propriété imparfaite, temporaire, résoluble, peut autoriser l’action pétitoire, tant que l’événement qui doit faire cesser cette propriété n’est pas arrivé. Ainsi, qu’un immeuble soit grevé de substitution, ait été acquis à réméré ou doive être restitué en cas de non payement du prix à un terme plus ou moins éloigné accordé par le vendeur ; dans ces diverses hypothèses ou autres semblables, les juges ne pourraient refuser d’accueillir l’action. Loi 66, ff. de Iiei vind. Pothier, Molitor, Pellat. Mais les substitués ou les vendeurs ne pourraient, avant l’événement, exercer cette action, puisque jusque- là ils n’auraient aucun droit de propriété. Le nu-propriétaire, l’usufruitier, celui qui aurait droit d’usage, d’habitation, l’emphytéote, l’engagiste, l’an- tichrésiste pourraient aussi intenter cette action, dans la mesure de leurs droits et de leurs intérêts. Lorsque la chose a péri en partie, le droit de propriété ne subsistant pas moins sur la portion qui en reste, quelque minime quelle soit, cette portion peut être l’objet d’une action pétitoire, sauf à y joindre, s’il y a lieu, toute demande en indemnité et dommages-intérêts. 34° Celui qui veut intenter l’action pétitoire doit donc commencer par bien examiner et s’assurer s’il peut prouver qu’il est propriétaire de l’immeuble ou du droit foncier qu’il veut réclamer en justice. Son attention doit porter sur quatre points essentiels 1° S’agit-il d’un immeuble? 2° En a-t-il la propriété? 3“ Son action est-elle recevable? 4° Son action est-elle fondée? ou, en d’autres termes, peut-il fournir la preuve de sa propriété? A vrai — 586 — dire, le deuxième et le dernier se confondent en un seul. 35° Avant de nous occuper de la recevabilité de l’action et de la preuve de la propriété, reproduisons les dispositions du Code civil sur la distinction des biens et sur les divers modes d’acquérir la propriété. 35 ° Ms Les immeubles et droits fonciers étant seuls l’objet des actions pétitoires, il importe de rappeler les articles de loi, qui nous disent quels sont les biens et droits qui ont ce caractère. Art. 517. Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent. Art. 518. Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. Art. 519. Les moulins à vent ou à eau, fixés sur piliers, et faisant partie du bâtiment, sont aussi immeubles par leur nature. Art. 520. Les récoltes pendantes par les racines et les fruits des arbres non encore recueillis, sont pareillement immeubles, etc., etc. Art. 521. Les coupes ordinaires des bois taillis ou de futaies, mises en coupes réglées, ne deviennent meubles qu’au fur et à mesure que les arbres sont abattus. Art. 522. Les animaux que le propriétaire du fonds livre au fermier ou métayer pour la culture, estimés ou non, sont censés immeubles tant qu’ils demeurent attachés au fond3 par l’effet de la convention, etc. Art. 523. Les tuyaux servant à la conduite des eaux, dans une maison ou autre héritage, sont immeubles et font partie du fonds auquel ils sont attachés. Art. 52A-525. Objets mobiliers devenus immeubles par destination. Voyez ces articles. — 587 — Art. 526. Sont immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent l’usufruit des choses immobilières, les servitudes ou services fonciers, les actions qui tendent à revendiquer un immeuble. Art. 529. Sont meubles les obligations, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie, etc. Les rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l’État, soit sur des particuliers. Art. 530. Toute rente établie à perpétuité pour le prix de la vente d’un immeuble, ou comme condition de la cession d’un fonds immobilier, est également meuble. Art. 531. Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles. Art. 532. Les matériaux provenant de la démolition d’un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau sont meubles jusqu’à ce qu’ils aient été employés dans une construction. 35 “ ltT Nous allons maintenant rapporter les dispositions relatives à la manière dont la propriété peut s’acquérir. Art. 711. La propriété des biens s’acquiert et se transmet, par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l’effet des obligations. Art. 712. La propriété s’acquiert aussi par accession ou incorporation et par prescription. Art. 713. Les biens qui n’ont pas de maître, appartiennent à l’État. Art. 714. Il est des choses qui n’appartiennent à personne, et dont l’usage est commun à tous. Art. 538. Les chemins, routes et rues à la charge de 'État, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les — 588 — rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les parties du territoire français qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, sont considérées comme des dépendances du domaine public. Art. 539. Tous les biens vacants et sans maître, et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public. Art. 5/i0. Les portes, murs, fossés, remparts des places de guerre et des forteresses, font aussi partie du domaine public. Art. 5Al. Il en est de môme des terrains des fortifications et remparts qui ne sont plus places de guerre ; ils appartiennent à l’État, s’ils n’ont été valablement aliénés , ou si la propriété n’en a pas été prescrite contre lui. Art. 542. Les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. Art. 543. On peut avoir sur les biens ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre. Art. 546. La propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce quelle produit et sur ce qui s’y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle droit d’accession. Art. 549. Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi ; dans le cas contraire, il est tenu de rendre les produits avec la chose, au propriétaire qui la revendique. Art. 551. Tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose — 389 — appartient au propriétaire suivant les règles qui seront ci-après établies. Art. 552. La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, etc., etc. Art. 553. Toutes constructions, plantations et ouvrages, sur un terrain ou dans l’intérieur, sont présumés faits par le propriétaire, à ses frais et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé; sans préjudice, etc. Voyez, en outre, les art. et 555. Art. 556. Les atterrissements et accroissements qui se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d’un fleuve ou d’une rivière, s’appellent alluvion. L’alluvion profite au propriétaire riverain, soit qu’il s’agisse d’un fleuve ou d’une rivière navigable, flottable ou non ; à la charge dans le premier cas lorsque la rivière est navigable ou flottable de laisser le marchepied ou chemin de halage conformément aux règlements. Art. 557. Il en est de même des relais que forme l’eau courante qui se retire insensiblement de l’une de ses rives en se portant sur l’autre. Le propriétaire de la rive découverte profite de l’alluvion, sans que le riverain du côté opposé y puisse venir réclamer le terrain qu’il aperdu. Ce droit n’a pas lieu à l’égard des relais de la mer. Art. 560. Les îles, îlots, atterrissements qui se forment dans le lit des fleuves ou des rivières navigables ou flottables appartiennent à l’État, s’il n’y a titre ou prescription contraire. Art. 561. Les îles et atterrissements qui se forment dans les rivières non navigables et non flottables appartiennent aux propriétaires riverains du côté où l’île s’est formée si l’île n’est pas formée d’un seul côté, elle appartient aux propriétaires riverains des deux côtés, à — 590 — partir de la ligne qu’on suppose tracée au milieu de la rivière. Art. 562. Si une rivière ou un fleuve, en se formant un bras nouveau, coupe et embrasse le champ d’un propriétaire riverain et en fait une île, ce propriétaire conserve la propriété de son champ, encore que l’île se soit formée dans un fleuve ou dans une rivière navigable ou flottable. Art. 563. Si un fleuve ou une rivière navigable, flottable ou non, se forme un nouveau cours en abandonnant son ancien lit, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d’indemnité, l’ancien lit abandonné. Art. 57S. L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui- même, mais à la charge d’en conserver la substance. Art. 579. L’usufruit est établi par la loi * ou par la volonté de l’homme. Voyez sur les droits de l’usufruitier, depuis l’art. 582 usques et y compris l’art. 599. Art. 625. Les droits d’usage et d’habitation s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit. Art. 628-629. Ces droits se règlent par le titre qui les établit, ou dans le silence du titre par la loi. Voyez art. 630 à 636. Art. 639. La servitude dérive ou de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des conventions entre les propriétaires. On peut voir le titre du Code Napoléon, relatif aux * L’art. 381 confère aux père et mère ou au survivant d’eux l’usufruit des biens de leurs enfants jusqu’à dix-huit ans, ou jusqu’à leur émancipation. L’art. 73i leur confère aussi un usufruit à titre héréditaire. — 591 servitudes, c’est-à-dire l’art. 640 jusques et y compris l’art. 710, dont il serait trop long de rapporter ici les nombreuses dispositions. On peut voir aussi les lois spéciales des 29 avril 1845 et 11 juillet 1847, relatives aux droits de passage des eaux, et d’appui de barrage sur les fonds d’autrui. Nous renvoyons au commentaire que nous avons publié sur ces deux lois. Art. 723. La loi règle l’ordre de succéder entre les héritiers légitimes à leur défaut, les biens passent aux enfants naturels, ensuite à l’époux survivant, et s’il n’y en a pas, à l’Etat. Art. 724. Les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession les enfants naturels, l’époux survivant et l’Etat doivent se faire envoyer en possession par justice dans les formes qui seront déterminées. Voyez tout le titre 1 er du livre 3 du Gode civil, pour connaître les droits des divers héritiers, les formes et les effets du partage des biens. Art. 893. On ne pourra disposer de ses biens, à titre gratuit, que par donation entre vifs ou par testament dans les formes ci-après établies. Art. 894. La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte. Art. 895. Le testament est un acte par lequel le testateur dispose pour le temps où il n’existera plus de tout ou partie de ses biens, et qu’il peut révoquer. Voyez tout le titre 2 du livre 3. Art. 1101. Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plu- — 592 sieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Art. 113 h. Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour des causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. Art. 1165. Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’art. 1121. Art. 1265. La cession de biens est l’abandon qu’un débiteur fait de tous ses biens à ses créanciers lorsqu’il se trouve hors d’état de payer ses dettes. Art. 1266. La cession de biens est volontaire ou judiciaire. Art. 1376. Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû, s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. Art. 1379. Si la chose indûment reçue est un immeuble ou un meuble corporel, celui qui l’a reçue s’oblige à la restituer en nature, si elle existe, ou sa valeur si elle est périe ou détériorée par sa faute ; il est même garant de sa perte par cas fortuit, s’il l’a reçue de mauvaise foi. Art. 1380. Si celui qui a reçu de bonne foi a vendu la chose, il ne doit restituer que le prix de la vente. Art. 1582. La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous-seing privé. Art. 1583. Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à'l’égard du ven- — 593 — deur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. Art. 1588. La vente faite à l’essai est toujours présumée faite sous une condition suspensive. Art. 1589. La promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties. Art. 1590. Si la promesse de vendre a été faite avec des arrhes, chacun des contractants est maître de s’en départir ; Celui qui les a données, en les perdant, et celui qui les a reçues, en restituant le double. Art. 1598. Tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation. Art. 1599. La vente de la chose d’autrui est nulle ; elle peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsque l’acheteur a ignoré que la chose fût à autrui. Art. 1600. On ne peut vendre la succession d’une personne vivante, même de son consentement. Art. 1601. Si au moment de la vente, la chose vendue était périe en totalité, la vente serait nulle. Si une partie seulement de la chose est périe, il est au choix de l’acquéreur d’abandonner la vente, ou de demander la partie conservée, en faisant déterminer le prix par la ventilation. Art. 1602. Le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprête contre le vendeur. Art. 1614. La chose doit être délivrée en l’état où elle se trouve au moment de la vente. Depuis ce jour, tous les fruits appartiennent à l’acquéreur. Art. 1615. L’obligation de délivrer la chose comprend 38 — 594 — ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel. Art. 1702. L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre. Art. 1703. L’échange s’opère par le seul consentement de la même manière que la vente. Nota. La propriété peut aussi résulter d’un contrat de société. Voyez le titre 9 du livre 3. Art. 2044. La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit. Art. 2052. Les transactions ont entre les parties l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion. Art. 2219. La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi. Art. 2226. On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce. Art. 2227. L’État, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer. Art. 2262. Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. Art. 2265. Celui qui acquiert de bonne foi, et par juste titre, un immeuble, en prescrit la propriété par dix — 595 — ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la Cour impériale dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé ; et par vingt ans, s’il est domicilié hors dudit ressort. Art. 2266. Si le véritable propriétaire a eu son domicile en différents temps, dans le ressort et hors du ressort, il faut pour compléter la prescription ajouter à ce qui manque aux dix ans de présence, un nombre d’années d’absence double de celui qui manque pour compléter les dix ans de présence. Art. 2267. Le titre nul par défaut de forme ne peut servir de base à la prescription. Art. 717. du Code de procédure civile, titre de la saisie immobilière l’adjudication ne transmet à l’adjudicataire d’autres droits à la propriété que ceux appartenant au saisi. Voyez le surplus de cet article, relatif à la demande en résolution de la vente pour défaut de payement du prix. 36° Les dispositions qui précèdent ne sont qu’en partie applicables à l’Algérie. La propriété, dans cette contrée, a été depuis la conquête qui a eu lieu en 1830, dans un véritable état d’incertitude et de confusion. La conquête avait rendu le gouvernement français propriétaire du territoire ; mais des exceptions avaient été faites en faveur des particuliers indigènes qui étaient restés paisibles. Des proclamations de3 chefs militaires avaient promis que les personnes et les propriétés seraient respectées. Des ordres du jour, des arrêtés règlementaires des différents gouverneurs, des ordonnances royales, notamment celles des 1" octobre 1844, 31 octobre 1845, et 21 juillet 1846, avaient consacré une 596 — foule de dispositions, de mesures qui, ne pouvant être que provisoires, augmentaient encore les difficultés et les inquiétudes et paralysaient la propriété. L’Algérie est un pays magnifique. Le climat y est fort doux, et les terres sont riches et très-productives. Il avait trop d’importance pour ne pas provoquer la sollicitude du législateur. La constitution du 4 novembre 1848 portait, art. 109 Le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières, jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente constitution. » Le 16 juin 1851, il est intervenu une loi sur la constitution de la propriété en Algérie. Cette loi, en 23 articles, est beaucoup trop étendue pour trouver place ici en entier. Nous dirons seulement qu’elle renferme des dispositions spéciales et exceptionnelles ; qu’elle renvoie en partie au droit musulman que nous nous dispenserons de reproduire, et rend enfin applicables, quelques- unes des lois ou des dispositions qui régissent la métropole. La loi est composée de cinq titres 1° du domaine national ; 2° du domaine départemental et du domaine communal; 3° de la propriété privée; 4° de l’expropriation et de l’occupation temporaire pour cause d’utilité publique ; 5° dispositions générales. Nous rapporterons quelques dispositions relatives à la propriété privée. Art. 10. La propriété est inviolable, sans distinction, entre les possesseurs indigènes et les possesseurs français ou autres. Art. 11. Sont reconnus tels qu’ils existaient au moment de la conquête, ou tels qu’ils ont été maintenus, — 597 — réglés ou constitués postérieurement par le gouvernement français, les droits de propriété et les droits de jouissance appartenant aux particuliers, aux tribus et aux fractions de tribus. Art. 12. Sont validées vis-à-vis de l’État les acquisitions d’immeubles en territoire civil, faites plus de deux années avant la promulgation de la présente loi, et à l’égard desquelles aucune action en revendication n’a été intentée par le domaine, etc. Art. 1 4. Chacun a le droit de jouir et de disposer de sa propriété de la manière la plus absolue, en se conformant à la loi. Néanmoins, aucun droit de propriété ou de jouissance portant sur le sol du territoire d’une tribu ne pourra être aliéné au prolit de personnes étrangères à la tribu, etc. Art. 15. Sont nulles de plein droit, même entre les parties contractantes, toutes aliénations ou acquisitions faites contrairement à la prohibition portée au § 2 de l’article précédent, etc. Art. 16. Les transmissions de biens de musulman à musulman continueront à être régies par la loi musulmane. Entre toutes autres personnes, elles seront régies par le Code civil. Art. 22. Continueront à être exécutées 1° Les dispositions de l’ordonnance du 21 juillet 1846, relatives à la vérification des titres de propriété jusqu’à l’achèvement des opérations actuellement commencées; 2° L’ordonnance du 31 octobre 1845, relative au séquestre des biens appartenant à des indigènes, jusqu’à ce qu’une loi en ait autrement ordonné. Du reste, nous ferons observer, en terminant sur ce point, que la législation de la métropole constitue le droit — 598 — commun, applicable toutes les fois qu’il n’existe pas de lois contraires. Les colonies ont toujours été soumises à un régime à part ; elles ont une organisation, une administration particulière et sont régies par des lois civiles ou criminelles spéciales. La Charte de 1814, les Constitutions de 1830, de 1848, celles de 1852, le disent expressément. Un sé- natus-consulte doit prochainement régler la Constitution des colonies. Les lois de la métropole constituent le droit des colonies lorsqu’elles y ont été promulguées ou exécutées depuis longtemps. On peut voir les lois des 24 avril 1833 et 18 juillet 1845, et les autres lois, décrets, ordonnances royales, cités en note sur la première de ces lois, dans la collection de MM. Devilleneuve et Carette, t. II, p. 64, et dans les répertoires de jurisprudence de MM. Dalloz aîné et Armand Dalloz, V" Colonies. Nous ne reproduirons pas ici les dispositions législatives existantes qui peuvent être prochainement modifiées; on pourra en prendre connaissance dans les recueils que nous venons de citer, dans ceux plus anciens de MM. Petit, Durand-Molard et Moreau de Saint-Méry et dans le Bulletin des lois. Nous ferons seulement remarquer en passant que les esclaves de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de l’île Bourbon et de leurs dépendances, peuvent acquérir et transmettre les propriétés mobilières et immobilières, par tous les moyens que notre Code civil autorise, avec cette restriction cependant qu’ils sont assimilés aux mineurs émancipés, sous la curatelle de leurs maîtres ou de toutes autres personnes nommées par l’autorité judiciaire. Art. 4 de la loi du 18 juillet 1845. — 599 — 37° Celui qui veut intenter l’action pétitoire, après s’être assuré de son droit de propriété, doit examiner si son action est recevable. Or, deux cas peuvent se présenter 38° Ou l'action pétitoire a été précédée d’une action possessoire ou elle n’en a pas été précédée. Dans le premier cas, il faut sous-distinguer. Tant qu’il n’est pas intervenu jugement, l’action pétitoire est non recevable de la part du défendeur. Le demandeur lui même serait non recevable à l’intenter puisqu’il est défendu de cumuler le possessoire et le pétitoire, ce qui s’entend de l’existence simultanée des deux actions, soit devant le même juge, soit devant des juges différents; mais il pourrait, en se désistant de son action possessoire et en payant tous les frais occasionnés par cette action, se pourvoir au pétitoire. 11 se trouverait dans la même position que s’il n’avait pas agité le possessoire ou s’il y avait succombé. Ce désistement profiterait bien entendu au défendeur qui pourrait également se pourvoir au pétitoire. S’il est intervenu un jugement définitif sur le possessoire, l’action pétitoire est encore non recevable après ce jugement, tant qu’il n’a pas reçu son entière exécution de la part du défendeur qui a été condamné ; car le demandeur qui aurait succombé n’est pas frappé par la loi de la même prohibition. L’action pétitoire peut même être intentée par le demandeur ou le défendeur qui a réussi au possessoire. Le premier a pu vouloir obtenir une décision prompte et peu coûteuse qui le maintînt ou le réintégrât dans sa possession, et il peut avoir intérêt à faire décider la question de propriété pour éviter la dépréciation ou les entraves à la disposition libre et avantageuse — 600 — occasionnées par les doutes répandus sur sa propriété, ou pour obvier au dépérissement des preuves, à la privation de témoins fort âgés, ou pour obtenir des restitutions de fruits, des indemnités de dégradations que le juge de paix n’aurait pu lui accorder. 38° h* Nous avons déjà dit en traitant des actions pos- sessoires, I re part., p. 48S, qu’aux termes de l’art. 27 du Code de procédure civile, le défendeur au possessoire ne pouvait se pourvoir au pétitoire qu’après l’exécution pleine et entière de toutes les condamnations principales et accessoires prononcées contre lui par le jugement rendu au possessoire, c’est-à-dire après le payement des dommages-intérêts et dépens, le rétablissement des lieux dans leur ancien état ou la remise de la chose litigieuse en la possession de son adversaire. L’observation rigoureuse de cette disposition est d’une haute gravité, d’une extrême importance. Si les tribunaux n’y tenaient pas la main, les actions possessoires n’atteindraient pas leur but et seraient sans utilité. Les usurpateurs et les gens violents échapperaient à la répression qu’ils ont bien méritée et conserveraient les fruits de leurs méfaits ; que signifierait un jugement resté à l’état de lettre morte? D'un autre côté, si la totalité des condamnations n’était pas exécutée, si les tribunaux se relâchaient sur quelques points, sur quelque partie des condamnations, il n’y aurait pas de raison pour que la tolérance ne s’étendît à tous les chefs. Aussi l’ordonnance de 1587 contenait-elle déjà une disposition semblable à celle que nous retrouvons dans l’art. 27 du Code de procédure, et tous les auteurs qui ont écrit, soit sur l’ordonnance, soit sur le Code, n’hési- sent-ils pas à signaler comme nous l’importance de cette — 601 — disposition et à insister sur la nécessité de sa scrupuleuse application. Du reste, les tribunaux sont bien pénétrés de cette importance et de cette nécessité ; et tout récemment ils en ont donné une nouvelle preuve dans une espèce très- remarquable. Nous croyons devoir, par cette raison, reproduire avec quelque étendue l’espèce et les motifs des décisions intervenues. 39° Les époux Cliiris et d’autres riverains du cours d’eau de la Connnandaule avaient appuyé un barrage sur la rive droite de ce cours d’eau. Le sieur Martin, propriétaire de cette rive, ayant intenté action en répression du trouble apporté à sa possession et en suppression du barrage, il intervint jugement qui accueillit sa demande, et accorda toutefois un délai de quatre mois pour démolir le barrage. Avant l’expiration des quatre mois, avant d’avoir démoli le barrage, payé ou consigné les dépens dont les offres avaient été refusées comme insuffisantes, les époux Chiris et consorts se pourvurent devant le Tribunal de Draguignan pour être autorisés à appuyer un barrage sur la propriété du sieur Martin, conformément à la loi du 11 juillet 1847. Le sieur Martin opposa l’art. 27 du Code de procédure; il soutint que la demande fondée sur la loi du 11 juillet 1847 constituait une action pétitoire qui ne pouvait être formée avant l’entière exécution des condamnations prononcées sur la complainte. Jugement qui repousse la fin de non recevoir, parce qu’il ne s'agit plus de la même chose, que les sieurs Chiris et consorts demandent, non le maintien du barrage qui a fait l’objet de la complainte, mais l’usage — 60'2 d’une faculté à eux accordée par la loi du 11 juillet 1847 ; qu’ils ont offert de le démolir à l’expiration des quatre mois et de payer les dépens. Appel par le sieur Martin devant la Cour d’Aix, et le 27 mai 1850 arrêt infirmatif, ainsi conçu Considérant que, d’après l’art. 27 du Code de procédure, le défendeur au possessoire qui a succombé ne peut se pourvoir au pétitoire qu’après avoir pleinement satisfait aux condamnations prononcées contre lui ; qu’il suit de là que Claris et consorts, défendeurs au possessoire, ayant succombé dans l’action intentée contre eux par Martin, ne pouvaient se pourvoir au pétitoire qu’après avoir pleinement satisfait aux condamnations contre eux prononcées par le jugement du 21 décembre 1849, c’est-à-dire 1° Avoir payé les dépens de première instance et d’appel concernant l’action possessoire; 2° avoir démoli le barrage en maçonnerie par eux construit sur le bord de la propriété de Martin, riverain de la Commandaule, et avoir rétabli les lieux dans leur ancien état ; considérant, en ce qui touche les dépens, que, par exploit du 29 janvier 1850, Chiris et consorts ont offert à ce sujet une somme de 80 fr. que Martin a refusée ; que les offres n’ont été ni déclarées bonnes et valables, ni consignées ; qu’elles n’ont donc pu libérer les débiteurs; que, dès lors, le jugement définitif sur le possessoire n’a pas été exécuté quant aux dépens ; considérant, en ce qui touche la démolition du barrage en maçonnerie et le rétablissement des lieux dans leur ancien état, que le jugement accordait un délai de quatre mois pour y procéder ; que cette disposition, bien qu'elle ne soit ni justifiée ni justifiable, n’a point été attaquée par les voies légales ; qu’elle devait donc être exécutée — 603 — en ce sens que, tant que le délai accordé n’était point expiré, Martin n’aurait pu contraindre Chiris et consorts à démolir le barrage et à rétablir les lieux dans leur ancien état ; mais que s’ils voulaient se pourvoir au péti- toire avant l’expiration des quatre mois, ils étaient tenus de renoncer au délai qui leur avait été octroyé, et d’exécuter le jugement du 21 décembre, puisque autrement il faudrait dire que les magistrats les avaient autorisés à se pourvoir au pétitoire avant d’avoir pleinement satisfait aux condamnations prononcées contre eux par le même jugement, et à violer ainsi manifestement les dispositions prohibitives de l’art. 27, Code de procédure civile, ce qu’il n’est pas permis de supposer; considérant qu’il est établi que les demandeurs au possessoire n’avaient point satisfait aux condamnations prononcées contre eux par le jugement du 21 décembre, ni quant aux dépens, ni quant aux travaux à exécuter, soit lorsqu’ils se sont pourvus au pétitoire par exploit du 29 janvier 1850, soit même lorsque le jugement dont est appel a été rendu le 25 février suivant ; qu’ils doivent donc être déclarés non recevables dans leur action pétitoire, conformément à l’art. 27, Code de procédure civile; considérant que les premiers juges, sans méconnaître les dispositions de cet article qu’ils reproduisent dans leur décision, ont refusé de les appliquer à la cause, parce que, suivant eux, la demande au pétitoire n’a pas pour objet la chose même sur laquelle il y a eu litige au possessoire ; considérant que le fait qui a donné lieu à l’action possessoire est la construction par Chiris et consorts dans le lit de la rivière de Commandaule, d’un barrage en maçonnerie dont l’extrémité, aboutissant à la rive droite, était appuyée sur une propriété appartenant au — 604 — sieur Martin ; considérant que l’action pétitoire intentée par Cliiris et consorts a pour objet, suivant leurs conclusions transcrites dans les qualités du jugement dont est appel, d’être autorisés à appuyer sur la rive droite de la Commandaule, tenant au fonds de Martin, un barrage en bâtisse, etc. » Pourvoi en cassation, par les époux Chiris et consorts, pour fausse application de l’art. 27 du Code de procédure et violation de l’art. 1 er de la loi du 11 juillet 18/i7, en ce que l’arrêt attaqué a considéré comme une action pétitoire, régie par l’art. 27 du Code de procédure, la demande tendant à être autorisé à exercer, moyennant indemnité, le droit conféré par l’art. 1 er de la loi du 11 juillet 1847. On soutenait pour les demandeurs que l’art. 1 er de la loi du 11 juillet 1847, qui donne à tout riverain la faculté d’appuyer, moyennant indemnité, des ouvrages d’art sur la propriété du riverain opposé, ne conférait pas ce droit d’une manière absolue et à titre de droit de propriété, puisqu’il exige une indemnité; d’où l’on concluait que le recours à la loi du 11 juillet 1847 n’était pas une action pétitoire, dans le sens de l’art. 27 du Code de procédure, et que dès lors la demande était recevable, bien que les condamnations prononcées au possessoire n’eussent pas été exécutées. Arrêt. — La Cour; attendu qu’aux termes de l’art. 27 du Code de procédure civile, ledéfendeur au possessoire qui a succombé ne peut se pourvoir au pétitoire qu’après avoir pleinement satisfait aux condamnations prononcées contre lui ; que, sur la demande du défendeur en cassation, afin d’être maintenu dans la possession annale du terrain, dont les demandeurs en cassation s’étaient emparés pour l’établissement d’un barrage en maçonnerie — 605 — sur la rive droite de la Commandaule, un jugement définitif rendu par le Tribunal civil de Draguignan, le 21 décembre 1849, avait condamné lesdits demandeurs en cassation, défendeurs au possessoire, à rétablir les lieux dans leur ancien état ; que l’action intentée par ces derniers, le 29 janvier 1850, était une action pétitoire, puisqu’elle tendait à faire consacrer le droit qu’ils réclamaient d’appuyer un barrage en maçonnerie sur la propriété de leur adversaire, droit qu’ils fondaient sur un titre, c’est-à-dire sur la loi du 11 juillet 1847 ; que cette action pétitoire s’appliquait au même objet que la voie de fait qui avait donné lieu à l’action possessoire; attendu qu’il est déclaré, en fait, par l’arrêt attaqué, que les demandeurs n’avaient pas pleinement satisfait aux condamnations prononcées contre eux, par le jugement sur le possessoire, lorsqu’ils se sont pourvus au pétitoire ; d’où il suit qu’en les déclarant non recevables dans leur demande au pétitoire, la Cour d’appel, par l’arrêt attaqué, n’a pas commis d’excès de pouvoir, n’a pas violé l’art. 1 er de la loi du 11 juillet 1847, et a fait une juste application de l’art. 25 du Code de procédure civile, rejette, etc. *. 40° Nous insisterons sur les circonstances de fait de cette affaire qui étaient bien favorables au demandeur au pétitoire, mais qui n’ont pas fait et ne pouvaient pas faire fléchir le principe général nous dirons même d’ordre public consacré par l’art. 27 du Code de procédure. En effet, nous avons vu qu’un délai de quatre mois avait été accordé aux défendeurs à la complainte pour démolir le barrage, qu’ils avaient fait offres réelles pour ' AmH du 25 août 1852, chambre civile. 606 — les frais et offert en outre de démolir le barrage à l’expiration des quatre mois. Il paraît bien aussi que le premier barrage avait été construit antérieurement à la loi du 11 juillet 1847, et que le nouveau ne devait pas être établi au même emplacement que le premier. La question avait paru grave ; elle avait été décidée dans un sens, par le Tribunal de Draguignan, et dans un sens différent par la Cour d’Aix. Enfin la Chambre des requêtes de la Cour de cassation avait admis le pourvoi ; mais la Chambre civile, après une discussion contradictoire, l’a rejeté, et nous sommes très-convaincu que sa décision et celle de la Cour d’Aix sont tout à fait dans les vrais principes de la matière. 41° Ainsi donc, si un particulier, après avoir succombé dans une instance possessoire à lui intentée, et lors de laquelle il aurait prétendu être en possession d’un droit de passage sur le fonds d’autrui, ou d’un droit d’y faire passer les eaux qu’il destinait à l’exploitation de ses héritages ou même aux besoins de sa maison, aux besoins des hommes et des animaux, ou d’appuyer un barrage de prise d’eau, sur la rive opposée à son héritage, voulait plus tard demander le passage en cas d’enclave, le droit d’aqueduc ou d’appui de barrage de prise d’eau, il serait dans l’indispensable nécessité d’exécuter au préalable et de la manière la plus complète toutes les condamnations prononcées par le jugement possessoire, et cela lors même qu’il ne demanderait pas à exercer ces divers droits de servitude sur le même emplacement que celui dont il s’est agi dans l’instance possessoire ; car dès que ce serait le même fonds, la loi serait évidemment applicable ; autrement il suffirait pour — 607 — en éluder l’application de changer un peu l’emplacement de la servitude, même en le rappelant près de l’ancien. Enoncer un pareil résultat, c’est réfuter suffisamment le système qui le produit et en démontrer toute l’injustice. 42° Dans les numéros qui précèdent, nous avons raisonné en général dans l’hypothèse où il y aurait eu jugement de maintenue ou de réintégrande en faveur du demandeur ; mais il se peut aussi, et même il arrivera fréquemment que l’action pétitoire n’ait pas été précédée d’une action possessoire, ou qu’elle ait été repoussée. 43° Dans tous les cas, c’est au demandeur au pétitoire à démontrer, à prouver sa propriété d’une manière claire, évidente, soit par des titres, soit par la loi, soit par la prescription. Il ne lui suffirait pas de contester les droits du défendeur, d’établir même qu’il n’en a aucun; car prouver que le défendeur n’est pas propriétaire, ce n’est pas prouver que le demandeur l’est lui-même, et le défendeur ne doit être évincé que par le vrai propriétaire qui seul a le droit de l’attaquer ; il lui suffit de dire possideo quia possideo; en l’assignant au pétitoire, on a reconnu sa possession au moins actuelle. Or, melior est causa possidentis. On est toujours, dit l’art. 2230, censé posséder pour soi et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a possédé pour un autre; le demandeur doit donc prouver que son adversaire n’a pas possédé pour lui et à titre de propriétaire, en démontrant que la propriété lui appartient. C’est au surplus ce que disent l’art. 1315, qui impose la preuve à tout demandeur, et l’art. 1352, portant que la présomption légale dispense de toute preuve, celui au profit duquel elle existe. Or, nous avons vu que la pos- — 608 — session établit précisément une présomption légale de propriété en faveur du défendeur. 44° Il y a donc deux raisons décisives de cette solution ; d’abord en l’assignant au pétitoire, on avoue en général sa possession, sauf le cas, fort rare d’ailleurs, où le demandeur au pétitoire aura préalablement obtenu un jugement possessoire, et, comme nous l’avons dit, il y a présomption que celui qui possède a la propriété. Ensuite, c’est que tout demandeur est tenu d’établir sa demande, ses droits particuliers, sans pouvoir, nous le répétons, se borner à alléguer, à prouver même que son adversaire n’en a aucuns. C’est ce que nous allons démontrer à l’aide de textes du droit romain ou de l’opinion des commentateurs. 45° lies aliénas possidens, licet justam tenendi causant nullatn habeat, non nisi snarn intentionem implenti restituera cogitur. L. 28, Code de rei vindicat. Melior est causapossidentis.L. 126. ff. deregulisjuris. Jn pari causa posscssor potior haberi debet L. 128 ibid. qui accusare volunt, probationes habere debent cum neque juris, neque æquitatis ratio permittat, ut alienorum ins- trumentorum inspiciendorum polestas fiei'i debeat. Adore enim non probante, qui convenitur etsi niliil ipse præstat, obtinebit. L. h, C. de Edendo. Et incumbit probatio, ei qui dicit, non ei qui negat. L. 2, ff. de prob. et prœsomp. Quant adores habentur. L. 125, ff. de R. fur. Favorabiliores rei potius semper nécessitas probandi incumbit illi qui agit L. 21 eodem. 46“ Bourjon, t. II, p. 515, s’exprime ainsi Quant aux actes qui doivent fonder cette poursuite, les titres de propriété forment sa base; c’est la propriété qu’on y revendique; il faut donc la justifier par des titres qui — 609 — prouvent qu’elle réside dans la personne de celui qui l’exerce et celui qui l’a intentée, c’est-à-dire le demandeur au pétitoire, doit le premier justifier de ses titres ; c’est à quoi tout demandeur est assujetti; en effet, sans une telle justification, la demande tomberait d’elle-même comme n’ayant aucun appui; c’est droit commun; c’est le fondement de cette action, sans lequel elle croulerait d’elle-même. En effet, le défendeur ayant pour lui la présomption qui résulte de sa possession, encore qu’elle n’eût pas subsisté pendant tout le temps requis pour acquérir prescription, n’est obligé de justifier des siens que pour se défendre et pour balancer ceux qu’on lui oppose ; ce n’est donc qu’en second qu’il doit justifier de ses titres; par conséquent, si le demandeur au pétitoire ne justifie pas de titres suffisants, il doit être débouté de sa demande, encore que le défendeur n’en fasse apparoir aucun ; de là il résulte que celui qui n’a aucun titre ne peut former cette action ni poursuivre un possesseur pour justifier de son titre, parce que cette action n’est pas une action publique, et que celui qui n’a pas de titre, ne peut fouiller dans ceux d’un autre ni les critiquer, ce qui le rend à cet égard, sans action ; l’équité comme le maintien de l’ordre public ont conduit là. Il y a grande différence entre les actions pétitoire et possessoire. L’action pétitoire n’a pour objet que la propriété, au lieu que la complainte n’a pour objet que la possession, ce qui différencie beaucoup l’une de l’autre; de là il suit que l’action pétitoire n’apporte aucun trouble dans la possession, puisqu’elle ne tend qu’à faire juger dans la personne de qui la propriété de la chose réside ; ce que l’on a déjà observé, et qu’il est bon de 39 — 610 — reprendre ici pour les conséquences. En effet, on ne considère pas dans cette action, la possession de l’héritage dont la propriété est contestée ; le juge ne fonde sa décision que sur les titres de propriété ; ce sont les titres seuls qui peuvent déterminer dans la personne de qui réside la propriété, au lieu que dans la complainte on ne considère que la possession à laquelle cet examen ne donne aucune atteinte; c’est de la propriété dont il s’agit; ce sont les titres de propriété qui décident. » Pigeau, Procédure du Châtelet, t. I er , p. 110 et 117, s’exprime ainsi Chacun ayant intérêt de jouir de ce qui lui appartient, on doit présumer, jusqu’à la preuve contraire, qu’il n’abandonne guère son bien, et que, par conséquent, tout possesseur est propriétaire. C’est sur cette présomption qu’est fondée la maxime Possession vaut titre, jusqu’à la preuve du contraire. » La présomption étant plus pour le détenteur que pour celui qui réclame, et la présomption devant seule guider, tant que l’on n’a pas encore de preuve, on doit laisser la possession de la chose plutôt au premier qu’au second, jusqu’à ce que les juges en ordonnent autrement. a De ces deux maximes que possession vaut titre, jusqu’à la preuve du contraire, et qu’il n’est pas permis de se faire justice à soi-même, s’est formée une troisième que nous développerons ici, qui est, que les parties doivent rester avec les mêmes avantages qu’avant le procès, jusqu’à ce que la justice en ait autrement disposé. » Le même auteur, page 42, dit encore Tout demandeur doit prouver sa prétention, actori incumbit onus probandi, sinon sa demande est rejetée, suivant cet — 611 — axiome vulgaire Actore non probante, reus absolvitur. » L’auteur reproduit la même doctrine dans son Cours de procédure civile. On peut ajouter, aux autorités qui précèdent, quelques-unes de celles par nous citées dans le chapitre précédent. Aux n° 320 et 321, de la Revendication, Pothier dit encore Après que le défendeur, qui par l’exploit de demande est reconnu posséder l’héritage pour lequel il est assigné, a défendu à la demande, le procès s’instruit et se décide par l’examen des titres respectifs des parties. Lorsque ceux produits par le demandeur ne sont pas suffisants pour justifier le domaine de propriété qu’il prétend avoir de l’héritage revendiqué, le défendeur n’a besoin d’en produire aucuns. Le défendeur ne doit pas être dépossédé pendant le procès; il doit continuer de jouir librement de l’héritage revendiqué, jusqu’à ce qu’il intervienne une sentence définitive dont il n’y ait pas d'appel qui juge que l’héritage appartient au demandeur et qui condamne le défendeur à le lui délaisser. Si le possesseur était appelant de cette sentence, il continuerait de jouir librement de l’héritage jusqu’à l’arrêt définitif. » 47° Nous arrivons plus spécialement au mode de preuve de la propriété ou du droit foncier objet du litige. Voyons sur cela les dispositions du Code Napoléon. Art. 1315. Celui qui réclame l’exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. — 612 — Art. 1316. Les règles qui concernent la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l’aveu de la partie et le serment, sont expliquées dans les sections suivantes Art. 1317. L’acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics, ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé et avec les solennités requises. Art. 1318. L’acte qui n’est point authentique par l’incompétence ou l’incapacité de l’officier ou par un défaut de forme, vaut, comme écriture privée, s’il a été signé des parties. Art. 1319. L’acte authentique fait pleine foi de la convention qu’il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayant-cause. Néanmoins, en cas de plainte en faux principal, l’exécution de l’acte argué de faux sera suspendue par la mise en accusation; et en cas d'inscription de faux, faite incidemment, les tribunaux pourront, suivant les circonstances, suspendre provisoirement l’exécution de l’acte. Art. 1320. L’acte, soit authentique, soit sous-seing privé, fait foi entre les parties, même de ce qui n’y est exprimé qu’en termes énonciatifs, pourvu que l’énonciation ait un rapport direct à la disposition. Les énonciations étrangères à la disposition ne peuvent servir que d’un commencement de preuve. Art. 1321. Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes elles n’ont point d’effet contre les tiers. Art. 1322. L’acte sous-seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, — 613 — entre ceux qui l’ont souscrit, et entre leurs héritiers et avant-cause, la même foi que l’acte authentique. Art. 1323. Celui auquel on oppose un acte sous-seing privé est obligé d’avouer ou de désavouer formellement son écriture ou sa signature. Ses héritiers ou ayant-cause peuvent se contenter de déclarer qu’ils ne connaissent point l’écriture ou la signature de leur auteur. Art. 132/j. Dans le cas où la partie désavoue son écriture ou sa signature, et dans le cas où ses héritiers ou ayant-cause déclarent ne les point connaître, la vérification en est ordonnée en justice. Art. 1325. Les actes sous-seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques, ne sont valables qu’autant qu’ils ont été faits en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct. Il suffit d’un original pour toutes les personnes ayant le même intérêt. Chaque original doit contenir la mention du nombre des originaux qui en ont été faits. Néanmoins, le défaut de mention que les originaux ont été faits doubles, triples, etc., ne peut être opposé par celui qui a exécuté de sa part la convention portée dans l’acte. Art. 1326. Le billet ou la promesse sous-seing privé, par lequel une seule partie s’engage envers l’autre à lui payer une somme d’argent ou une chose appréciable, doit être écrit en entier de la main de celui qui le souscrit ; ou du moins il faut qu’outre sa signature il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé, portant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose ; Excepté dans le cas où l’acte émane de marchands, eu — artisans, laboureurs, vignerons, gens de journée et de service. Art. 1328. Les actes sous-seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire. Art. 1330. Les livres des marchands font preuve contre eux ; mais celui qui en veut tirer avantage ne peut les diviser en ce qu’ils contiennent de contraire à sa prétention. Art. 1334. Les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. Voyez aussi les art. 1335 et 1336 sur la force des copies, quand le titre original n’existe plus, et sur celle des transcriptions d’actes dans un registre public. Voyez, en outre, les art. 1337 et 1338 sur les actes de confirmation ou ratification. Art. 1339. Le donateur ne peut réparer par aucun acte confirmatif les vices d’une donation entre vifs; nulle en la forme, il faut qu’elle soit refaite en la forme légale. Art. 1340. La confirmation, ou ratification, ou exécution volontaire d’une donation par les héritiers ou ayant- cause du donateur après son décès emporte leur renonciation à opposer, soit les vices de forme, soit toute autre exception. Art. 1341. Il doit être passé acte devant notaires ou sous signature privée, de toutes choses excédant la somme ou valeur de cent cinquante francs, même pour — 615 — dépôts volontaires; et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de cent cinquante francs; Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. Art. 1348. Elles reçoivent encore exception toutes les fois qu’il n’a pas été possible au créancier de se procurer une preuve littérale de l’obligation qui a été contractée envers lui. Cette seconde exception s’applique 1° Aux obligations qui naissent des quasi-contrats et des délits ou quasi-délits; 2“ Aux dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, ruine, tumulte ou naufrage, et à ceux faits par les voyageurs en logeant dans une hôtellerie, le tout suivant la qualité des personnes et les circonstances du fait ; 3° Aux obligations contractées en cas d’accidents imprévus où l’on ne pourrait pas avoir fait des actes par écrit ; 4° Au cas où le créancier a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d’un cas fortuit, imprévu et résultant d’une force majeure. Art. 1349. Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. Art. 1350. La présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits. Tels sont 1° Les actes que la loi déclare nuis, comme présumés faits en fraude de ses dispositions, d’après leur seule qualité; 1 — 616 — 2° Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées; 3° L’autorité que la loi attribue à la chose jugée ; h° La force que la loi attache à l’aveu de la partie ou à son serment. Art. 1351. L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. 11 faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parlies, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Art. 1352. La présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. Nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annulle certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire, et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. Art. 1353. Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. 48° Les textes de loi ainsi reproduits, voyons l’application dont ils sont suscepiibles. Le demandeur au péti- toire peut être propriétaire à titre héréditaire, ou en vertu d’une donation entre vifs ou testamentaire, d’une vente, d’un échange, d'une société, de l’accession, de l’incorporation, de la seule force de la loi ou de la près- — 617 — cription. Celui qui demande la propriété ou la copropriété d’un immeuble ou un droit d’usufruit, d’usage, d’habitation, de servitude sur un immeuble doit donc produire, soit les actes de l’Etat civil et autres actes qui établissent sa généalogie et son degré de parenté avec celui de la succession duquel il s’agit, soit l’acte de donation, de testament, de vente, d’échange, de société, de transaction ou invoquer la prescription, l’accession, les articles de loi sur lesquels il se fonde et prouver les faits qui, à défaut de titres, appuient et justifient ses droits. Remarquons en passant que deux arrêts de la Cour de cassation, des 5 avril 1837 et 1 er décembre 1840 Devil. et Carr., 1S37-1-434, 1847-1-200, ont décidé de la manière la plus formelle que la prescription ne court pas contre celui qui possède et qui peut toujours, quel que •f soit le laps de temps écoulé, opposer la nullité d’un acte en vertu de la maxime quœ sunt temporalia ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum. 49° La preuve que l’on a toujours considéré comme la principale et qui est la plus ordinaire, est celle par titres, autrement dite preuve littérale. Le défendeur contre lequel des titres sont invoqués, peut opposer qu’ils sont nuis, soit pour vice de forme comme s’il s’agit d’une donation entre vifs faite par acte sous-seing privé, soit pour incapacité de la personne qui les a souscrits comme s’ils l’ont été par une femme mariée non autorisée, par un mineur, par un interdit, soit enfin qu’ils émanent à non domino. 11 serait par trop facile en effet au premier aventurier venu de dépouiller un possesseur ou détenteur, d’échapper à l’obligation imposée à tout demandeur de justifier sa prétention, et de se faire déclarer propriétaire par la — 618 — justice en se faisant souscrire de pareils actes qu’on obtiendrait facilement de la faiblesse ou de la collusion des personnes que nous avons désignées. Nous croyons même, relativement à l’acte souscrit à non domino , que si cet acte ne faisait aucune mention des titres de propriété dans la personne du demandeur au pétitoire, et si celui-ci ne justifiait pas de l’existence du droit de propriété en la personne de son auteur, il devrait être débouté de sa demande, puisque l’aliénation de la chose d’autrui est nulle ; que c’est à lui de faire toutes les justifications nécessaires; que le défendeur ne doit pas être tenu de prouver un fait négatif, non pas parce qu’il serait impossible de prouver un fait de cette nature *, mais parce qu’il est plus facile de prouver une affirmation, et qu’il est plus naturel et plus juste que celui qui fait l’affirmation comme base de son droit soit tenu de la justifier. Ces principes seraient applicables lors même que l’auteur serait une commune, un département ou l’Etat ; il n’y aurait d’exception, quant à l’Etat, que s’il s’agissait de biens nationaux dont, comme on sait, la vente est valable lors même qu’elle comprend le bien d’autrui. Ainsi donc le demandeur est obligé de justifier de son droit de propriété non-seulement dans sa personne, mais encore dans celle de son auteur ou même des prédécesseurs de celui-ci, tant que la prescription de dix ou vingt ans, avec bonne foi, établie par les art. 2200, 2265 et 2267 du Code civil, n’est point accomplie ; autrement il suffirait de s’entendre avec un tiers complaisant qui * M. le professeur Bonnier, dans son remarquable ouvrage sur la nature des preuves judiciaires, démontre en effet qu’une preuve négative n’est pas impossible. — 619 — n’aurait aucun titre pour se faire créer par lui des droits qu’il n’avait pas lui-même. Nous n’admettons pas les dispositions de la loi romaine la loi publicienne, qui accordait l’action en revendication à celui qui, à un titre nul ou émané du non-propriétaire, joignait une possession de l’objet litigieux antérieure à la possession actuelle d’un tiers, et quoi qu’il n’eût point encore acquis la prescription ou l’usucapion. Cette loi lui donnait la préférence sur le possesseur actuel, parce que s’il n’avait pas acquis ou prescrit, il était en voie, en chemin d’acquérir. Mais la loi française a voulu établir une règle absolue, et la généralité de ses expressions dans les articles par nous cités, démontre de la manière la plus péremptoire, qu’elle repousse l’exception tirée de la loi publicienne. 50“ Indépendamment de la contestation que le défendeur peut élever sur la validité et la force des titres produits par le demandeur, contestation que celui-ci peut également élever sur ceux qui seraient invoqués par le défendeur, un débat sérieux peut naître entre les parties sur l’interprétation et l’application de leurs titres respectifs. Un débat de cette nature est entièrement abandonné aux lumières et à la consciencieuse appréciation des magistrats qui, dans leur décision à cet égard, se conformeront aux règles d’interprétation tracées par notre Code civil. On conçoit que l’extrême diversité des espèces, la variété infinie des stipulations, des expressions techniques ou de localité et des usages des différents pays où les conventions ont pu être passées, nous dispensent et nous empêchent d’entrer sur ce point dans des développements ou même dans la citation de quelques exemples qui seraient d’ailleurs san6 utilité. — 6-20 — 51° Lorsque le demandeur invoque un titre d’acquisition émané de la personne contre laquelle son action pé- titoire est dirigée, ou de celui quelle représente, le procès est ordinairement facile à juger. I,c demandeur ne peut eu effet avoir de titre plus péremptoire, et il ne peut plus guère y avoir de débat que sur le sens ou l’interprétation des conventions des parties, à moins que l’acte ne soit attaqué incidemment par le défendeur pour une des causes déterminées par la loi. 52° Mais il est rare que la situation soit aussi simple, aussi nette que dans l’hypothèse que nous venons de présenter. Le plus ordinairement, les actes produits émaneront de tiers dont le défendeur ne sera pas le représentant, et alors la difficulté sera plus grande pour que la justice puisse en admettre l’efficacité contre le défendeur, puisque, comme nous l’avons déjà dit, avec l’art. 1165, les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes. 53° La première hypothèse à prévoir est celle-ci il se pourra que le demandeur et le défendeur aient acquis le même immeuble, le même droit foncier, de la même personne. Dans ce cas les lois romaines, sans s’attacher à la date des actes, accordaient la préférence à celui qui avait été mis en possession, parce que ces lois ne reconnaissaient la transmission de la propriété que du jour de la tradition ; mais chez nous la vente étant parfaite du jour du contrat, quoiqu’il n’y ait eu encore ni tradition, ni payement du prix art. 1583, l’acquéreur, le premier en date, serait préféré, quoique le second acquéreur eût été mis en possession ; cette décision s’entend toutefois sauf les cas de fraude qui font toujours exception. — 651 — 54° 11 y aurait exception dans le cas où le premier acte serait sous-seing privé et n’aurait pas acquis date certaine, de Tune des manières spécifiées dans l’art. 1328 du Code civil, avant le second. Si celui-ci était authentique ou si étant sous-seing privé il avait acquis date certaine avant le premier, il serait préféré et la partie qui voudrait invoquer ce premier acte ne serait pas fondée, pour le faire valoir, à opposer que le second acquéreur en avait connaissance, même qu’il avait été exécuté en partie ; car un acte sous-seing privé ne peut avoir de date certaine, d’existence à l’égard des tiers que par l’un des modes énoncés dans l’article précité, dont les dispositions sont limitatives *. 55° La plupart des actions pétitoires portent sur des objets accessoires à des immeubles et d’une importance plus ou moins médiocre, comme une avenue, un terrain vague, un sentier d’exploitation, des fossés ou aqueducs, des caves, de petits bâtiments. Nous en voyons des exemples dans les espèces de divers arrêts de la Cour de cassation. Ainsi par arrêt du 18 avril 1831, Hémas contre Patu- rel, il y a eu rejet du pourvoi ; les tribunaux avaient adjugé à Paturel la propriété d’un petit terrain existant entre les héritages respectifs, en se fondant notamment sur des circonstances de localité qui établissaient que ce terrain était une dépendance de son fonds. Décision semblable dans l’espèce d’un arrêt du 31 juillet 1832, commune de Pressigny contre le sieur Perrot, C Arrêt de la Cour de cassation, du 27 mai 1823. Voyez aussi la nouvelle collection d’arrêts do MM. de Villeneuve et Carette, et les dictionnaires de MM. Dalloz aîné et Armand Dalloz, V° Actes sous-seing privé , où ils citent de nombreux arrêts de Cours d’appel conformes. — 622 — auquel un petit terrain vague, appelé Butte du château, avait été adjugé comme dépendance de ce château. Troisième décision semblable dans l’espèce d’un arrêt du 20 novembre 183â, entre les sieurs Michaud et Laroche. Les tribunaux ont adjugé au sieur Michaud la propriété d’un petit terrain, comme dépendance des fonds de celui-ci, auxquels il était contigu, tandis qu’il était séparé par une rivière des héritages du sieur Laroche. Nous concevons que dans ces cas, quoique les contrats ne s’expliquent pas positivement sur ces objets, et que même la possession propre à faire acquérir la prescription ne puisse pas être constatée d’une manière certaine, les tribunaux en adjugent la propriété à l’une ou l’autre des parties même au demandeur déjà reconnue propriétaire de la chose principale, en interprétant les titres, les circonstances de localité auxquelles le législateur a attaché une certaine importance, puisqu’il a, par le Code de procédure, consacré, comme moyens d’instruction et de preuve, les visites de lieux par la justice et les expertises; nous comprenons aussi qu’ils se déterminent par la règle de l’accession, par celle des accessoires ou dépendances de la chose principale, pourvu toutefois qu’on ne fasse usage de tous ces moyens de décision qu’avec réserve, et sans jamais en abuser. 11 arrive même assez communément que les contrats, après avoir désigné la chose principale qui en fait l’objet, ajoutent la clause générale des circonstances et dépendances. Les juges doivent être autorisés à rechercher en quoi elles consistent. On ne peut pas dire en ce cas qu’ils ont transgressé le principe qui impose au demandeur la nécessité de la preuve de sa propriété, par titre, par la loi, par la prescription, et qui réputé le défendeur pro- — 623 — priétaire tant que son adversaire n’a point prouvé sa propriété d’une manière légale. 56° Mais la solution ne doit-elle pas être différente lorsque le débat roule sur des immeubles importants et isolés, et lorsqu’il est reconnu que le demandeur n’a pas de titres, ou, ce qui revient au même, qu’ils sont insignifiants ou nuis, qu’il ne peut invoquer ni la règle des accessoires, des circonstances et dépendances, ni des dispositions légales comme celles relatives à l’usufruit des père et mère sur les biens de leurs enfants mineurs, aux servitudes sur les fonds voisins, lorsque le débat s’élève à l’occasion d’un domaine, d’un bois, d’une maison d’une certaine importance et entièrement séparés des autres propriétés des parties, et qu’enfin, la seule ressource qui puisse lui rester est d’invoquer la prescription de trente ans sans titre ou de dix et vingt ans, avec titre et bonne foi? Dans ce cas, les juges peuvent-ils, en se fondant sur ce qu’aucune des parties n’a de titres, comme cela est déjà arrivé et comme nous en verrons des exemples dans l’espèce des arrêts que nous citerons tout à l’heure, sur ce que le demandeur a une possession plus ancienne que le défendeur, accueillir l’action pétitoire sans déclarer formellement qu’il a une possession constitutive de la prescription ? Nous ne le pensons pas et nous ne pouvons donner notre assentiment aux arrêts qui renferment de semblables décisions. Nous l’avons déjà dit, les auciens principes, les articles 1315 et 1341 du Code civil, imposent au demandeur le fardeau de la preuve, veulent qu’il soit passé acte de toutes choses ou valeurs excédant cent cinquante francs, — au — défendent dans ce cas la preuve par témoins ou par présomptions, et interdisent pour toute valeur la preuve contre et outre le contenu aux actes ; ce n’est donc pas seulement, par la raison qu’une action pétitoire est un aveu de la possession de celui qu’on attaque, que le demandeur est tenu de prouver par titre sa propriété ; c’est aussi et principalement parce que c’est là un principe général, une obligation imposée à tout demandeur, dans tous les procès de quelque nature qu’ils soient. Sans doute, il y a une exception pour les faits dont on n’a pu se procurer la preuve, ou qui n’ont pu être constatés par écrit. Il est même assez généralement reconnu que l'art. 13/jl ne s’applique qu’aux choses qui font ordinairement la matière des conventions, ou à ceux qui y ont été parties, mais non aux faits. Une possession de trente, de dix ou vingt ans, une construction, une plantation, sont dans ce cas ; mais si alors la loi admet la preuve testimoniale et les présomptions simples, toujours est-il indispensable que la preuve soit faite. Il faut en effet distinguer entre le mode de preuve et la chose à prouver. La dispense, l’exception ne porte que sur le mode, mais non sur la preuve en elle-même. La loi ayant consacré formellement les diverses manières d’acquérir la propriété, et l’énonciation quelle en fait étant nécessairement limitative, les tribunaux ne pourraient s’en écarter pas plus pour y ajouter que pour en retrancher. Voyez Boiceau, Danty, Argon, Pothier, Toul- lier, Merlin, Damante et Bonnier, sur les cas où la preuve testimoniale et les présomptions sont admises. On ne pourrait admettre en effet que les tribunaux eussent la faculté de déclarer propriétaire le demandeur parce qu’il aurait une possession sans titre antérieure à — 625 — celle du défendeur, ou même une semblable possession avec titre émané à non domino, mais qui n’aurait pas duré pendant le temps voulu pour constituer la prescription. Nous avons déjà dit que la possession, pour constituer un droit, devait non-seulement être antique, mais avoir les caractères légaux, sans quoi elle ne constituait qu’une usurpation ; que la loi publicienne n’était pas admise parmi nous ; que les articles du Code sur les divers modes d’acquérir la propriété, et spécialement ceux relatifs à l’acquisition par le moyen de la prescription proscrivaient positivement la décision de la loi publicienne. Nous savons bien que Pothier, du Domaine de propriété, et tout récemment Molitor, qui ont suivi les interprètes du droit romain, veulent nous ramener à l’application de la publicienne; que Pothier, après avoir dit que le défendeur à la revendication était par la demande même reconnu possesseur, n’avait rien à prouver et n’avait aucun titre à produire lorsque le demandeur n’en produisait pas d’efficaces, va jusqu’à prétendre que le demandeur qui a une possession antérieure à celle du défendeur, doit réussir dans sa prétention ; mais on se convaincra aisément d’une part qu’il règne dans l’ouvrage de Pothier sur la revendication une certaine confusion et des contradictions plus ou moins graves, inconvénients dans lesquels Molitor nous paraît être tombé à son tour, et d’un autre côté que notre Code qui a voulu les éviter, en établissant des règles simples, générales, uniformes, a entendu proscrire sans retour l’application de la loi publicienne. . 57° Je n’ignore pas que, dans certaines circonstances, l’application de la règle générale tracée par le Code pourra sembler rigoureuse ; que, par exemple, il pourra 10 — 626 — arriver qu’il ne manquera au demandeur que peu de temps pour accomplir la prescription de trente années ou celle de dix ou vingt ans, et que le défendeur n’aura à invoquer que l’aveu tacite de sa possession résultant de l’action dirigée contre lui; mais je réponds que s’il était permis de s’écarter de la loi, à cause du faible espace de temps qui manquerait au demandeur, il n’y aurait plus de règle, plus de limite, qu’on pourrait s’en écarter à peu près constamment et pour tout le temps exigé, et se contenter d’une possession de quelques semaines antérieure à la demande ; que le demandeur ne peut imputer qu’à lui-même la position fausse et désavantageuse où il se trouve et où il s’est mis eu ne prenant pas d’abord la voie possessoire qu’il est si important de ne pas négliger ; qu’il n’a à s’en prendre qu’à lui, s’il s’est mis dans l’impossibilité d’intenter cette action préalable, en laissant son adversaire jouir de la chose pendant une année, par une possession paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire; que toute la faveur doit être pour celui-ci, car il n’est pas présumable que son adversaire l’eût laissé jouir de la chose en maître, s’il n’eût été convaincu de son droit, chacun ayant l’œil fort ouvert sur ses intérêts et n’étant pas disposé à abandonner à autrui les avantages que sa propre chose peut produire. 58° Ainsi, après avoir bien balancé les avantages et les inconvénients des deux systèmes que nous discutons, nous devons reconnaître que la loi a eu de très-bons, de très-sages motifs pour se prononcer comme elle l’a fait, et nous répéterons, en terminant, une raison qui dispense de toutes les autres; c’est que ainsi l’a voulu le législateur, auquel on peut appliquer ce qui a été dit pour une autre circonstance Sic volo, sic jubeo, sic pro ratione voluntas. 59° Nous trouvons même dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et parmi des décisions qui nous paraissent contradictoires, un arrêt de la chambre civile, du 22 novembre 1847, rendu sur le pourvoi du sieur Renault contre la commune de Velizy, qui, en cassant un arrêt de la Cour de Paris, confirmatif d’un jugement du tribunal de Versailles, a consacré les vrais principes, et nous semble avoir fait cesser les incertitudes et les variations de la jurisprudence. Nous croyons qu’on aurait tort d’opposer à cette décision un arrêt des requêtes postérieur * comme étant venu jeter de nouveaux nuages sur une doctrine dont nous croyons pourtant qu’il importe de proclamer la justice et d’assurer le maintien, dans l’intérêt si grave et si sacré de la propriété. 60° Ce dernier arrêt, dont les motifs ne nous semblent pas à l’abri de la critique sur tous les points, n’est cependant pas opposé à nos principes sur la nécessité de la constatation de la possession et de la déclaration formelle de la prescription. A la vérité, l’arrêt de la Cour d’appel, dont les motifs paraissent incomplètement rapportés dans les recueils de jurisprudence, semble s’être borné à constater l’existence de la possession en faveur de la commune de Fos, depuis 1762 jusqu’en 1813, c’est-à-dire pendant plus de trente ans, sans ajouter quelle avait acquis la propriété des pâturages litigieux par la prescription ; mais l’arrêt de rejet des requêtes se fonde sur ce que la Cour d’appel ,' 9 juin 1832. Séguin contre commune de Fos. — 628 — avait constaté une possession ayant duré de 1762 à 1813 et constitutive de la prescription. Cet arrêt conteste le principe que l’action pétitoire emporte reconnaissance de la possession actuelle du défendeur; mais, d’une part, c’est là une erreur attestée par les lois romaines, par les nombreux auteurs que nous avons cités dans le premier chapitre et dans celui-ci, et par M. Pardessus, des Servitudes, t. II, p. 226, qui proclament unanimement le principe méconnu par l’arrêt; d’autre part, l’examen et la décision de la chambre des requêtes sur ce point étaient complètement inutiles dans l’espèce, puisqu’elle reconnaissait l’existence de la prescription acquise avant l’action, en faveur de la commune deFos; que l’objet litigieux n’était pas compris dans le contrat d’acquisition de ses adversaires, et qu’enfin on pouvait même soutenir que ceux-ci étaient réellement les demandeurs originaires, puisqu’ils avaient fait dresser un procès-verbal par leur garde contre un habitant de la commune, pour avoir coupé du bois sur l’immeuble litigieux que ce procès-verbal disait leur appartenir, et qu’ils avaient traduit cet habitant devant le Tribunal de police correctionnelle, qui avait renvoyé les parties à fins civiles pour faire statuer sur la question préjudicielle de propriété résultant des débats respectifs. Cet arrêt n’est donc pas contraire à nos principes, et nous pourrions en invoquer d’autres antérieurs à celui Renault contre commune de Velizv qui y est conforme. Nous nous bornerons à en citer un du 8 février I8/3, rendu dans l’espèce suivante La commune de Revonnas a formé coutre le sieur Duport de Rivoire une demande en revendication d’un terrain vain et vague; elle a articulé possession im- — 6-29 — mémoriale constitutive de prescription en sa faveur. Enquête sur la possession et jugement qui accueille la demande de la commune. Mais sur l’appel, la Cour de Lyon infirme et maintient le sieur Duport de Rivoire dans la propriété de l’objet litigieux, par le motif que celui-ci était au moment de l’action intentée par la commune en possession exclusive, depuis ving-huit ans, de cet objet, et que l’enquête n’a nullement prouvé la possession trentenaire antérieure à celle du sieur de Rivoire, que la commune était tenue de prouver d’après sa propre demande. La Cour de cassation a rejeté et dû rejeter ce pourvoi *, puisque la commune demanderesse au pétitoire n’avait pas prouvé l’acquisition de la propriété par la prescription au moyen d’une possession trentenaire ; elle eût dû juger ainsi lors même que le sieur Duport de Ri- voire n’aurait pas eu une possession de vingt-huit années antérieurement à l’action. 61° Mais il y a notamment deux arrêts, des 18 juin 1838 et 26 août 1839, qui nous paraissent s’être écartés des bonnes doctrines. Dans l’espèce du premier, en l’absence de tous titres en faveur des parties, d’aucune possession de la part du demandeur, les tribunaux ont adjugé la propriété à celui-ci, en se fondant sur ce que depuis un grand nombre d’années le terrain était inscrit sous son nom, au rôle du cadastre, à celui de la contribution foncière, et qu’il en avait payé les impôts. Si les tribunaux eussent constaté que ces faits avaient duré trente ans avant l’instance et y eussent puisé la P Arrêt du 8 février 1843. — 630 — preuve d’une possession acquisitive de prescription, nous n’aurions rien à dire, puisque des présomptions peuvent, d’après les art. 1351, 1358, remplacer la preuve testimoniale, et que la loi n’a pu déterminer les faits constitutifs de la possession et de la prescription, dont par conséquent l’appréciation appartient aux tribunaux; mais énoncer que les faits existent depuis un grand nombre d’années, c’est évidemment ne rien dire, et ce vague serait un moyen facile d’éluder la loi. Les faits existaient- ils depuis trente ans ou seulement depuis vingt-huit ans, quinze ans, neuf ans? C’est ce que nous ignorons. Dans l’espèce du deuxième arrêt, commune de Serres contre Lafont, l’erreur nous paraît avoir été plus grave encore puisque la propriété a été adjugée au demandeur, en se fondant uniquement sur une ancienne possession. Les présomptions ne sont pas un mode d’acquisition de la propriété, mais un mode de preuve de cette acquisition. 11 faut donc constater formellement la condition dont les présomptions doivent prouver l’existence. 62° Quelques personnes ont essayé d’expliquer la divergence que l’on regrette de rencontrer dans la jurisprudence de la Cour de cassation, par la considération que cette Cour ne connaît pas des faits ; que l’appréciation qu’en ont faite les Cours d’appel échappe à sa censure; qu’en trouvant dans les décisions de ces Cours la reconnaissance ou déclaration formelle de la propriété en faveur du demandeur, elle a pu penser que le vœu du législateur était satisfait. Quant à nous, nous ne pouvons admettre ces raisons qui nous paraissent plus spécieuses que solides, et nous pensons que les décisions judiciaires doivent exprimer avec soin et précision la réunion de ces deux conditions, 631 — la déclaration de la propriété et la cause d’où elle découle. La Cour régulatrice a la mission de ramener les tribunaux à l’exacte et uniforme application de la loi. Or, la loi, loin de laisser le jugement de la propriété au pouvoir discrétionnaire des juges, ayant déterminé avec précision les divers modes d’acquérir la propriété et de prouver qu’elle a été en effet acquise, une décision n’est légale et à l’abri de la censure de la Cour régulatrice, qu’autant que les juges qui l’ont rendue ont constaté l’existence de ces conditions et qu’ils en ont fait découler, comme conséquence, la preuve de la propriété en faveur du demandeur. Ainsi, lorsque la prescription de trente, de dix ou vingt ans a été invoquée, ils doivent déclarer l’existence de la possession pendant le temps voulu par la loi, et par suite l’acquisition de la propriété par la prescription. La déclaration de la possession, même pendant le temps légal, ne suffirait pas s’il n’était en même temps constaté par la reconnaissance de la prescription, qu’elle a les caractères exigés; la possession peut en effet exister sans être publique, paisible, non équivoque et à titre de propriété. La Cour régulatrice devrait annuler un arrêt qui ne serait pas motivé ou appuyé sur une base légale. C’est au surplus ce qu’elle a fait par l’arrêt déjà cité, rendu entre Renault et la commune de Yelizy. 63° Du reste, les tribunaux pouvant se déterminer, comme nous l’avons déjà dit, par des présomptions simples, dans tous les cas où la preuve testimoniale est autorisée, et par conséquent lorsque la possession et la prescription sont invoquées, auront par cela même une grande latitude qui atténuera aisémentceque la règle par nous posée pourrait parfois présenter d’un peu rigoureux. — 632 — 64° Les mêmes principes et la même solution s’appliqueraient au défendeur qui, pour repousser des titres, invoquerait soit des titres contraires, soit une possession constitutive de prescription, ce qui aurait lieu lorsqu’il aurait besoin de ces moyens et notamment dans le cas où il réclamerait une servitude. De défendeur, il deviendrait demandeur, reus in excipiendo fit actor; et il serait tenu d’établir sa propriété de la même manière que s’il avait été demandeur originaire. 65° Il arrive quelquefois que sur les articulations respectives de possession et de prescription, ou sur les enquêtes et contre-enquêtes, le juge est laissé dans le doute sur la possession, ou mis à même de reconnaître que les deux parties ont une propriété égale, une possession commune ou promiscue ; dans le premier cas, il doit repousser la demande purement et simplement, puisqu’elle n’est pas suffisamment justifiée et que la provision est due au défendeur qui possède ; dans le second cas, il doit déclarer que l’objet litigieux est une propriété commune et indivise entre les parties, et les maintenir en possession dans ces termes jusqu’à ce qu’elles jugent à propos ou l’une d’elles de procéder à un partage. La règle tantum prœscriptum quantum possessum ne laisse aucun doute sur ce point. Evidemment un particulier peut acquérir par la prescription un simple droit de communauté ou d’indivision dans un immeuble. 56° Pour les haies, les fossés, les murs, les constructions et plantations, le canal artificiel conduisant les eaux à un moulin, à une usine, la loi établit en principe général une présomption de propriété commune ou mitoyenne, quant aux trois premiers objets, ou une propriété entière et exclusive relativement aux autres, sauf — 633 — les exceptions résultant de certains faits, des titres et de la prescription. La sentence de maintenue en possession exclusive des haies, fossés, murs, n’a d’autre effet que d’en assurer la possession provisoire à celui qui l’a obtenue, et qui peut en avoir acquis la pleine propriété par titre ou par prescription ; mais de même que le demandeur au pétitoire peut invoquer un titre écrit ou la prescription, de même aussi il peut invoquer la présomption de la loi qui forme un véritable titre; et son adversaire peut à son tour combattre cette présomption, soit par titre, soit par prescription, soit même par des présomptious contraires. La Cour de cassation l’a ainsi jugé pour la baie, par arrêts des 13 décembre 1836 et 17 janvier 1838, et la solution qu’elle a donnée par ces arrêts, s’appliquerait également aux fossés et aux murs. 67" Nous en dirons autant relativement aux servitudes, à celles qui ne peuvent s’acquérir que par titres, comme à celles qui peuvent s’acquérir eu outre par la possession. Le propriétaire du fonds que l’on prétend asservi, et qui a succombé au possessoire, ayant un titre de propriété qui réclame toujours en sa faveur, devra réussir dans son action pétitoire, si son adversaire ne prouve pas son droit de servitude par titre ou par prescription ; celui-ci aura toujours eu l’avantage de jouir de la servitude jusqu’à la décision au pétitoire. Il en serait de même, et par la même raison, dans le cas où le juge de paix aurait constaté une possession immémoriale, ainsi que nous l’avons déjà dit, en nous étayant d’un arrêt de la Cour de cassation, du 31 juillet 1831. Il est évident que lorsque le demandeur au pétitoire a prouvé qu’il est propriétaire du fonds, c’est à son adversaire à. établir — 634 — qu’il a un droit de servitude, d’usufruit ou d’usage sur ce même fonds; car la franchise des héritages est toujours présumée comme étant de droit commun, et c’est à celui qui invoque une exception et qui devient demandeur à en prouver l’existence. Les mêmes principes s’appliqueraient aux divers cas où les lois déclarent la propriété résulter des règles sur l’accession ; que l’on eût succombé ou réussi sur l’action relative à la possession des choses qui en sont l’objet, la question de propriété resterait entière et devrait se résoudre d’après ces règles, sauf la preuve contraire résultant de titres, de présomptions ou de prescription. 68° Nous ne terminerons pas ce chapitre sans faire une observation relative aux choses appartenant au domaine public et consacrées à un service public. Nous avons déjà dit dans nos Traités des eaux, des chemins, des actions possessoires et dans le chapitre précédent, que ces choses sont hors du commerce, à quels signes ou caractères on pouvait les reconnaître, comment elles pouvaient rentrer dans le commerce, devenir aliénables et prescriptibles comme tous les domaines de l’Etat. Art. 2227, Code civil. Nous avons ajouté que c’était au pouvoir administratif à reconnaître et déclarer l’étendue du domaine public, et que si les actes de ce pouvoir laissaient intacte en principe la question de propriété, cependant en fait ils la tranchaient presque toujours, de telle sorte que l’appel à la juridiction ordinaire devenait très-souvent illusoire. Nous ne pouvons que confirmer ce que nous avons dit à cet égard, en renvoyant aux ouvrages cités, afin d’éviter d’inutiles répétitions. 69 Nous terminerons ce chapitre, en rapportant tex- — 035 — tuellement quatre arrêts de la Cour de cassation, que nous avons cités et qui nous semblent fortifier et confirmer les principes sur la nécessité de la preuve de propriété à faire par celui qui intente l’action pélitoire. Nous ferons précéder chacun de ces arrêts d’une analyse des faits et de la discussion. PREMIER ARRÊT. Commune de Revonnas, contre île Rivoire. En 1834, la commune de Revonnas a formé, contre le sieur Duport de Rivoire, une demande en revendication d’un terrain vain et vague, dont le défendeur avait la possession, au moins à partir de 1806. A l’appui de sa demande, la commune de Revonnas articulait que de temps immémorial, et jusqu’en 1807, elle avait eu la possession paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire du terrain litigieux. Une enquête eut lieu sur ce point, en suite de laquelle il intervint, le 12 janvier 1836, un jugement du Tribunal de Bourg, qui accueillit la demande de la commune. Appel par le sieur Duport de Rivoire ; et le 19 mai 1841, arrêt de la Cour royale de Lyon, qui infirme et maintient l’appelant dans la propriété du terrain contesté attendu qu’il est établi au procès qu’en 1806, le sieur de Rivoire, dont les auteurs et lui s’étaient toujours considérés comme propriétaires d’une portion d’un terrain inculte appelé le Burlatet, l’a fait défricher, y a planté un bois et en a joui paisiblement, jusqu’au mois de mai 1834, époque où la commune de Revonnas l’a revendiqué; que pour justifier sa demande en revendication, la commune de Revonnas a été admise, par un — 636 jugement du 30 juin 183/i, à prouver divers faits établissant qu’elle a joui comme propriétaire du terrain contesté, pendant trente ans, antérieurement à 1806; — attendu qu’aux termes de l’art. 2229, Code civil, pour qu’une jouissance constitue un droit à la propriété, il faut qu’elle ait été paisible, publique, continue et non équivoque; qu’il ne résulte pas des enquête et contre- enquête auxquelles il a été procédé, que la possession de la commune de llevonnas ait eu ce caractère, et qu’elle ait duré pendant le temps nécessaire pour établir son droit de propriété sur le terrain litigieux. » Pourvoi en cassation, par la commune de llevonnas, pour fausse application de l’art. 2262, Code civil, et excès de pouvoir, en ce que la Cour royale a attribué la propriété du terrain en litige au sieur de Rivoire, bien qu’il ne produisît aucun titre, et qu’il n’eût pas en sa faveur une possession trentenaire. Arrêt. — La Cour, attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’au moment où la demande en revendication a été formée par le maire de la commune de llevonnas, de Rivoire était au moins depuis vingt-huit ans en possession de l’objet revendiqué; — attendu que celui-ci devait en être présumé propriétaire tant que la commune n’aurait point justifié, ainsi qu’elle avait été admise à le faire, qu’elle avait joui du terrain contesté à titre de propriétaire, pendant plus de trente ans avant 1806; que l’arrêt constate encore que cette preuve n’a point été faite par la commune; qu’en cet état, la Cour royale, en déclarant mal fondée l’action dirigée contre de Rivoire, s’est conformée à la loi ; — rejette, etc. » Du 8 février 1843.—Ch. req. — 637 70° DEUXIEME ARRÊT. L’Élat contre Cognez et consorts. L’administration des ponts et chaussées ayant fait abattre et vendre des arbres plantés sur la route royale de Châlons à Metz, les sieurs Cognez et consorts, qui se prétendaient propriétaires de ces arbres, ont formé une demande en restitution du prix. Ils soutenaient que ces arbres avaient été plantés par leurs auteurs, et étaient lors de la confection de la route en dehors et à deux mètres des fossés de cette route, qu’on avait depuis élargie aux dépens des propriétés riveraines; enfin, que chaque riverain avait exclusivement, publiquement et sans aucune opposition recueilli les fruits et profité de l’ébranchage des arbres. L’administration des domaines répondit que ces arbies étant plantés sur le sol même de la route, étaient, aux termes de la loi du 12 mai 1825, réputés la propriété de l’État, et que la revendication n’en pourrait être admise qu’autant que les riverains prouveraient, soit qu’ils les avaient acquis à titre onéreux, soit qu’ils les ont plantés à leurs frais, preuve qui ne résultait pas de leurs allégations. Du 2 h août 1843. Jugement du tribunal de Châlons- sur-Marne, qui accueille la demande des sieurs Cognez et consorts — Attendu, porte ce jugement, que les talus, fossés et accotements de la route en sont les accessoires, et appartiennent, comme la route elle-même, à l’Etat, pourquoi on doit supposer que le terrain sur lequel ils reposent a été acquis au même titre que le sol de viabilité; — qu’il peut seulement y avoir lieu, dans — 638 certains cas donnés, à faire régler par l’autorité compétente, la largeur et l’étendue de ces talus, fossés et accotements; — attendu que, dans l’espèce, il est reconnu que plusieurs des arbres vendus étaient plantés sur des talus et dépendances du chemin public, et que la propriété n’en peut être attribuée aux propriétaires riverains, conformément à la loi du 12 mai 1825, que lorsqu’ils justifient les avoir plantés; — attendu qu’il résulte de l’aspect des lieux et des profils qui les représentent, que les arbres vendus par l’Etat, comme lui appartenant, sur la route de l’Epine, étaient plantés régulièrement en ligne droite ; que la plupart étaient en essence de noyer, qu’on n’y comptait que 2 ormes, essence de bois dur, et 37 frênes;—que l’Etat ne contestant pas aux riverains la propriété d’un grand nombre de ces arbres alignés, reconnaît ainsi qu’il n’a pas de moyen de justifier qu’il a planté les autres; — qu’on doit conclure que les riverains qui ont planté sur leurs terrains ont continué leurs plantations sur les talus pour prolonger l’alignement des arbres sans interruption ; — que la nature des arbres démontre encore qu’ils ont été plantés par les riverains, l’Etat n’étant pas dans l’habitude de planter le long des routes des arbres fruitiers ou de bois tendre ; qu’enfin le sol de la route ayant été successivement rehaussé, et, par suite, les talus et accotements s’étant étendus de même, un certain nombre d’arbres vendus par l’Etat comme étant sur ces talus, devaient se trouver, avant cet état de choses, en dehors de ces talus, et sur le sol des riverains ; que ces présomptions sont de nature à établir le droit de propriété des riverains sur tous les arbres qui longeaient cette partie de la route de l’Epine. » — 639 — Pourvoi en cassation par le préfet de la Marne au nom de l’administration des domaines, pour violation des art. 558, 1302, 1353 du Code civil, et 1 er de la loi du 12 mars 1825, en ce que le jugement attaqué pour décider que les arbres n’étaient pas la propriété de l’Etat, qui en était présumé propriétaire, aux termes de la loi du 1 er mai 1825, s’était fondé non sur un acte écrit, qui seul pouvait être admis pour combattre et contredire les droits de l’Etat, mais sur de simples présomptions dépourvues de tout caractère légal. Arrêt. — La Cour, attendu que tout en établissant une présomption de propriété en faveur de celui sur le terrain duquel des constructions ou plantations ont été faites, l’art. 553 du Code civil réserve la preuve contraire; attendu que la même disposition se trouve dans l’art. 1 er de la loi du 12 mai 1825, relativement aux arbres plantés sur et le long des grandes routes, puisqu’il autorise les riverains à en réclamer la propriété, s’ils établissent ou qu’ils les ont acquis à titre onéreux, ou qu’ils les ont plantés à leurs frais ; attendu que la preuve autorisée par ces articles ne doit pas, sauf le cas d’acquisition, à titre onéreux, résulter nécessairement d’un acte écrit, et que cette preuve peut être faite par tous les moyens que la loi autorise; que lorsqu’il est question d’établir un fait, la preuve testimoniale est admissible; qu’ainsi, aux termes de l’art. 1353, on peut admettre des présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes; attendu que les tribunaux ont le droit d’apprécier souverainement les faits et de statuer sur la gravité, la précision et la concordance des présomptions ; attendu que le jugement attaqué a jugé en fait, et en s’appuyant sur diverses présomptions dé- — 640 — veloppées dans ses motifs, que les défendeurs ont prouvé que les arbres, dont le prix a été revendiqué, ont été plantés à leurs frais; attendu, dès lors, qu’en leur attribuant le prix des arbres vendus par l’administration, ce jugement s’est conformé à l’art. 1 er de la loi du 12 mai 1825, et n’a violé ni l’art. 553 du Code civil, ni aucunes autres dispositions du Code relatives aux présomptions légales; rejette, etc. » Du 24 février 1845, Chambre civile. 71 " TROISIÈME ARRÊT *. Renault contre la commune de Velizy. Un sieur Renault était propriétaire de la ferme de Vélizy, d’origine nationale, sise commune de ce nom, arrondissement de Versailles, qu’il avait acquise de M“' Guillaume, qui elle-même la tenait de celui qui en était devenu adjudicataire. Un terrain traversant une des dépendances de la ferme avait été possédé par le sieur Renault et ses prédécesseurs, lorsqu’en 1834 la commune l’inscrivit sur le tableau de ses chemins vicinaux, en reconnaissant toutefois expressément la possession du sieur Renault, et en lui réservant la question de propriété, et peu de temps après assigna ce particulier devant le Tribunal de Versailles pour se faire déclarer propriétaire de ce terrain, faire condamner le sieur Renault à lui en restituer la possession et à lui payer des dommages-intérêts à raison de la jouissance que lui et ses auteurs en avaient eue. Elle prétendait que ce terrain avait toujours eu le carac- ' Arrêt très-important, très-remarquable. — 641 — tère de chemin public, invoquait le classement et la vente nationale qui suivant elle excluait ce terrain litigieux de la vente. Le sieur Renault repoussa cette prétention, soutenant que, bien avant l’adjudication nationale, ce terrain avait été incorporé à la ferme, et était considéré comme en faisant partie intégrante ; qu’il était compris dans l’adjudication nationale ; que ses vendeurs et lui en avaient eu constamment la possession, lui en avaient transmis la propriété, et que le classement n’avait pu l’en priver. Un premier jugement renvoie les parties devant l’administration pour l’interprétation de la vente. 11 est déclaré que ses termes sont insuffisants pour juger la question qui ne peut être décidée que par les anciens titres et autres moyens du droit commun. Les parties en revinrent au Tribunal de Versailles qui adjugea la propriété à la commune, tout en reconnaissant la possession de M. Renault, et refusa d’allouer une indemnité pour les fruits, attendu que ce dernier avait possédé, de bonne foi. La Cour d’appel de Paris confirma en adoptant les motifs des premiers juges. Le sieur Renault s’étant pourvu en cassation, en se fondant sur ce qu’étant en possession de l’objet litigieux et défendeur, la commune ne pouvait obtenir gain de cause qu’en prouvant sa propriété ; qu’il ne suffisait pas de dire qu’il n’avait pas prouvé sa propriété, et d’invoquer le classement ou la vente nationale, déclarée insuffisante, il intervint le 22 novembre 1847 Deville- neuve et Carette, 1848-1 -24, arrêt de cassation dans lequel on lit les motifs suivants Vu l’art. 1315 du Code civil ; attendu que pour écarter le bénéfice de la possession et de la bonne foi de Re- 41 042 — nault, quant à la propriété du terrain litigieux, l’arrêt attaqué s’est fondé uniquement sur les plans, enquêtes et actes administratifs qui ont déterminé le classement du terrain comme chemin vicinal, lesquels n’ont pu avoir pour objet que la destination donnée par l’autorité audit terrain, sans rien préjuger sur la question du procès, réservée par l’arrêté même de classement, à savoir la propriété antérieure de ce terrain et les indemnités qui pouvaient en être la conséquence ; attendu, sur cette question du procès, que ledit arrêt s’est borné à déclarer que Renault ne justifiait pas de sa propriété antérieure, sans établir que cette propriété antérieure appartint à la commune de Vélizv, autrement qu’en se référant aux actes de vente nationale mentionnés ci-dessus, déclarés insuffisants sur ce point par l’autorité qui était compétente pour les interpréter ; attendu en droit qu’aux termes de l’art, précité du Code civil, ce n’était pas à Renault qui était défendeur, et avait la possession, qu’incombait l’obligation de prouver le droit de propriété, mais bien à la commune qui le revendiquait, par l’action quelle avait intentée contre lui ; d’où il suit qu’en décidant comme il l’a fait, ledit arrêt a formellement méconnu le principe écrit dans l’article 1315 du Code civil, qui impose à tout demandeur l’obligation de justifier de son droit, et qu’en conséquence, il a expressément violé ledit article ; casse. » 72° QUATRIÈME ARRÊT. Séguin contre commune de Fos. Le 9 octobre 1839, les sieurs Séguin frères se rendirent adjudicataires des marais Paludset Joncquières, si- — 643 — tués au terroir de la commune de Fos, de la contenance de l,93Zi hectares environ, appartenant, est-il dans l’acte, pour moitié aux hoirs de feu Charles-Michel-Anne d’Ar- cussia, et pour l’autre moitié à la dame de Renaud d’Allen, tous représentant le sieur de Porcellet, leur ancêtre. Le 25 juin 1848, le garde particulier des sieurs Séguin dressa procès-verbal, constatant qu’il avait trouvé le sieur Joseph Aymard, propriétaire, coupant du bois sur le coussou, au pâturage dit de Guignonnet, appartenant aux sieurs Séguin. Le sieur Aymard ayant été cité en police correctionnelle, la commune de Fos intervint pour prendre son fait et cause, et demanda à être renvoyée à fins civiles, afin d’établir ses droits à la propriété du coussou du Guignonnet. Ce renvoi ayant été prononcé, la question de propriété fut portée devant le Tribunal civil d’Aix, et la commune, agissant comme demanderesse, conclut à être déclarée seule et légitime propriétaire des terrains communaux dont il s’agit, et dénommés du Grand-Pâtis et de Guignonnet, et à ce que, en conséquence, défense fût faite aux sieurs Séguin de la troubler à l’avenir dans la propriété et jouissance entière desdits coussous, etc. — La commune reconnaissait qu’elle n’avait pas de titres à l’appui de sa demande, mais elle prétendait qu’elle avait acquis la chose revendiquée par une possession trentenaire à titre de propriétaire. 17 août 1849, jugement qui déclare la commune mal fondée dans sa demande, attendu que cette commune étant usagère des biens revendiqués, n’a pu en prescrire la propriété, et qu’elle n’a ni titre ni possession. Appel par la commune, qui a soutenu qu’elle avait — GU — possédé à titre de propriétaire, et que les objets litigieux n’avaient pas été compris dans l’adjudication du 9 octobre 1839, au profit des sieurs Séguin. 12 juin 1850, arrêt de la Cour d’Aix, qui ordonne l’application sur les lieux des titres des sieurs Séguin, et après cette application faite, 1 er août 1851, arrêt définitif qui décide d’abord que les pâturages litigieux n’ont pas été compris dans l’adjudication consentie aux sieurs Séguin en 1839, et qui ensuite s’exprime en ces termes — Attendu, quant à la possession annale, que les intimés n’en ont pas la saisine, n’ont rien fait pour l’obtenir, et n’allèguent aucun fait à l’appui d’une telle prétention, et qu’il suit de là que les intimés sont non recevables à contester à la commune la possession, si elle en fournit la preuve contre eux ; — attendu, quant à cette preuve de possession de la commune, qu’il lui a été certainement facultatif de prendre fait et cause de l’un de ses communistes, poursuivi correctionnellement pour avoir coupé du bois dans une propriété possédée par elle, à l’exclusion des intimés, et de renoncer ainsi à l’action possessoire qui aurait pu lui compéter ; — attendu qu’il est de doctrine et de règle de droit que, sans une juste cause, la détention n’est qu’une usurpation c’est ce qu’enseigne Domat, et avec la loi romaine, il enseigne aussi que c’est encore en vue de la possession, si elle a commencé par un mauvais titre comme dans l’espèce, que, si la question de possession se trouvait douteuse, ne paraissant pas assez de fondement pour maintenir l’un des possesseurs, le possessoire serait jugé en faveur de celui qui aurait le titre le plus apparent, ou l’on ordonnerait que la chose litigieuse serait mise en séquestre jusqu’à ce que la question de propriété, ou — 645 celle de la possession, aurait été jugée; il enseigne encore que la troisième cause de la détention est l’usurpation par voie illicite, et cette manière de détention ne mérite pas le nom de possession. Ainsi, ajoute-t-il, c’est par la cause de la détention qu’il faut juger si une détention est une possession ou seulement une usurpation ; il enseigne encore que la vraie possession est celle du maître Proprietas apossessione separari non potest, etc., ff. de acq. vel. amitt; toutes maximes qui repoussent les exceptions et la possession des intimés ; — et quant à la possession de la commune ; — attendu qu’il résulte d’actes nombreux, authentiques et non contestés, quant à leur contenu, que, à partir de 1762 jusqu’en 1813, la commune de Fos a pris et continué la possession des deux coussous litigieux, et cela sans opposition dont il apparaisse ; — attendu en dernier lieu, qu’il résulte des laits de la cause que la commune a interverti son titre d’usage par la contradiction formelle et constante qu’elle a opposée au droit de propriétaire... — Par ces motifs, déclare que la commune de Fos est seule et légitime propriétaire des terrains situés dans ladite commune, et désignés sous les noms de du Grand-Pâtis et de coussou du Guignonnet, » Pourvoi en cassation par les sieurs Séguin, pour violation de l’art. 26 du Gode de procédure, et des principes consacrés par les art. 1315, 1352 et 2230 du Code Napoléon, et pour fausse application des art. 2228, 2238 et 2262 du même Code, en ce que l’arrêt attaqué a attribué la propriété des objets litigieux à la commune de Fos, bien quelle n’eût aucun titre, et qu’en agissant par voie d’action pôtitoire, elle eût reconnu qu’elle n’avait pas la possession. — 646 — Arrêt. — La cour, attendu que si, aux termes de l’art. 26 du Code de procédure, l’introduction d’une instance au pétitoire a pour conséquence d’empêcher celui qui l’a engagée de recourir ultérieurement à l’action pos- sessoire, et s’il se trouve ainsi privé de l’avantage qu’il aurait eu à se défendre du trouble apporté à sa poursuite par la seule force de la possession annale, et sans avoir besoin d’établir son droit de propriété par titre ou par prescription, il ne résulte néanmoins, ni du texte dudit art. 26, ni de l’ensemble des dispositions de la loi sur cette matière, que l’art. 26 puisse être entendu en ce sens, que la demande au pétitoire implique nécessairement de la part du demandeur, soit un aveu tacite que la possession appartient à son adversaire, soit une renonciation à se prévaloir lui-même de cette possession comme servant de base à la prescription ; — attendu, dès lors, que la Cour d’appel d’Aix, ayant constaté en fait que la possession des immeubles litigieux appartenait, au moment où la demande a été formée, non à Séguin frères et consorts, mais à la commune de Fos, a pu sans violer l’art. 26 du Code de procédure, ni aucune des dispositions du Code Napoléon sur la prescription et la possession, et quoique la commune figurât au procès comme demanderesse au pétitoire, ordonner d’abord par son arrêt du 12 juin 1850, l’application aux lieux contentieux des titres produits au procès, et notamment du procès-verbal d’adjudication en vertu duquel lesdits Séguin frères et consorts se prétendaient propriétaires, et décider ensuite dans son arrêt définitif du 1 er août 1851, et par une appréciation souveraine des faits et actes de la cause, d’une part, que la commune de Fos justifiait, à l’égard des immeubles litigieux, d’une possession à titre 647 — de propriétaire, non interrompue depuis 1762 jusqu’à l’origine du procès, et capable de fonder la prescription ; et, d’autre part, que les titres produits par les frères Séguin et consorts étaient insuffisants, non-seulement pour contrebalancer la possession de la commune, mais encore pour donner aux frères Séguin et consorts le droit de contester l’existence et le caractère de cette possession ; rejette, etc. » Du 9 juin 1852. — Ch. req. — 648 — CHAPITRE TROISIÈME. DES INSTANCES SUR LES ACTIONS TÊTITOIKES. — DES JUGEMENTS ET DES VOIES DE RECOURS DONT ILS PEUVENT ÊTRE L’OBJET. SOMMAIRE 73° En général, il doit y avoir essai de conciliation avant l’action pétitoire. — Juge de paix compétent. 74° Dans les actions contre l’État, les départements, les communes, il y a lieu au dépôt préalable d’un mémoire à la préfecture. — Jurisprudence de la Cour de cassation sur l’exécution de cette formalité. 75" Mais cette formalité est inapplicable au cas où l’État, les départements, les communes sont demandeurs contre des par- liculiers. — Secus à l'égard des procès de l’État, des départements, des communes entre eux. 76° Après l’essai infructueux de conciliation, ou l’observation des formalités et l’expiration des délais prescrits par les lois de 90, 1837 et 1838, le demandeur doit rechercher quel est le Tribunal compétent. 77° Les juges de paix ne connaissent jamais des actions pétitoires. 78° Les tribunaux civils d’arrondissement connaissent seuls de ces actions en première instance. — Lorsque l’action est purement réelle, le Tribunal de la situation de l’objet litigieux est seul compétent. — En cas d'action mixte, le demandeur a le choix entre le Tribunal de la situation et celui du domicile du défendeur. — En quels cas les actions sont réelles ou mixtes. — Dissentiment avec Pothier, Rodière, Chauveau, sur quelques points. Quid des actions pour servitudes naturelles ou légales? 79° Immeubles par destination considérés en eux-mémes ne peuvent donner lieu à l’action pétitoire; secus avec l’objet principal. — Actions en payement de champart, complanl, d’un cens, d'une rente foncière en argent, en déclaration d’hypothèque, en délaissement ne sont pas pétitoires. — 649 80° Exceptions à la compétence du Tribunal de la situation ou du domicile du défendeur, en matière de société, de faillite, de partage de succession ou en cas d’élection de domicile. 81° De ceux qui ont capacité pour intenter les actions pètitoircs ou pour y défendre, et de ceux qui sont représentés par des tiers mineurs, interdits, émancipés, femmes mariées, État, départements, communes, liste civile, étrangers, créanciers, etc., etc. 82° Comment l’objet litigieux doit être désigné dans l’exploit d’ajournement. 83° Action doit être dirigée contre le possesseur ou détenteur en cas de dépossession ou de trouble dans la possession ou la propriété. — Différence entre l’un et l’autre. — Conséquences. — Opinion de Joccotton. 84° Action en cas de propriété commune et de possession promis- cue. — Dépossession. — Partage. 83» Cas de dénégation de possession ou de trouble par le défendeur, ou de défense à l’action comme s’il était possesseur quoique ne l’étant pas. 86° Cas de perte de la possession par le défendeur, avant le jugement. 87" Cas où l’action pétitoire peut être intentée contre les héritiers, pour le fonds et les fruits. 88" Vente et mise en possession simulées n’empêchent pas l’action contre le vrai propriétaire et possesseur et contre le complice de la simulation. 89" Le demandeur doit être propriétaire au moment de l’action et du jugement; quid, s’il ne l’était devenu que depuis l’action? 90° Justification à faire par le demandeur. 91° Marche à suivre par le défendeur et ses obligations ; ses droits jusqu’à la décision. — Séquestre par exception. 92° Immeuble ayant péri avant ou pendant la litiscontestalion. 93° Voies de recours contre le jugement, de deux sortes ordinaires, extraordinaires. 94° Appel; dans quels cas. Première condition que le jugement soit en premier ressort. 93° Cas où le jugement est en premier ressort; cas où il est en dernier ressort. — Fin de non recevoir, tirée du dernier ressort, est d’ordre public et peut être suppléée d’office par les juges. — 630 — 96° Tout ce qui est dit dans le présent chapitre s’applique à la pétition d’hérédité. — Ch. Dumoulin. — Explications. 97“ Renvoi au Code de procédure pour la requête civile, la tierce opposition, la prise à partie. — Définition de la compétence et des attributions de la Cour de cassation. 73° La première chose à faire relativement à l’instance sur l’action pétitoire, c’est de la faire précéder du préliminaire de conciliation art. 48 du Code de procédure civile, à moins que l’affaire ne se trouve dans l’un des cas d’exception énoncés en l’art. 49 du même Code. Le juge de paix, compétent sur ce préliminaire, est toujours celui du domicile du défendeur, bien que l’action soit nécessairement réelle et quelquefois mixte. 74° Mais il est des cas où, malgré la dispense de l’essai de conciliation, le demandeur au pétitoire est soumis à une formalité préalable. Ainsi en matière domaniale, celui qui veut attaquer l’Etat doit, aux termes de l’art. 15 du titre 3, de la loi du 28 octobre — 5 novembre 1790, adresser préalablement au préfet du département, un mémoire expositif de la demande, à peine de nullité. D’après l’art. 37 de la loi du 10 mai 1838, aucune action ne peut être intentée contre un département à peine de nullité, avant le dépôt à la préfecture d’un semblable mémoire. Malgré la peine de nullité prononcée par la première de ces lois, la Cour de cassation, Chambre des requêtes, a décidé, les 20 août 1833 et 20 janvier 1845, que l’assignation pouvait être donnée avant dépôt du mémoire, pourvu que ce dépôt eût lieu avant toute procédure de la part du demandeur et de la part de l’Etat. On jugerait — 651 probablement de même pour les affaires départementales, puisque la loi de 1838 est conçue dans des termes identiques à ceux de la loi de 90. Toutefois, en présence des dispositions très-formelles de ces deux lois, nous croyons que la jurisprudence pourrait changer et qu’il est plus sûr de déposer le mémoire, d’attendre la réponse du préfet ou l’expiration des délais fixés par les lois précitées, avant d’intenter l’action. Deux autres arrêts de la même Cour, des 26 décembre 1836 et 31 mai 1837, ont décidé que la loi de 1790 ne s’applique pas aux demandes formées en exécution de l’art. 58 du Code forestier, par des concessionnaires d’affectations dans les bois de l’Etat qui veulent faire reconnaître, par les tribunaux, la régularité de leurs titres. Enfin l’art. 51 de la loi du 18 juillet 1837 exige aussi le dépôt préalable d’un mémoire adressé au préfet, avant d’intenter un procès à une commune ou section de commune, et quoique cette loi ne prononce pas la peine de nullité en cas d’infraction, que conséquemment la jurisprudence de la Cour de cassation soit ici également applicable, nous croyons, d’après les termes impératifs de la loi du 18 juillet, que nos observations sur cette jurisprudence doivent aussi s’appliquer aux procès contre les communés. 75° Mais le dépôt du mémoire et les autres formalités ou délais prescrits par les lois précitées, ne sont pas applicables à l’Etat, aux départements et communes qui intentent des actions contre des particuliers, c’est-à-dire qui seraient demandeurs. Arrêt de la Cour de cassation, du 6 janvier 1852. Cependant l’Etat, le département, la commune, qui intenteraient l’un contre l’autre une action — 652 — pétitoire, seraient tenus à l’observation de ces formalités. 76° Après l’essai infructueux de conciliation , lorsque l’affaire n’en est pas dispensée, ou l’observation des formalités et délais prescrits par les lois de 90,1837,1838, le demandeur doit rechercher avec soin quel est le Tribunal compétent, pour connaître de son action au fond. 77° Les juges de paix ne peuvent jamais connaître, comme nous l’avons déjà dit n° 18, des actions pétitoires. Quelque minime que soit la valeur de l’immeuble ou du droit immobilier qui fait l’objet du litige, le Tribunal civil de l’arrondissement est seul compétent. Cette solution s’appliquerait à un terrain de quelques pieds vain et vague, ne rapportant rien et d’un usage nul ou bien affermé un franc par an. En effet, la loi du 2/i avril 1790, celles des 11 avril et 25 mai 1838, ne défèrent aux juges île paix que les actions personnelles mobilières, jusqu’à une somme modique, et quant aux actions immobilières, que celles relatives à la possession, à des indemnités et dommages-intérêts,àdes opérations purement matérielles. 78° D’après l’art. 59 du Code de procédure, titre des ajournements, en matière réelle, le défendeur doit être assigné devant le Tribunal de la situation de l’objet litigieux, et en matière mixte devant le juge de la situation de l’objet litigieux ou devant le juge du domicile du détendeur ; ainsi en matière mixte, le demandeur a le choix entre deux tribunaux. Or, l’action pétitoire tendant à obtenir la propriété d’un immeuble ou d’un droit foncier sur un immeuble est toujours réelle ; quelquefois elle est réelle et personnelle, c’est-à-dire mixte. S’il n’y a pas obligation personnelle du défendeur, elle devra être portée devant le juge de la situation. Mais parfois, une obligation per- sonnelle se joindra à la possession de l’immeuble, soit qu’il ait été vendu, échangé, donné par le défendeur qui en aura indûment conservé la possession et perçu les fruits, soit que ces faits remontent à son auteur dont il serait héritier à titre universel car l’obligation personnelle de l’auteur passe à ses héritiers à titre universel, Pothier, Rodière. Et alors le demandeur, comme nous l’avons déjà dit, pourra assigner à son choix ou devant le juge de la situation, ou devant celui du domicile du défendeur. Nous pensons qu’à moins de raisons particulières, il devra opter pour le premier ; le procès sera ainsi moins coûteux, plus facile et plus prompt à juger dans les cas d’enquête, de visite de lieux, d’expertise, et les magistrats devront mieux connaître la cause. Mais si l’action pédtoire était dirigée contre un tiers qui n’aurait pas contracté d’obligation personnelle, relativement à l’immeuble revendiqué, et qui ne serait pas héritier de celui qui l’aurait donné, vendu ou échangé, alors cette action ne serait pas mixte, lors même qu’elle conclurait à des comptes et restitutions de fruits, à des indemnités de dégradations, car ces réclamations accessoires ne pourraient changer la nature de l’action principale ; au contraire, elles doivent en suivre la nature, d’après la maxime accessorium sequitur vicem rei princi- palis; le demandeur n’aurait donc pas le choix entre le Tribunal de la situation de l’immeuble et celui du domicile du défendeur ; il serait obligé des’ adresser au premier. Lorsqu’il s’agit de faire exécuter par le donateur, le vendeur ou l’échangiste, l’acte d’aliénation qu’il a souscrit en faveur du demandeur au pétitoire, ou de la part des premiers de faire annuler ou résoudre ces actes, de faire réduire les donations comme excédant la portion 654 — disponible, et de se faire remettre en possession des immeubles, l’obligation personnelle est pour ainsi dire l’objet principal du débat. On veut la faire juger et apprécier pour parvenir à avoir la possession de l’immeuble, comme conséquence de la décision sur cette obligation personnelle. La délivrance de l’immeuble n’est que secondaire, les fruits et indemnités de dégradations ne sont à leur tour qu’un accessoire de la délivrance de l’immeuble. L’action est personnelle dans son point de départ, dans son principe, et dirigée contre la chose, dans son but ou sa fin ; elle est personnelle et contre la chose, perÿonalis in rem scripta ; elle est donc mixte et le demandeur peut choisir entre le Tribunal de la situation et celui du domicile du défendeur. Quand, au contraire, le possesseur de l'immeuble n’est pas personnellement obligé, l’action est dirigée principalement contre la chose. Si le demandeur ne peut se la faire délivrer qu’en prouvant qu’il en est propriétaire, ce n’est pas toutefois dans une obligation souscrite par le défendeur qu’il puise cette preuve; par conséquent alors, la chose est l’objet principal de la demande, et nous pensons contrairement à l’opinion de Pothier, de la Revendication, que les fruits, les dommages-intérêts n’en étant que les accessoires, ne peuvent être pris en considération pour le règlement de la compétence qui appartient exclusivement au Tribunal de la situation ; c’est aussi l’opinion de M. Rodière, professeur de procédure à Toulouse, t. I, p. lie, et c’est dans ce sens que la Cour de cassation s’est prononcée *. L’action par laquelle le vendeur d’un immeuble de- 0 Arrêt du 3 août 1847; Devil. et Car. 1847-1-802. — 655 — manderait que l’acheteur fût tenu de réaliser le contrat de vente, de payer le prix, avec offre de délivrer la chose, ne pourrait être considérée, ni comme une action péti- toire, ni même comme une action réelle. Le demandeur en effet ne réclame pas la propriété ; au contraire il reconnaît qu’elle appartient à son adversaire et son action n’a d’autre but que de lui faire obtenir le prix consistant en numéraire, en vertu de l’obligation personnelle con- contractée par l’acquéreur *. Mais il en serait différemment dans les cas où il s’agirait de l’exécution d’un acte d’échange d’immeubles, puisque l’action tendrait à se faire reconnaître propriétaire d’un immeuble et à s’en faire mettre en possession. M. llodière, professeur à Toulouse, t. I, p. 115, tout en disant que rien n’est plus difficile à déterminer que la nature et les conditions des actions mixtes, tend à les multiplier singulièrement contre l’opinion de son collègue M. Chauveau, professeur de la même faculté. En effet, tandis que celui-ci va mêmejusqu’à nier l’existence des actions mixtes, le premier reconnaît le caractère et donne le nom de ces actions aux demandes en nullité, révocation ou réduction des divers actes d’aliénation dont nous avons parlé, intentées contre les tiers acquéreurs, tout comme si elles l’étaient contre les acquéreurs primitifs, ne mettant ainsi aucune différence entre les unes et les autres. Nous ne saurions admettre une semblable opinion. Nous ne pouvons voir dans l’acquisition des tiers cette obligation personnelle tacite qu’y trouve M. Rodière, obligation qui n’existe pas et qui d’ailleurs ne saurait * 5 mars 1850, même Cour, même recueil 1830-1—160. — 636 — suffire pour déroger à la simple réalité, qui oblige à saisir le Tribunal de la situation exclusivement. Nous considérons avec M. Rodière, comme purement réelles, les demandes qui n’ont trait qu’à des servitudes dérivant de la situation des lieux ou de l’autorité de la loi, parce que les parties ne peuvent être à cet égard respectivement obligées, qu’à raison des immeubles qu’elles détiennent, ce qui exclut toute idée de lien personnel. On peut voir aussi le très-bon Traité des actions civiles de M. Joccotton. 79° Les objets mobiliers que la loi déclare immeubles par destination, ne nous paraissent pas pouvoir donner lieu à une action pétitoire, lorsqu’ils sont seuls l’objet d’une demande de la part de celui qui n’élèverait aucune prétention à l’objet principal. La demande ne pourrait être immobilière et pétitoire que lorsqu’elle comprendrait la chose principale, et les objets mobiliers accessoires comme conséquence de la propriété. Les actions en payement d’un champart, d’un com- plant, d’un cens, d’une rente foncière en argent, en déclaration d’hypothèque, quoique pouvant être considérées comme réelles et assujetties aux formalités prescrites par l’article 64 du Code de procédure *, ne sont pas des actions pétitoires, et nous n’avons pas à nous en occuper. Nous en dirons autant de l’action en délaissement intentée contre un tiers détenteur. Code civil, 2166 à 2179. 80° Ru reste, il y a exception à la règle que nous avons posée sur la compétence du Tribunal de la situation de l’immeuble ou du domicile du défendeur, en matière de • 6 juin 1848, mCmcs Cour et recueil 1848-1-496. — G57 — société, tant qu’elle existe, en matière de faillite, de par- tagede succession, en cas d’élection de domicile. Ces exceptions sont énoncées en l’art. 59 du Code de procédure auquel nous renvoyons. On trouvera en outre dans les différents commentateurs du Code de procédure, que nous avons déjà eu occasion de citer, et dans le traité assez récent de M. Joccotton sur les actions civiles, tous les développements propres à bien faire saisir le sens et la portée des exceptions que nous venons de signaler. 81° Dans bien des cas, les actions pétitoires sont intentées non par les propriétaires personnellement, mais par des représentants légaux, des administrateurs, des créanciers exerçant les droits de leurs débiteurs pour parvenir à la conservation des droits ou au payement de leurs créances. Cela n’est point contraire au principe posé n" 31, que la première condition, pour intenter l’action pétitoire, est d’ôtre propriétaire de la chose réclamée, puisque ces diverses personnes sont des mandataires ou représentants, et que le propriétaire agit par leur entremise. Les actions pétitoires qui intéressent des mineurs ou des interdits, ne peuvent être intentées que par leurs tuteurs ou contre eux, et si le tuteur est demandeur, il doit être préalablement autorisé par le conseil de famille. Il peut défendre sans autorisation, mais non acquiescer à la demande. Art. 464, 465, 509 du Code civil. Quant aux actions pétitoires qui intéressent un mineur émancipé, elles peuvent être intentées par lui et contre lui, mais avec l’assistance de son curateur. L’autorisation du conseil de famille ne serait nécessaire que pour y acquiescer ; car la loi défend au mineur émancipé de transiger, d’aliéner ses immeubles et de faire aucun -t-2 autre que ceux de pure administration, sans observer les formes prescrites au mineur non émancipé. Art. 481, 482, 483, 484 du Code civil. Or, acquiescer à une demande pétitoire, ce serait au moins transiger et quelquefois aliéner en totalité. Nous appliquerions ces principes même au mineur émancipé qui ferait le commerce, avec l’autorisation de ses père ou mère ou du conseil de famille art. 2, 3, 6 du Code de commerce, et lors même qu’il s’agirait d’une manufacture, d’une usine où le mineur exercerait son industrie et qu’il pourrait avoir achetée. Quant à ceux qui sont pourvus d’un conseil judiciaire, ils peuvent plaider, soit en demandant, soit en défendant, même acquiescer à une demande pétitoire, sans autorisation du conseil de famille, mais avec l’assistance de leur conseil. Art. 513. Les actions pétitoires qui intéressent les femmes mariées doivent être intentées par elles ou contre elles, soit qu’elles soient mariées sous le régime de la communauté, de la dotalité ou de la paraphernalité. Art. 1428, 1549, 1576. Mais le mari doit également figurer dans la procédure, ne fût-ce que pour autoriser sa femme ; la femme même marchande publique, non commune ou séparée de biens, ne peut ester en jugement sans l’autorisation de son mari ou de la justice. Art. 215, 217 du Code civil; 4, 5 ,7 du Code de commerce. Mais si un immeuble de la femme avait été ameubli et qu’il fût l’objet de l’action, quoiqu’il fût toujours immeuble en réalité, cependant il ferait partie de la communauté et le mari pourrait seul intenter l’action ou y défendre comme à l’égard de tous les immeubles de la communauté. Art. 1421 et 1507 du Code civil. — 659 — Les actions qui concernent les communes ou sections, doivent être intentées par ou contre les maires ; ceux-ci doivent être autorisés par les conseils de préfecture, soit à intenter l’action, soit à y défendre. A Paris, les actions qui intéressent la ville sont dirigées par ou contre le préfet de la Seine. L’autorisation du conseil de préfecture est également nécessaire. Quelquefois un contribuable peut intenter l’action à ses frais et risques, avec autorisation du conseil de préfecture ; mais le jugement doit être rendu au profit de la commune, et l’habitant ne pourrait changer les termes de l’assignation, pour se faire déclarer personnellement propriétaire ; il devrait intenter une nouvelle action. Arrêt de la Cour de cassation, du 28 juillet 1851. Du reste, pour les actions auxquelles les communes, les sections de communes sont intéressées, soit qu’elles aient lieu entre elles, soit qu’elles soient dirigées par des particuliers ou contre eux, il faut se reporter au titre 5 de la loi du 18 juillet 1837, et aux art. 69, 70 du Code de procédure. Les actions relatives aux hospices et autres établissements publics dépendant des communes, seraient soumises aux mêmes conditions et formalités. Les actions relatives au département sont intentées par ou contre les préfets, avec les autorisations et les formalités prescrites par les art. 36 et 37 de la loi du 30 juin 1838. Le préfet peut défendre, en vertu d’une simple délibération du conseil général. En cas d’urgence il peut même agir en demandant et en défendant, sans délibération du conseil général ni autorisation. Mêmes articles. Les actions qui intéressent le domaine de l’Etat sont — C 60 — intentées par ou contre le préfet, qui n’a besoin d’aucune autorisation pour plaider, en demandant et en défendant. Cour de cassation, 9 avril 1834. En cas de litige entre l’Etat et un département, l’action est intentée ou soutenue pour le département par le membre du conseil de préfecture le plus ancien en fonctions. Article 59, n° 1 du Code de procédure, art. 36 de la loi du 30 juin 1838. L’action et la procédure seraient nulles, si l’Etat n’avait pas été représenté par le préfet et le département, par le plus ancien conseiller de préfecture, ou en cas d’empêchement par celui qui vient après dans l’ordre des nominations. Cour de cassation, ch. civ., 20 juillet 1842. Les actions concernant la dotation de la couronne et le domaine privé, sont dirigées par ou contre l’administrateur de cette dotation et de ce domaine. Cet administrateur n’a besoin d’aucune autorisation pour agir en demandant ou en défendant. Voyez le sénatus-consulte du 12 décembre 1852, art. 22. Mais les biens de la dotation étant domaniaux, ceux qui ont des actions pétitoires à intenter contre l’administrateur de ces biens, sont tenus de remplir les formalités prescrites par la loi du 5 novembre 1790, et que nous avons indiquées n° 74, p. 650. Quant aux actions qui intéressent des étrangers, des héritiers qui n’ont pas encore pris qualité et qui sont dans les délais pour faire inventaire et délibérer, des héritiers apparents, des successeurs irréguliers et légataires, des héritiers bénéficiaires, des successions vacantes, des absents, des faillis, des créanciers ayant intérêt à exercer les droits de leur débiteur, des sociétés civiles ou commerciales, des individus condamnés à des peines Sr. — 661 — afllictives ou infamantes, ou qui sont l’objet de poursuites criminelles ou qui sont frappés de mort civile, on peut voir ce que nous disons première partie, p. /23 et suiv., relativement à l’action possessoire. Les principes que nous y avons posés, les solutions que nous y avons données, s’appliquent également au pétitoire. Lorsque des immeubles sont saisis, les tiers qui s’en prétendent propriétaires forment ordinairement ce que l'on appelle une demande incidente en distraction, qui, aux termes de l’art. 725 du Code de procédure, doit être dirigée contre le saisi, le saisissant et le créancier premier inscrit ; mais ils pourraient aussi former une action principale contre le saisi seul. Celui-ci pourrait défendre et même intenter une action pétitoire relativement aux immeubles saisis, sauf la faculté qu’aurait le saisissant et le créancier premier inscrit, d’intervenir et sauf aussi le droit de tierce opposition en faveur des tiers intéressés. 82° Indépendamment des formalités communes à tous les exploits, les assignations au pétitoire doivent contenir copie de l’acte de non-conciliation ou de non-comparution, énoncer la nature de l’héritage revendiqué, la commune et autant qu’il est possible la partie de la commune où il est situé et deux au moins des tenants et aboutissants; s’il s’agit d’un domaine, corps de ferme ou métairie, ilsufiil d’en désigner le nom et la situation, le tout à peine de nullité. La copie des titres est prescrite, mais non sous la même peine. Art. 6/i, 05, Code de procéd. 83° L’action pétitoire doit être dirigée contre celui qui possède ou détient la chose dont on se prétend propriétaire, ou qui a seulement troublé, contesté la possession ou la propriété. V. Joccotton, Actions civiles, cassation 3 octobre 1810, et ci-dessus, n° 10. — 662 Nous disons qui possède ou détient, car il arrive assez communément que nous possédons par des tiers, fermief, locataire, séquestre et ceux-ci n’ont que la simple détention. Ils ne possèdent pas; ceux dont ils tiennent la location ou le séquestre sont les véritables possesseurs. Sans doute, lorsque ceux pour lesquels ils possèdent sont connus du demandeur au pétitoire, il fera bien de diriger son action contre eux, et de comprendre les détenteurs dans son assignation pour faire prononcer sur la propriété, sur les résiliations de contrats de bail ou de séquestre, les déguerpissements et se faire adjuger les loyers et fermages qui pourraient être dus, ou les fruits perçus ; mais il peut arriver aussi que ceux pour lesquels la détention a lieu ne soient pas connus. Dans tous les cas, le demandeur peut s’adresser au seul détenteur ; et celui-ci doit désigner celui pour lequel il possède, justifier des conventions faites entre eux si elles ont été constatées par écrit. Lorsque le véritable possesseur intervient, prend le fait et cause du détenteur, ou que du moins il est reconnu que celui-ci n’est que son ayant-cause, il doit être mis hors d’instance, s’il le requiert avant le premier jugement. Toutefois, ce détenteur peut avoir intérêt à être présent; il a donc toujours la faculté d’assister au procès pour la conservation de ses droits, et le demandeur originaire exiger qu’il y reste pour la conservation des siens et pour obtenir contre lui, suivant les circonstances, des condamnations résultant de ses engagements ou de ses faits personnels. C’est là une saine application de la loi 9 ff. de Rei vind., et des art. 1727 du Code civil, 182, 183 du Code de procédure, combinés. 84° Celui qui étant propriétaire en commun avec un — 663 — autre, et par moitié, vient à perdre la possession parle fait d’un tiers qui se substitue ainsi à sa possession pro- miscue, ne peut intenter d’action qu’à ce tiers; il ne doit point attaquer celui qui possédant avec lui très- légitimement a continué de posséder avec l’usurpateur. Mais s’il y avait eu fraude ou collusion de la part du copossesseur pour exclure le communiste légitime, celui-ci pourrait évidemment comprendre aussi le premier dans son assignation et faire prononcer contre tous deux les réparations qui lui seraient dues. La solution serait la même si le copossesseur avait fait avec l’usurpateur un partage de l’immeuble qui aurait attribué à chacun d'eux des parts distinctes, ce partage étant res inter alios acta qui ne peut avoir aucun effet à l’égard du communiste dépouillé art. 1165, Code civil, celui-ci serait fondé à revendiquer sa propriété indivise contre les deux auteurs de ce partage illégal, qui n’a pu lui faire perdre la part qui lui appartient dans tout l’héritage et dans les différentes parties dont il se compose est tolum in toto et in qualibet parte. L. 8 ff. de Rei vind. 85° Si celui contre lequel l’action pétitoire est dirigée nie la possession ou le trouble articulés par le demandeur, et que la preuve n’en résulte pas des documents existants au procès, la justice doit ordonner les justifications nécessaires par enquête, visite de lieux, expertise. Si le demandeur ne prouve pas les faits par lui articulés, le défendeur est renvoyé de la demande, non pas à la vérité parce que le premier n’est point propriétaire, mais parce qu’il ne prouve pas que celui qu’il a attaqué ait porté atteinte à sa possession ou à sa propriété. Lorsque le défendeur, quoique ne possédant pas l’héritage, est assigné, conteste et soutient le procès comme s’il le possédait réellement, il faut distinguer ou il est de bonne foi, et alors il ne doit être condamné qu’aux dépens ; mais s’il est de mauvaise foi, s’il n’v a pas erreur de sa part, s’il n’a gardé le silence que pour empêcher le demandeur de connaître le véritable possesseur et de poursuivre celui-ci en temps opportun, afin que par ce moyen il pût acquérir la prescription, le défendeur doit être en ce cas condamné aux dommages-intérêts du demandeur auquel par cette fraude il aurait fait perdre sa propriété. Si le défendeur, qui possédait ou détenait au moment de l’action, venait à perdre la détention ou la possession, qu’il y eût ou non faute de sa part, il y aurait lieu d’appeler en cause le nouveau possesseur. L’ancien devrait y rester à cause des frais et dépens, des restitutions de fruits et des indemnités dont il pourrait être passible. L’action pétitoire étant une action réelle ne peut être intentée aux héritiers du possesseur qu’autant que ces héritiers sont eux-mêmes possesseurs de la chose qui en fait l’objet. Ils sont à l’abri de toute action, si un tiers non héritier s’en est emparé ou l’a acquise. Par conséquent, chaque héritier n’est tenu de l’action que pour la part qu’il possède dans l’immeuble, et non pour celle qu’il amende dans la succession ; de manière que si par le partage, fait entre les héritiers, la chose litigieuse était échue pour le total à l’un d’eux, l’action devrait être intentée contre celui-ci seulement à l’exclusion des autres. Mais il en serait différemment pour la restitution des fruits perçus; il y aurait une obligation personnelle. Dans ce cas l’action, quant aux fruits, procéderait bien contre tous les héritiers sans distinction. 665 — Une vente simulée, une mise en possession qui en serait la conséquence et aurait le même caractère ne nous paraîtraient pas devoir empêcher l’action contre l’auteur de ces actes qui, en les faisant, avait probablement pour but d’induire son adversaire en erreur et de se soustraire à ses poursuites ; il y a ici dol, et c’est le cas d’appliquer ces principes qui dolo desiit possidere pro possidente damnatur ; quia dolus pro possessione est. Semper qui dolo fecit quominus habei'et pro eo habendus est ac si haberet. Lois 131 et 157, ff. de Reg. juris. Mais celui-ci pourrait avoir intérêt à mettre simultanément en cause les deux individus qui auraient colludé, et nous ne voyons pas de motifs pour que les tribunaux infirmassent une semblable procédure. Argument de la loi 27, § 3, de Rei vind. des lois 131 et 150, ff. de Regulis juris. 80° Le demandeur au pétitoire doit être propriétaire de la chose qui fait l’objet de sa demande, non-seulement au moment où elle est intentée, mais encore à la date du jugement. Il est évident que si sa propriété avait cessé depuis l’action, par vente, donation, échange, ou de toute autre manière, l’instance devrait être reprise et continuée avec son successeur; mais ce serait au défendeur à prouver que le demandeur a cessé d’être propriétaire. Que si n’étant pas propriétaire au moment de l’action, il l’était devenu pendant l’instance et l’était lors du jugement, nous croyons que la justice devrait lui adjuger la propriété sans l’assujettir à intenter une nouvelle action, à recommencer toute la procédure, parce qu’il faut toujours autant que possible abréger, éviter les procès. C’est la décision du droit canon que nous préférons à celle des lois 23 ff. de Judic. 7, § 7, ff. ad exhibendum. — 666 — expliquées par M. Pellat, Traité de la propriété, p. 226 à 231. La raison sur laquelle se fonde le savant professeur, avec M. de Savigny, que si l’on ne recommençait pas l’action et la procédure, la défense pourrait être étranglée, ne nous touche point; car les tribunaux laisseront certainement au défendeur la même latitude pour discuter les nouveaux titres que s’ils avaient été produits et signifiés avec la demande originaire. Que si ces titres ne sont pas valables, ou s’ils ne sont pas concluants, le défendeur s’estimera fort heureux d’être sur-le-champ tiré d’affaire au lieu d’être soumis à un nouveau procès, et qu’enfin les juges pourront tout concilier, s’ils adjugent la propriété au demandeur, en mettant à sa charge tous les dépens faits jusqu’au moment de la production des nouveaux titres de propriété. Nous nous croyons d’autant plus fondé à émettre cette opinion que les lois 18, § 1, ff. de lier. pet. , 27, § 1 er , ff. de Rei vind. 7, § /i, ad exhibend. et les auteurs que nous venons de citer décident sans hésiter, et avec raison, que le défendeur qui ne possédait pas lors de l’introduction de l’instance, mais qui viendrait à posséder la chose litigieuse pendant son cours et au moment du jugement ne pourrait repousser la demande et exiger qu’il en fût intenté une nouvelle; que le juge devrait le condamner à la rendre au propriétaire. Telle paraît être aussi la décision de Voët, ad pandectas de Rei vind. 90° Nous avons déjà dit, n° Zi3 et suiv., que le demandeur était tenu de justifier sa demande par des titres, par la loi, par le moyen de l’accession ou incorporation, par la prescription ; nous ne reviendrons pas sur ce sujet. Les développements dans lesquels nous sommes entré, nous dispensent de toute nouvelle explication à cet égard. — 667 — Nous ajouterons seulement qu’il est obligé de prouver la propriété totale, et que la preuve ou l’aveu de son adversaire qu’il en a la moitié 11 e le dispenserait pas de prouver qu’il est propriétaire du surplus. 91° Le défendeur peut se contenter de contester les titres ou les faits invoqués, et cette défense peut lui suffire ; il est même possible qu’il n’en ait pas d’autre. Mais il peut avoir des faits ou des titres contraires à opposer à son adversaire, et si celui-ci a dans ceux qu’il invoque des moyens suffisants pour faire accueillir son action pé- titoire dans le cas où ils ne seraient pas détruits par les faits et les titres que possède le défendeur, celui-ci a un intérêt évident à s’en servir et ne doit pas négliger cette ressource. D’un autre côté, les tribunaux ne doivent pas perdre de vue que ce n’est que subsidiairement, et dans le seul but de combattre les titres ou les faits invoqués par le demandeur, que le défendeur produit les siens ; de sorte que si ni les uns ni les autres ne prouvaient la propriété, le défendeur devrait triompher et l’action du demandeur devrait être repoussée. Nous n’entrerons pas ici dans les détails, dans tous les incidents que la marche d’une procédure longue et compliquée peut entraîner. Nous n’avons pas pour but de faire un traité de procédure. Nous devons nous borner aux règles spéciales, aux actions pétitoires, en renvoyant aux traités généraux, aux commentaires sur la procédure applicable à toutes les actions. D’après les principes que nous avons rappelés, le défendeur doit rester jusqu’au jugement définitif dans la position où il se trouvait lors de l’introduction de l’instance ; il doit conserver la possession pleine et entière de — 008 — la chose en litige et continuer à en percevoir tous les fruits, sans qu’on puisse même l’obliger à donner caution. Si cependant il abusait de la chose, s’il y commettait des dégradations, démolissait des bâtiments, faisait des extractions de pierres des carrières, des coupes de bois, d’une manière inusitée, et qu’il y eût lieu de craindre qu’il ne pût indemniser le demandeur qui serait plus tard reconnu propriétaire ; alors le demandeur pourrait solliciter, et la justice ordonner la mesure du séquestre autorisée par les art. 1955, 1901, 62 et 63 du Code civil. Nous ne saurions trop insister sur ce point que les tribunaux devront en général s’abstenir de prescrire une pareille mesure à laquelle il n’y a lieu de recourir que par exception, et dans des circonstances particulières, comme celles que nous venons d’énoncer. 92° Lorsque la chose a péri en totalité ou en partie, sans la faute et le dol du possesseur, par un cas fortuit ou de force majeure, l’action pétitoire ne peut pas être intentée s’il n’en reste rien, ou ne peut avoir lieu que pour ce qui en reste, et ce possesseur ne peut être condamné à en payer la valeur totale ou partielle, sans distinguer s’il possédait de bonne ou de mauvaise foi. Cette solution s’appliquerait par exemple aux cas de guerre, d’incendie, d’inondation, de feu du ciel; car, en fait, le défendeur n’est pour rien dans l’événement, ce n’est pas lui qui a causé le préjudice qui serait également arrivé lors même que la chose eût été en la possession du propriétaire. Art. 1302 du Code Napoléon. I’ellat, p. 175. Nous appliquerions les mêmes principes au cas où la chose aurait péri pendant le litige sur l’action pétitoire. f — 669 — Le défendeur, dans les hypothèses que nous venons de présenter, n’encourrait aucune responsabilité. 93° Lorsqu’il est intervenu jugement sur l’action pé- titoire, il peut y avoir lieu à faire réformer ce jugement, soit par les juges mêmes qui l’ont rendu, soit par des juges supérieurs, c’est-à-dire par les Cours impériales et par la Cour de cassation. Quelques-unes des voies d’attaque ou de réformation des jugements sont appelées ordinaires, les autres sont appelées extraordinaires. La première catégorie des voies de recours se compose de l’opposition et de l’appel ; la seconde, de la tierce opposition, de la requête civile, de la prise à partie et du pourvoi en cassation. L’opposition a lieu lorsque le jugement a été rendu par défaut soit contre le défendeur, soit contre le demandeur lui-même. Nous renvoyons au titre du Code de procédure sur les jugements par défaut et oppositions, ceux qui voudront savoir dans quels cas un jugement est par défaut, et quels sont les délais, les formes et les conditions des oppositions. 9/i° Pour user de la voie de l’appel contre le jugement contradictoire ou par défaut, mais non susceptible d’opposition, la première condition est qu’il soit en premier ressort, et ensuite qu’on n’y ait pas acquiescé, qu’on n’ait pas laissé expirer les délais. Nous ne nous occuperons ici que de la première condition. 95° La loi sur l’organisation judiciaire, du 2A août 1790, titre /t, art. 5, portait que les juges de district tribunaux de première instance d’arrondissement connaîtraient en premier et dernier ressort de toutes les — 670 — affaires personnelles et mobilières jusqu’à la valeur de 1,000 livres de principal, et des affaires réelles *, dont l’objet principal était de 50 livres de revenu déterminé, soit en rente, soit par prix de bail. La loi du 11 avril 1838 a changé ces dispositions au fond, et cette rédaction qu’elle a améliorée; elle porte art. 1" que les tribunaux civils de première instance connaîtront, en dernier ressort, des actions personnelles et mobilières jusqu’à la valeur de 1,500 francs de principal, et des actions immobilières jusqu’à 60 francs de revenu déterminé soit en rente, soit par prix de bail; que ces actions seront instruites et jugées comme matières sommaires. L’article 2 ajoute que lorsqu’il sera formé une demande reconventionnelle ou en compensation, si elle est dans les limites du dernier ressort, il sera statué sur le tout en dernier ressort; mais que si l’une des demandes est de premier ressort» toutes seront sujettes à l’appel; que néanmoins il sera statué en dernier ressort sur les demandes en dommages-intérêts, lorsqu’elles seront fondées exclusivement sur la demande principale. Ainsi, pour les actions pétitoires, la loi s’attache uniquement au revenu, abstraction faite de la valeur de la chose, pour décider si le jugement est eu premier ou en dernier ressort. Lors même qu’il s’agirait de la demande en délivrance d’une partie de la chose vendue pour une somme bien moindre de 1,500 francs de prix total, le jugement n’en serait pas moins en dernier ressort s’il n’apparaissait d’un bail ou d’un arrentement fixant le revenu à 60 francs ou au-dessous. La Cour de cassa- * La loi a voulu dire immobilières. — 671 — tion l’a ainsi plusieurs fois jugé, etnotamment le 17 janvier 1848, dans une affaire où une pièce de terre avait été vendue 300 francs, et dont l’acquéreur réclamait huit ares comme complément des vingt-quatre qui faisaient l’objet de la vente *. La loi veut que le revenu soit déterminé par rente ou prix de bail, sans exiger un écrit. Il y a une foule de locations, soit de terres, soit de maisons, surtout celles de peu d’importance et d’une courte durée, qui sont faites verbalement ; elles n’en sont pas moins valables. L’écriture n’est pas de l’essence de ces conventions; elle est seulement exigée pour la preuve ; mais lorsque les conventions sont avouées, constantes entre les parties, elles doivent être prises par la justice pour base du premier ou du dernier ressort. Nous pouvons nous autoriser des dispositions de la loi du 25 mai 1838, qui pour fixer la compétence du juge de paix, se fondent sur des locations verbales ou par écrit. M. Rodière, tome I er , p. 179, exclut le bail et le contrat de rente passés avec les tiers, et n’admet que ceux communs aux deux parties litigantes. Nous pensons que cette distinction, contraire à la généralité de la loi, ne saurait être accueillie, et que le contrat passé avant le procès entre le défendeur et un tiers, fermier ou censitaire doit valablement servir à déterminer la véritable valeur du litige contre le demandeur et le défendeur. La fraude seule ferait exception. La loi du 11 avril J 838 ayant retranché les mots objet principal, qu’on lisait dans celle de 90, il en résulte que les redevances accessoires devraient être prises en con- * Dalloz 184H-1-180 et autres arrêts cités. C72 — sidération, et que si à la rente ou au prix de bail de 60 francs par an en argent, les conventions ajoutaient des redevances en grains, fourrages, beurre, volaille, l’action pétitoire ne pourrait plus être jugée qu’en premier ressort. Quand la loi parle d’un revenu de 60 francs, il est évident que c’est par année. Le revenu qui serait de 120 fr., payable tous les deux ans ou de 60 francs par trimestre, rendrait le jugement en dernier ressort dans le premier cas, et susceptible d’appel dans le second. Que décider dans le cas où la rente, le prix du bail sont en fruits ou denrées soit d’une quantité déterminée, soit d'une quotité? Pourra-t-on prendre les mercuriales pour base d’estimation au moment du jugement, et décider d’après cela si le jugement est en premier ou dernier ressort? La valeur des fruits et des denrées varie fréquemment; il en est de même du produit de la terre. Quelque peu considérable que soit la quantité ou la quotité stipulée, il y aura des moments d’abondance, de disette, de vilité ou d’élévation excessive des prix; comment alors prendre pour base de la valeur de l’immeuble litigieux, le revenu, les mercuriales au moment du jugement, lorsque quinze jours après, il y aura peut-être une grande différence? La loi a rejeté une base aussi variable, aussi peu équitable, et s’est uniquement arrêtée à la base en numéraire. S’il y avait alternative d’un prix ou d’une quantité ou quotité de denrées au choix du bailleur ou du preneur, nous pensons que le chiffre pécuniaire servirait seul à déterminer le premier ou le dernier ressort. La base de l’impôt, le prix stipulé dans des contrats — 673 — de vente, les conclusions mêmes des parties qui fixeraient le principal au-dessus ou au-dessous de 1,500 fr., le revenu au-dessus ou au-dessous de 60 francs, ne seraient pas des règles de décision. La loi n’a admis qu’une base unique et exclusive, le revenu fixé ou déterminé comme nous l’avons vu. Les juges devraient ou admettre l’appel, ou le déclarer non recevable, même d’office, d’après les règles que nous avons tracées, et lors même que la partie intéressée ne ferait pas valoir l’exception du dernier ressort, exception qui est d’ordre public *. Lorsque le terrain n’est pas affermé ou arrenté, que le propriétaire en jouit lui-même ou en laisse jouir gratuitement des tiers, la valeur de l’objet litigieux est indéterminée, et quelque minime quelle soit, encore même qu’il semble évident qu’elle n’est pas à beaucoup près d’un capital de 1,500 francs, ou d’un revenu de 60 francs, la décision qui intervient est en premier ressort. Nous ne saurions trop insister sur ce point que la loi s’attache uniquement au revenu, en rente, ou par prix de bail, et ne se préoccupe pas du capital lors même qu’il serait énoncé dans des actes authentiques d’aliénation. Le jugement rendu sur une action pétitoire qui aurait été intentée contre plusieurs copropriétaires ou cohéritiers, possesseurs par indivis d’un immeuble dont le revenu excéderait 60 fr., serait en premier ressort à l’égard de toutes les parties, bien qu’on pût dire que la division du revenu entre tous les défendeurs ne présenterait pour chacun d’eux qu’un chiffre inférieur à 60 fr. ; à plus forte raison en serait-il de même dans le cas où le revenu ne serait pas fixé comme le veut la loi. ' Arrêt de cassation, 20 mai 1850; Dalloz 1850. 43 Il faudrait en dire autant du cas où l’action pétitoire serait intentée dans des circonstances semblables par plusieurs personnes se prétendant propriétaires en commun contre un seul détenteur ou possesseur. La jurisprudence a établi en principe que lorsque incidemment à une action pétitoire, il s’élève une question sur la qualité des parties, sur leur état, sur le point de savoir si elles sont héritières, enfants légitimes, si un mariage est valable, cette question préjudicielle à la solution de laquelle peut être subordonnée la décision de la cause, quoique étant par elle-même d’une valeur indéterminée, est cependant décidée en premier ou en dernier ressort, suivant la valeur de l’objet matériel réclamé, parce que alors son importance et son effet ne s’étendent pas au delà de cette dernière valeur. Cour de cassation, 18 nivôse an xii, 2 h mars 1812, 9 mars 182A. Quant à nous, nous admettons cette solution, même sans distinguer si la question d’État est incidente ou principale; une pareille distinction nous paraît plus subtile que solide. Dans tous les cas, l’importance de la question d’État est relative et limitée à l’objet immobilier qui est revendiqué, et n’a d’autre valeur que celle de cet objet même. A l’égard des demandes en revendication d’usufruit, d’usage, d’habitation, qui sont indéterminées par elles- mêmes, nous pensons que si la chose sur laquelle portent ces droits est louée, affermée ou donnée à rente, moyennant 10 francs, le jugement sera en dernier ressort; mais qu’il sera en premier ressort, si l’immeuble est loué ou arrenté plus de 60 francs, ou si son revenu n’est pas déterminé comme l’a dit la loi. Les demandes en reconnaissance de franchise des 675 — fonds ou négatoires de servitudes, celles dites confes- soires, qui sont également indéterminées, nous paraîtraient devoir être décidées en dernier ressort, si le fonds dominant et le fonds servant n’étaient affermés ou ar- rentés que 60 francs chacun; mais si l’un des deux dépassait en revenu 60 francs, la décision serait en premier ressort à l’égard des deux parties; nous n’admettons donc pas absolument l’opinion de M. Rodière. Si la concession de la servitude, de l’usage, de l’usufruit avait eu lieu, moyennant une rente annuelle, ce serait le chiffre de cette rente qui servirait à décider la question du premier ou dernier ressort. Supposons que le demandeur au pétitoire d’une chose louée moins de 60 francs y ajoute une demande inférieure à 1,500 francs pour restitution de fruits, indemnités de dégradations, la décision sera-t-elle en dernier ressort? Nous le croyons, parce que les juges manqueront d’éléments légaux pour fixer la valeur du litige, et que l’un et l’autre chefs pris isolément doivent recevoir décision de dernier ressort. Nous croyons pouvoir argumenter, par analogie, des dispositions des lois de compétence des 11 avril et 25 mai 1838, relatives aux demandes reconventionnelles ou en compensation. Mais si la demande en restitution de fruits ou en indemnités de dégradations est indéterminée et à donner par état ou est supérieure à 1,500 francs, alors tous les chefs sont indistinctement susceptibles d’appel. La demande seule des fruits et indemnités, dans l’hypothèse présentée la propriété de l’immeuble n’étant pas contestée, serait décidée seulement en premier ressort; à plus forte raison doit-il en être ainsi lorsqu’elle est jointe à un chef relatif à la propriété. — 676 — Remarquons, du reste, que ce n’est pas d’après la chose adjugée, mais d’après celle demandée, que le premier ou le dernier ressort doit être fixé, et que c’est le dernier état de la contestation qui la détermine; si donc il y a quelque chef ajouté par le demandeur dans le cours de l’instance, on doit le prendre en considération * ; s’il y a un chef abandonné par le demandeur, le litige se trouve restreint à ce qui est demandé et contesté, sans s’occuper des termes de l’assignation ou de conclusions antérieures. Mais l’abandon qui n’aurait lieu que sur l’appel ne pourrait autoriser le demandeur originaire à prétendre que cet appel est non-recevable **. L’appel est évidemment recevable, tant de la part du demandeur que de la part du défendeur, quoique le défendeur ait fait des offres qui réduisent le surplus de la demande au taux du dernier ressort, si ces offres n’ont pas été acceptées ***. Lorsque le défendeur forme une demande reconventionnelle ou en compensation à raison, par exemple, des impenses, augmentations, de deux choses l’une ou la demande principale doit être jugée en premier ressort seulement, et alors, quelque minime que soit celle reconventionnelle ou en compensation, elle n’est également décidée qu’en premier ressort ; ou elle est susceptible du dernier ressort, et alors il faut distinguer ou la demande reconventionnelle est aussi d’une valeur de dernier ressort, et alors les deux demandes sont jugées sans appel, * Arrêt de la Cour de cassation, du 11 avril 1S31 et autres; Dalloz 31-1-110. ** Arrêt de la même Cour, 20 mars 1H13 ; Devilleneuve et Carette 1813-1-161. ** Arrêts de la même Cour, 26 février 1838, 30 juiD, 20 juillet 1841, 27 juin 1842; même recueil 1842-1-760. — 677 — ou bien elle est de premier ressort, et alors les deux demandes sont susceptibles d’appel. Mais lorsque la demande reconventionnelle ou en compensation prend sa source dans la demande principale elle-même, elle suit le sort de cette demande principale à quelque chiffre que s’élève celle incidente. Ainsi qu’un défendeur attaqué en nullité d’une vente, d’une concession de servitude, d’un revenu de 60 francs, pour cause de dol ou de violence demande 20,000 de dommages- intérêts, tant pour la diffamation que parce que l’action principale l’aura empêché de disposer avantageusement de sa propriété, ce jugement sera en dernier ressort sur tous les chefs. Ce résultat, qui paraît bien rigoureux, pourra être évité si le défendeur forme une demande principale au lieu d’une demande incidente. Gela a été reconnu dans la discussion delà loi. Nous pensons que des parties pourraient consentir valablement à être jugées en dernier ressort dans une contestation qui serait susceptible par son importance d’être portée en appel; mais qu’elles ne pourraient convenir d’user de la voie d’appel dans une matière qui doit être décidée en dernier ressort, puisque la fin de non-recevoir comme nous l’avons vu, est d’ordre public et doit être suppléée d’office par les juges. 96° Tout ce que nous avons dit, dans le présent chapitre, s’applique à l’action que les lois romaines et les anciens auteurs connaissaient sous le nom de pétition d’hérédité ; Dumoulin sur le titre de la Coutume de Paris, relatif à la complainte, assimile aussi la pétition d’hérédité à l’action pétitoire *. * Dumoulin, loco citato , met encore les actions confcssoircs et négatoires, relatives aux servitudes, dans la classe des actions pétitoires. — 678 — Toutefois quelques explications sont ici nécessaires. La pétition d’hérédité, comme nous l’avons déjà dit, page 553, est l’action qui a pour but de se faire reconnaître héritier, et de se faire en conséquence remettre les biens de la succession ; nous la considérons comme pétitoire, à moins qu’il ne soit établi que la succession est purement mobilière, et que par suite la demande ne porte que sur des objets mobiliers. La succession ne doit- elle pas être présumée de droit, comprendre aussi des immeubles ou des droits immobiliers? Du reste, il arrivera très-rarement que la demande agitée entre les divers prétendants à la succession se bornera à la réclamation du titre d’héritier. Ce sera la cause ou le motif de la demande ; mais on y joindra toujours des conclusions à fin de compte et partage des meubles et des immeubles, ou de vente par licitation de ces derniers biens. Très-souvent même le titre d’héritier sera l’objet non d’une demande directe et principale, mais d’une contestation incidente, élevée à l’occasion d’une action en revendication d’un ou plusieurs immeubles possédés, soit par un tiers qui n’aura aucune prétention à la succession, soit par un cohéritier qui disputera au demandeur la qualité dans laquelle il agit. 97° Nous avons dit, n° 309, p. 93, que les voies extraordinaires de recours contre les jugements rendus au pétitoire étaient la requête civile, la tierce opposition, la prise à partie, le pourvoi en cassation. Nous ne nous occuperons pas des trois premières qui sont expliquées au Code de procédure. Quant à la dernière, nous nous bornerons à dire que la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, et n’a point à réviser les déclarations de faits, les appréciations — 679 de ces faits et des actes émanés des tribunaux de première instance et des Cours d’appel ; que les jugements en dernier ressort et les arrêts définitifs ne peuvent être attaqués que pour excès de pouvoir, incompétence ou violation d’un texte de loi. Ceux qui voudront avoir des notions plus étendues sur le pourvoi en cassation, ses délais, ses formes et ses effets pourront recourir aux ouvrages spéciaux de MM. Tarbé et Godard de Saponay, et aux articles Cassation et Cour de cassation des ouvrages de MM. Dalloz et Devilleneuve. — 680 — CHAPITRE QUATRIÈME. DE L’EXÉCUTION DU JUGEMENT QUI ACCUEILLE L’ACTION PÉTITOIRE. — DES RESTITUTIONS DE FRUITS, INDEMNITÉS DE PERTES OU DÉGRADATIONS. — DU REMROURSEMENT DES IMPENSES OU AMÉLIORATIONS. — DES INTÉRÊTS. SOMMAIUE 08° Exécution du jugement qui accueille l’action pélitoirc. — Divers modes d’exécution volontaire ou forcée.—Délais que les juges peuvent accorder. — Contrainte par corps. 99° Le propriétaire rentrant dans la possession du fonds n’est point obligé de rembourser le prix d’acquisition à son adversaire ni de lui payer des dommages-intérêts. 100° La bonne foi ne fait pas à elle seule acquérir la propriété; elle est un des moyens d’y arriver; elle fait acquérir les fruits perçus, et sert à obtenir un remboursement plus favorable des impenses. — Ces principes applicables à l’héritier apparent. — Actes qu’il peut faire valablement. 101° Le possesseur évincé ne peut retenir la possession de l’immeuble jusqu’à payement des impenses. — Exceptions. 102° La propriété n’a d?prix que par la possession, par la perception des fruits; le défendeur doit donc en général être condamné à les restituer avec le fonds qui les a produits. 103" Suite.; La restitution des fruits est une conséquence de la propriété. Ce ne peut être que par exception que la restitution des fruits n’a pas lieu. 103° Exception en faveur du possesseur de bonne foi. — Quand y a-t-il bonne foi? 106° Suite. Bonne foi existe quand le possesseur ignore les vices de son titre ; que le mot titre ne suppose pas nécessairement un acte écrit, ou contrat, une pièce matérielle; qu’il comprend aussi les dispositions légales. — 81 107° Bonne foi toujours présumée; celui qui allègue la mauvaise foi doit la prouver. Les tribunaux doivent en général déclarer d’une manière expresse l’existence de la mauvaise foi pour justifier la restitution des fruits; mais vice toujours réputé connu, quand il résulte du titre même ou de la loi. 108° Suite. Jurisprudence. — Arrêts de plusieurs Cours d’appel et de la Cour de cassation. 109° Exception spéciale prononcée dans certains cas en faveur des communes, par la loi du 9 ventôse an xn, à la règle qui assujettit le possesseur de mauvaise foi à la restitution des fruits. — Mais point d’exception en faveur du possesseur maintenu sur action possessoire. 1 10" Le Code Napoléon ne distingue pas entre les fruits consommés et ceux extants ou existants encore lors de l’action pélitoire ; ils appartiennent tous au possesseur de bonne foi dès qu’ils sont recueillis. — Quand les fruits sont-ils recueillis ou perçus? Bornât, Bourjon.—Lois romaines. — Quid, de ceux cueillis avant la maturité, ou des loyers et fermages? 111” Les fruits perçus par un possesseur de mauvaise foi doivent être restitués par son héritier quoique celui-ci soit de bonne foi, parce qu’il est successeur in universum jus et causam defuncti. 1L2° Mais, dans notre droit actuel, les fruits perçus personnellement par cet héritier de bonne foi lui appartiennent et ne doivent pas être restitués. — Auteurs qui se sont expliqués sur la question dans l'ancien droit. — Auteurs modernes et arrêt de la Cour de cassation. H3° Cas de cessation de bonne foi, et de cessation de mauvaise foi. 114° La mauvaise foi peut donc exister et être prouvée avant toute action. 115° La recherche et la constatation de la bonne ou de la mauvaise foi ne sont nécessaires que pour le règlement des fruits perçus avant l’action pélitoire. —Motifs de cette solution. 116° L’action pélitoire comprend de plein droit demande des fruits à échoir, mais non de ceux antérieurs. —Une demande expresse et spéciale est nécessaire, relativement à ceux-ci; elle peut être formée dans le cours de l’instance, môme après jugement ordonnant la remise de l’immeuble, et. malgré le défaut de réserves. — 682 — 117° L'action pétitoire serait plus régulière avec la copie des titres qui la justifient; mais étant valable sans la copie de ces titres et pouvant d’ailleurs être intentée sans qu’il en existe, cette action donne toujours ouverture à la restitution des fruits. 118° Mais si le demandeur laissait périmer l’instance ainsi introduite, l’action serait considérée comme non avenue et sans effet, soit quant à l’objet principal, soit relativement aux fruits ; cependant, si elle contenait copie des titres, elle vaudrait comme sommation et constituerait le possesseur en mauvaise foi. 119° La citation en conciliation donne droit à la restitution des fruits, pourvu qu’elle soit suivie de la demande dans le mois de la non-conciliation ou de la non-comparution. 120“ Mais le mémoire présenté au préfet en matière domaniale, et dans les procès contre les départements et les communes, ne peut être assimilé à une citation en conciliation, à une demande judiciaire, ni avoir pour effet d’ouvrir le droit à la restitution des fruits. 121“ Restitution due par le possesseur évincé, des sommes qu’il a reçues. — Droit de critiquer les traités et d’en faire prononcer la nullité, d’obtenir des dommages-intérêts contre les tiers. — Maintien des baux. — Dans quels cas. — Conséquences. 122° Les principes développés dans les numéros précédents, applicables dans notre droit actuel, diffèrent en cela du droit ancien au possesseur de bonne foi ou de mauvaise foi, à titre héréditaire, comme au possesseur à tout autre titre. 123° La restitution des fruits doit comprendre les fruits civils comme les fruits naturels, ceux qui ont été perçus comme ceux qui auraient pu l’être, mais qui ne l’ont pas été par la faute ou la négligence du possesseur, par suite de la prescription qu’il a laissé accomplir, ou une indemnité pour les choses d’agrément qui ne sont pas susceptibles de fruits proprement dits, et dont le possesseur a joui par lui-même. — Quid lorsque la nue-propriété est seule revendiquée? 12-4° La prescription de cinq ans, fixée par l’art. 2277, Code civil, est inapplicable aux restitutions de fruits à faire par le possesseur de mauvaise foi au vrai propriétaire. — C83 — 125° Cas où le véritable propriétaire de l’immeuble n'a pas d’action contre le possesseur, acquéreur de bonne foi, soit pour le fonds, soit pour les fruits; mais a action contre le vendeur. — Nature et conséquences de celte action. — Bourjon, arrêt de la Cour de cassation. 126° Légataire d’un usufruit déclaré déchu en vertu d’une clause du testament, tenu à la restitution des fruits et des intérêts. 127» En cas de rescision pour cause de lésion, l’acquéreurpeutêtre considéré comme étant de bonne foi, et n’être condamné à payer les fruits et les intérêts qu’à partir de la demande. 128° Le possesseur de bonne foi ne doit l’intérêt des fruits que pour ceux postérieurs à l’action pétitoire. — Le possesseur de mauvaise foi les doit pour les fruits antérieurs, même avant liquidation, et en général à partir de la demande de ces fruits. — Cas auxquels il les devrait à partir d'une époque antérieure.— Fruits et intérêts dus par un cohéritier qui rapporte, ou en cas de réduction pour excès sur la portion disponible, ou en cas de legs. — Intérêts du supplément de prix en cas de rescision pour cause de lésion. 129° Pas d’intérêts des intérêts de fruits. 130° Liquidation des fruits. — Mode de procéder et compétence des tribunaux qui doivent opérer la liquidation. 131° Transition. — Impenses, augmentations, améliorations, dégradations. — Définition. — Lois romaines relatives aux impenses. — Code Napoléon sur le même sujet; tous les travaux, censés faits par le propriétaire; les ouvrages lui appartiennent de plein droit à moins de preuve contraire. — Quand et comment les impenses et travaux doivent être remboursés. — Le Code ne distingue pas entre les diverses dépenses nécessaires, utiles, voluptuaires. — Dispositions du Code sur le remboursement des impenses, dégradations, dans les divers cas de bonne ou de mauvaise foi du possesseur. 132» Suite. Développements. 133° Suite. Nouveaux développements. — Avant le Code civil, on admettait la compensation des fruits avec la valeur des améliorations et intérêts de ces améliorations. Domat, Bourjon, Pothier, Loyseau, Deni/.art, Merlin. — Même décision sous le Code. 134“ Suite. Jurisprudence sur ce point. 135» Conclusion. 136° État dans lequel doit être remis au vrai propriétaire l’immeuble objet du jugement au pétitoire ; il doit être rendu dans l’état où il était lorsque le propriétaire en a été dépouillé. 137° La prescription de cinq ans, réglée par l’art. 2277 du Code civil, inapplicable aux fruits perçus par le possesseur de bonne foi, ainsi qu’aux améliorations, dégradations et aux intérêts des unes et des autres. 98* Lorsqu’il est intervenu jugement qui a condamné le défendeur à délaisser un fonds de terre, une maison, à souffrir l’exercice d’une servitude, et que ce jugement est devenu définitif par acquiescement, expiration des délais d’appel ou confirmation ou qu’un arrêt a infirmé un jugement qui avait repoussé l’action pétitoire, la partie ainsi condamnée satisfait à la décision en laissant le fonds vacant, en livrant les clefs des bâtiments à son adversaire, en laissant celui-ci faire les travaux nécessaires à l’usage de la servitude, en payant les fruits ou leur valeur s’il est condamné à les rendre, les dommages-intérêts et dépens ; et lorsque le défendeur est condamné à cesser l’exercice d’une servitude, il exécute la décision en s’abstenant d’en user et en détruisant les ouvrages qu’il avait fait faire pour en jouir *. Si le défendeur n’exécute pas volontairement le jugement ou l’arrêt, il peut y être contraint par la force, c’est-à-dire que les portes peuvent être ouvertes, que le Un arrêt de la Cour de cassation, du 10 janvier 1812, a décidé que lorsqu’il résulte des faits, des circonstances de localités que deux propriétaires jouissent en commun, depuis trente ans, d’un terrain nécessaire à l’exploitation de leurs fonds, la justice a pu considérer cet état de choses comme constituant une servitude réciproque qu’aucun des communistes ne peut faire cesser par une demande en partage, et dont ils doivent continuer de jouir en commun. — 685 — détenteur peut être expulsé des lieux par un officier de justice, de police, assisté de la force armée. L’art. 2061 du Code civil autorise dans ce cas l’emploi de la contrainte par corps, qui est prononcée par un deuxième jugement et exécutée après les délais fixés par cet article. Il existait dans l’ordonnance de 1667, titre 27 de l'exécution des jugements, des dispositions analogues et même plus sévères, puisque, indépendamment de la contrainte par corps, cette ordonnance prononçait une amende de 200 francs pour inexécution des condamnations dans la quinzaine de la signification du jugement. Quoique l’art. 2061 semble s’appliquer plus spécialement aux fonds de terre, cependant il comprend aussi les maisons. Nous pensons que la disposition de cet article ne s’oppose pas à ce que les juges accordent au défendeur condamné à déguerpir un délai quelconque pour quitter les lieux, retirer les meubles qui peuvent s’y trouver. Le délai fixé par l’article précité ne doit donc être observé que dans le cas où les juges n’en ont pas accordé un autre. 99° Le demandeur rentrant dans la possession du fonds, qui est sa propriété, n’est point obligé de tenir compte à son adversaire acquéreur a non domino, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, du prix de son acquisition, ni de lui payer des indemnités ou dommages-intérêts. Cet acquéreur n’a de recours que contre son vendeur. Le véritable propriétaire ne peut souffrir d’un fait qui lui est étranger s’il était obligé de tenir compte du prix d’achat ou de donner un dédommagement quelconque, son action pétitoire pourrait devenir inutile et sa propriété purement nominale et nulle. La bonne foi seule — 686 — n’est pas rangée au nombre des moyens légaux d’acquérir la propriété des immeubles. 100° Le titre avec bonne foi ne suffit donc pas, comme nous l’avons déjà vu, pour rendre à l’instant même l’acquéreur propriétaire; son effet est de donner un moyen d’acquérir la propriété en y ajoutant une possession prolongée pendant dix ou vingt ans art. 2265 à 2469. La bonne foi sert à l’acquisition des fruits produits par l’immeuble et au remboursement plus favorable, plus étendu de certaines impenses ou améliorations; même en matière de succession, l’héritier apparent et de bonne foi ne peut faire valablement que les actes d’administration, de l’administration la plus étendue si l’on veut. L’aliénation qu’il aurait faite des biens de la succession, des immeubles qui s’y trouveraient, pourrait être annulée sur la demande du véritable héritier qui se présenterait plus tard, et l’acquéreur de bonne foi n’aurait de recours que contre son vendeur. Un arrêt de cassation, du 26 août 1833, rendu sur notre plaidoirie, l’a ainsi décidé pour la vente de l’hérédité, des droits successifs. Nous pensons qu’il en serait de même de la vente particulière d’un immeuble de la succession. 101° Iu reste le défendeur ne pourrait refuser d’abandonner l’immeuble avant que le demandeur ne lui eût payé les dépenses, frais ou impenses qu’il y aurait faites. Les juges ne pourraient l’autoriser à en conserver la possession jusqu’à ce qu’il fùtrembourséde ceux même qu’ils auraient liquidés. Le Code de procédure n’a pas reproduit la disposition de l’art. 9, titre 27 de l’ordonnance de 1667 sur l’exécution des jugements; les art. 867,1673 du Code civil sont les seules dispositions de notre droit actuel qui admettent une semblable mesure, qui se conçoit, puis- qu’il s’agit, dans ces articles, d’un immeuble racheté par \ le vendeur à réméré ou rapporté par un cohéritier, auquel il avait été valablement donné et qui a au moins un droit , indivis dans cet immeuble et dans les fruits qu’il peut produire ; encore le législateur a-t-il senti la nécessité de dispositions expresses et spéciales. Arrêt de la Cour de cassation, du 12 mai 1840, Dalloz, 1840-1-225. 102° La propriété, dont nous avons expliqué, p. 580 et suivantes, les conditions, la nature et les effets, et que ; Ballanche trouve d’une importance et d’une moralité ; telles, qu’il va même jusqu’à la considérer comme l’uni- que fondement de la société actuelle, la propriété, disons-nous, n’a cependant de prix que par la possession, par la jouissance, par les fruits qu’elle produit. 1 Si le possesseur illégitime gardait les fruits, par lui 1 perçus avant l’action pétitoire, la propriété aurait été I stérile pour le véritable propriétaire, pendant tout le r temps de la possession de son adversaire ; l’avantage h n’en existerait pour lui que dans l’avenir, et seulement à partir de la demande même. Le défendeur doit donc être condamné à rendre, non i seulement le fonds, mais encore les fruits de ce fonds, i 103° En effet, la propriété est le droit de disposer des choses de la manière la plus absolue. Art 544, Code civil. La propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière donne droit sur tout ce qu’elle produit et ! sur ce qui s’y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Art. 540. Les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils, le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession. Art. 547. Ainsi, règle générale, tous lesfruits naturels et indus- — 688 — triels ou civils appartiennent de plein droit au propriétaire de la chose ou de l’objet qui les produit ; c’est une conséquence, un des éléments du droit de propriété. 10/i° Ce ne peut donc être que par exception que les fruits peuvent quelquefois cesser de lui appartenir, et être attribués à un tiers; et, en effet, nous allons voir qu’il en est ainsi. Mais cette dérogation au principe général, comme toutes les exceptions, doit être renfermée dans d’étroites limites. Il faut donc bien se pénétrer de l’esprit de la loi et bien peser ses termes pour n’en pas sortir. 105° L’ordonnance de 1539, art. 9/j, portait que, en toutes matières réelles, pétitoires et personnnelles, intentées pour héritages et choses immeubles, s’il y avait restitution de fruits, ils seraient adjugés, non-seulement depuis la contestation en cause, mais aussi depuis le temps que le condamné avait été en demeure et mauvaise foi auparavant ladite contestation. D’après les art. 5/i9 et 550, le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi ; dans le cas contraire, il est tenu de rendre les fruits avec la chose au propriétaire qui la revendique. Le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de •propriété, dont il ignore les vices. Il cesse d’être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus. 100" Ainsi le législateur distingue entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi ; il autorise le premier seul à conserver les fruits. Remarquons bien que quand la loi parle d’un titre translatif, elle entend, non-seulement un contrat, un acte d’aliénation, comme une vente ou donation, un tes- — 689 — tament, un échange, mais aussi une transmission héréditaire, un droit fondé sur une disposition légale; en un mot le moyen d’acquérir. Art. 711. L’expression titre est générale; ainsi un héritier qui trouverait dans la succession un immeuble n’appartenant pas réellement à son auteur pourrait invoquer les art. 549, 550. Du reste, il faut bien faire attention au texte du Code, plus clair, plus explicite que l’ordonnance del539. Il ne se borne pas à dire d’une manière vague ou générale que le possesseur est de bonne foi quand il possède en vertu d’un titre translatif de propriété quelconque. La loi est plus précise et plus exigeante, elle veut que si le titre est vicieux, le possesseur en ignore les vices, qu’il puisse le croire valable et penser qu’il acquière légitimement du véritable propriétaire. Bona fides, dit Pothier, Pandectes, t. 11, p. 149, n° 77, nihil aliud est quamjusta opinio quæsiti dominii. Bona fides, dit Voët, ad Pandect. de Usucap. , n° 6, est illœsa conscientia putantis rem suam esse. Qui a quolibet émit, porte la loi 27, ff. de Contr, empt., rem quam putat ipsius esse, bona fide émit. 107° Sans doute la mauvaise foi ne se présume pas, et la preuve qui en doit être faite par celui qui l’allègue article 2268, Code civil ne donnera lieu en général qu’à une discussion et à un jugement de fait. Mais lorsque l’acte translatif de propriété est entaché du vice ou matériel ou légal qui rend ce titre nul, le possesseur ne peut prétendre qu’il l’ignorait, et la preuve qu’il en avait connaissance résulte de l’acte lui-même ; cette solution s’applique surtout au cas où l’acte est nul pour vice de forme ou pour toute autre contravention à une disposition légale ; car personne ne peut trouver une excuse et la source d’un droit, dans son ignorance de la loi. -u 690 — Aussi, une foule d'arrêts ont-ils décidé qu’il suffisait pour que le possesseur ait été valablement condamné à la restitution des fruits, que les tribunaux eussent constaté que le contrat auquel l’acquéreur avait concouru renfermait le vice qui le rendait nul, ou que ce vice fût fondé sur une disposition de la loi. Nous n’admettons pas l’interprétation donnée au § G de la loi 25 de IJered. pet., loi toute spéciale. Nous invoquons au contraire le principe général juris crvor nulliprodest du § 15,1. 2 ,ff. prô-emptore, et celui tout à fait identique mmquam errdr juris possessori prodest, écrit dans la loi 31 ,ff. de Usucap. Autrement, il faudrait rayer l’art. 550 du Code civil; il ne produirait presque jamais d’effet, et les tribunaux pourraient le laisser de côté à l’aide d’une déclaration vague de bonne foi ou d’ignorance des vices de la part du possesseur. La loi ayant défini la bonne foi, a par là même limité le pouvoir du juge du fait qui est tenu de se renfermer dans cette limite, dans cette définition. 108° Nous avons parlé de la jurisprudence, nous allons l’exposer. Nous mentionnerons d’abord un arrêt de la Cour de cassation, du 28 février 1825 Sirey 1825-1-426 portant, rejet d’un pourvoi formé contre un airêt de la Cour de Toulouse, qui adjugeait les fruits à une femme mtt*- riée sous le régime dotal, pour ses biens aliénés par son mari, du jour du décès de ce dernier et non du jour de la demande. Cependant l'arrêt n’avait pas constaté par une déclaration formelle que l’acquéreur fût de mauvaise foi ; mais il était évident qu’il connaissait le vice de son acquisition; il ne pouvait ignorer la loi qui déclare les immeubles dotaux inaliénables. Voici une espèce remarquable dans laquelle le même — G91 — principe a été consacré. Le 22 octobre 1803, acte authentique passé devant notaire, par lequel Jean Paris et Anne Chalopin sa femme, se font mutuellement don de l’usufruit de tous les biens dont ils se trouveront saisis à leur décès pour le survivant en jouir pendant sa vie. Cette donation était nulle aux termes de l’art. 1097 du Code civil, qui interdit toute donation mutuelle entre époux par un seul et môme acte. En 1806, décès d’Anne Chalopin, sans enfants; son mari signifie aussitôt aux héritiers collatéraux de la défunte, copie de l’acte du 22 octobre 1803, en lui donnant la date du 22 octobre 1802, conformément à l’expédition qui lui en avait été délivrée par le notaire. Or, au 22 octobre 1802, le Code civil n’existait pas encore, et la législation antérieure permettait les donations mutuelles par un seul et môme acte. Jean Paris se mit en possession des biens de sa femme, et en jouit sans trouble jusqu’en 1830, c’est-à-dire pendant vingt-quatre ans. Mais à cette époque les héritiers de sa femme, ayant découvert l’erreur de date de l’expédition, intentèrent contre le mari une demande en nullité de l’acte, en revendication des biens d’Anne Chalopin, et en restitution des fruits depuis le décès de celle-ci. Le. mari reconnut la nullité fondée sur l’art. 1097 du Code civil. Mais il refusa de restituer les fruits, prétendant qu’il avait possédé de bonne foi, qu’il ignorait le vice de l’acte de donation, puisque l’expédition lui donnait une date antérieure au Code civil; les héritiers de sa femme répondirent que Jean Paris étant partie dans l’acte en connaissait la date véritable, et que la nullité étant fondée sur la loi que personne n’est censé ignorer excluait péremptoirement l’exception de bonne foi. — 692 — Cependant, en première instance, cette exception de bonne foi fut admise par le Tribunal de Châteauroux; mais en appel, elle fut écartée par la Cour de Bourges en ces termes Considérant que nul n’est censé ignorer la loi ; que dès lors Paris est censé avoir connu l’art. 1097, Code civil, qui interdit aux époux de se faire aucune donation par un seul et môme acte ; qu’ayant figuré dans l’acte du 22 octobre 1803, il ne pouvait pas ignorer la date de cette donation ; qu’ainsi il était aux termes de droit évident pour lui que le titre, en vertu duquel il prenait possession des biens de son épouse, était nul, et ne pouvait produire aucun effet ; qu’il ne peut dès lors invoquer sa bonne foi, et doit restituer toutes les jouissances par lui indûment perçues. » Sirey-Devilleneuve, année 183û, partie 2 e , p. 38. Un autre arrêt de la même Cour, en date du 11 mars 1837, a décidé que celui qui achète sciemment un inj- meuble appartenant à un mineur sans l’accomplissement des formalités prescrites par les lois ne peut être considéré comme possesseur de bonne foi, et ü ce titre faire les fruits siens La Cour, considérant qu’il résulte en fait des énonciations et des prévisions de l’acte de vente que l’acquéreur connaissait l’état de minorité de Jacquette Briteau; qu’en droit, il ne pouvait ignorer que la vente des biens des mineurs n’était valable qu’après des préliminaires indispensables et avec des formes spéciales; considérant que la promesse d’une ratification faite audit acte par la mineure était, à défaut de capacité, aussi nulle que la vente elle-même; qu’ainsi l’acquéreur, prévenu qu’il courait la chance d’être évincé, et l’éviction étant pour — 693 lui sans cesse imminente, ne peut être considéré comme possesseur de bonne foi; dit mal jugé au chef qui borne la restitution des jouissances à celles échues depuis la demande; émendant et faisant ce que les premiers juges auraient dû faire, ordonne qu’elle comprendra toutes celles échues depuis l’acte de vente, du 14 décembre 1820, sous la distraction comme pour celles allouées par les premiers juges, des contributions et réparations proportionnelles, etc. Devilleneuve et Carette 1838, 2' partie, p. 75. » Un arrêt de la chambre des requêtes, du 25 mars 1840 Devilleneuve et Carette 1840-1-456 consacre le même principe dans l’espèce suivante La dame de Boisroger-Dumuy, émigrée,est décédée à Paris, le 29 messidor an xm. Ses héritiers renoncèrent alors à sa succession ; mais lorsque intervint la loi du 27 avril 1825, relative à l’indemnité des émigrés, ils profitèrent du bénéfice de cette loi, et acceptèrent sous bénéfice d’inventaire la succession à laquelle ils avaient précédemment renoncé. Ces héritiers étaient alors représentés par les héritiers deForbin La Barben d’une part, et d’autre part par les héritiers llozières de Joran. Peu après, et par acte du 9 juin 1826, les héritiers r»ozières de Joran, revenant sur leur acceptation sous bénéfice d’inventaire, déclarèrent renoncer de nouveau à la succession de la dame de Boisroger. La liquidation de l’indemnité fut en cet état poursuivie par les héritiers de Forbin, qui traitèrent ensuite avec les créanciers de la succession. Les traités ayant été favorables, et un supplément d’indemnité, obtenu par les héritiers de Forbin, les ayant mis à même de réaliser des — GDI — bénéfices sur la liquidation de la succession de Roisro- ger, les héritiers de Uozières de Joran ont alors formé contre eux une demande à fin de compte de l’indemnité qu’ils avaient touchée, et en partage de ce qui restait, toutes dettes payées, avec restitution des intérêts perçus. Les héritiers de Forbin ont opposé aux demandeurs leur renonciation du 9 juin 1826. A quoi les héritiers de Rozières ont répondu que ayant accepté, sous bénéfice d’inventaire, ils n’avaient pu valablement renoncer, d’après la maxime semel hccres, sim per hœres, et que personne n'étant censé ignorer la loi, les héritiers de Forbin sachant dès lors que leurs adversaires avaient des droits égaux aux leurs, n’avaient pu gagner les fruits et étaient tenus de les restituer. Jugement de première instance, et arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui accueillent la demande. Quant à la restitution des fruits, la Cour d’appel considère que la renonciation était nulle par l’acceptation antérieure, laquelle avait été connue de tous les héritiers ; que dès lors les appelants héritiers Forbin ne pouvaient prétendre avoir possédé de bonne foi. Le pourvoi en cassation contre cette décision a été rejeté par l’arrêt précité. Voici une espèce dans laquelle la Cour régulatrice a posé les principes d’une manière bien plus positive encore, puisqu’elle a cassé un arrêt qui avait admis la bonne foi, malgré la nullité d’une vente prononcée par la loi. Un maire s’était rendu adjudicataire de biens nppar tenant à sa commune, et avait joui pendant plusieurs années de ces biens. La commune demanda la nullité de la vente, en se fondant sur l’art. 1596 du Code civil, et la restitution des — 695 — fruits à partir de l’entrée en possession. Jugement de première instance qui accueille complètement les con- clu ions de la commune, mais sur l’appel, arrêt de la Cour de Pau qui, tout en maintenant la nullité de la vente, n’ordonne la restitution des fruits qu’à partir de, l’assignation en justice. Attendu que le maire paraît avoir agi de bonne foi en acquérant les biens communaux; qu’il était d’autant plus excusable de n’avoir pas supposé lors de la vente qu’il fût incapable d’acquérir, d’après les dispositions de l’art. 1596 du Code civil, qu’il avait été en quelque sorte encouragé par l’administration elle-même à concourir à cette acquisition aux enchères, et que cette même adjudication lui fut donnée par le notaire, sur la réquisition de l’adjoint, assisté du sous-préfet de l’arrondissement; qu’ainsi il est juste de déclarer que le maire ne sera tenu de la restitution des fruits que du jour de la demande. » Certes, l’arrêt réunit bien des considérations favorables et d’une très-grande force; mais la loi est encore plus forte cl bien supérieure à ces considérations. Le maire ne pouvait valablement alléguer avoir ignoré le vice de son acquisition, puisqu’il résultait de la disposition générale et absolue de la loi; aussi sur le pourvoi en cassation cet arrêt fut-il annulé en ces termes Vu les art. 5/i9 et 550 ; considérant que le possesseur n’est réputé de bonne foi qu’autant qu’il possède, comme propriétaire, en vertu d’un titre de propriété, dont il ignore les vices, et qu’en aucun cas l’ignorance des vices du titre ne peut être alléguée par celui qui achète contre la prohibition formelle de la loi; attendu que tel a été le cas de Poymiro qui, maire de la commune, dont les immeubles étaient en vente, s’en est rendu adjudicataire, — 696 — malgré la disposition prohibitive de l’art. 1596 du Code civil ; qu'il a donc connu les vices de son titre à son origine même; qu’il devait dès lors être tenu de la restitution des fruits à compter du jour de son adjudication, et que par conséquent l’arrêt attaqué en ne le condamnant à cette restitution qu’à compter du jour de la demande a ouvertement violé ledit art. 550, Code civil 11 janvier 18/13; Dalloz 1843, l r " partie, p. 1/19. » Dans une autre affaire, Audicq contre la commune de Brain, la Cour de Rennes avait dispensé cette commune d’une restitution de fruits attendu que les divers éléments de la cause se réunissaient pour établir que la commune qui avait depuis des siècles la possession fondée sur plusieurs anciens titres avait continué à posséder de bonne foi les biens vendus à Damour par acte émané de l’autorité administrative, le 27 février 1812, depuis le 22 thermidor an iv, jusqu’à l’époque de cette vente. » Mais, sur le pourvoi, arrêt de cassation, du à février 1845, attendu entre autres motifs Que la commune de Brain ne pouvait pas invoquer sa bonne foi pour prétendre qu’elle avait le droit de s’approprier les fruits, puisque indépendamment de ce que nul n’est admis à prétexter son ignorance de la loi, la dépossession légale de la commune remontait au jour du versement fait par le sieur Damour des trois quarts de son prix d’acquisition, et qu’à dater de ce jour les fruits étaient acquis au soumissionnaire; d’où il suit que la Cour royale de Rennes, qui s’est fondée sur cette exception de bonne foi, pour dispenser la commune de rapporter ces fruits, a violé les lois sus énoncées, et fait une fausse application des art. 549 et 550 du Code civil. De- villeneuve et Carette 1845, l rc partie, p. 220. » — 697 — Un autre arrêt de la même Cour, du 3 avril 1845 même recueil 1845-1-423, rejette le pourvoi d’un acquéreur de bien dotal, condamné à la restitution des fruits du jour de son entrée en possession, en se fondant sur ce qu’il résultait, tant de l’acte de vente que des faits de la cause que l’acquéreur savait qu’il achetait un immeuble dotal, ce qui l’avait constitué en état de mauvaise foi. Un autre arrêt, du 20 janvier 1835 Dalloz 1835-1- 49, a décidé que pour ordonner la restitution des fruits, il n’était pas nécessaire de déclarer, en propres termes, l’existence de la mauvaise foi ; que la déclaration que c’était par abus sans droit ni qualité qu'une partie s’était emparée d’une propriété, équivalait à celle de mauvaise foi. Enfin, un arrêt, du 25 avril 1842 Devilleneuve 1842- 1-542 a rejeté le pourvoi contre un arrêt de la Cour de Rouen, qui, en déclarant nulle la vente d’un bien dotal, avait ordonné la restitution des fruits à la femme, non pas seulement du jour de la demande, mais bien du jour du décès du mari ; aucun motif, tiré de la mauvaise foi de l’acquéreur, n’était donné à l’appui de cette restitution. Le silence de l’arrêt est remarquable. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par le motif suivant attendu que l’arrêt attaqué ayant déclaré que l'acquéreur avait connu le vice de la vente, a pu ordonner qu’il serait tenu de restituer à la femme les fruits de l’immeuble litigieux, depuis l’époque où elle aurait dû en jouir, si l’immeuble n’avait pas été aliéné, et qu’en jugeant ainsi l’arrêt attaqué n’a violé aucune loi. » 109° Il y a une exception à la règle que le possesseur de mauvaise foi doit la restitution des fruits par lui perçus. Les communes dépossédées de biens qu’elles dé- tenaient mal à propos à titre de communaux, ou les particuliers qui sont à leur lieu et place à titre de partage, de vente, d’échange, ne peuvent être condamnés à la restitution des fruits en faveur des tiers réintégrés qu’à compter du jour delademandern justice, quoique la possession soit réputée de mauvaise foi. effet, l’art. 9 * de la loi du 9 ventôse an XII est très-formel ; il déroge au droit commun, ainsi que cela résulte du langage do l’orateur du gouvernement, qui a présenté le projet de loi à la sanction du Corps législatif. Voyez aussi Merlin, Questions de droit, V" Fruits, § 5, n° 1 et 2, et deux arrêts de la Cour de cassation, des 19 mars 1810 et 13 février 1820. Mais nous ne croyons pas qu’une exception semblable puisse exister en faveur du possesseur maintenu par jugement rendu au possessoire. Nous croyons qu’il pourrait être condamné même à la restitution des fruits perçus pendant l’année qui aurait précédé le trouble et jusqu’à l’action petiloire; mais une déclaration très expresse de mauvaise foi serait alors nécessaire; à plus forte raison une pareille déclaration pour les années antérieures entraînerait la restitution. 110 3 Notre Code ne distingue pas comme le faisait le droit romain , les fruits consommés, de ceux extans ou encore existants lors de l’action. Il suffit qu’ils aient été perçus, cueillis ou recueillis pour qu’ils soient acquis au possesseur de bonne foi, qui n’est tenu de restituer que ' Cet article 9 est ainsi conçu Il ne sera prononcé do restitution de fruits ou jouissance, ni par les tribunaux, en faveur des tiers, dans le cas des répétitions prévues par l’article précédent, ni par les conseils de préfecture on faveur des commune- 1 , dans celui mentionné en l’art. 5. qu’à compter du jour de la demande pour les particuliers, à compter du 1 er vendémiaire au xiu, pour les communes. — 699 — ceux non perçus lors de l’action et ceux à échoir fructus pendentes pars furnli videntur. L. kk, ff. de Iîei vind.. Nous considérons comme perçus tous les fruits qui sont détachés du sol ou des arbres qui les produisent, quoiqu’ils soient restés déposés sur le champ et non encore transportés dans les granges ou dans les greniers ; mais non ceux qui sont encore adhérents au sol ou sur les arbres, quoiqu’ils soient parvenus à leur maturité. C’est aussi l’opinion de Bourjon, t. II, p. 518, 519, n M 3 et 5, de Dornat, p. 239, n° 7 ; voyez encore L. 13, ff. Quibus modis nsusfructus vcl usus amilt. L. ùS. ff. de Âcq. rer. dom. et la loi 78, in fine. ff. de Itei vind. Dornat, à l’endroit cité, s’exprime dans les termes suivants Si un possesseur de bonne foi est assigné à la veille de la récolte par le maître du fonds, pour s’en désister et rendre les fruits, et que par l’événement il soit condamné, il sera tenu de rendre les fruits de cette récolte ; car n’étant pas encore cueillis lors de la demande, ils faisaient partie du fonds et la demande avait fait cesser le droit que ce possesseur avait de jouir. Mais si les fruits étaient cueillis avant la demande, quoiqu’ils n’eussent pas été emportés encore et qu’ils fussent restés dans le champ, ils appartiendront à ce possesseur. Car les ayant cueillis et séparés du fonds, ils ont été à lui ; et on ne peut plus lui en ôter la propriété, ni l’empêcher d’emporter ce qui lui est acquis. » Voici l’opinion de Bourjon, t. II, p. 518, 519, n°* 3 ct5. 3. Tous les fruits cueillis avant la demande appartiennent au possesseur de bonne foi, encore qu’ils fussent sur le champ, lorsque la demande au pétiloire a été formée; la séparation du fonds, jointe à la bonne foi, les a faits — 700 siens; en effet, par cette séparation, ils ne font plus partie du fonds ; ils lui appartiennent donc ; c’est un pur mobilier non sujet à suite que la loi et la bonne foi ont rendu sien ; mais ceux qui tiennent encore au fonds en font partie. 5. Voyons les fruits que l’action contre un tel possesseur embrasse nonobstant la bonne foi. Tous les fruits qui se trouvent pendants par les racines au jour de la demande contre lui formée au pétitoire, ne lui appartiennent pas; ils appartiennent au vrai maître ; ils font partie du fonds qui ne lui appartient pas; la demande a fait cesser sa bonne foi ; ces fruits appartiennent donc au propriétaire, et ce, indépendamment de la durée de l’instance. Il y a plus cela aurait lieu, encore que la demande eût été formée la veille de la récolte ; cette proximité n’affaiblit en rien le fait constant que les fruits étant encore pendants par les racines, font partie du fonds qui ne lui appartient pas. » L’annotateur ajoute les observations suivantes Ce qui est conforme à nos usages ainsi qu’à l’équité. Je l’ai entendu ainsi juger au Châtelet, et c’est le droit commun. » Ces décisions nous paraissent d’autant plus justes et d’autant plus applicables aujourd’hui, que les art. 5â8, 5/i9 et 550, pour décider que les fruits appartiennent au possesseur de bonne foi, ne s’attachent qu’au fait matériel, de la perception, sans tenir aucun compte de leur consommation ou de leur existence, ni de leur matinité plus ou moins avancée, et que, comme il s’agit d’une exception au droit de propriété , il est indispensable, comme nous l’avons déjà dit, de la renfermer dans les termes précis de la loi. Cependant si un possesseur s’était hâté de recueillir les fruits avant leur maturité, et cela d’une manière af- — 701 — fectée et inusitée, avec l’intention très-présumable de se soustraire à la restitution, et parce qu’il aurait pu avoir connaissance du projet, des intentions du demandeur de l’attaquer ; si l’action pétitoire, d’après l’époque où elle a été formée, les eût conservés au demandeur dans le cas où ils n’eussent été recueillis qu’à leur maturité, nous pensons qu’alors il y aurait fraude, peut- être même mauvaise foi; que les juges devraient condamner le possesseur à les restituer avec d’autant plus de raison que nous avons de la peine à donner le titre de fruits à des produits non encore parvenus à leur maturité. Les loyers ou fermages dont le payement aurait été ajourné à une époque postérieure à la demande appartiendraient au demandeur, quoiqu’ils représentassent une jouissance antérieure Cour de cassation , 30 juin I8Z1O; Dalloz, 18Z0-1 -261 car ils n’appartiennent au possesseur que par le double fait de l’écbéance et de la perception ; à plus forte raison en serait-il de même des loyers ou fermages payés d’avance, comme à Paris les 0 mois des marchands. L’art. 586 est inapplicable ici. 111° Les fruits perçus par un possesseur de mauvaise foi doivent être restitués par son héritier, quoique celui- ci soit de bonne foi, parce qu’ils étaient dus personnellement par son auteur, et qu’il succède à ses obligations comme à ses droits. Il est successor in uniuersnm jus et causant defuncli. 112° Mais nous pensons que l’héritier dans ce cas fait siens les fruits qu’il a perçus, puisque l’acquisition des fruits est attachée au fait de la perception de bonne foi. Que la perception est toute personnelle, se compose de faits isolés et ne peut être régie par les principes relatifs à la prescription du fonds même. Domat, Bourjon, Po- — 702 — thier, se fondant sur le droit romain et sur des raisons qui nous semblent plus subtiles que solides, ne tenaient aucun compte de la bonne foi personnelle de l’héritier, lui infligeaient la peine de la restitution des fruits, non- seulement pour ceux perçus par son auteur, mais encore pour ceux qu’il avait perçus lui-même de bonne foi; mais nous n’admettons pas cette solution , et l’on peut voir d’.ailleurs, à l’appui de notre sentiment, Duranton, Zachariæ, Ilennequin, Marcadé, Uliavot, Pellat, Molitor et Demante Cours de droit civil, et un arrêt de la Cour de cassation, 24 mai 1848. 113° Celui qui aurait commencé à posséder de bonne foi et qui viendrait à avoir connnaissance des vices de son titre, cesserait du jour où cette connaissance lui serait venue de profiter des fruits; celui qui, ayant commencé à posséder de mauvaise foi, aurait plus tard un juste motif de se considérer comme propriétaire, par exemple s’il se croyait seul héritier, s'il y avait un testament qu’il pouvait croire valable, ferait les fruits siens depuis le commencement de sa bonne foi et pour tout le temps de sa durée. Les mêmes solutions s’appliqueraient aux diverses alternatives de bonne ou de mauvaise foi dans lesquelles un possesseur pourrait successivement se trouver. 114° Il résulte de tout ce qui précède, que la mauvaise foi peut exister et être prouvée avant toute action pétitoire, avant toute contestation en cause. Un possesseur peut découvrir les vices de son titre, l’existence et la validité des titres d’autrui. De quelque manière que cela arrive, le possesseur est constitué en mauvaise foi, et, par conséquent, en demeure de restituer les fruits. L’ordonnance de 1539 le décidait ainsi très-positive- 703 — ment, et les art. 5/i9, 550 ne sont pas moins formels puisqu’ils imposentla restitution d’une manière générale du jour où les vices du contrat sont connus. 115° Du reste, la recherche et la constatation de la bonne foi ne sont nécessaires que pour le règlement des fruits antérieurs à l’action pétitoire, car ceux re^ cueillis depuis doivent être restitués en vertu du principe qui fait courir les fruits, les intérêts des immeubles, des choses mobilières, des capitaux, du jour même de la demande faite en justice, de ces diverses choses. 116° La demande pétitoire ne comprend pas de plein droit celle en restitution des fruits échus antérieurement. Une demande expresse est ù cet égard nécessaire ; si elle n’a pas été comprise dans l’action pétitoire, elle peut être ajoutée par des conclusions incidentes; mais il serait plus régulier d’en faire l’objet d’une demande nouvelle et principale. Nous pensons que cette demande des fruits peut avoir lieu, même après jugement définitif sur le fonds ; et quoiqu’il n’v ait eu aucune réserve sur ce point, ni dans les conclusions, ni dans le jugement, aucune fin de non recevoir ne pourrait résulter de ce silence. La renonciation à un droit ne se présume pas et doit être exprimée en termes formels. Arrêt de la Cour de Cassation, du 13 décembre 1830. Dalloz, 1831. Mais la demande en délivrance de l’immeuble entraîne et comprend, par voie de conséquence, celle en restitution des jouissances postérieures. 117° Nous pensons qu’une demande, dans laquelle le demandeur aurait omis de copier ses litres ne donnerait pas moins droit, en sa faveur, à la restitution des fruits échus depuis. Vainement dirait-on que faute de connaître les titres — 704 — du demandeur, le possesseur continue d’être de bonne foi ; nous ne pouvons admettre cette conséquence, avec laquelle on irait jusqu’à prétendre que le défendeur ne doit les fruits que du jour où il est certain des droits de son adversaire, et que cela résulte seulement de la décision définitive des tribunaux sur le fond du litige. D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, l’assignation a un effet particulier, un effet de mise en demeure et d’avertissement indépendant de son influence sur la bonne ou la mauvaise foi, et les art. 61, 64, 65 du Code de procédure n’exigent pas, à peine de nullité de l’action, la signification des titres. Sans doute il est plus régulier d’en donner copie dans l’ajournement même, et nous conseillons de ne pas omettre cette formalité ; mais la seule peine attachée par la loi à son inobservation , étant le refus d’allouer en taxe les frais des copies de titres signifiés dans le cours du procès, il en résulte que l’action donnée sans ces copies, saisit valablement le Tribunal, interrompt la prescription, et l’on ne verrait pas pourquoi l’acte par lequel le Tribunal est légitimement mis à même de juger le principal n’aurait pas la même vertu pour les conséquences, pour les accessoires. Très-souvent le demandeur invoquera la prescription, des faits de construction, de plantation, prétendra que la réserve héréditaire a été entamée, méconnaîtra, ou dira qu’il ne connaît pas la signature apposée par son auteur ou par l’auteur de son adversaire, à un acte sous seing- privé, s’inscrira en faux contre un acte authentique supposé passé au nom des auteurs respectifs des parties, ce qu’il offrira de prouver, par expertises, par enquêtes. Prétendra-t-on que les fruits ne devront être restitués que du jour où les tribunaux auront déclaré qu’il ré- - 703 — suite des expertises, des enquêtes, que les actes sont faux, que le demandeur est propriétaire, parce que c’est seulement de ce jour que le défendeur a été certain qu’il n’avait pas de droit sur l'immeuble, et qu’il a commencé à être de mauvaise foi ? cela ne nous paraîtrait pas soutenable. Voyez d’ailleurs arrêt de la Cour de cassation, du 8 mars 1852. 118° Mais si le demandeur laissait périmer l’instance, l’action devrait être considérée comme nulle et sans effet. Cependant, si avec son assignation, il avait signifié copie de ses titres, elle vaudrait comme sommation, comme constituant le possesseur en mauvaise foi. Une simple signification de titres, même sans sommation de déguerpir, doit avoir cet effet, et, à plus forte raison, lorsqu’il y a une semblable sommation. 119“ La citation en conciliation qui, en général, doit précéder l’action pétitoire, donne, comme l’action elle- même, droit aux fruits, pourvu qu’elle soit suivie de cette action dans le délai d’un mois de la non-conciliation ou de la non-comparution, car aux termes des articles 2245 du Code civil et 57 du Code de procédure, la citation, dans ce cas, interrompt la prescription et fait courir les intérêts. Or, les fruits sont pour les immeubles ce que sont les intérêts pour les capitaux pécuniaires. Si un particulier était dépositaire ou se croyait propriétaire d’une somme d’argent, la citation ferait courir les intérêts de cette somme. Pourquoi n’en serait-il pas de même relativement aux fruits des immeubles? 120° Du reste, nous pensons et la Cour de cassation a décidé, par arrêt du 23 décembre 1840, que le mémoire présenté au préfet en matière domaniale, aux termes de la loi du 5 novembre 1790, ne peut être assimilé à une 43 — 706 — demande; que s’il a pour effet d’interrompre la prescription il ne peut, comme la demande, faire courir le droit à la restitution des fruits. Il faudrait en dire autant dans les affaires de communes et de départements. 121“ Le défendeur serait tenu de restituer les sommes qu’il aurait reçues pour service ou rachat de rentes, remboursement de capitaux, libération de servitudes établies en faveur de l’immeuble, et le demandeur aurait droit de critiquer ces opérations, d’en faire, en certains cas, prononcer la nullité, même contre les tiers, si la prescription n’était pas acquise, ou de réclamer toutes indemnités et tous intérêts convenables du défendeur, si les traités étaient onéreux ou préjudiciables surtout dans le cas où celui-ci serait possesseur de mauvaise foi. Les baux que le possesseur de bonne ou de mauvaise foi aurait fait de l’immeuble revendiqué à un locataire ou fermier de bonne foi, devraient être maintenus et s’exécuter, soit pour neuf années à partir de l’action, s’ils avaient été faits pour un plus long temps, soit pour la période de neuf ans qui resterait encore à courir à partir de cette action. Le véritable propriétaire aurait seulement droit aux loyers et fermages; mais si le locataire ou fermier était de mauvaise foi, si le prix et les conditions étaient évidemment désavantageux, le vrai propriétaire pourrait faire annuler des actes qui auraient la fraude pour base. 122° Les principes ci-dessus développés s’appliquent au possesseur de bonne foi ou de mauvaise foi, à titre héréditaire, comme à celui qui possède à tout autre titre. Le droit romain L. 40, § 1, ff. de Hered petit., par application de la règle fruclus augent hereditatem , voulait que le possesseur de bonne foi d’une hérédité fût tenu — 707 — de compter à celui qui la revendiquait et qui triomphait dans son action, des fruits perçus avant la litiscontesta- tion, mais seulement jusqu’à concurrence de ce qu’il s’était trouvé en profiter et en être plus riche au moment de l’action. Pothier avait émis, non sans hésitation, et comme tempérament d’équité, l’opinion qu’on devait le dispenser de la restitution ; mais il ajoutait que dans notre pratique française, on exigeait de celui qui s’était mis en possession d’une succession, qu’il comptât des fruits à l’héritier qui l’avait évincé, ce que confirmaient Bourjon, t. II, p. 518, 519 et son annotateur, et Domat, p. 233, n° 9. Mais aujourd’hui aucune distinction n’est plus possible entre le possesseur de bonne foi d’un immeuble à titre d'héritier et le possesseur à tout autre titre. Notre législation actuelle les assimile complètement. Les art. 549 et 550 sont conçus dans une généralité d’expressions qui exclut toute différence. Les motifs sont les mêmes dans les deux cas. L’art. 138 nous en fournit un exemple ; il porte que tant que celui qui n’était pas présent à l’ouverture d’une succession ne se représente pas ou que l’action en pétition d’hérédité ou en revendication n’est pas exercée de son chef, ceux qui auront recueilli la succession gagneront les fruits par eux perçus de bonne foi. C’est aussi l’opinion de M. le professeur Bugnet dans ses notes sur le passage précité de Pothier et la décision d’un arrêt de la Cour de Cassation, du 21 janvier 1852. 123“ La restitution comprend tous les fruits, les fruits civils, comme ceux qui sont naturels ; et si le possesseur a joui par lui- même au lieu d’affermer, de louer, s’il s’agit d’un immeuble de simple agrément, d’une chose qui — 708 — n’est pas susceptible de produire des fruits, les juges apprécieront la valeur de ces avantages et condamneront le possesseur à payer une indemnité ; car tout fait qui cause un dommage oblige son auteur à une réparation. L. 64, ff. de Rei vind. et art. 1382 du Code civil. Les bois de haute futaie ne sont considérés comme fruits qu’autant qu’ils sont mis en coupes réglées, autrement les arbres sont un accessoire, une partie du fonds lui-même. L. 7, § 12, ff. de Soluto matrim. Domat, Proudhon de 1,'Usufruit, art. 591, 592, du Code civil, et arrêt, de la Cour de cassation, du 8 décembre 1836. Si c’était la nue propriété qui fit l’objet de l’action pé- titoire, le défendeur ne pourrait être condamné à la restitution des fruits que du jour où l’usufruit aurait cessé ; mais il pourrait être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice qu’il aurait pu causer en empêchant le demandeur de vendre cette nue propriété, par la contestation qu’il aurait élevée sur les droits de ce dernier. Le possesseur de mauvaise foi, celui qui est traduit en justice sont tenus de restituer, non-seulement les fruits perçus, mais même ceux qu’ils n’ont pas perçus par leur faute, leur négligence ou en laissant périr la chose, et que le demandeur administrant en bon père de famille eût perçus. L. 33, 62, § 1, ff. de Rei vind. L. 50, g 1, ff. /7ered-peh' serait de même des fermages et loyers qu’ils auraient laissé prescrire, ils ne devraient pas moins en tenir compte au propriétaire. 124° Il est évident que le possesseur de mauvaise foi ne pourrait opposer au demandeur la prescription de cinq ans, réglée par l’art. 2277 du Code civil, car cet article suppose l’existence d’une convention, d’un bail ; il parle d’une dette payable par année ou à des termes — 709 — périodiques plus courts. Sa disposition ne peut donc s’appliquer à une restitution de fruits qui demeure sous l’empire des principes généraux et se prescrit seulement par trente ans, ou dix ou vingt ans avec la chose principale, aux termes des art. 2262,2265 et 2266 du Code civ. Cour de cass. 13 décembre 1830, Dalloz, 1831-1-8. 125° Il arrive quelquefois que le véritable propriétaire n’a pas d’action contre le possesseur actuel de son immeuble, et qu’il lui en reste une contre celui qui l’a aliéné. Supposons en effet qu’un particulier ait vendu, donné, échangé une maison et que l’acquéreur l’ait possédée pendant dix ans entre présents, vingt ans entre absents, avec bonne foi, son acquisition sera devenue irrévocable ; mais le vendeur de la chose d’autrui, fût-il de bonne foi, mais sans titre ou avec un titre putatif, ce qui dans notre opinion revient au même, sera au moins tenu, pendant trente ans, de la restitution du prix qu’il a tiré de l’aliénation et des fruits ou de la valeur et des produits de l’immeuble, si la disposition a eu lieu à titre gratuit. C’est aussi le sentiment de Bourjon qui s’exprime ainsi, t. II, p. 517 N° 10. Approfondissons l’effet de la prescription. L’effet de la possession relativement au défendeur au pé- titoire va encore plus loin ; s’il a pour lui la bonne foi, et qu’il ait acquis, par un titre de celui qu’il croyait propriétaire de l’héritage, et qu’il ait avec ce titre et la bonne foi, possédé pendant dix ans entre présents et vingt ans entre absents, les uns et les autres âgés et non privilégiés, telle possession le met à couvert de l’effet de l’action pétitoire, parce qu’il a acquis prescription contre tout propriétaire par ce seul intervalle de temps, lorsqu’il y a titre appa- — 710 — rent et bonne foi, réunis à une telle possession; il faut tout ce concours; sans lui, il n’y aurait pas de prescription acquise par ce laps de temps, il en faudrait trente. N° 11. Mais en ce cas d’une prescription de dix ou vingt ans, le vrai propriétaire a action pour répéter le prix de son héritage contre celui qui l’a indûment vendu, et qui n’a pu, par son fait, s’approprier le prix d’un bien qui ne lui appartenait pas; c’est la seule action qui lui reste, et il n’en a pas contre l’acquéreur qui a joui dans les circonstances et pendant le temps marqué ci-dessus ; du moins, elle est. rejetée. C’est salutaire disposition qui ménage tout juste intérêt. » L’annotateur de Bourjon ajoute à ce texte les observations suivantes On le juge ainsi au Châtelet, par rapport à un tel vendeur, sur le fondement que la durée d’une telle action est de trente ans, et que la réduction de dix et de vingt ans n’est qu’en faveur de celui qui a titre et bonne foi; ce qu’on ne peut appliquer à celui qui vend frauduleusement le bien d’autrui et qui par là fait naître une action directe et personnelle contre lui ; action qui a cette durée. » Cette doctrine a été consacrée par un arrêt de la Cour de cassation, du 2 h mai 1848. Ajoutons que si le vendeur était de mauvaise foi, il serait obligé de tenir compte au vrai propriétaire, non- seulement de la valeur de l'immeuble au moment de la vente, mais encore de la différence avec celle au moment de l’action si elle était supérieure à la première, plus des fruits sur cette double base. Arrêt de la Cour de cassation, du 20 juillet 1852. Un acquéreur de mauvaise foi d’un bien dotal, con- — 711 damné à rendre l’immeuble et les fruits, adroit aux intérêts du prix que cet immeuble lui a coûté. Arrêt de la Gourde cassation, du 10 juillet 1849. 126° Il est évident que le légataire d’un usufruit qui, après avoir recueilli ce legs, en est déclaré déchu, par application d’une clause ou condition du testament même et est dès lors tenu de restituer la chose léguée, doit être condamné à restituer les fruits par lui perçus, même quand il a possédé de bonnefoi, puisque ces fruits constituent précisément la chose léguée; mais qu’il ne peut être tenu des intérêts de ces fruits qu’à partir de la demande en justice et non à compter de chaque perception. Arrêt de la Cour de cassation, du 10 juillet 1849. 127° Un acquéreur à trop bas prix et attaqué en rescision, pour cause de lésion, peut cependant être considéré comme possesseur de bonne foi, et n’être tenu au payement de la valeur des fruits ou des intérêts qu’à compter de la demande. Cour de cassation, du 15 décembre 1830 ; Dalloz, 31-1-24. Dans les demandes en rescision, pour cause de lésion, l’acheteur a le choix, ou d’abandonner l’immeuble, ou de le retenir en complétant le juste prix. S’il préfère le garder, il doit l’intérêt du supplément, du jour de la demande en rescision. S’il préfère le rendre et recevoir le remboursement de son prix, il rend les fruits, du jour de la demande ; l’intérêt du prix qu’il a payé lui est aussi compté du jour de la même demande ou du jour du payement, s’il n’a touché aucuns fruits. Art. 1081 et 1682 du Code civil. En cas de vente à réméré, l’acquéreur sur qui le rachat est exercé, n’est tenu de restituer les fruits de l’immeuble qu’à compter du jour où le rachat est consommé — 712 — par le remboursement ou la consignation du prix de la vente. Les fruits se compensent avec les intérêts du prix dont le vendeur a eu la jouissance. Merlin , Favard , V° Faculté de rachat ; Duvergier, de la Vente, t. II, n°’ 29 et 59. Cour de cassation, 14 mai 1807. 128° Le possesseur de bonne foi ne doit jamais d’intérêts pour les fruits antérieurs à la demande, puisqu’il ne doit pas les fruits eux-mêmes; il n’en doit que pour les fruits échus depuis l’action. Malgré la mauvaise foi du possesseur, celui-ci ne doit les intérêts des fruits que du jour de la demande judiciaire à fin de restitution de ces fruits, soit que le demandeur ait conclu à ces intérêts, soit qu’il ait seulement demandé la restitution des fruits. Cependant, la mauvaise foi peut être accompagnée de circonstances tellement graves, que nous n’hésiterions pas alors à décider que le possesseur doit un dédommagement si ce n’est sous le nom d’intérêts, au moins comme partie intégrante de la restitution des fruits. Les fruits peuvent être d’une telle importance que le possesseur aura non-seulement reçu, mais fait des économies sur leur produit. Aux termesdes art. 1154,1155 du Code civil Napoléon, les revenus, les fruits échus peuvent produire des intérêts, soit par une convention, soit par une demande en justice. Lorsque le possesseur de mauvaise foi aura obtenu des intérêts par convention ou par jugement, pourra-t-il les garder? nous ne le croyons pas, et nous pensons qu’il doit être condamné à les restituer. Vainement objecterait-on qu’il aurait pu les consommer en vivant très-largement, nous répondrions d’abord qu’alors il n’aurait pas touché d’intérêts, et ensuite que, même en ce cas, la justice pourrait, dans des fruits, prendre cette circonstance en con- — 713 — sidération, pour en fixer la valeur à un chiffre plus élevé. Faisons observer qu’aux termes de l’art. 856 du Code civil, les fruits et les intérêts des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l’ouverture de la succession, qu’au cas de réduction de donation comme excédant la portion disponible, le donataire successible ou étranger doit la restitution des fruits de ce qui excède cette portion, du jour du décès du donateur, si la demande en réduction a été faite dans l’année, lors même qu’il serait de bonne foi, sinon du jour de la demande art. 928 ; que le légataire d’un immeuble n’a droit aux fruits que du jour de la demande en délivrance ou du jour où elle a été volontairement consentie, sauf les cas prévus par l’art. 1015. Bourjon, t. II, p. 514 et 520, paraît penser, quoiqu’il ne le dise que par forme de simple énonciation, que les intérêts des fruits ne sont dûs qu’à partir de leur appréciation et liquidation, et seulement du jour de la demande en payement du montant de cette liquidation. Nous croyons que Bourjon est ici dans l’erreur; que la demande originaire en revendication de l’immeuble, en restitution et payement des fruits à liquider, à donner par état, fait courir sur-le-champ les intérêts de la somme qui sera ultérieurement fixée. Autrement le défendeur profiterait d’une résistance injuste, multiplierait les incidents pour retarder la liquidation, qui arrive toujours à la fin et comme le dernier acte du procès. Nos lois actuelles art. 1154,1155 du Code civil et le Code de procédure, font courir les intérêts des fruits du jour où ils sont demandés, sans distinction du cas où ils sont liquidés et de celui où ils ne le sont pas ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. — 714 — Le Camus d’Houlouve, dans son Traité des intérêts, page 196, dit, à la vérité, que le Châtelet de Paris avait pour jurisprudence, toutes les fois qu’il s’agissait de choses appréciables restitution de fruits par un possesseur évincé, dommages-intérêts pour préjudice causé, fournitures de denrées et marchandises, travaux d'entrepreneurs, de n’en adjuger les intérêts demandés qu’à compter du jour de la réitération de cette demande par la requête en entérinement du procès-verbal d’estimation et liquidation dressé par les experts. Mais, ajoute notre auteur, la jurisprudence du Parlement de Paris est différente de celle du Châtelet. Cette Cour juge que, quoique des fruits, dont la restitution est ordonnée, ne soient pas liquidés, celui contre lequel cette restitution a été demandée avec intérêts avant leur liquidation, ayant été mis en retard de les restituer au jour de cette demande, il en doit les intérêts à compter du même jour, parce que ces intérêts sont la juste indemnité du retard qu’il a fait éprouver à son créancier. On suppose qu’à ce même jour il ne lui a pas été impossible de se libérer envers son créancier, puisqu’il pouvait lui faire des offres réelles équipollentes à la valeur des fruits qu’il devait connaître pour les avoir perçus *, et sauf à ajouter en cas d’insuffisance, ou à diminuer en cas d’excédant, et sur le refus de son créancier, consigner. C’est ce qui a été jugé par un arrêt rendu en la grand’chambre sur les conclusions de M. Seguier, avocat général, le 28 juin 1760. Cette Cour, en confirmant une sentence du Châtelet de Paris, qui n’avait condamné la fabrique de la ' Ces raisons s’appliquent évidemment à toutes les demandes en payement pour objets ou causes dont le chiffre n’est pas fixé. — 713 — Madeleine en la Cité, aux intérêts de choses sujettes à appréciation que du jour de la demande en entérinement du procès-verbal d’estimation, a adjugé ces intérêts à compter du jour de la demande originaire. Denizart, Répertoire , au mot Intérêts, et dans son livre des Actes de notoriété du Châtelet, sur l’acte du 28 avril 1677, rappelle aussi la jurisprudence et l’arrêt du Parlement de Paris, précité. Il cite en outre un arrêt du grand Conseil, du 23 septembre 1758, qui avait déjà jugé en matière d’estimation de travaux faits par un entrepreneur de maçonnerie pour une communauté religieuse , que les intérêts du montant de son mémoire couraient non pas seulement du jour de la demande en homologation du procès-verbal d’estimation , mais bien du jour de la demande primitive ou originaire en payement de ces mêmes travaux. Vainement opposerait-on que la compensation ne doit s’opérer qu’entre deux dettes également liquides et exigibles, et qu’au moment où les fruits et les impenses ou améliorations ont existé simultanément et constitué des dettes et des créances respectives, elles n’étaient liquides ni l’une ni l’autre; car, d’une part, là où les positions sont égales, les exceptions établies en faveur des parties se neutralisent ; d'un autre côté, en matière de fruits surtout, il y a souvent une base assurée de liquidation dans le cours des denrées, dans les mercuriales des marchés; la liquidation est même facile à défaut de mercuriales; et suivant le Président Favre, dans son Code, titre de Compensâtionibus def. 7 et 26, ce qui est facile à liquider doit être considéré comme l’étant déjà. Ce magistrat met sur la même ligne fructus liquidi vel brevi liqui- dandi; au titre de Actionibus empti et vendili, def. 6, n° 7, — 716 — in allegat, il assure que les fruits quoique non liquidés s’imputent sur le principal, fructus enim pignoris, cer- tum est impulari in sortem ; or, puisque cette imputation se fait de plein droit et par le ministère de la loi, il faut que les fruits qui sont dus éteignent la dette active de celui qui les doit ; cette extinction se fait par un payement réel, puisque le créancier a reçu ce qui lui était dû en tout ou en partie par la perception des fruits qu’il n’avait pas le droit de s’approprier; enfin, nous en avons un exemple dans la loi 5, § 21, ff. Ut in pos- sessionetn legatorum vel ideicommissorum servandorum causa esse liceat. 129° Iu reste, il importe de remarquer que le propriétaire qui obtient une restitution de fruits et qui a droit d’obtenir aussi les intérêts du montant de ces fruits à liquider ultérieurement, à partir de la demande en restitution, ne peut valablement prétendre aux intérêts des intérêts de ces fruits. Une telle prétention pourrait avoir les conséquences les plus graves, les plus onéreuses pour le défendeur, surtout dans une affaire de cette nature, dont la décision peut n’intervenir qu’après de longs délais, à raison des discussions difficiles et compliquées qu’elle entraîne, des enquêtes et des expertises auxquelles elle peut donner lieu. Les fruits sont eux-mêmes des intérêts. Souvent ils consistent en loyers ou fermages pécuniaires. Presque toujours, d’ailleurs la restitution se fait en argent; avec le système que nous combattons, le demandeur au pétitoire percevrait donc dans des proportions différentes, il est vrai, de triples intérêts produits par le même capital. La cour de Cassation a eu à s’expliquer sur ce point dans une affaire où le demandeur au pétitoire avait conclu à la remise d’un immeuble, à la resti- — 717 tution des fruits, aux intérêts de leur valeur et aux intérêts de ces intérêts. La Cour de Riom avait repoussé cette dernière prétention, et la Cour régulatrice a, par arrêt du 15 janvier 1839, rejeté le pourvoi dont il a été l’objet par le motif que l’art 1154 du Code civil, relatif aux intérêts susceptibles de produire des intérêts dans le cas qu’il détermine, ne s’applique qu’aux intérêts des intérêts échus des capitaux; que l’art. 1155 relatif, entre autres choses, aux restitutions de fruits ne dit pas que les intérêts échus de ces restitutions de fruits puissent eux-mêmes produire des intérêts; qu’ainsi en refusant de condamner les héritiers du possesseur aux intérêts des intérêts des jouissances, l’arrêt attaqué n’avait violé ni l’art. 1154, ni aucune autre loi. Journal du palais, 1839-1-169. Cette décision est conforme h l’opinion de Le Camus d’Houlouve, Traité des intérêts; aux pages 185 et 186, il dit qu’on peut demander des intérêts, des dommages- intérêts adjugés par la justice ou convenus par une transaction ; que ce n’est pas exiger des intérêts d’intérêts, mais de simples intérêts du dédommagement adjugé ou convenu ; que des dommages et intérêts, quand ils sont liquidés, forment un capital qui tient lieu d’un bien réel à celui à qui ils sont dus ; que les fruits, dont la restitution est due ou a été ordonnée, doivent être rangés dans la classe des intérêts légaux; et l’auteur, aux pages204 et 205, section intitulée Des intérêts d’intérêts qui ne peuvent être adjugés, s’exprime dans les termes suivants On a vu, dans la précédente section, qu’ il est de principe que des intérêts légaux ou de droit peuvent produire d’autres intérêts sur une demande judiciaire suivie de — 718 — 'm condamnation, ou peuvent être convertis en principal, et devenir le prix d’une constitution de rente produisant des arrérages qui équipollent à des intérêts d’intérêts. Un principe contraire, aussi constant, c’est que des intérêts judiciaires ne peuvent jamais produire d’autres intérêts, quand même on en aurait formé la demande en justice sur une mise en retard du débiteur de les payer. Nullo modo, usurœ usurarum a debitore exiganhir. L. 18. Cod. de usur, et par la même raison pareils intérêts ne peuvent être convertis en principal et devenir le prix d’une constitution de rente. Cette différence entre des intérêts légaux et des intérêts judiciaires, provient de ce que les premiers forment toujours un principal pour le créancier auquel ils sont dus, et un principal indépendant de celui qui les a produits, au lieu que les derniers ne sont jamais qu’un accessoire du principal dont ils sont provenus; et qu’en pareil cas, des intérêts des intérêts seraient ce qu’on appelle en droit accessio accessionis, additamentum addi- tamenli, seu usitra usurœ ; ce qui est expressément prohibé par les lois canoniques et civiles. » 130 3 D’après l’art. 129 du Code de procédure civile, les jugements qui condamnent à une restitution de fruits doivent ordonner qu’elle sera faite en nature pour la dernière année, et suivant les mercuriales pour les années précédentes ou à dire d’experts à défaut de mercuriales ; que si la restitution en nature est impossible pour la dernière année, elle se fera comme pour les années précédentes; l'art. 526 ajoute que celui qui sera condamné à restituer des fruits en rendra compte dans la forme fixée par les articles suivants, et qu’il sera procédé comme sur les autres comptes rendus en justice. Nous n’entre- — 719 — rons pas ici dans les détails de ce compte; nous renvoyons, à cet égard, au Code de procédure civile. Ainsi les juges ne peuvent fixer arbitrairement le montant des fruits, ni sans qu’il y ait eu préalablement un compte dans les formes prescrites par le Code ; ils ne peuvent non plu3 renvoyer purement et simplement devant experts. Arrêts de la Cour de cassation, du 25 juin 1832 , 26 février 1838 ; Dalloz, 32 - 1 - 246 - 38 - 1 - 125 , Journal du palais, 38 - 1 - 272 . Mais les parties ou l’une d’elles peuvent renoncer au mode légal qui n’est pas d’ordre public, mais simplement d’intérêt privé, et si les juges ont fixé eux-mêmes la valeur des fruits, d’après une déclaration de la partie contre laquelle la restitution est prononcée, cette partie n’est pas recevable à se plaindre de ce que l’évaluation n’a pas été faite dans la forme légale. Arrêt de la Cour de cassation, du 30 mars 1831 ; Dalloz, 1831 - 1 - 112 . Les juges peuvent donc aussi, après compte rendu, en fixer la valeur d’après les documents respectivement fournis par les parties, s’ils leur paraissent suffisants, sans être obligés de s’assujettir aux mercuriales des marchés ni d’ordonner une expertise. Cour de cassation, du 18 avril 1832 ; Dalloz, 1832 - 1 - 245 . Ainsi, encore la partie qui devant la Cour d’appel, au lieu de conclure à l’application des mercuriales, a demandé aux juges une évaluation dont elle a elle-même indiqué le chiffre ou dont elle a demandé que la Cour fixât le montant, n'est pas recevable à se faire un moyen de cassation de ce qu’il a été procédé suivant ce mode d’évaluation. Cour de cassation, 15 janvier 1839 ; Journal du palais, 1839 - 1 - 169 . La Cour d’appel qui, en infirmant le jugement, or- — 720 — donne une restitution de fruits, doit renvoyer devant le Tribunal de première instance, le compte à faire pour arriver à en fixer le montant. Ce compte constitue une instance nouvelle que la Cour ne peut retenir sans violer les règles des deux degrés de juridiction, et les principes particuliers aux redditions de compte. Cour de cassation, 26 février 1838, Journal du palais , 1838-1-272. Mais les juges d’appel qui, après avoir rétracté sur requête civile, un précédent arrêt, ordonnent la restitution des fruits perçus en conséquence de cet arrêt, peuvent retenir la connaissance de ce compte. Cour de cassation, 5 juin 1839, Journal du palais, 1839-2-264. 131° Nous passons aux indemnités pour impenses, améliorations, augmentations, et à celles dues pour raison de dégradations ou destructions. Et d’abord, quoique nous paraissions distinguer, entre les divers travaux, entre les diverses causes de dépenses et d’indemnités, nous comprenons, sous le nom générique d'impenses, toutes les dépenses faites par le possesseur sur ou pour la chose dont il est plus tard évincé par le légitime propriétaire. D’après le droit romain, et dans la rigueur des principes, celui qui bâtissait ou exécutait des travaux sur le fonds d’autrui était censé donner au propriétaire les dépenses qu’il y faisait, et n’avait, par conséquent, ni le droit de répéter ces dépenses ni celui d’enlever les matériaux. L. 7, § 12, ff. de Acq. rer dom. Cependant, comme personne ne doit s’enrichir aux dépens d’autrui, on adopta des décisions plus conformes à la justice et à l’équité. On accorda le droit d’opposer l’exception doli, et par suite, celui de répétition jusqu’à concurrence de la plus value apportée au fonds par les travaux ; celui de rétention de la chose jusqu’à payement des impenses. Lorsque le propriétaire offrait de payer les matériaux, le possesseur devait les lui laisser pour le prix de l’estimation ; et lorsque le propriétaire n’avait pas le moyen de payer la plus-value ou le prix des matériaux, le possesseur pouvait les enlever, à la charge de rétablir l’immeuble dans son état primitif ; que si les matériaux déplacés, ou les travaux voluptuaires détruits comme les peintures, incrustations, sculptures, ne devaient être qu’une cause de dépréciation pour l’immeuble, sans aucun avantage pour lui, il lui était défendu de les enlever ou détruire, et il devait laisser les choses en l’état où elles se trouvaient lors de la revendication, sans pouvoir réclamer aucun dédommagement. Il n’est pas sans intérêt de reproduire le texte des diverses lois romaines qui consacraient ces principes. L. 13, ff. de Rei vind. Non solum autern rem restitui, verùm et si deterior res sit facta, rationem judex habere debebit. Non-seulement le juge doit ordonner la restitution, mais il doit encore, si la chose est détériorée, en tenir compte. » L. 23, § 7, ff. eod. Titul. u Item, si quis ex alienis cæmentis in solo suo œdificave- rit, domum quidem vindicare poterit; cæmenta autem re- soluta prior dominas vindicabit, eliamsi post tempus usu- capionis dissolutum sit œdificium, postquam a bonæ fidei emptore possessum sit; nec enim singula cæmenta usuca- piuntur, si domus per tempoi’is spatium nostra fiat. De même, si quelqu’un bâtit avec les matériauxd’au- iO — 722 — trui sur son propre sol, il pourra revendiquer l’édifice; mais quant aux matériaux détachés, c’est l’ancien maître qui les revendiquera, quand môme l’édifice, possédé par un acheteur de bonne foi, auraitété détruit après le temps de l’usucapion ; car chacun des matériaux en particulier n’est point usucapé, bien que la maison nous soit acquise par un certain laps de temps. » L. 27, § 5, ff. de eod. TU. In rem petitam si possessor antè litem contestatam sumptus fecit, per doit mali exceptionem ratio eorum ha- beri debet, si persevcret actorpetere rem suarn, non reddilis sumptibus. Idem est etiam si . in area quæ fuit petiloris, pererrorem insulam œdificavit, nisi tamen para- tus sit petitor pati tollere eum œdificium. Si le possesseur a fait sur la chose revendiquée des dépenses avant la litiscontestation, il s’en fera tenir compte au moyen de l’exception de dol, si le demandeur persiste à revendiquer sa chose, sans rembourser ces dépenses. Il en est encore de même, si le possesseur a bâti par erreur une maison sur un terrain qui était au demandeur, à moins toutefois que celui-ci ne soit disposé à souffrir que son adversaire enlève l’édifice. » L. S7,ff. eod. TU. Julianus libro octavo Digestorum scribit Si in aliéna area ædificassem, eu jus bonœ fidei quidem emptor fui, ve- rum eo tempore ædificavi, quo jam sciebam alienam, vi- deamus an nihil mihi eaxeptio prosit; nisi forte quis dicat prodesse de damno sollicilo. Puto autem huic exceptionem non prodesse; nec enim debuit jam alienam certus, ædifi- — 723 — cium ponere. Sed hoc ei concedendum esl, ut sine dispendio domini areæ tollat ædifcium quod posm l. Julien, livre 8 de son Digeste, écrit Si j’ai bâti sur un terrain appartenant à autrui, dont j’étais acheteur de bonne foi, mais que j’aie bâti dans un temps où je savais déjà qu’il était à autrui, voyons s’il n’est pas vrai que l’exception ne peut me servir, à moins qu’on ne dise qu’elle doit servir à celui qui cherche à éviter une perte. Pour moi, je pense que l’exception ne profite pas à ce possesseur; car il n’a pas dû, sachant déjà que ce terrain n’était pas à lui, y construire un édifice ; mais il faut lui accorder la faculté d’enlever sans nuire au propriétaire du terrain, le bâtiment qu’il y a construit. » L. 38, ff. eod. Tit. In fundo alieno, quem imprudens emeras, œdificasti aut conseruisti; deinde evincitur bonus judex varie ex personis causisque constituet. Finge et dominum eadem facturum fuisse reddat impensam, ut fundum recipiat, usque eo duntaxat quo pretiosior fœtus est, et si plus pre- tio fundi accessit, solum quod impensum est. Finge pau- perem, qui si reddere id cogatur, laribus, sepulcris avitis carendum habeat ; sufficit tibi permitti tollereexhis rebus, quœ possis, dwn ita ne deterior sit fundus, quam si initio non foret œdificatum. Constituimus veto, ut si paratus est dominus tantum dare, quantum habiturus esl possessor, his rebus ablatis, fiat ei potestas. Neque malitiis indulgendum est, si tectorium, puta, quod induxeris, picturasque cor- radere velis, nihil laturus, nisi ut officias. Finge eam per- sonam esse domini, quœ receptum fundum mox vinditura sit nisi reddit quantum prima parte reddi opportere dixi- mus, eo deducto, tu condemnandus es. — 724 — Vous avez bâti ou planté sur le fonds d’autrui que vous aviez acheté par erreur; ensuite, vous en êtes évincé un bon juge décidera diversement suivant les personnes et les circonstances. Supposez que le maître eût fait les mêmes constructions ou plantations il doit, pour recouvrer le fonds, rembourser la dépense jusqu’à concurrence seulement de l’augmentation de valeur qui en est résultée ; et si la plus-value est supérieure à la somme dépensée, il remboursera seulement cette somme. Supposez maintenant que le propriétaire est pauvre et que, s’il était forcé de rembourser la dépense, il faudrait qu’il se privât de ses lares et des sépulcres de ses ancêtres il suffît qu’on vous permette d’enlever ce que vous pouvez, à la condition de ne pas mettre le fonds dans un état pire que celui où il se trouverait, si dans le principe on n’y eût pas bâti. Nous décidons, au reste, que si le* propriétaire est prêt à donner autant que le possesseur retirerait des constructions, en les emportant, il aura le pouvoir de le faire. Il ne faut pas se prêter à la méchanceté ; par exemple, si vous vouliez racler le stuc ou les peintures dont vous avez orné les murs, n’en devant retirer d’autre avantage que le plaisir de nuire. Supposez, enfin, que le propriétaire est disposé à vendre le fonds dès qu’il l’aura recouvré; alors, s’il ne rembourse pas ce que nous avons dit ci-dessus qu’il devait rembourser, vous ne serez condamné que déduction faite de cette somme. » L. 39, ff. eod. TU. Redemptores qui suis cœmentis œdificant, statim cœ- menta faciunt eorum in quorum solo œdificant. Les entrepreneurs qui bâtissent avec leurs maté- riaux, en transportent aussitôt la propriété à ceux sur le sol desquels ils construisent. » L. 48, ff. eod. Tit. Sumptus in prœdium quod alienum esse apparuit, a bonœ fidei possessore facti neque ab eo qui prœdium dona- vit, neque a domino peti possunt; verum exceptione doli posita, per ofjicium judicis œquitatis ratione servantur, scilicet si fructuum ante litem conteslatam perceptorum summam excedant; etenim, admissa compensatione, super- fhium sumpium, meliore prœdio facto, dominas restitucrc cogitur. » Les dépenses faites par un possesseur de bonne foi sur un fonds qui a été reconnu appartenir à autrui, ne peuvent être demandées ni à celui qui a donné le fonds ni au propriétaire; mais en opposant l’exception de dol, on les conserve, en vertu de l’office du juge, par une raison d’équité, en supposant que ces dépenses excèdent la somme des fruits perçus avant la litiscontestation ; car, compensation faite, le maître est forcé de restituer le surplus des dépenses qui ont amélioré le fonds. » L. 53, ff. eod. Tit. Si fundi possessor eum excoluisset sevisset ve, et pos- tea fundus evincatur, consita lollere nonpotest. Si le possesseur d’un fonds l’a cultivé et planté, et qu’ensuite il en soit évincé, il ne peut pas enlever ses plantations. » L. 65, ff. eod. Tit. u Emptor prœdium quod a non domino émit, exceptione doli posita, non aliter restitucrc domino cogetur, quam si — 726 — pecuniam creditori ejus solutam, qui pignon datum prœ- dium habuit, usurarumque medii temporis superfluum recuperaverit, scilicet si minus in fructibus ante litem per- ceptis fuit. Nam eos usuris novis duntaxat compensari, iumptuum in prœdium factorum exemplo, œquum est. Celui qui a acheté un fonds de quelqu’un qui n’en est pas propriétaire, devra, en opposant l’exception dé dol, n’être forcé de le restituer au propriétaire, qu’après avoir été remboursé de la somme payée par lui au créancier à qui cèlui-ci avait hypothéqué le fonds, avec le surplus des intérêts du temps intermédiaire, en supposant que le montant des fruits perçus avant le procès soit moindre ; car il est équitable que ces fruits soient compensés avec les intérêts nouveaux seulement, à l’exemple des dépenses faites sur le fonds. » L. 38, ff. de Hered. petit. Plane in cæteris necessariis et utilibus impensis passe skparari, ut bonæ fidei quidem possessores has quoque imputent prœdo autem de se queri debeat, qui sciens in rem alienam impendit. Sed benignius est in hujus quoque per- sona haberi rationem impensarum • non enim débet petitor ex aliéna factura lucrum facere et idipsum officio judicis cûntinebitur nam nec exceptio doli mali desideratur. Plané, potest in eo diffrrentia esse, ut bonæ fidei quidem possessor omni modo impensas dedmat, licet res non exstet in quam fecit; sicut tutor, vel curator consequunhir prœdo autem non aliter, quam si res melior sit. A l’égard des autres dépenses nécessaires et utiles, on peut faire une distinction, en sorte que le possesseur de bonne foi peut les porter en compte ; mais le possesseur de mauvaise foi doit s’imputer d’avoir fait de la — 727 — dépense pour une chose qu’il savait être à un autre. Cependant, en s’attachant moins scrupuleusement à la rigueur du droit, on pourra dire qu’on doit tenir compte même au possesseur de mauvaise foi des dépenses qu’il aura faites; puisque enfin le demandeur ne doit pas s’enrichir aux dépens d’un autre. Le juge doit statuer aussi à cet égard, car le possesseur de mauvaise foi n’aura pas même besoin de repousser le demandeur par l’exception doli mali. On pourra seulement admettre cette différence, que le possesseur de bonne foi déduira absolument ses dépenses, quand même la chose n’existerait plus, à l’exemple des tuteurs et des curateurs; au lieu que le possesseur de mauvaise foi ne pourra les déduire qu’autant que la chose en aura été améliorée. » L. 7, § 12, ff. deAcq. rer. dom. Si quis in alieno solo sua materia œdificaverit, illius fit œdificium, cujus et solum est et si scit alienum solum esse, sua voluntate amisisse proprietatem materiœ intelli- gitur; itaque neque diruto quidem œdificio vindicatio ejus materiœ competit. Certè si dominas soli petat œdificium, nec solvat pretium materiœ et mercedes fabrorum, poterit per exceptionem doli mali repelli utique si nescit, qui œdi- ficavit, alienum esse solum, et tanquam in suo bona fide œdifcavit; nam si scit, culpa ei objici potest, quod temerè œdificavit in eo solo quod intelligent alienum. § 13. Si alienam plantam in meo solo posuero, mea erit. Ex diverso, si meam plantam in alieno solo posuero, illius erit si modo utroque casu radices egerit ; antequam enim radices agent, illius permanet, cujus et fuit. His conveniens est, quod si vicini arborem ita terra presserim ut in meum fundum radices egerit, meam effici arborem. — 728 — Rationem enim non permittere, ut altenus arbor intelli- gatur, quant cujus fundo radices egisset. Et ideo propc confinium arbor posita, si etiam in vicinum fundurn radices egerit, commuais est. » § 12. Si quelqu’un bâtit avec ses matériaux sur le terrain d’autrui, l’édifice appartiendra à celui à qui appartient le sol. Et si celui qui bâtit ainsi a connaissance que le sol est à autrui, il est censé consentir à perdre la propriété de ses matériaux en sorte qu’il ne pourra pas les réclamer, même après la destruction de l’édifice. Cependant, si le maître du sol, n’étant pas en possession de l’édifice, intente une action pour l’avoir, sans offrir de payer les matériaux et les salaires des ouvriers, il sera débouté de sa demande, parce qu’on lui opposera la fin de non-recevoir, tirée de sa mauvaise foi ; en supposant que celui qui a bâti ait ignoré que le sol était à autrui et ait cru de bonne foi bâtir sur son terrain ; car s’il a eu connaissance que le terrain était à autrui, il doit s’imputer d’avoir bâti sur un sol qu’il savait ne lui pas appartenir. § 13. Si je plante dans mon terrain un arbrisseau appartenant à autrui, l’arbre est à moi, et, par la raison contraire, si je plante dans le terrain d’autrui un arbrisseau qui m’appartient, l’arbre sera à lui. On suppose dans les deux cas que l’arbre ait poussé des racines; car, avant ce temps, il ne cesse pas d’appartenir à l’ancien propriétaire. Il s’ensuit de là que si l’arbre de mon voisin s’est tellement déjeté sur mon terrain qu’il y ait poussé ses racines, cet arbre m’appartient; car la raison nous dicte qu’un arbre ne peut pas appartenir à un autre qu’à celui dans le terrain duquel il a pris racine. Par la même raison, un arbre placé sur le bord des deux terres, qui aura poussé une partie de ses racines sur — 7-29 — chaque terre, devient commun entre les propriétaires. » On peut voir encore le § 30, aux Inst, de rer. div., les lois 2, 5, au Code de Rei vind. D’après l’art. 546 ,du Code civil, dont nous avons déjà rapporté les termes, la propriété d’une chose donne droit à tout ce qu’elle produit et à ce qui s’y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. 552. Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur, sont présumés faits par le propriétaire, à ses frais, et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé. Art. 553. Cet art. 553, comme on le voit, est spécial aux constructions, plantations et ouvrages; mais cette dernière expression est bien générale. Suivant la loi 5, Code, de Rei vind., le possesseur de mauvaise foi n’avait droit à aucune répétition d’impenses, autres que les nécessaires ; il pouvait seulement emporter les travaux utiles, sine læsione prioris status ; mais la loi 38 de Pet. her. et la loi 38 de Rei vind. que nous avons rapportées décidaient benignius et œquitate que ce possesseur devait, comme celui qui était de bonne foi, obtenir le remboursement de ses dépenses. Dans notre droit français, le propriétaire du fonds peut contraindre le possesseur de mauvaise foi à enlever, sans indemnité, les travaux, constructions et plantations qu’il y a faites. Celui-ci peut même être condamné en des dommages-intérêts envers le propriétaire ; mais lorsque le possesseur est de bonne foi, il ne peut être condamné à enlever ses plantations et constructions. Le propriétaire est tenu de lui payer, à son choix au choix du — 730 — propriétaire, ou le prix des matériaux et de la main- d’œuvre , ou une somme égale à ce que les travaux ont apporté d’augmentation de valeur au fonds, soit que les travaux aient été faits par le possesseur avec ses matériaux ou ceux d’autrui, soit que ce soit un tiers non possesseur qui les ait faits avec ses propres matériaux. La loi ne distingue pas entre les dépenses nécessaires , utiles et voluptuaires. L’adjectif voluptuaires n’est même employé qu’une seule fois dans tout le Code civil ; c’est dans l’art. 1635, pour le cas de vente faite de mauvaise foi de la chose d’autrui. Alors toutes les dépenses, même voluptuaires, doivent être remboursées par le vendeur à l’acquéreur évincé, lors même qu’elles n’auraient procuré au fonds aucun avantage. La généralité des termes de l’art. 555 en rend donc les dispositions applicables à tous les ouvrages ; nous devons ajouter que dans le cas d’un possesseur de mauvaise foi, la loi accorde au propriétaire le choix, ou d’obliger ce possesseur à les enlever, ou de les conserver ; mais à la charge de rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main-d’œuvre, sans égard à l’augmentation de valeur. Il semble que le possesseur de mauvaise foi soit mieux traité que le possesseur de bonne foi, puisque ordinairement la valeur des matériaux et delà main-d’œuvre excède celle de l’amélioration ; c’est en ce sens que l’on dit que très-souvent c’est une folie de bâtir. Cependant le possesseur qui voudra éviter d’être contraint à enlever ses matériaux et à des réparations avec dommages-intérêts sera ordinairement d’une composition facile, qui placera le vrai propriétaire dans une position au moins aussi avantageuse que s’il avait affaire à un possesseur de bonne foi. Il est des dépenses auxquelles ne s’applique pas l’ar- — 731 — ticle 555 et qui doivent toujours être remboursées; ainsi on doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires ou utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose. Art. 1381. Ainsi encore l’art. 548 oblige le propriétaire auquel les fruits appartiennent à rembourser les frais des labours, travaux et semences. On peut y ajouter l’obligation de rembourser les impôts, les frais d’assurance, les frais de transport de récoltes pour les vendre, les droits d’octroi, les réparations, les créances que le possesseur a pu acquitter et les intérêts de ces créances, en un mot toutes les charges, puisqu’il ne profite pas des fruits. Un arrêt de la Cour de cassation, du 15 janvier 1839 *, rendu sur notre plaidoirie, et qui a accueilli la doctrine que nous développions, a décidé que l’art. 548 du Code civil avait eu plus particulièrement en vue la restitution des fruits existant en nature ; qu’il était énonciatif et non limitatif; que lorsqu’il s’agissait de la restitution, non des fruits eux-mêmes, mais de leur valeur, on devait déduire non-seulement les frais des travaux, labours et semences , mais encore les frais de toute nature qui précèdent la vente, et notamment les frais de transport et droits d’octroi ; que l’arrêt attaqué n’avait violé ni l’art. 129 du Code de procédure civile ni l’art. 548 du Code civil en homologuant le rapport des experts, qui avait été d’avis d’allouer ces dépenses au possesseur évincé. Cette décision est conforme à l’opinion de Pothier, de la Revendication, et de Bourjon t. Il, p. 514, n 0 ’ 7 et 8. Quant au possesseur de bonne foi, il n’a pas droit au • Journal du palais, 1839 - 1 - 169 . remboursement de ce qui est considéré comme charges des fruits, puisqu’il les conserve. Mais les capitaux hypothéqués qui grèvent l’immeuble ou la succession dont il dépend devraient lui être remboursés, avec les intérêts, à partir du jour où il les aurait acquittés. Nous croyons devoir reproduire les autres dispositions du Code sur les impenses et dégradations. Art. 861. Dans tous les cas, il doit être tenu compte au donataire des impenses qui ont amélioré la chose, eu égard à ce dont la chose se trouve augmentée au temps du partage. Art. 862. Il doit être pareillement tenu compte au donataire des impenses nécessaires qu’il a faites pour la conservation de sa valeur, encore qu’elles n’aient point amélioré le fonds. Art. 863. Le donataire, de son côté, doit tenir compte des dépréciations et détériorations qui ont diminué la valeur de l’immeuble, par son fait ou par sa faute, etc. Art. 864. Dans le cas où l’immeuble a été aliéné par le donataire, les améliorations ou dégradations faites par l’acquéreur doivent être imputées conformément aux trois articles précédents. Art. 1634. Le vendeur est tenu de rembourser ou de faire rembourser à l’acquéreur, par celui qui l’évince, toutes les réparations et améliorations utiles qu’il aura faites au fonds. Art. 1635. Si le vendeur avait vendu de mauvaise foi le fonds d’autrui, il sera obligé de rembourser à l’acquéreur toutes les dépenses, même voluptuaires ou d’agrément, que celui-ci aura faites au fonds. Art. 1673. Le vendeur qui use du pacte de rachat, doit rembourser non-seulement le prix principal, mais — 733 — encore les frais et loyaux coûts de la vente, les réparations nécessaires et celles qui ont augmenté la valeur du fonds, jusqu’à concurrence de cette augmentation. Il ne peut entrer en possession qu’après avoir satisfait à toutes ces obligations. Art. 2175. Les détériorations qui procèdent du fait ou de la négligence du tiers détenteur, au préjudice des créanciers hypothécaires ou privilégiés, donnent lieu contre lui à une action en indemnité ; mais il ne peut répéter ses impenses et améliorations que jusqu’à concurrence de la plus-value résultant de l’amélioration. Art. 2176. Les fruits de l’immeuble hypothéqué ne sont dus par le tiers détenteur qu’à compter du jour de la sommation de payer ou de délaisser ; et si les poursuites commencées ont été abandonnées pendant trois ans à compter de la nouvelle sommation qui sera faite. » Ainsi, il est bien entendu que toutes les augmentations , réparations, plantations et tous les travaux faits sur un fonds ou dans l’intérieur appartiennent de plein droit au propriétaire de ce fonds et sont même censés exécutés à ses frais jusqu’à ce que le contraire soit prouvé. Ce n’est que par exception et lorsqu’il est prouvé que ces ouvrages ont été faits par un tiers et à ses frais, que celui-ci a le droit non de les enlever, mais de réclamer du propriétaire qui veut ou est tenu de les garder, une indemnité dont nous avons indiqué les bases. En principe général, la chose doit être restituée au vrai propriétaire dans l’état où elle était lorsqu’il a cessé de la posséder car c’est à cette chose qu’il a droit, et si le possesseur pouvait toujours la lui rendre, seulement dans l’état où elle se trouverait au moment de l’action pétitoire, le demandeur perdrait une partie de — 734 — son fonds, comme si le possesseur avait abattu des arbres de haute futaie, des bâtiments, épuisé des mines ou carrières, ou laissé emporter une partie du fonds par une rivière, faute d’en avoir garanti et défendu les bords. Nous ne ferions pas de distinction entre le possesseur de bonne et de mauvaise foi. Quant aux intérêts des sommes déboursées pour les impenses, labours, semences et autres frais, constructions, plantations, du jour où elles ont été dépensées, nous convenons que c’est une question qui n’est pas sans difficulté. Nous croyons cependant qu’en général le possesseur quelconque a droit aux intérêts par une équitable application des art. 1375 et 2001 du Code civil. Nous reviendrons bientôt sur cette question, et nous donnerons à notre opinion des développements qui en feront mieux saisir la portée et connaître le mode d’application. 132° Les lois romaines *, parun tempérament d’équité ' Voici le texte des lois romaines Dig. de Hereditalis petitione. L. 39, Gaîus, lib. 6, ad Ediclum provinciale. Utiles autem, necessariœque sunl , veluti qvœ fiunt reficiendorum œdipciorum gratia, aut in novellata , aut cum servorum gratta litis æslimalio solvitar , cum id uUlius sit, quam ipsos dedi. Denique alias comptures ejusdemgencris esse impensas,manifeslum est. — § 1" Videa- mus tamen, ne et ad piclurarum quoque et marmorum, et cœterarum voluptuariarum rerum impensas œque proficiat nobis doit exceptio, si modo bonœ fidei possessores simus nam pr ce dont probe dicelur , non debuisse in alienam rem, supcrvacuas impensas facere ; ut tamen po- teslas ei peret tollendorum eorum, quœ sine detrimento ipsius rei tolli possunl. » Dig. de Verborum signipcatione. L. 79, Paulus, lib. G, ad Dlautium. Itnpensæ necessariæ sont quœ si factœ non sint, res aut peritura, aut deterior futura sit. — § I" Utiles impensas esse Fulcinius ait, quœ meliorem dolem faciant, {non deteriorem esse non sinant; ex quibus reditus mulieri adquiratur sicuti arbusti pastinationes ultra quam accordaient, comme on l’a vu, même au possesseur de mauvaise foi, le remboursement de ses augmentations et améliorations, des dépenses nécessaires et utiles. Dumoulin, sur la Coutume de Paris , Bourjon, t. II, n° 9, p. 514, Pothier, Merlin donnaient une décision identique en droit français. Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique V° Impenses, prétendait, par une erreur évidente, que jamais aucun possesseur n’avait droit de répéter les dépenses voluptuaires ; que le possesseur de bonne foi avait seul droit de répéter tant les nécessaires que les utiles, et que le possesseur de mauvaise foi n’avait droit qu’aux premières, sauf à. enlever ce qui pouvait l’être sans inconvénient. La question est aujourd’hui tranchée par l’article 555, sauf le mode de remboursement des travaux qui varie suivant la bonne ou mauvaise foi de celui qui les a exécutés. Ainsi le possesseur de mauvaise foi a, comme le possesseur de bonne foi, droit au remboursement des impenses nécessaires ou utiles. Nous pensons même, comme necesse ueral. Hem doctrinam puerorum quorum nomine onerari mu- licrem ignoranlem vel invilam non oportet ne cogatur fundo, aut mancipiis carere. In his impensis et pislrinum et horreum insulce do- tali adjeclum, plerumque dicemus. — § II. Voluptuariæ sunt quœ spe- ciem duntaxat ornant, non eliam fructum auqcnl, ut sunt viridia et aquœ salientes, incrustaliones, loricationes, picturœ. » Nous ne rapportons rien ici du titre de Impensis in rem dotalem faclis, parce qu’il serait difficile d’en présenter un extrait, et qu’il faudrait le transcrire en entier, ce qui serait beaucoup trop long. Il faut observer, dit Rousseaud de la Combe, V Impenses, n 3, que les dépenses ou impenses, autres que celles qui sont faites 4 cause des fruits, sont les nécessaires, sans lesquelles la chose ou le fonds aurait péri ou se serait détérioré. Les utiles, qui augmentent le revenu et la valeur de la chose ou du fonds, mais sans lesquelles il n’aurait point péri et ne se serait point détérioré, et les voluptueuses, qui embellissent la chose ou le fonds, mais qui n’en augmentent point Je revenu ou la valeur. » On trouve les mêmes développements dans le Dictionnaire de Ferrière, V" Impenses. — 736 nous l’avons déjà dit, p. 730, que la loi ne met aucune difi'érence entre les impenses et n’exclut pas celles vo- luptuaires ou d’agrément qui peuvent aussi être plus ou moins avantageuses, même parfois utiles. L’art. 555 soumet tous les ouvrages à la même règle, sans aucune distinction à raison de leurs différentes espèces. Cependant, les tribunaux devront être sévères dans l’appréciation de la valeur de ces dernières dépenses surtout à l’égard du possesseur de mauvaise foi. Pothier, de la Revendication, n° 352 et Bourjon, t. II, p. 515, n° 11, contestent au possesseur de mauvaise foi le droit au remboursement des dépenses voluptuaires ; cependant ils lui accordent la faculté d’enlever les ouvrages ou travaux, résultat de ces dépenses, s’il le peut faire avec quelque motif et sans détérioration du fonds, en remettant les lieux dans l’état où ils étaient lorsqu’il est entré en possession. Voilà, ajoute Bourjon, tout son droit, autrement son fait aurait nui au légitime propriétaire qui, judicieusement, ne doit pas néanmoins profiter de telles dépenses; c’est dans l’équité, dit encore Bourjon, matière à composition. Pothier, loco citato, décide, en se fondant sur la loi 38, ff. de Rei vind. , qu’il ne doit pas lui être permis d’effacer les peintures dont il a décoré les appartements de la maison revendiquée, quoiqu’il offre de remettre les choses dans l’ancien état. Quant à nous, nous serons encore un peu plus favorable au possesseur évincé. Il suffirait que les tribunaux de première instance et d’appel eussent donné à des impenses le nom d'améliorations pour qu’ elles dussent être considérées comme utiles et pour que le demandeur au pétitoire ne pût refuser d’en tenir compte au possesseur évincé, soit en contestant leur utilité, soit en prétendant les faire ranger dans la catégorie des dépenses voluptuaires ou d’agrément. 11 n’est pas toujours facile de distinguer les diverses catégories d'impenses. L’appréciation dépendra des circonstances, de l’importance et de la nature de la propriété , de la position sociale ou de l’état de fortune des parties. Telle impense pourra sembler aux uns et dans un cas particulier, utile, nécessaire même, qui, pour d’autres et dans des circonstances différentes, ne sera que vo- luptuaire ou d’agrément ; avec les progrès du luxe, les dépenses d’agrément peuvent paraître utiles; que l’immeuble soit un riche hôtel ou une salle de concert, de danse, de spectacle, un café, les peintures, décorations et ornements de luxe deviendront même nécessaires. 11 régnera toujours quelque arbitraire dans la décision des tribunaux à cet égard ; la loi n’a pu ni voulu l’éviter. Il ne lui était pas possible de donner des définitions, de faire des distinctions positives et invariables comme le faisait le droit romain, notamment la loi 39, ff. de Heredit. petitione, les diverses lois du titre de Impensis in res dotales factis, la loi 79, de Verbor. signifient. Le législateur français a d’autant mieux fait de s’en abstenir, qu’en droit toute définition est dangereuse ; omnis definitio in jure pericu- losa; qu’en lisant les différentes lois que nous venons d’indiquer, on se convaincra aisément qu’elles n’ont pas toute la précision, toute la clarté désirable; qu’elles sont loin de satisfaire la raison, notamment en ce qui concerne les dépenses utiles et leur différence avec les voluptuaires. Aussi l’art. 555 ne se préoccupe-t-il pas, comme nous l’avons déjà dit, de la nature des ouvrages ; il applique 47 la même règle à toutes les catégories. Le propriétaire du fonds doit toujours les payer quand il en profite ; seulement, lorsque l’auteur des travaux est de mauvaise foi, le propriétaire a le droit de le contraindre à les enlever. La loi s’en est donc, par la force des choses, rapportée à la conscience et aux lumières des magistrats qui ont la plus grande latitude pour faire leur appréciation. Ce serait là une décision en fait, sur laquelle la Cour de cassation ne pourrait exercer son droit de révision comme elle l’a d’ailleurs reconnu par l’arrêt du 15 janvier 1839 déjà cité, en rejetant un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour de Riom , qui avait condamné le propriétaire à tenir compte, au possesseur évincé, d’ouvrages qualifiés d’améliorations ; la Cour de cassation a dit dans se9 motifs que le mot améliorations indiquait par lui-même futilité des dépenses qu’elles avaient nécessitées. Lorsque le demandeur au pétitoire a établi sa propriété du sol, la preuve contraire, dont parle l’art. 553, pour les impenses, est à la charge du possesseur, demandeur en exception, et peut se faire comme nous l’avons déjà dit, n° 56, par titre, par témoins, expertise, visite de lieux et par de simples présomptions, quelque élevée que soit la valeur des travaux. Nous en avons un exemple dans l’arrêt de la Cour de cassation rapporté n“ 70; le demandeur peut répondre par les mêmes moyens. Mais une fois cette preuve contraire faite, le défendeur qui invoque sa bonne foi pour obtenir une décision plus favorable sur ses impenses, n’a pa9 plus à prouver cette bonne foi dans ce cas que dans celui où il prétend avoir fait siens les fruits de l’objet litigieux ; la présomption de bonne foi est générale. Comme le disait M. Por- — 739 — talis sur le titre de la propriété, le possesseur est censé ignorer les vices de son titre, tant qu’on ne constate pas qu’il les connaissait. C’est au demandeur a faire opérer cette constatation qui peut résulter aussi du fait d’un tiers qui aurait fait connaître les titres du vrai propriétaire, des enquêtes et des présomptions, d’autant plus qu’il s’agit d'une preuve de fraude et de dol; cette solution s’appliquerait encore au cas où il s’agirait de prouver la cessation de bonne foi, et nous ajouterons, comme exception à la dispense en faveur du possesseur de l’obligation de prouver sa bonne foi, qu’il serait pourtant soumis à cette obligation, dans le cas où le demandeur au pétitoire aurait prouvé ou l’absence totale ou la cessation de la bonne foi de la part de son adversaire ; alors celui-ci qui voudrait détruire ce fâcheux précédent, et qui articulerait la survenance de la bonne foi, serait tenu de fournir la preuve du fait qu’il affirmerait. Du reste, l’héritier qui serait personnellement de bonne foi, ne pourrait se soustraire aux conséquences de la mauvaise foi de son auteur. Nous appliquons donc aux impenses les principes posés p. 701, quant à la restitution des fruits ; ils sont les mêmes dans tous les cas. Tout ce que nous avons dit sur les vices du titre, sur le droit personnel de l’héritier, doit être admis ici. L’héritier qui aurait fait des améliorations, des impenses, pourrait donc invoquer sa bonne foi ; il suffirait même pour cela qu’elle eût existé au moment des travaux, quoiqu’elle eût cessé depuis. C’est d’ailleurs une règle générale. Mais un possesseur, serait-il de bonne foi et pourrait-il invoquer l’art. 555, s’il avait fait des constructions, plantations et ouvrages depuis un jugement ou arrêt qui serait cassé plus tard? Cette question devrait être encore résolue d’après les principes sur la restitution des fruits. Or, plusieurs cas peuvent se présenter. Supposons que l'action pétitoire ait été repoussée en première instance et en appel, ou bien à l’une ou àl’autre de ces juridictions, mais que la décision ait été cassée et que la Cour de renvoi ait donné gain de cause au demandeur ; le défendeur sera-t-il réputé de bonne foi jusqu’à ce dernier arrêt comme s’il n’y avait pas eu d’instance ou au moins jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation ? Lorsqu’il s’agit d’une somme payée en vertu d’un arrêt qui a été cassé plus tard, le dernier état de la jurisprudence fait courir les intérêts du jour de la signification de l’arrêt d’admission du pourvoi, parce que cette signification contient assignation devant la chambre civile , en restitution des sommes touchées. Arrêt cassation, 29 avril 1839, Journal du palais, 39-1-M2. Nous disons le dernier état de la jurisprudence, parce que la cour de cassation avait décidé la question en sens opposés. Par un premier arrêt du 15 janvier 1812, elle avait jugé d’une manière générale et sans faire de distinction , que les intérêts des sommes à restituer après cassation ne sont pas dus à partir du jour du payement. Par un autre arrêt du 11 novembre 1828, la Cour a jugé au contraire et d’une manière non moins générale que la partie tenue à restitution, après cassation, doit être condamnée aux intérêts du jour du payement des sommes qui doivent être restituées. Le dernier arrêt adopte donc un terme moyen. Mais cette décision, toute spéciale au cas de perception d’une somme en vertu d’un arrêt de condamnation, ne peut s’appliquer aux fruits à restituer. L’action origi- — 741 naire met le possesseur en demeure de restituer. De ce moment, il cesse donc de pouvoir les gagner, si la demande se trouve justifiée en définitive; qu’elle ne le soit qu’après des péripéties ou des alternatives judiciaires diverses, plus ou moins multipliées, ce sont là'des incidents qui peuvent bien suspendre l'effet de l’action originaire, mais non l’empêcher. Les jugements et arrêts contraires sont affectés d’une condition résolutoire qui, lorsqu’elle s’accomplit, remet les choses au même état qu’auparavant et oblige celui qui a reçu à restitution. Art. 1183, Code civil. La décision définitive a un effet rétroactif qui remonte au jour de l’action ; c’est comme si elle avait pu être rendue et exécutée le jour même de cette action. Le défendeur savait que le demandeur au pétitoire avait son droit d’appel, de recours en cassation par suite duquel la décision pouvait être réformée. Supposons au contraire que le demandeur ait obtenu gain de cause en première instance, en appel; mais que le défendeur ait fait casser et ait obtenu gain de cause en définitive devant la cour de renvoi. Le demandeur qui aurait perçu les fruits en vertu de l’arrêt cassé et qui aurait touché la valeur de ceux antérieurs, ou qui aurait fait des impenses dans l’intervalle des deux arrêts, devrait rendre les fruits et même les intérêts de ceux liquidés par l’arrêt, et cela du jour de la signification de l’arrêt d’admission du pourvoi. Nous donnerions la même solution dans le cas de rétractation de décision, par suite de requête civile, ou de tierce opposition. Nous croyons que la même doctrine serait applicable pour préciser et déterminer les effets, les résultats de ces décisions. — 742 — Les améliorations et impenses faites sur un terrain ajouté par alluvion à la propriété principale, pendant l’instance pétitoire et même antérieurement et depuis la dép^ossession du véritable propriétaire, devraient être aussi remboursées au possesseur de bonne ou de mauvaise foi. Le vrai propriétaire ne pourrait se soustraire à cette obligation sous prétexte que les travaux n’ont pas été faits sur l’objet principal et en abandonnant au possesseur, contre son gré, le terrain d’alluvion et les constructions et plantations; indépendamment de ce que cet abandon n’est autorisé par la loi dans aucun cas, l’allu- vion n’appartient pas plus au possesseur que la chose principale; l’une et l’autre sont la propriété de la même personne, forment les parties d’un tout, ainsi que nous l’avons établi dans notre Régime des eaux, n° 2A3, et dans notre opuscule récent sur le décret de décentralisation administrative en matière de cours d’eau. Cette alluvion, quoique formée pendant la dépossession du propriétaire, ne doit pas moins lui être délivrée sur son action pétitoire avec la chose principale et même, lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la restitution des fruits à laquelle ce dernier est tenu doit comprendre ceux produits par l’alluvion comme tous les autres. L. 3A, ff. de Rei vind. Il y a une exception toute spéciale au droit du possesseur de réclamer une indemnité pour les impenses ; mais c’est lorsqu’il s’agit de simples améliorations; que ce possesseur est un usufruitier. L’art. 599 du Code civil porte en effet que l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit , réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée, que lui ou ses héritiers — 743 — peuvent seulement enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu’il aurait fait placer ; mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état. Desgodets, Ldi-s des bâtiments, page £87, et son annotateur Goupy, ibid., posent la même règle et disent que la douairière'ne peut répéter contre les héritiers de son mari, les améliô- riations, ajustements ou augmentations quelle aurait fait faire pendant sa jouissance. Goupy ajoute qu’il en est de ces améliorations comme de celles qu’un locataire ferait en une maison pour la rendre plus habitable et plus commode ; que le propriétaire ne doit pas les rembourser à son locataire. Gette règle s’appliquerait, suivant nous, à des impenses de peu de valeur par exemple, à des embellissements , à des décorations, à un mode de culture, d’engrais, d’irrigation, de drainage, de dessèchement qui rendrait la terre meilleure, plus productive; mais non à des constructions, à des plantations d’une certaine valeur, par exemple à la construction d’une maison, d’une aile de bâtiment, à la transformation d’un terrain aride en vignes ou en bois. Ge cas nous paraîtrait régi par l’art. 555 du Gode. Le locataire ou tout autre détenteur ou possesseur qui n’a pas droit à indemnité pour améliorations ne peut les altérer, ellacer, détruire, sans aucun profit pour lui ; Mali- tiis non est indulgendum. Un arrêt du parlement de Paris, cité par Lepage nouveau Desgodets, p. 2, ch. 3, art. 1 er , p. 188 et 189, a condamné avec raison à des dommages- intérêts, un locataire qui pour se venger de ce qu’un propriétaire ne voulait pas l’indemniser, avait arraché ou sali les papiers, gratté les peintures qu’il avait fait établir. Il importe que les tribunaux répriment sévèrement de pareils méfaits assez fréquents de la part de certains locataires, qui, pour se venger des propriétaires qui n’ont pas voulu céder à leurs exigences ou ont été obligés de les congédier, ne manquent pas de tout salir ou dégrader dans les locaux qu’ils quittent, et lors même que les frais ont été faits par les propriétaires qu’ils forcent ainsi à des réparations coûteuses pour remettre ces localités en état d’être habitées par d’autres personnes. Voyez en outre Pothier, Troplong, Duvergier, du Louage et arrêt de la Cour de cassation, du 15 janvier 1849, Devill. et Car. 1849-1-95 Cet arrêt reconnaît aussi un principe important en décidant que le silence du propriétaire qui a laissé exécuter les travaux, n’établit pas de fin de non-recevoir contre lui ; qu’il n’est pas tenu de s’opposer à ces travaux pour conserver le droit consacré par l’art. 555 ; que tout ce qui résulte de ce silence, c’est que le propriétaire a consenti à l’exécution, aux risques et périls du possesseur ou détenteur; et quoique cet arrêt soit rendu dans un espèce ou il s’agissait de travaux faits par un fermier, il est évident que le principe posé est commun à tous les possesseurs et détenteurs. 133° La valeur des améliorations doit se compenser, en principal et intérêts, avec les fruits perçus par le possesseur de bonne ou de mauvaise foi. Telle était, comme nous allons le voir, la décision des lois romaines, notamment de la loi 48, ff. de Rei vitid., que nous avons rapportée, p. 725, et des auteurs les plus accrédités qui ont écrit avant le Code civil. Merlin pense que la même doctrine, les mêmes solutions sont encore applicables aujourd’hui, puisqu’il a écrit sous l’empire du Code civil, et qu’il les reproduit, sans dire ni donner à entendre que ce Code y ait dérogé. — 745 — C’est aussi l’opinion de M. Troplong, des Priv. et hy., t. III, n° 839; M. Delvincourt, t. II, p. 3, etM. Marcadé, dans son Commentaire, de l'art. 555, sont d’une opinion contraire; ils se fondent sur ce que les fruits appartiennent au possesseur de bonne foi, et que ce serait l’en priver que de le soumettre à la compensation de ces fruits avec les impenses. Encore le premier admet-il une exception et une composition pour le cas où le propriétaire n’ayant pas le moyen d’acquitter les impenses, devrait vendre sa propriété pour se libérer; M. Marcadé admet aussi une exception dans le cas où il serait prouvé que les fruits ont été employés aux améliorations ou impenses ; mais ces exceptions détruisent le principe par eux posé; car si le possesseur est propriétaire, comment peut-on le contraindre, dans ces derniers cas plus que dans le premier, à la compensation de deux choses qui lui appartiennent également? d’un autre côté, c’est bien toujours, au moins en partie, avec les fruits que le possesseur a fait les augmentations, au lieu de leur donner une autre destination ; enfin, comment constater d’une manière certaine que le vrai propriétaire n’a pas moyen de payer sans vendre son immeuble? Ainsi, il n’y a pas de milieu, il faut admettre ou rejeter la compensation sans distinction, sans exception. La rédaction de l’art. 555 fortifie notre sentiment; nous y lisons une phrase incidente assez significative il y est question de tiers qui n’aurait pas été condamné à la restitution des fruits, attendu sa bonne foi. Pourquoi cette mention de non-restitution de fruits lorsqu’il est question du règlement des impenses? En mêlant l’une à l’autre, le législateur a donc voulu que les deux objets eussent un rapport, une corrélation, une influence réci- — 7-16 — proque; il a été dominé par le principe des lois romaines ët par la doctrine de Pothier qui prescrivaient la compensation ; l’on sait en effet, et les orateurs du gouvernement l’ont dit d’une manière formelle, que dans toute la partie du Code relative à l’accession, le législateur a voulu suivre ce principe et cette doctrine. Qu’on pèse bien les termes du Code et l’on en sera de plus en plus convaincu. S’il avait eu l’intention de repousser la compensation, ne lui aurait-il pas suffi de dire si les travaux ont été faits par un possesseur de bonne foi? pourquoi y ajouter la mention qui n’aurait pas été condamné à, la restitution des fruits? pourquoi même parler au conditionnel n’aurait pas été condamné? au lieu de parler au présent, qui est dispensé de la restitution ou qui ne peut être condamné, etc. La rédaction indique donc que ce possesseur n’aurait pas été soumis à la restitution s’il n’y avait pas eu d’impenses; mais que dès qu’il en existe, il y a lieu à un compte, à une compensation. Rappelons-nous que le possesseur en général n’a pas droit aux fruits; qu’ils appartiennent au propriétaire du fonds ; qu’on ne les attribue au possesseur que par une exception toute particulière , comme une chose qui lui était nécessaire, qu’il a consommée parce qu’il s’en croyait propriétaire; qu’il serait trop dur et quelquefois ruineux de l’obliger à les restituer; que plusieurs années de fermages échues, mais encore dues parles locataires ou fermiers, lors de l’action, appartiennent au vrai propriétaire. Or, lorsque le possesseur a fait des augmentations, il est évident qu’il les a payées avec des économies faites sur les fruits, soit qu’il n’ait pas d’autre revenu, soit que les autres revenus lui aient suffi pour vivre; on peut dire, par une fiction aussi raisonnable que juste, qu’il n’a pas perçu ces fruits, — 747 — puisqu’ils sont employés en travaux qui en ont pris la place et se sont identifiés avec le sol. Il y a substitution d’une chose à l’autre. Il ne peut avoir tout à la fois les fruits employés en impenses et ces impenses. La différence seule lui appartient. Du reste, les fruits dont la compensation doit avoir lieu avec les impenses, sont les fruits naturels et industriels de l’immeuble, c’est-à-dire ceux qu’on obtient par le travail, par la culture, et les fruits civils, c’est-à-dire les loyers et fermages; mais non les produits qui résulteraient du talent, de l’intelligence, des soins et travaux commerciaux ou industriels du possesseur qui se seraient exercé ou auraient eu lieu dans ou sur la chose revendiquée. Ainsi le commerçant, l’usinier, le fabricant ou manufacturier n’auraient pas à compter du produit de leur commerce ou de leur industrie, même comme possesseurs de mauvaise foi. Au surplus, voici comment s’exprime Merlin, Rep., V° Amélioration, n° 2 Dans l’estimation des dépenses faites par l’acquéreur d’un héritage pour l’amélioration, comme s’il y a planté un bois, une vigne, il faut déduire sur ces dépenses les fruits provenus de l’amélioration, et qui auront augmenté le revenu de l’héritage; de sorte que si les jouissances des fruits acquittent le principal et les intérêts des avances faites pour améliorer, il n’en sera point dû de remboursement, parce qu’il suffit que l’acquéreur ne souffre aucune perte ; mais si les jouissances sont moindres, on doit l’indemniser du surplus de ses avances, tant en principal qu’en intérêts; si, au contraire, les jouissances excèdent ce que les améliorations ont pu coûter, le bénéfice est pour l’acquéreur, pourvu UH — néanmoins qu’il les ait perçus de bonne foi, et avant qu’on ait formé contre lui aucune demande en justice. » Aux n° s 4 et 5, il se livre à une discussion étendue, et conclut en décidant que le possesseur de mauvaise foi a droit comme le possesseur de bonne foi au remboursement des impenses nécessaires ou utiles et des intérêts, et que la compensation s’en fait même avec les fruits de la chose principale. Les lois 48 et 65, au Digeste de Rei vindicatione, sont positives sur ce point Pothier, Traité du domaine de propriété, n° 343, s’exprime ainsi Lorsque sur l’action de revendication, le demandeur a justifié de son droit, le possesseur est condamné à lui délaisser la chose revendiquée; mais dans certains cas, lorsque le possesseur a déboursé quelque somme pour la conservation ou l’amélioration de la chose, le possesseur n’est condamné à délaisser qu’à la charge par le demandeur de lui rembourser ce qu’il a déboursé et de l’indemniser. » N° 344, il dit que le propriétaire doit rembourser les impenses, à l’exception de celles de simple entretien, et les intérêts, en ce qu’ils excéderaient les fruits que le possesseur a perçus depuis ledit temps, avec lesquels la compensation doit s’en faire. M. Bugnet, professeur à la Faculté de droit de Paris, dans ses notes sur Pothier, conteste les intérêts. » En effet, il ne peut avoir les fruits provenant des améliorations et les intérêts de la somme employée à ces améliorations. Les n“ 345, 46, 47, 48, sont le développement et l’application des principes ci-dessus. Au n° 349, Pothier dit ; La troisième limitation, qui doit être apportée au principe qui oblige le propriétaire à rembourser au possesseur de bonne foi les impenses — 7-19 — utiles qu’il a faites pour la chose qui fait l’objet de l’action en revendication, est que le propriétaire n’est tenu de rembourser, au possesseur de bonne foi, la somme qui lui est due que sous la déduction de ce que ce possesseur s’en trouve déjà remboursé par les fruits qu’il a perçus. » A l’appui de son opinion, Pothier, sous chaque numéro, cite les lois romaines. Il est moins favorable au possesseur de mauvaise foi. Les auteurs du Nouveau Denizart, V° Améliorations, admettent la même doctrine, et ajoutent, n° 5 Enfin, on peut demander si le propriétaire est tenu des intérêts des sommes employées par le possesseur aux améliorations. On pense que les intérêts sont dus au possesseur de bonne foi ; mais les intérêts se trouvent ordinairement compensés avec les fruits. Quant au possesseur de mauvaise foi, il doit les perdre *. » Loyseau, du Déguerpissement, n° 14, s’exprime ainsi On ne doute pas qu’en point de droit, sur les améliorations que doit retirer le possesseur de bonne foi, on ne lui précompte et rabatte les fruits qu’il a perçus de l’héritage même avant contestation, suivant la loi sump- tus et la loi emptor, Dig. de Rei vindicatione. » Mais ces deux lois parlent du simple possesseur de bonne foi, qui, n’étant pas seigneur de l’héritage, gagne les fruits seulement par une considération d’équité contre les règles de droit, et ne se peuvent adapter au vrai seigneur de l’héritage qui gagne les fruits jure dominii. » Domat, Lois civiles, p. 239, n° h, dit que tous ceux qui jouissent * Nous avons déjà émis, p. 734, une opinion contraire, quant aux intérêts. — 750 — de mauvaise foi sont tenus de restituer la valeur de toutes les jouissances, quoiqu’ils n’aient été troublés par aucune demande ; » et au n° 17 de la p. h 5, il décide qu’il faut compenser les fruits perçus par le possesseur de bonne foi avec le prix des améliorations qu’il a faites, et de sorte que si ces fruits acquittent le principal et les intérêts des améliorations, il n’en sera point dû de remboursement, parce qu’il suffit que le possesseur ne perde rien. » Ainsi, avant le Code civil, c’était un principe incontestable que les fruits perçus même par le possesseur de bonne foi venaient en déduction de la valeur des améliorations et des intérêts de ces améliorations; cela était d’autant plus juste qu’ainsi que le dit Loyseau le vrai propriétaire du fonds avait en principe seul droit aux fruits produits par la chose, comme à la chose même ; et que ce n’était que par un tempérament d’équité, par une dérogation aux principes que le possesseur de bonne foi gardait ces fruits; mais lorsqu’il avait fait des améliorations, il ne pouvait retenir tout à la fois les fruits, le prix et les intérêts des améliorations; c’eût été ruiner le propriétaire; et comme nous l’avons dit, p. 7&/i, 7Æ5, le Code civil, art. 5à9, 550, 555, nous paraît conçu dans le même esprit. Lorsqu’il attribue tous les fruits au possesseur de bonne foi, il suppose évidemment une chose qui appartient entièrement à celui qui la revendique, et que le possesseur lui remettra sans déduction de sa valeur, sans charge aucune ; mais du moment où il y a des améliorations et augmentations, la compensation doit s’opérer entre les deux dettes, jusqu’à due concurrence aux termes des art. 1189 et suiv. du Code civil, et les deux dettes sont alors éteintes. La compensation doit — 751 — donc avoir lieu, et si les améliorations excèdent les fruits perçus, ou si les fruits perçus excèdent les améliorations, le possesseur de bonne foi profite de l’excédant; c’est aussi ce qui résulte de la jurisprudence. 134° lin arrêt de la Cour de cassation, du 6 novembre 1838 Sirey-Villeneuve 1839-1-202, a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Rouen, qui avait débouté un possesseur maintenu sur action possessoire d’une demande en payement d’améliorations plantations, par le motif qu’il avait perçu les fruits pendant vingt ans, qu’on ne l’avait pas condamné 4 restituer ces fruits dans lesquels il trouvait l’indemnité de ses plantations. C’est là, comme on voit, la compensation admise par les lois romaines et par les auteurs. Un autre arrêt, de la même Cour, du 9 décembre 1839 *, renferme une décision fondée sur les mêmes principes, et justifiant notre opinion. Le sieur Leconte avait épousé la demoiselle Jolienne. Après avoir fait prononcer, en l’an vi, l'interdiction de sa femme, puis le divorce en l’an vu, le sieur Leconte contracta un second mariage ; préalablement auquel il régla avec sa première femme, relevée de son interdiction et mariée au sieur Robert, la liquidation de la communauté qui avait existé entre eux. Il est à remarquer qu’on omit de comprendre dans cette liquidation, une maison sise à Paris, rue du Rocher, et'qui faisait partie de la communauté. Le 29 août 1810, le sieur Leconte vendit cette maison aux sieur et dame Dethan, moyennant 18,000 francs, et sans le concours de sa première femme. En 1829, la dame Robert, ayant découvert l’omission * Journal du palais , 1840-l-ttï. qui avait eu lieu à son préjudice, lors de la liquidation de sa communauté avec le sieur Leconte, forma, contre les époux Dethan, une demande en revendication de la moitié qui lui appartenait dans la maison par eux acquise en 1810, avec restitution .de la moitié des loyers que l’immeuble avait produits pendant leur indue possession. Cette demande, sur laquelle les sieur et dame Dethan appelèrent en garantie la dame Courtin, héritière du sieur Leconte alors décédé, donna lieu à une instance, en suite de laquelle intervint un arrêt de la Cour royale de Paris, le 19 juin 1830, qui accueillit les demandes de la dame Robert, et qui, attendu que les époux Dethan étaient jugés avoir possédé de mauvaise foi, les condamna à restituer la moitié des loyers. De plus, comme les époux Dethan avaient fait des améliorations et constructions considérables pour la conservation desquelles optait la dame Robert, la Cour condamna celle-ci à leur tenir compte de la moitié de la plus-value résultant de ces améliorations et constructions. Un jugement du Tribunal de la Seine régla à 176,081 fr. 51 c., la dépense faite par les sieurs et dame Dethan, en constructions et améliorations, dont la dame Robert devait leur rembourser la moitié, et à 114,920 fr. 17 c. la recette des loyers, dont les époux Dethan devaient restituer la moitié à la dame Robert. Sur l’appel, les acquéreurs demandèrent les intérêts de la moitié de la valeur des constructions et améliorations, et soutinrent que ces intérêts devaient entrer en compensation avec les fruits ou revenus produits par l’immeuble; arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 7 janvier 1837, qui le décide ainsi. — 753 — Mais, le 9 décembre 1839, il intervint arrêt qui cassa en se fondant sur ce que les fruits produits par l’immeuble, dans son état antérieur aux améliorations et constructions, comme cet immeuble lui-même devaient rester intacts entre les mains de la dame Robert, sans aucune déduction du prix ou des intérêts de ces améliorations et augmentations; que ces intérêts ne pouvaient affecter que les fruits produits par les augmentations et améliorations, et venir en déduction de ces fruits. Qu’ainsi les intérêts qui sont ceux de la somme dépensée pour les matériaux et la main-d’œuvre ou de l'augmentation de valeur, suivant les cas, ne peuvent être pris que sur les revenus des augmentations et améliorations, et se trouveront réduits et diminués si ces fruits ne peuvent y faire face en totalité. L’arrêt décide aussi que l’art. 2001 du Code civil était inapplicable; que les juges ont pu allouer des intérêts, mais limités comme on l’a vu. Du reste, il a été reconnu que les fruits des améliorations et augmentations appartiennent, comme ceux de l’immeuble dans son état primitif, au propriétaire de celui-ci, parce qu’il est propriétaire intégral. Enfin, nous avons vu, d’après l’opinion de Loyseau, de Merlin, de Troplong, du Nouveau Denizart, et celle de Pothier, que même le possesseur de bonne foi était tenu de supporter la compensation, non-seulement des revenus des améliorations et augmentations, mais même des revenus de l’immeuble dans son état antérieur avec le prix et les intérêts de ces travaux. A plus forte raison, un possesseur de mauvaise foi y est-il tenu. Il y a même entre l’un et l’autre cette différence que comme le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, il aurait droit aux fruits qui pourraient excéder la 48 — 7K4 — valeur des travaux en capital et intérêts, tandis que l’autre serait tenu de restituer cet excédant, et ne pourrait d’ailleurs prendre sur les fruits de l’immeuble dans son état primitif, ni les impenses, ni les intérêts de ces impenses, qui, contestés par plusieurs auteurs, ne sont pas dus d’une manière absolue, et que les juges ont seulement la faculté d’allouer par un tempérament d’équité, suivant les circonstances, et en faisant le compte des fruits, des améliorations. S’ils allouent au demandeur au pétitoire les fruits provenant de ces améliorations, il paraît fort juste d’accorder au possesseur au moins l’intérêt proportionnel et équivalent à ces fruits, des sommes qu’il a déboursées. Évidemment le système qui tendrait à allouer au possesseur de bonne foi l’intégralité des fruits, des impenses et intérêts serait souverainement injuste ; supposons, par exemple, un immeuble valant 50,000 fr., le possesseur y fait pour 50,000 fr. de travaux. Après vingt ans, le véritable propriétaire revendique sa chose ; si le possesseur a été de bonne foi, il aura tous les fruits, plus, pour les améliorations 50,000 fr., et vingt ans d’intérêt, total 100,000 fr. Le véritable propriétaire devra donc vendre son immeuble pour se libérer, et si les circonstances sont défavorables, il n’en tirera peut-être que 75,000 fr., et alors, après s’être entièrement dépouillé, il redevra encore 25,000 fr. Si, au contraire, le possesseur est de mauvaise foi, il n’aura pas droit aux fruits qui peuvent, toutes déductions faites, n’avoir été que de 3 p. 100, soit 60,000 fr., qui seront toujours insulïisants pour en payer 100,000 ; et alors la valeur de l’immeuble, dans son état primitif, sera absorbée presque entièrement. Non, ce n’est pas là ce qu’a voulu le législateur; l’attribution des loyers d’une maison, par exemple, toutes déductions faites des charges, est une libéralité faite aux dépens du véritable propriétaire, la loi n’a pas voulu charger celui-ci d’une libéralité avant qu’il ne fût libéré; nemo liberalis nisi li- beratus. L’art. 1375 du Code civil, qui est applicable ici, dit que le maître, dont l’affaire a été bien gérée, doit rendre le neyotiorwn gestor indemne de ses engagements, de ses dépenses; l’art. 549, qui n’est qu’une exception au droit commun, doit donc s’interpréter par l’art. 1375, comme on le faisait d’après les lois romaines et l’ancien droit. On objectera peut-être qu’avec ces principes et cette solution, un possesseur de bonne foi ne sera pas mieux traité qu’un possesseur de mauvaise foi; mais, d’une part, l’équité s’oppose à ce qu’on s’enrichisse même aux dépens d’un possesseur de mauvaise foi; d’autre part, l’objection n’est pas complètement exacte, car dans l’estimation et l’allocation des impenses, les juges, appréciant les intentions et le but de chacun d’eux, pourront être plus favorables au premier qu’au dernier. On peut facilement supposer que celui-ci a voulu grever le vrai propriétaire pour le mettre dans une position gênée, embarrassante, et peut-être le forcer à se défaire de sa propriété, et même à la lui abandonner à un prix peu élevé. On ne peut pas faire une semblable supposition à l’égard du possesseur de bonne foi. Au surplus, en expliquant ici ce que nous avons déjà énoncé, n° 131, p. 734, le possesseur de bonne foi nous paraît n’avoir pas droit aux intérêts des sommes employées aux impenses, puisqu’il conserve les fruits, non- seulement de l’immeuble dans son état primitif, mais encore des augmentations et améliorations ; que si, comme cela arrive assez souvent, l’accroissement de revenu est inférieur à l’intérêt du capital employé à les payer, par exemple d’un produit de 3 p. 100, il ne pourra exiger un supplément d’intérêt de 2 p. 100, par argument tiré des lois romaines et de l’art. 555 du Code civ., qui ne lui donnent droit qu’à la plus-value; qu’il aura droit aux intérêts à partir de l’action pétitoire, parce que les fruits cessent alors de lui appartenir ; mais que le vrai propriétaire aura le choix ou de lui payer l’intérêt au taux légal ou de le réduire à celui représenté par l’augmentation de produit des améliorations, et sans que le possesseur ait la réciprocité de ce choix. Quant au possesseur de mauvaise foi, il a droit aux intérêts de ses dépenses puisqu’il restitue les fruits; mais ces intérêts ne peuvent jamais, suivant nous, excéder la valeur des fruits qu’elles produisent; le vrai propriétaire aura le choix comme dans l’hypothèse précédente entre le taux légal, si le produit dépassait ce taux, et ce produit lui-même et sauf ce qui est dit p. 753, 75Zi. La même observation s’appliquerait aux fruits perçus depuis l’action. D’ailleurs, ni le possesseur de mauvaise foi, ni le possesseur de bonne foi n’auraient droit au remboursement des impenses d’augmentations ou d’améliorations, constructions, plantations et ouvrages, si ces travaux avaient péri avant l’action pétitoire ou avant la restitution. La perte de ces additions, lors même que la chose principale subsisterait, retomberait sur eux. La décision textuelle, comme l'esprit de nos lois françaises n’obligent le véritable propriétaire à tenir compte des impenses qu’autant qu’il en profite, et qu’on lui livre la chose qui — 737 — est résultée de ces impenses. La décision de la loi 38, ff. de lier. p. ne serait donc pas admise parmi nous. 13/i o4l ' s La plus-value dont le propriétaire est obligé de tenir compte au possesseur qu’il évince, se calcule sur la valeur des choses, non pas au moment où les travaux ont eu lieu, non pas même au moment où l’action péti— toire a été intentée, mais au jour où le délaissement de l’immeuble est réellement opéré; car il ne doit compte que de ce dont il profite. Il lui est seulement interdit de s’enrichir aux dépens d’autrui; or, l’importance delà plus-value peut varier, et il est sensible que le propriétaire n’est mis à même d’en profiter que lorsqu’il rentre en possession de son immeuble. C’était le sentiment de Pothier, qui, dans son Traité de la Revendication, n° 346, enseignait que le possesseur ne devait être remboursé de ses impenses que jusqu’à concurrence de ce que la chose se trouvait en être augmentée de valeur au temps du délai piil en devait faire; de l'Annotateur de Bourjon, t. II, p. ol/i, qui dit que ce remboursement n’est dû au possesseur de mauvaise foi que suivant la valeur réelle des impenses lors de la réintégrande, et conformément à la disposition de droit, quatenus dominus factus est locupletior tempore recnperat-ionis suœ, ce qui est, ajoute-t-il, conforme à l’usage, et au droit commun du royaume; » des auteurs du Nouveau Denizart, V° Améliorations, § 4, n° 3, suivant lesquels le propriétaire, rentrant dans son héritage, ne profite qu’autant que sa chose se trouve être d’un revenu et d’un prix plus considérable par les dépenses que le possesseur y a faites ; qu’en conséquence, il ne doit être obligé au remboursement que jusqu’à cette concurrence, quand même le possesseur aurait déboursé davantage. » — 758 — C’est aussi la décision d’un arrêt de cassation de la chambre civile, du 13 février 1844, intervenu sur le pourvoi du sieur de Brivazac *, qui, bien que rendu sur une action en rescision d’une vente consentie pendant le cours du papier-monnaie, par application de la loi spéciale du 19 floréal an vi, n’en est pas moins motivé d’une manière générale, et consacre un principe applicable à toutes les affaires analogues ; on y lit en effet que la plus-value ne peut évidemment consister que dans l’augmentation de valeur dont le vendeur profite, et doit consister dans cette augmentation; que peu importe au vendeur que le détenteur de la propriété dans laquelle il est réintégré ait, à une époque antérieure, conféré une plus-value à cette propriété, si cette plus- value n’existe plus, lors de la rentrée du vendeur en possession ; que lui imposer l’obligation de rembourser une plus-value, qui n’existe plus, ce serait lui imposer une perte à laquelle aucune loi ne l’assujettit. » On lit encore dans cet arrêt que le vendeur ne peut s’enrichir aux dépens d’autrui, et profiter au préjudice de l’acquéreür de la plus-value conférée par celui-ci à l’immeuble, depuis la demande en rescision, jusqu’au délaissement effectif ; que l’art. 6 de la loi du 19 floréal an vi, consacre en faveur de l’acquéreur un véritable droit de rétention jusqu’à ce qu’il soit pleinement désintéressé. » Les décisions contenues dans ces deux derniers motifs sont conformes aux principes par nous développés, p. 686, 739. Le possesseur de mauvaise foi ayant droit comme celui qui est de bonne foi, au remboursement des * Devil. et Car. 1844-1-217. impenses, sauf le mode plus ou moins avantageux de dédommagement, l’indemnité doit comprendre évidemment les impenses postérieures à l’action. Le droit de rétention, consacré par l’ordonnance de 1667, plus anciennement par l’art. 97 de l’ordonnance de 1539, par l’art. 52 de l’ordonnance de Moulins de 1566, et qui avait comme nous l’avons vu p. 721, son origine dans les lois romaines, n’a pas été reproduit par notre nouvelle législation. Les art. 549, 55A, 555 y sont plus contraires que favorables. Si la Cour de cassation, par son arrêt précité» en a reconnu l’existence, c’est dans une matière spéciale, et en vertu de la disposition exceptionnelle et expresse, contenue dans l’art. 6 de la loi du 19 floréal an vi. Nous persistons donc à penser qu’en règle générale le droit de rétention n’existe plus dans notre législation, et ne peut avoir lieu que par exception, dans les seuls cas où nos lois l’ont expressément accordé. Un tel droit est incompatible avec celui de propriété, qui consiste à pouvoir jouir et disposer de la chose de la manière la plus absolue, à moins que des lois ou règlements n’y apportent quelque modification ; modification qui doit être expresse. Art. 5M, Code Napoléon. Autrefois un pareil droit était établi en termes généraux, et malgré cela Pothier, Loyseau avouaient qu’il ne pouvait être admis en faveur de l’acquéreur qui, après avoir fait des améliorations, était forcé de délaisser l’immeuble par suite de l’action hypothécaire. On est bien forcé de reconnaître qu’il en serait de même aujourd’hui; V. Grenier, des Hypothèques, t. II, n° 336; Dalloz, Répert. Y 0 Hypothèque, chap. 2, sect. 6, art. 3, n° 2; Troplong, des Hypothèques, t. III, n° 836. Le possesseur n’a qu’un simple droit de créance qui ne peut devenir privilégiée que — 760 — dans le cas et avec les formalités de l’art. 2103 du Code. On a encore reconnu, et la Cour de cassation a jugé, le 12 mai 18/0, que l’acquéreur d’un bien dotal ne pourrait pas non plus retenir cet immeuble ; il en faudrait dire autant pour des biens de mineurs, pour ceux appartenant à l’Etat, à des départements et communes indûment possédés par des tiers qui y auraient fait des impenses. Ce sont là les raisons qui ont empêché nos législateurs modernes de reproduire les dispositions de l’ancien droit. Nous ajouterons en terminant que les tribunaux n’ont pas la faculté discrétionnaire d’autoriser ou de refuser la rétention de l’immeuble; qu’ils ne peuvent l’admettre que dans les cas prévus par nos lois ; que la Cour de cassation, loin d’annuler les arrêts qui refuseraient la rétention dans tous les autres cas, rejetterait les pourvois et casserait au contraire si la rétention avait été accordée. Maintenant, de quelle manière faut-il déterminer le chiffre de l’augmentation, ou, comme dit l’art. 555, la somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur? appréciera-t-on la valeur vénale pour le cas où le propriétaire voudrait vendre la chose, ou bien la valeur intrinsèque et utile ajoutée à la propriété? Il est des cas où le propriétaire ne veut pas vendre, où la chose n’est pas susceptible d’être vendue et ne produit pas de revenus. Les auteurs du Nouveau Denizart, loco cilato, disent que l’on nomme améliorations les dépenses qui augmentent pour ainsi dire à perpétuité la valeur et le prix du fonds sur lequel elles sont faites; qu’en général l’estimation des améliorations est laissée à la prudence du juge qui doit la déterminer suivant les circonstances. — 761 Bornât, Bourjon, Pothier enseignent une doctrine équivalente; et la Cour de cassation a jugé, le 2G juillet 1838, affaire Forbin Janson, dans laquelle il s’agissait de constructions faites au mont Valérien, maison religieuse destinée de tout temps à. un service public, et non susceptible d’être mise dans le commerce, que la plus-value à rembourser au tiers de bonne foi qui avait fait ces constructions devait consister dans la valeur intrinsèque et utile, ajoutée à la propriété, et non pas seulement dans la valeur vénale. L’appréciation de l’augmentation de valeur dépend donc des circonstances et est abandonnée à la conscience des magistrats. Mais lorsque le véritable propriétaire opte pour le payement de la valeur des matériaux et du prix de la main-d’œuvre, ou qu’il est forcé par la loi de payer cette valeur, doit-elle être calculée à l’époque du délaissement de l’immeuble ou bien à celle des travaux? La question n’est pas sans importance, puisque cette valeur peut être fort différente à l’une ou à l’autre époque. Nous pensons que d’après le principe, que nul ne doit s’enrichir aux dépens d’autrui, et que tout ce à quoi peut prétendre le possesseur, c’est de ne pas perdre, on doit tenir compte à ce possesseur de ce qu’il a réellement dépensé; rien déplus, rien de moins; que si cette solution peut présenter quelques inconvénients pour le véritable propriétaire, ces inconvénients se trouveront en grande partie atténués par le droit accordé à ce propriétaire lorsque le possesseur est de bonne foi, d’opter entre la plus-value et le prix de la main-d’œuvre et des matériaux, et la faculté accordée lorsque le possesseur est de mauvaise foi, de contraindre celui-ci à enlever ses travaux, avec obligation de remettre les lieux dans leur — 7G2 — ancien état, et même de supporter des dommages-intérêts. 13 h attr II est évident que les dispositions de l’art. 555 ne sont pas applicables aux cas où les constructions, plantations, etc., ont eu lieu, soit par un mandataire, soit par un negotiorum gestor; dans l’un et l’autre cas, ils ont été exécutés pour le compte du véritable propriétaire ; on peut dire qu’il est censé les avoir faits lui-même, ou du moins qu’il les a fait faire; et il y a lieu alors d’appliquer les art. 1375 sur la gestion d’affaires, les articles 1908, 1999, 2000, 2001 et 2002 sur le mandat. Nous pensons que l’art. 555, surtout en ce qui concerne le droit d’obliger le possesseur de mauvâUe foi à l’enlèvement des travaux, avec rétablissement des lieux dans leur ancien état et dommages-intérêts, est également inapplicable, ou du moins n’est susceptible d’application qu’avec de certaines modifications, lorsqu’il s’agit de travaux ou plantations faits par un copropriétaire par indivis, un communiste, un cohéritier, un tiers détenteur, poursuivi en délaissement par des créanciers hypothécaires, par un associé. Il existe à l’égard de toutes ces personnes des règles spéciales établies par nos lois, dont il serait trop long de reproduire ici les dispositions, et qu’il faut combiner avec les principes posés par le législateur dans l’art. 555 , lequel a surtout en vue un tiers qui possède et agit comme propriétaire, sans avoir cependant aucun droit à l’imineuble, objet des impenses. Cour de cassation, 13 décembre 1830, 14 janvier 1835, 17 juillet 1848, 29 mars et 14 avril 1852. Mais cet art. 555 serait applicable au fermier, au locataire, sauf ce que nous avons dit, p. 777, au séquestre, à l’antichrésiste, à l’emphytéote, à moins qu'il n’existât — 763 — des conventions particulières qui dérogeassent aux prescriptions légales. Les stipulations feraient alors la loi des parties. Cour de cassation, 1 er juillet 1851. Il importe môme de remarquer que les dispositions de cet article supposent des travaux qui peuvent être enlevés, et que pour ceux qui ne pourraient pas l’être, mais qui auraient apporté à la chose une grande amélioration, les juges pourraient adoucir la rigueur du principe par un tempérament d’équité. Néanmoins, le possesseur d’une succession, qui aurait fait des constructions et autres impenses sur un immeuble qu’il aurait payé avec des deniers de la succession, mais qu’il aurait acheté en son nom au lieu de déclarer que l’acquisition était pour le compte de l’hérédité, ou qu’il aurait acquis également en son nom par échange contre un immeuble de cette hérédité, ne pourrait se désister de sa qualité de propriétaire contre la volonté des héritiers et faire considérer l’immeuble comme étant la propriété de ceux-ci, prétendre enfin à la rétention des fruits, au remboursement des impenses; dès que le contrat serait passé en son nom, lui seul serait bien réellement propriétaire de l’immeuble qui en aurait été l’objet ; les héritiers pourraient seulement, comme nous l’avons dit, p. 58/i, pour un cas analogue, exiger le remboursement en capital et accessoires des sommes puisées dans la caisse héréditaire, ou revendiquer l’immeuble donné en contre-échange; la loi 25, ff. de Her. pet., décidait la question dans notre sens, pour le cas d’acquisition avec des deniers de la succession. Nous donnerions une solution identique, dans le cas où l’acquéreur serait non un simple possesseur partiel de l’hérédité, mais bien réellement un cohéritier, un so- — T 267. — Actions civiles et correctionnelles auxquelles elles donnent lieu, 267, 268. — Distance à laquelle elles doivent être plantées du fonds voisin, 270 à 281. — Quand le fonds intermédiaire est un chemin public, un ruisseau, un acqueduc, ibid. — Ou qu’il y a prescription, ibid. et 633. — Voy. Chemins. halace. — Voy. Chemins. ET marchés. — Voy. Communes. hérédité. — Pétition d’hérédité. —Ce que c’est, 541, 518, 553, 616, 617, 677, 678. héritiers. — Légitime, bénéficiaire, apparent, peuvent intenter les actions pétiloires ou possessoires et y défendre, 424, 425, 660, 664. — Voy. Hérédité. hospices. — Actions pétiloires et possessoires qui les intéressent, 452, 659. — Voy. Communes. — 789 — I ILES. — Voy. Alluvion, Eaux. impenses. — Ce que c’est, 720. — En droit romain. Le défendeur évincé pouvait retenir l'immeuble jusqu’à remboursement des impenses; il en était de même en France sous l’ordonnance de 1667, 686, 687, 721 ; — mais il en est autrement en général aujourd’hui, ibid. et 759. — Exceptions, ibid. — Dispositions du droit romain sur les impenses, 721 à 729. — Distinction entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi, et entre les impenses nécessaires utiles ou voluptuaires, 731, 755.— Dispositions du droit français sur les impenses, 729, 732. — Le Gode Napoléon distingue aussi entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi, 729. — Mais il ne distingue pas en général entre les diverses impenses, nécessaires, utiles ou voluptuaires; celles-ci peuvent être utiles, 750, 755 à 738, 779. — Distingue entre les impenses qui sont charges des fruits et les autres, 750, 751. — Possesseur do bonne foi n’a pas droit aux premières, puisqu'il conserve les fruits, 731.— A droit au remboursement des capitaux par lui payés et. des intérêts, ibid. — Tous travaux exécutés sur ou sous un fonds sont censés faits par le propriétaire à ses frais, et lui appartenir jusqu’à preuve contraire, 755, 769. — Les impenses se compensent avec les fruits acquis au possesseur de bonne foi, 758 à 741, 747 à 757. — Les bénéfices obtenus par le talent et l’intelligence ne sont pas des fruits rapporta- bles et compensables, 740, 741. — Les tribunaux peuvent suivant les circonstances accorder délai pour le payement des impenses, mais non les convertir en rente, 764. immeubles. — Ceux qui le sont par leur nature, leur destination et l’objet auquel ils s’appliquent donnent lieu à l’action possessoire, 227 et suiv., 258 et suiv. — 11 en est de même de ceux qui ont été ameublis par stipulation, 248 et suiv. — Voy. Actions péliloires. imputation par ÉCHELETTE. — Voy. Fruits, Impenses, Intérêts. inondation. — Voy. Possession. interdits inlerdicla. — Ce que c’était en droit romain, et leurs ditïérentes espèces, 5 à 9. — Voy. Actions possessoires. interdits. — Assimilés aux mineurs, 425, 426. interruption. — Voy. Possession. INTERVENTION, 469, 470. interversion de titres. — Ce que c’est, et dans quel cas a lieu, 153 à 141. intérêts. — Ne sont dus par le possesseur de bonne foi que pour les fruits échus depuis l’action, 712 — mais le possesseur de mauvaise foi en doit pour les fruits antérieurs en général à compter de l’action, et quelquefois à partir d’une époque plus ancienne, 712. — Des fruits, des choses sujettes à rapport ou excédant la portion — 790 — disponible 713. — Intérêts courent avant la liquidation des fruits, 715 A 716. — Il n’est pas dû d'intérêts des intérêts de fruits, 716 h 718. — Intérêts d’un trésor. Voy. ce mol .— Intérêts des impenses. Dans quels cas en est-il dû, 753 à 769. — Des dégradations ou destructions, 769 à 776. — Comment se calculent et se compensent avec les impenses ou les dégradations, 775 à 775. inviolabilité de la propriété.— Celte inviolabilité existe à l’égard de toutes les propriétés grandes ou petites, de toutes les personnes et de toutes les autorités, 767, 768. — Paroles de Napoléon, Bossuet, Fénelon, 768, 769. — Traité de M. Troplong. J juge de paix. — Celui de la situation de l’objet litigieux ou autre choisi par les parties, est seul compétent pour prononcer sur les actions possessoires, 419 à 423. — Ne connaît jamais des actions péliloires quelque minime qu’en soit la valeur, 632. jugement au possessoire, 471 A 474. — Quand est en dernier ressort, 475, 6 !2, à 654 — Quels sont ses effets, 483 à 495. — Doit être entièrement exécuté par le défendeur qui a succombé avant qu’il se pourvoie au pétitoire, 488, 489, 6U0 à 607. —Au pétiloire, 684.— Comment s’exécute, 684 A 687.— Ses effets, ibid. L labours. — Voy. Impenses. légitimité État de. — Ne donne lieu à l’action possessoire, 408. liquidation de fruits, impenses, améliorations, dégradations.— Voyez ces mois. liste civile. — Voy. Commerce, Possession. M main-d’Oeuvre. — Voy. Impenses, Matériaux. majorât. — Voy. Commerce, Possession. marais. — Dessèchement, 350 à 353, ibid. — Règles de compétence. Cas d’action possessoire, ibid. mari. — Fxerce les actions pétitoires et possessoires des biens de la communauté et de sa femme, 427, 428, 658. matériaux. — A quelle époque faut-il se reporter pour estimer la valeur des matériaux et de la main-d’œuvre? 761.—Est-ce 5 l’époque delà confection des travaux ou à celle de l’action pétitoire? ibid .— Les matériaux employés par le propriétaire de I immeuble et par un tiers, et incorporés réellement à cet immeuble, ne peuvent être — 791 revendiqués par celui à qui ils appartenaient quel que soit le pro- 1 iiétaire des matériaux ou du fonds, même en cas de convention contraire ou de vente de bâtiment pour être démoli, 765, 766.— Exception pour le cas de démolition volontaire ou accidentelle, 767. meubles. — L’action possessoire n’est pas admise pour meubles isolés ou universalité de meubles, 233 à 238, — ni pour les actions île la banque, des canaux, ou les renies sur l’État immobilisées, 232,233. — lien est de même relativement aux actions péti- toires, 541, 550, 551, 565, 567, 585, 586, 656, — même quant aux meubles devenus immeubles par destination, à moins qu'ils ne soient demandés avec l’immeuble réel, 656 ; — mais il en serait dilïéremment pour les meubles devenus immeubles par incorporation, modification, ibid. — Les principes sur la possession et la bonne foi en matière de droit sur des meubles différent de ceux relatifs aux immeubles, 770 en note. >t eu us. — Actions possessoires qui les intéressent. Par qui soutenues en demandant et en défendant, 425, 426, 427. mines. — Leur définition, 353. — Droits et actions qui en résultent, 353 à 356. — Action possessoire, 356, 764. moût civile. — Ceux qui en sont frappés ne peuvent intenter l’action possessoire, 428. — Exception, ibid. — Mort civile ne commence que du jour de l’exécution de la condamnation, 428, 429. murs. — Quand mitoyens, 281, 282. — Quand il y a prescription contraire, 284, 285. — Aucune restriction pour l’élévation ni la distance, 282, 283. — Dans quels cas, il peut y avoir lieu à l’action possessoire, 286, 287, 534.— Effets du jugement de maintenue en possession annale, 287, 633. N nègres. — Voy. Esclaves. .nouvel OEUVRE. — Voy. Dénonciation de nouvel œuvre. O offices. — Ne donnent plus lieu à l’action possessoire, 407. ouvrages. — Voy. Impenses. P pacage. — Sa nature, ses différentes espèces. Actions auxquelles il donne lieu, 527, 528, 535. passage. — A titre de propriété, 684, en note. — Comme servitude. — Voy. Servitudes. patouillet. — Voy. Eaux. — 792 — péage. — Ne donne lieu à la complainte, 412. pêche. — Le droit de pêche ne peu! être acquis par prescription, ni donner lieu à la complainte, lors même qu’il est fondé sur un titre, 414. 415. — Mai? le propriétaire du fonds, troublé par un fait de pêche, peut l’intenter, ibid. pente des cours d'eau. — A qui elle appartient, 325, 326.— Voy. Eaux. pétitoire. — Ne peut être cumulé avec le possessoire, 575, 576. — Voy. Actions pétiloircs, Actions possessoires. plus-value. — En quoi elle consiste, et comment elle se calcule suivant les diverses espèces d’immeubles, 757 à 761. — Doit être fixée d’après la valeur à l’époque du délaissement, ibid. possession. — Ce que c’est, 2. — Diffère de la propriété, ibid .— Ne suffit pas au demandeur, au pétitoire, à moins qu’elle ne constitue prescription, 623 à 627. — Comment s’acquiert et se conserve, 144 à 147. — Nature et durée de celle requise pour la réin- tégrande, 44 et suiv. — Pour les autres actions possessoires, 78 à 110.— Précaire, non précaire. Ce que c’est, 113 à 126. — De bonne et mauvaise foi. Ce que c’est, et quand la bonne foi est nécessaire, 126 à 14t. — Cas dans lesquels la bonne et mauvaise foi nuisent ou profitent aux successeurs, 133 à 141. — Continue, non interrompue, non suspendue, 141 à 157. — Comment on entend la possession annale de choses dont on n’use que par intervalles. 146 à 156. — Paisible et non paisible ou troublée. — Ce que c’est, 157 à 184. — Publique. Ce que c’est, 184 à 191. — Doit être telle pendant l’année antérieure au trouble, 189 à 191. — Non équivoque et à titre de propriétaire, 191, 192, 193. — De tolérance et de simple faculté. Ce que c’est, 193 à 198. — Violente. Ce que c’est, 198. — Quand la violence cesse, 198 à 208. — A qui nuit- elle, 205. possession de choses qui sont dans le commerce et prescriptibles, 208 et suiv., 576. possession nécessaire pour acquérir des droits sur les eaux, 309. — Qualités et conditions de la possession sont absolues et non relatives, 90, 206, 270. — Exception, 185, 207, 208. possession relative aux servitudes, 565, 566. possessoire. — Ne doit pas être cumulé avec le pétitoire, 450, 451, 452. — Voy. Cumul. précaire. — Voy. Possession. prescription. — Est un moyen d’acquérir la propriété des immeubles même des souterrains et des superficies, 587, 589, 594, 595, 616, 617, 618, 666, 769. Il y en a de deux sortes l’nne de dix ans entre présents, vingt ans entre absents avec litre et bonne foi, 594, 595. — L’autre de trente ans sans litre ni bonne foi, 594. — Quelquefois la première est acquise et le véritable propriétaire est sans action conire le possesseur ; mais la dernière ne l’est pas et il a action contre l’auteur de celui-ci, 709. — Effets de cette action, — 793 — 710.— Les choses du domaine de l’Etat sont imprescriptibles tant qu’elles demeurent affectées au service public, 377, 593. — Mais elles peuvent devenir prescriptibles, 633. — Prescription de cinq ans, inapplicable à la restitution des fruits, 708, 709. — Au payement des indemnités pour préjudice causé par les dégradations, 773. présomptions. — Voy. Preuve. preuve. — Le demandeur au péliloire ne peut réussir qu’en prouvant sa propriété à la chose ou au droit foncier immobilier qui fait l’objet de son action, 383, 607 à fil 1. — Divers modes de preuve, et dispositions du Code civil à ce sujet, 611 à 617. — Développements, 616, 617. — Preuve littérale ou par titres est la principale, 616. — Comprend la preuve de la propriété non-seulement dans la personne du demandeur, mais môme dans celle de ses vendeurs, tant que la prescription n’est pas acquise, 618, 619. — En général, la propriété doit être prouvée par litre, il l’exclusion de la preuve testimoniale et de celle par présomptions, 617 il 617. — Exceptions, admission de la preuve testimoniale et des présomptions, dans quels cas, ibid. — Ces divers modes de preuve admissibles pour établir l'acquisition des souterrains et superficies, et par qui et aux frais do qui des travaux ont été faits, 769. procédure. — Sur les actions pélitoires, 630. — Préliminaires de conciliation, juge de paix compétent, ibid. — Dépôt de mémoire dans les affaires de l’Etal, des départements, des communes, dans quels cas, 630 à 332 ; — Formalités le l'ajournement, 661. — Tribunal devant lequel l'ajournement doit être donné, 632 à 637. — Par qui et contre qui les actions doivent-elles être dirigées, 637 il 661. — Moyens du défendeur, aveu ou dénégation, cessation ou acquisition de possession, 663 à 663. — Sur les actions posses- soircs. — Formalités antérieures à la comparution devant le juge de paix, 319 et suiv. — Formalités dans le cours de l’instance devant ce juge, 339 à 370. propriété. — En quoi diffère de la possession, 2, 333, 380. — Son origine et son importance, 333, 380 à 583. Ses caractères, ses avantages et ses effets, ibid et 687. — N’a de valeur que par la possession et par les fruits qu’elle produit, 687. — Dispositions du Code Napoléon et du Code proc. sur les différents modes d’acquisition de la propriété et ses conséquences, 587 à 593. — Propriété en Algérie et dans les colonies, 593 à 598. — On n’est pas propriétaire d’une chose, et l’on n’a pas droit de la revendiquer, par cela seul qu’elle a été achetée de nos deniers, ou des deniers d’une succession par un mandataire, dépositaire ou cohéritier, si l’acquisition n’est pas faite en notre nom ou au nom de la succession, 583, 583,762. — Propriété imparfaite, résoluble, temporaire, peut autoriser l’action péliloire, 583. — Cette action peut avoir lieu pour la partie de la chose qui n'a pas péri, ibid .—La preuve de la propriété est à la charge du demandeur au péliloire, 607 a 611,618, 623, 668. — Différents modes de preuve de la propriété, 611.— Disposition du Code Napoléon à ce sujet, 611 à 616. — Propriété doit exister non-seulement au moment de l’action, mais encore au moment de la décision, 665. — Si le demandeur, n’étant pas propriétaire lors de l’action, l’était devenu lors
Sommaire Ne pas trop attendreProgrammer les rapports au moment de l'ovulationEliminer les facteurs nuisibles à la fertilitéAvoir une alimentation équilibréeFaire l'amour dans la bonne positionAvoir un orgasmeNe pas trop attendreLa société actuelle tend à faire reculer d’année en année l’âge de la première grossesse. Au niveau biologique cependant il est une donnée qui ne varie pas la fertilité décline avec l’âge. Maximale entre 25 et 29 ans, elle diminue de manière lente et progressive entre 35 et 38 ans, et plus rapidement après cette échéance. Ainsi à 30 ans, une femme souhaitant avoir un enfant a 75 % de chance de réussir au bout d’un an, 66 % à 35 ans et 44 % à 40 ans1. La fertilité masculine diminue elle aussi avec l’ les rapports au moment de l'ovulationToute grossesse débute par la rencontre entre un ovocyte et un spermatozoïde. Or, cet ovocyte n’est fécondable que dans les 24 heures suivant l’ovulation. Pour maximiser les chances de grossesse il est donc important de détecter cette période de fertilité ».Sur des cycles réguliers, l’ovulation se situe au 14ème jour du cycle, mais il existe de grandes variations d’une femme à l’autre et d’un cycle à l’autre. Dans un objectif de conception, il est donc conseillé de détecter sa date d’ovulation avec l’une de ses techniques courbe de température, observation de la glaire cervicale, tests d’ spécialistes recommandent d’avoir des rapports au moins tous les deux jours autour de cette période y compris avant, car les spermatozoïdes peuvent rester fécondants dans les voies génitales féminines durant 3 à 5 jours. Ils auront ainsi le temps de remonter jusqu’aux trompes pour y rencontrer, éventuellement, l’ovocyte libéré lors de l’ovulation. Attention toutefois ce bon timing ne garantit pas la survenue d’une grossesse. Sur chaque cycle, la probabilité de grossesse en ayant eu des rapports sexuels au moment clef n’est que de 15 à 20 % 2.Eliminer les facteurs nuisibles à la fertilitéDans notre mode de vie et environnement, de nombreux facteurs jouent sur la fertilité. Accumulés dans un effet cocktail », ils peuvent réellement diminuer les chances de grossesse. Dans la mesure du possible, il est donc important d’éliminer ces différents facteurs, d’autant que la plupart sont néfastes pour le fœtus une fois la grossesse tabac pourrait abaisser la fertilité féminine de plus de 10 à 40% par cycle 3. Chez l’homme, il altèrerait le nombre et la mobilité des peut engendrer des cycles irréguliers et non ovulatoires et augmenter le risque de fausse-couche, tandis que chez l’homme, il altérerait la stress joue sur la libido et déclenche la sécrétion de différentes hormones pouvant avoir un impact sur la fertilité. Lors d’un stress important, l’hypophyse sécrète notamment de la prolactine, une hormone qui à des niveaux trop élevés risque de perturber l’ovulation chez la femme et chez l’homme, entrainer des troubles de la libido, une impuissance et une oligospermie 4. Des pratiques telles que la méditation mindfulness aident à lutter contre le caféine en excès pourrait augmenter le risque de fausse-couche, mais les études demeurent discordantes sur le sujet. Par précaution, il semble toutefois raisonnable de limiter sa consommation de café à deux tasses par d’autres facteurs environnementaux et habitudes de vie sont suspectés de jouer sur la fertilité les pesticides, les métaux lourds, les ondes, le sport intensif, une alimentation équilibréeL’alimentation a également son rôle à jouer dans la fertilité. De même, il est prouvé qu’un surpoids ou au contraire une grande maigreur peut altérer la Le Grand livre de la fertilité, le Dr Laurence Lévy-Dutel, gynécologue et nutritionniste, conseille de faire attention à ses différents points pour préserver sa fertilité privilégier les aliments à faibles index glycémique IG, car une hyper-insulinémie répétée nuirait à l’ovulationréduire les protéines animales au profit des protéines végétalesaugmenter l’apport en fibres alimentairesveiller à son apport en ferréduire les acides gras trans, potentiellement nuisibles à la fertilitéconsommer des produits laitiers entiers une à deux fois par jourSelon une récente étude américaine 5, la prise quotidienne d’un complément multivitaminé en période de conception pourrait diminuer le risque de fausse-couche de 55 %. Attention cependant à l’autoprescription en excès, certaines vitamines peuvent se révéler néfastes. Il est donc conseillé de prendre avis auprès d’un l'amour dans la bonne positionAucune étude n’a pu mettre en évidence le bénéfice de telle ou telle position. De façon empirique, on conseille cependant de privilégier les positions où le centre de gravité joue en faveur du cheminement des spermatozoïdes vers l’ovocyte, comme la position du Missionnaire. De même, certains spécialistes recommandent de ne pas se lever de suite après le rapport sexuel, voire de se tenir le bassin surélevé par un un orgasmeC’est également un sujet controversé et difficile à vérifier scientifiquement, mais il se pourrait que l’orgasme féminin ait une fonction biologique. Selon la théorie du up suck » aspiration, les contractions utérines déclenchées par l’orgasme entraineraient un phénomène d’aspiration du sperme par le col de l’ Des lecteurs ont trouvé cet article utile Et vous ?Cet article vous-a-t-il été utile ?À lire aussi
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Que devez-vous savoir pour gérer au mieux ces demandes de congé ?La bonne méthodeCas 1 - Gérer les congés pour évènements familiaux de courte duréeLes congés pour évènements familiaux sont des absences autorisées rémunérées, mais soumises au respect de certaines que votre salarié remplit les conditionsTout salarié peut en bénéficier quels que soient son ancienneté et l'effectif de l' tous les cas, le salarié doit adresser à l'employeur une demande de congés, avec justification de l'événement certificat de naissance, de décès, etc..Vérifiez que le congé est pris dans un délai raisonnable Le congé peut être pris le jour où l'événement survient ou dans un délai raisonnable avant ou après l' cas de mariage d'un enfant, le congé peut être pris le jour du mariage, mais aussi la veille ou le le salarié est absent de l'entreprise le jour de l'événement pour une autre raison congés payés, maladie, etc., il ne peut pas prendre ces jours de congé à son retour dans l' est en congés payés au moment de son mariage, l'employeur peut refuser de lui accorder les 4 jours de congés légaux pour mariage. En revanche, il peut y prétendre s'il pose ses congés payés juste avant ou juste après les 4 s'agit d'un décès, les règles sont les mêmes le congé ne peut pas être pris si le décès intervient pendant des congés payés, sauf accord de l' règle s'applique également dans le cas où l'événement interviendrait lors de prise de jours de réduction du temps de travail RTT ou de jours de récupération et non de congés le congé de deuil de 8 jours pour le décès d'un enfant ou d'une personne à charge de moins de 25 ans voir ci-dessous peut être pris dans l'année qui la durée de l'absence La durée légale autorisée du congé varie selon le type d' ou remariage du salarié4 joursConclusion d'un pacs par le salarié4 joursNaissance ou adoption pour un même salarié, cumulables avec le congé de paternité, mais pas avec un congé de maternité ou d'adoptionAu 1er juillet 2021 le congé de naissance court, au choix du salarié, le jour de la naissance ou le 1er jour ouvrable qui suit ;y sont éligibles le salarié père, conjoint, concubin de la mère ou lié à elle par un joursMariage ou remariage de son enfant1 jourDécès du conjoint marié, concubin ou pacsé3 joursDécès d'un enfant de 25 ans ou plus5 joursDécès d'un enfant lui-même parent, quel que soit son âge7 joursDécès d'un enfant de moins de 25 ans voir également ci-dessous7 joursDécès d'une personne de moins de 25 ans à la charge effective et permanente du salarié voir également ci-dessous7 joursDécès du père ou de la mère 3 joursDécès d'un frère ou d'une soeur 3 joursDécès du beau-père ou de la belle-mère entendus seulement comme les parents du conjoint3 joursAnnonce de la survenue d'un handicap chez un enfant2 joursAnnonce de la survenue d'un cancer ou d'une pathologie chronique et évolutive chez un enfant2 joursNotez-le Depuis le 1er juillet 2021, les jours pour événements familiaux sont des jours ouvrables. Seule l'absence pour décès d'un enfant ou personne à charge de moins de 25 ans ou d'un enfant lui-même parent, se décompte en jours procédure particulière n'est prévue pour formaliser votre réponse. L'accord peut être tacite, verbal ou écrit. En cas de refus, pour éviter tout litige, vous pouvez préciser par écrit que vous n'avez pas été informé ou que vous vous opposez aux dates retenues par le salarié hors délai raisonnable.Congé pour enfant atteint d'un cancer ou d'une pathologie chroniqueÀ effet du 19 décembre 2021, ce congé est accordé aux salariés, sur présentation d'un justificatif. Aucune condition d'ancienneté n'est requise. Le salarié peut en faire la demande par tout moyen. Un accord collectif peut toutefois imposer des modalités particulières. Ce congé a une durée minimale de 2 jours ouvrables, pouvant être augmentée par accord d'entreprise ou, à défaut, de pathologie doit être chronique, évolutive, avoir un fort retentissement sur la vie quotidienne et nécessiter un apprentissage congé n'entraîne aucune réduction de la rémunération et est également assimilé à du temps de travail effectif pour la durée des congés légal de deuil de 8 jours pour le décès d'un enfant ou d'une personne à charge de moins de 25 ansEn cas de décès de son enfant de moins de 25 ans ou d'une personne à sa charge effective et permanente de moins de 25 ans, le salarié a droit, en plus du congé de 7 jours, à un congé de deuil de 8 jours, qui peut être fractionné. Il peut le prendre dans les 12 mois qui suivent le décès, et doit vous informer au moins 24 heures avant chaque congé de deuil peut être fractionné en deux périodes, d'au moins 1 journée chacune. L'indemnisation est fractionnée de la même perçoit pendant la durée du congé des indemnités journalières de la Sécurité sociale, sous réserve de cesser son activité, dans les mêmes conditions qu'un congé de maternité, complétées par l'employeur en vue du maintien de salaire. Celui-ci est subrogé dans les droits du salarié aux indemnités indemnités ne sont pas cumulables avec celles versées pour maladie, maternité, paternité, adoption, accident du travail ou la durée du congé ne peut pas être imputée sur celle du congé payé les erreursLe rôle des RPLes sanctions possiblesNotre conseilQuestions réponsesVous êtes sur une version de démonstrationRévolutionnez votre quotidien avec l’offre ACTIV. Conçue pour vous accompagner de l'embauche jusqu’au départ des salariés, la solution Gérer le personnel ACTIV allie l'information synthétique des fiches pratiques à l'interactivité des procédures Lumio pour vous permettre de trouver rapidement des réponses adaptées et personnalisées à votre découvre l'offreModèles à téléchargerTableau récapitulatif des congés pour évènements familiauxCongé de maternité duréesFormulaire de transmission des périodes de fractionnement en cas de congé de paternitéFiches associéesTextes officielsC. trav., art. L. 1225-17 et suivants congé de maternité, L. 1225-35 à L. 1225-36, D. 1225-8 et D. 1225-8-1 congé de paternité et d'accueil du jeune enfant, L. 1225-37 à L. 1225-46-1 et R. 1225-9 à R. 1225-11 congé d'adoption, L. 3142-1 et L. 3142-1-1 congés pour événement familial, L. 3142-1, L. 3142-1-1 et D. 3142-1-1 congé de deuilCSS, art. L. 331-3 et suiv. et D. 331-3 à D. 331-6 indemnisation des congés de maternité et de paternité, L. 331-9 et D. 331-6 indemnisation du congé de deuil d'un enfant de moins de 25 ansCass. soc., 5 juillet 2017, n° les avantages accordés par la convention collective en cas de mariage doivent également bénéficier aux salariés qui se pacsentArrêté du 24 juin 2019 unités de soins spécialisées pour la prolongation du congé de paternité en cas d'hospitalisation immédiate de l'enfantLoi n° 2020-692, du 8 juin 2020 et décret n° 2020-1233, du 8 octobre 2020 augmentation des durées des congés pour décès d'un enfant et fractionnementLoi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, art. 73, et décret n° 2021-574, du 10 mai 2021 décompte en jours ouvrables des congés pour événements familiaux, allongement du congé d'adoption et du congé de paternité, et réforme du congé de naissance au 1er juillet 2021Loi n° 2021-1678, du 17 décembre 2021 accompagnement des enfants atteints de pathologies chroniques ou de cancersLoi n° 2022-219, du 21 février 2022, art. 25 assouplissement du congé d'adoption
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